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Full text of "Sainte Eusébie, abbesse, et ses 40 compagnes martyres à Marseille"

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fO  p  33. 37K  M 


Harvard  Collège 
Library 


FKOM  THE  BEQUBST  OF 

JOHN  HARVEY  TREAT 

OF  ULVHHf CE,  MASS. 
CLASS  OF  1*61 


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r.-ï-VT' 


HHHIfSHi 


SAINTE  EUSÉBIE 


ET 'SES  40  COMPAGNES-  MARTYRES 


A       WAKSGlLL  R 


M-'Adbi»  S.  VERNE-' 
ffw/W  ■/*  '■'  *W»«  Safnte-EHsihi,.  A  M,,«lreJ,m 


MARSEILLE 


SAINTE  EUSEB1E 

ABBBSSB 

ET    SES  40   COMPAGNES   MARTYRES 

A  MARSEILLE 


SAINTE  EUSEBIE 

Abbesse 

ET  SES  40  COMPAGNES  MARTYRES 


A       MARSI-:iLLK 


L'Abbé  S.  VERNE 
Sttltur  dt  la  Paroisse  Saiatt-Eusibît,  à  Montrtdoa 

TeneU  tradilionts. 
1  Uardtz  vos  traditions  > 
(Il  AD  THBSS.,2,  14.) 


MARSEILLE 


Rue  Sainte,  3g 
1891 


G*&± 


Ux'-T 


Conformément  aux  décrets  du  pape  Urbain  VIII,  nous  décla- 
rons ne  vouloir  préjuger  en  rien  les  décisions  de  l'Eglise  au 
sujet  des  faits  et  des  appréciations  contenus  dans  cet  ouvrage 
et  soumettre  celui-ci  à  l'autorité  doctrinale  de  notre  Evèque, 
rejetant  et  condamnant  tout  ce  'qu'il  désirerait  nous  voir 
rejeter  et  condamner. 


n.^KVAkD 

JNIVERSITY 

LI-'  vary 


DÉDIÉ 


SA  GRANDEUR  MONSEIGNEUR  ROBERT 


ÉYÊQUE   DE   MARSEILLE 


ÊVÊCHÉ  Marseille,  le  12  Novembre  18 go, 


DE 


MARSEILLE 


Mon  bien  cher  Curé, 


Vous  venez  de  terminer  heureusement,  après  plusieurs 
années  d'un  travail  infatigable,  l'œuvre  qu'a  inspirée  à 
votre  foi  et  à  votre  piété  le  culte  de  sainte  Eusébie, 
titulaire  de  votre  chère  paroisse. 

Votre  étude  historique  accuse  de  savantes  et  de  profon- 
des recherches.  Il  y  a  surtout  un  sentiment  pieux,  qui  fait 
du  bien  à  l'âme.  Les  solutions  que  vous  donnez  à  des 
points  douteux  pourront  paraître  contestables  à  quelques- 
uns  ;  mais  cela  n'empêchera  pas  que  votre  livre  ne  soit 
lu  de  tous  avec  grand  intérêt  et,  ce  qui  vaut  mieux  encore, 
avec  beaucoup  d'édification.  Vos  paroissiens  notamment 
trouveront  dans  cette  lecture  le  moyen  de  bien  connaître 
et  d'aimer,  comme  ils  le  doivent,  celle  que  l'Eglise  leur  a 
donnée  pour  patronne  et  pour  modèle. 

Combien  il  serait  désirable  que  les  prêtres  occupent 
leurs  loisirs,  ainsi  que  vous  l'avez  fait,  à  recueillir  avec 
respect  et  amour  ce  qui  intéresse  l'histoire  de  leur  paroisse  ! 


Nous  aurions  bientôt  une  série  de  monographies  parois- 
siales fort  utile  pour  l'histoire  générale  du  diocèse. 

L'exemple  que  vous  donnez  portera  ses  fruits,  j'en  ai  la 
confiance,  et  ce  ne  sera  pas  l'un  des  moindres  résultats  de 
votre  savant  et  religieux  travail. 

Recevez,  mon  bien  cher  Curé,  avec  mes  sincères  félici- 
tations, la  nouvelle  expression  de  mon  affectueux  attache- 
ment en  Notre  Seigneur. 


•J-  LOUIS,  évêque  de  Marseille. 


PRÉFACE 


Nous  avons  à  dire  l'humble  genèse  de  ce  modeste  travail. 

Une  légende  antique  de  l'histoire  de  Marseille,  le  mas- 
sacre de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes  par  les  Sar- 
rasins, nous  a  toujours  charmé.  Enfant,  ce  nous  était  un 
doux  plaisir  de  l'entendre  raconter  par  les  vieillards  ; 
plus  tard,  lorsque  nous  ne  savons  quel  ouvrage  nous  eut 
appris  qu'une  tradition  indiquait  les  bords  de  la  mer,  la 
plage  au  bout  du  Prado,  comme  le  théâtre  de  cet  événe- 
ment, nous  cherchions  à  refaire  dans  notre  imagination 
les  phases  diverses  de  cette  scène  désolante. 

Prêtre  et  vicaire  à  Saint-Giniez,  la  légende  nous  capti- 
vait. Bien  des  fois,  nous  avons  parcouru  cette  partie  de 
nos  rivages  et,  nous  reportant  à  onze  ou  douze  siècles  en 
arrière,  nous  revoyions  par  la  pensée  le  moutier  d'Eusé- 
bie,  auquel  les  bois,  les  prairies,  les  vignes  et  la  mer  fai- 
saient une  verte  et  gracieuse  ceinture.  Nous  prêtions 
l'oreille,  et  nous  croyions  entendre,  comme  un  doux  mur- 
mure qui  arrivait  jusqu'à  nous,  les  chants  et  les  prières 
des  Cassianites.  Soudain  ce  spectacle  ravissant  se  chan- 
geait en  scène  lugubre.  Les  douces  compagnes  d'Eusébie, 
Eusébie  avec  elles,  nous  les  voyions  fuir  éperdues  dans  la 
chapelle  de  leur  monastère,  poursuivies  par  de  farouches 
envahisseurs.  Nous  entendions  leurs  cris  de  désolation, 
leurs  appels  suppliants,  nous  étions  témoin  d'un  acte 
héroïque.  Puis  le  silence  le  plus  profond  !  Et  les  vaisseaux 
qui  portaient  les  barbares  regagnaient  la  haute  mer,  ou 
disparaissaient  derrière  les  collines  qui  bornent  au  sud  le 
terroir  de  Marseille.  Curé  à  Montredon,  et  notre  église 
étant  dédiée  à  la  chère  sainte  Eusébie,  nous  étions  tout  à 
la  joie  d'habiter  près  de  ces  lieux  bénis  que  l'héroïque 
martyre  avait  foulés  de  ses  pas . 


VI 

*  Quel  ne  fat  pas  notre  étonnement  de  lire  un  jour,  dans 
la  Vie  des  Saints  de  Marseille  (1),  que  cette  tradition  qui 
faisait  vivre  et  mourir  sainte  Eusébie  dans  un  monastère 
cassianite,  aux  bords  de  l'Huveaune,  n'avait  aucun  fonde- 
ment et  qu'il  fallait  céder  à  d'autres  lieux,  plus  proches  de 
Marseille,  la  gloire  d'avoir  été  le  théâtre  d'un  si  glorieux 
martyre.  Nos  plus  beaux  rêves  se  dissipaient  !  Il  n'y  avait 
pas  à  en  vouloir  à  l'auteur  de  l'excellent  ouvrage  cité  plus 
haut  :  écrivant  la  Vie  des  Saints  les  plus  connus  dans 
notre  Eglise,  il  ne  pouvait  entrer  dans  tous  les  détails  et 
discuter  à  fond  les  points  douteux  qui  pouvaient  se  pré- 
senter . 

Notre  ligne  de  conduite  était  toute  tracée.  Il  nous  fallait 
étudier  sur  quelles  bases  s'appuyait  la  vieille  légende  deis 
Desnarrados  (2)  et  peut-être  mettre  par  écrit  le  résultat  de 
nos  recherches.  Nous  le  devions  à  nos  rêves  d'enfant.  A 
titre  d'ancien  vicaire  de  Saint-Giniez,  nous  avions  à  le 
faire.  Depuis  notre  arrivée  à  Montredon,  il  nous  semblait 
entendre  la  chère  sainte  Eusébie  nous  le  demander  cha- 
que jour. 

Ce  fut  le  motif  qui  nous  fit  entreprendre  d'écrire  ees 
pages. 

Mais,  nous  l'avouons  simplement,  c'était  une  simple 
brochure  que  nous  désirions  offrir  aux  amateurs  des 
«  choses  marseillaises  ».  Or,  les  détails  se  présentèrent  si 
nombreux,  que  la  brochure  devint  un  petit  livre. 

Notre  tâche  était  à  peu  près  achevée,  lorsque  parurent, 
dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  quelques  ex- 
traits d'une  monographie  de  l'abbaye  de  Saint- Victor-lez- 
Marseille  (3).   L'estimable  M.  Grinda  en  était  l'auteur. 

(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille.  —  Sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes,  vierges  et  martyres,  11  octobre. 

(2)  Leis  desnarrados  ou  desnazados,  c'esl-à-dire  sans  nez.  Allusion 
évidente  au  genre  de  martyre  qu'ont  enduré  sainte  Eusébie  et  ses  com- 
pagnes. 

(3)  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  année  1888. 


VII 

Tout  en  assurant  que  son  but  était  de  mettre  à  l'abri  de 
la  critique  impie  notre  tradition* sur  sainte  Eusébie,  il  la 
découronnait  cependant,  à  notre  avis.  Si  l'on  voulait  re- 
garder, en  effet,  l'inscription  lapidaire  d'Eusébie  comme 
Tépitaphe  de  notre  sainte  héroïne  marseillaise,il  fallait  pla- 
cer le  martyre  au  Ve  siècle  et  fouler  aux  pieds  ce  point  de 
notre  tradition  qui  attribue  aux  Sarrasins  le  martyre  des 
Cassianites.  Si  Ton  voulait,  au  contraire,  attribuer  à  ces 
barbares  ce  fait  odieux,  il  fallait  renoncer  à  voir  dans  cette 
inscription  funéraire  la  légende  de  notre  sainte  Eusébie. 
Nous  avons  remis  notre  travail  sur  le  métier  et  de  notre 
œuvre  première  ainsi  remaniée  il  en  est  sorti,  hélas,  un 
bien  gros  livre  !  ! 

En  toute  confiance  nous  le  livrons  à  la  bienveillance 
comme  à  la  critique  de  nos  lecteurs.  Ce  qui  nous  rassure 
c'est  que  nous  n'avons  pas  la  prétention  d'avoir  trouvé  la 
vérité,  de  la  faire  toucher  du  doigt.  Non.  Ce  point  de  nos 
annales  est  trop  difficile  à  éclaircir.  On  se  heurte  à  la  nuit 
des  temps  barbares.  Il  faut  lutter  avec  les  tâtonnements, 
les  contradictions,  les  objections  des  auteurs,  souffrir  de 
la  pénurie  presque  complète  des  documents,  car  il  ne 
reste  que  l'inscription  lapidaire  du  tombeau  de  sainte 
Eusébie,  et,  disons-le,  elle  n'est  pas  hors  de  toute 
conteste.  De  plus  savants  et  de  plus  habiles  que  nous  ont 
cherché  longtemps  à  déchiffrer  cette  énigme,  et  ils  n'ont 
pas  réussi.  Humble  pionnier,  armé  d'outils  bien  faibles, 
pouvions-nous  espérer  de  découvrir  le  trésor?  et,  ouvrier 
malhabile,  de  conduire  l'édifice  à  son  achèvement  ?  Ne 
risquions-nous  pas  de  nous  égarer  loin  du  filon  précieux, 
et  nos  matériaux  seraient-ils  toujours  de  premier  choix  ? 
C'était  là  le  danger  ! 

Nous  voulons  être  sincère-  Il  nous  a  été  impossible  de 
découvrir  un  document  précis,  authentique  sur  lequel  on 
pût  établir  un  argument  péremptoire,  relativement  aux 
deux  questions  qui  vont  nous  occuper.  Nous  n'avons  pas 


VIII 

de  preuve  certaine,  irréfragable  de  ce  que  nous  soute- 
nons. C'est,  d'ailleurs,  ce  que  Ton  nous  avait  prédit. 

Nous  avons  dû  nous  contenter  de  réunir  et  de  classer 
tout  ce  que  l'histoire  pouvait  nous  offrir  de  faits,  de  docu- 
ments, de  souvenirs  et  d'en  dégager  une  somme  de  pro- 
babilités assez  sérieuses,  croyons-nous,  en  faveur  de  notre 
thèse. 

Cependant,  par  l'étude  que  nous  avons  faite  de  cette 
question,  un  coin  du  voile  qui  s'obstine  à  la  recouvrir 
aura  été  peut-être  quelque  peu  soulevé,  et  nous  aurons 
apporté  une  petite  pierre  à  l'édifice  qu'un  autre,  nous 
l'espérons,  achèvera  plus  tard.  Nous  avons  pu  nous  lais- 
ser induire  en  erreur  ;  mais  ce  qui  est  sûr,  qu'on  le  sache 
bien,  c'est  que  nous  ne  voulons  point  faire  parade  d'éru- 
dition, et  que  si  nous  nous  sommes  trompé  nous  serons 
heureux  de  le  reconnaître.  Si  quelqu'un  plus  habile,  mieux 
servi  par  les  circonstances,  plus  favorisé  que  nous, 
découvrait  de  nouveaux  documents  et  nous  donnait  des 
preuves  solides,  contraires  à  la  solution  que  nous  pré- 
sentons, nous  ne  ferions  nulle  difficulté  de  nous  ranger  à 
son  avis.  La  gloire  de  notre  chère  sainte  Eusébie  nous 
tient  plus  à  cœur  que  la  nôtre  propre,  et  rien  n'honore 
les  saints  comme  la  vérité. 

Maintenant,  comme  Duns  Scot,  accourant  à  l'Univer- 
sité défendre  le  privilège  de  l'Immaculée  Conception, 
disait,  en  passant  devant  une  statue  de  la  Vierge  Marie  : 
Da  mihi  virtutem  contra  hostes  tuos  (1),  volontiers, 
offrant  à  la  sainte  patronne  de  notre  église  ces  quelques 
pages,  nous  lui  dirions  :  Bonne  sainte  Eusébie,  c'est  de 
vous  qu'il  s'agit,  venez-nous  en  aide  et  guidez  notre 
plume  !  ! 

S.  V. 


(1)  c  Donnez-moi  la  force  pour  lutter  contre  vos  ennemis.  »  Paroles 
tirées  de  l'office  de  la  Sainte  Vierge. 


SAINTE  EUSÉBIE 


ABBBSSE 


ET  SES  40  COMPAGNES  MARTYRES 


A    MARSEILLE 


INTRODUCTION 


CHAPITRE  PREMIER 


L'Abbaye  Cassianite  des  Bords  de  l'Huveaune 


LE  TERROIR.  DK  SAINT-GïNIEZ.—  LE  CŒNOBIUM  CASSIANITE  DE  FILLES, 
AUX  BORDS  DE  L'HUVEAUNE.  —  DYNAMIUS,  BIENFAITEUR  DU  CŒNO- 
BIUM.  —  LETTRE  DU  PAPE  GRÉGOIRE  LE  GRAND  A  L'ABBESSB 
RESPECTA. 


Là,  où  de  nos  jours  l'avenue  du  Prado  étale  ses  frais  ombra- 
ges et  groupe  ses  plus  riantes  villas;  dans  l'espace  que  limi- 
tent, au  nord,  les  dernières  pentes  de  la  colline  de  Notre-Dame 
de  la  Garde  ;  à  l'est,  le  cours  du  Jarret  ;  au  sud,  les  collines  de 
Sainte-Marguerite,  de  Mazargues  et  de  Montredon,  se  déroulait 
jadis  une  plaine  immense  que  l'Huveaune,  dans  son  cours  lent 
et  sinueux,  partageait  en  deux  moitiés  à  peu  près  égales. 

Le  paysage  qui  s'offrait  aux  regards,  pour  être  sévère,  triste, 
monotone,  n'était  pas  cependant  dépourvu  de  majesté  et  de 
grandeur.  Ici,  vers  Montredon,  de  vastes  et  sauvages  grèves, 
sur  lesquelles  la  mer  roulait  ses  vagues,  tantôt  impétueuses 
et  tantôt  caressantes;  là,  sur  le  terroir  de  Bonneveine,  des 


—  2  — 

» 

landes  sablonneuses  et  incultes  que  battaient  sans  trêve  ni 
repos  les  brises  du  large  ou  les  rafales  du  mistral  ;  d'un  côté, 
sur  le  versant  méridional  de  la  Garde,  des  bois  épais  de  pins  qui 
descendaient  jusqu'aux  berges  de  l'Huveaune  ;  de  l'autre,  vers 
le  Rouet,  le  Rond-Point  et  Saint-Giniez,  des  marais  stagnants 
que  formaient  des  ruisseaux  sans  déversement,  ou  les  eaux  de 
l'Huveaune,  refoulées  à  certains  jours  par  la  mer  soulevée  (1). 
Avec  les  siècles  cependant,  la  civilisation  avait  pris  pied 
dans  ce  désert.  Où  se  trouvaient  jadis  un  bois  sacré,  un  oratoire 
païen,  se  dressa  bientôt  une  modeste  église  :  celle  de  Saint- 
Giniez  (2).  Où  s'étendaient  des  terres  incultes,  se  formèrent  de 
puissants  domaines,  peuplés  de  serfs  et  de  colons  :  Carvillan 
et  Romagnac,  d'un  côté  de  l'Huveaune  (3),  Fabias  et  Consuas 
de  l'autre  (4);  les  bois,  les  marécages,    les  plus  minces  filets 

(1)  Nous  devons  prévenir  nos  lecteurs  que  dans  ces  pages  ils  trouve- 
ront un  certain  nombre  d'assertions  dont  la  preuve  est  faite  seulement 
dans  notre  ouvrage  intitulé  :  Sainte  Eusèbie,  abbesse,  et  ses  40  compa- 
gnes martyres, 

(2)  Notice  historique,  topographique  et  hagiologique  sur  Saint- 
Giniez,  par  M.  l'abbé  Daspres,  p.  11.  M.  Daspres  était  curé  de  Saint-Gi- 
niez, quand  il  composa  cette  notice,  remplie  de  détails  précieux,  sur  ce 
point  du  terroir  marseillais. 

(3)  Carvillan,  «  in  suburbio  Massiliense,  villam  que  dicitur  Carvil- 
lianus,  id  est,  casis  astantibus  et  dirutis,  terris  cultis  et  incultis, 
vineis,  pratis,  pascuis,  etc.,  etc.  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  28, 
du  24  juin  840,  et  charte  27,  de  1020. 

Le  territoire  désigné  sous  ce  nom  de  Carvillan  comprenait  une 
partie  du  terroir  de  Sainte-Marguerite.  —  Lire  les  pages  pleines  d'intérêt 
qu'a  écrites  M.  l'abbé  E.  Arnaud,  curé  de  Sainte-Marguerite,  sur  Carvil- 
lan, dans  la  Notice  historique  sur  Sainte-Marguerite,  ch.  2,  p.  26 
etsuiv.— Notice  historique  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  83 
et  suiv.  —  Dictionnaire  topographique  de  l'arrondissement  de  Marseille, 
par  J.-B.  Mortreuil,  au  mot  Carvillian,  p.  86. 

Romagnac.  «  Super  fluvium  Vuelne,  in  locis  his  nominibus  desi- 
gnatis  :  Romagnac,  Ligus  Pinis,  Fabias.*  Cartulaire  de  Saint-Victor, 
ch.  29,  de 965.  Cette  terre  était  une  partie  du  terroir  actuel  de  Bonne- 
veine,  lequel  était  appelé  dans  d'autres  chartes  Gas  de  Romagnana,  gué 
ou  passage  de  Romagnac  sur  l'Huveaune,  ou  gast  de  Romagnana,  terre 
inculte,  stérile  de  Romagnac.  —  Notice  historique  sur  Saint-Giniez, 
par  l'abbé  Daspres,  p.  88.  —  Dictionnaire  topographique  de  Mortreuil, 
au  mot  Romagnana,  p.  313. 

(4)  Fabias:  terroir  situé  entre  le  Rouet  et  Saint-Giniez.  Cartulaire  de 


—  3  — 

d'eau  prenaient  un  nom.  Le  Ligus  Pinis  désignait  le  versant 
boisé  de  la  Garde  (1)  ;  le  palud  des  bords  de  l'Huveaune 
s'appelait  Arculens  (2)  ;  celui  du  Rond -Point,  Antignane  (3)  ; 
celui  des  environs  du  Rouet,  Framaud,  Frémautou  Formai  (4); 
le  pelit  ruisseau  d'Antignane  même  avait  sa  place  dans  les 
chartes  de  l'époque. 

8aint- Victor,  ch.  29.  — Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres, 
p.  111.—  Dictionnaire  topographique  de  Mortreuil,  v.  Fabias,  p.  147. 

CoDsuas  :  portion  du  terroir  sur  lequel  est  construit  actuellement  le 
château  Talabot.  Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  102. 
—  Dictionnaire  topographique  de  Mortreuil,  v.  la  Conseillère,  p.  117. 

(1)  Ligus  Pinis,  quartier  sur  le  versant  méridional  de  Notre-Dame  de 
la  Garde.  Cartulaire,  ch.  29.  —Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  15,  104.  — 
Dictionnaire  de  Mortreuil,  v.  la  Pinède,  p.  280.  C'est  bien  à  tort,  croyons- 
nous,  que  le  Dictionnaire  géographique,  placé  en  appendice  au  tome  II 
du  Cartulaire  de  Saint-Victor,  affirme  que  le  Ligus  Pinis  est  le  village 
actuel  de  la  Pêne,  près  Saint-Marcel. 

(2)  Arcuîens,  Arcollens,  Arcola,  Arcoulens,  Arquolens,  RecoUens, 
autant  de  mots  qui  désignent  un  môme  quartier  de  Saint-Giniez,  situé 
sur  le  bord  de  l'Huveaune,  prés  de  l'ancien  gué  et  du  pont,  qui,  aujour- 
d'hui, conduit  au  parc  Borély.  Au  XVII*  siècle,  on  le  regardait  comme 
taisant  partie  du  terroir  de  Bonneveine  :  Bone  vene,  Arcollens,  Arquo- 
lens, frive  Bonevene,  RecoUens  ou  Bonneveine.  Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  ch.  52,  de  1040.—  Dictionnaire  géographique  du  Cartulaire,  t.  II, 
▼.  Arcolœ.  —  Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  66,  87,  88. 
141,  U2. 

(3)  Antignane,  Antignana,  Antinana,  fons  d' Antinana*  palus 
à: Antinana.  C'est  tantôt  dans  les  chartes  un  quartier,  tantôt  un  marais 
ou  un  ruisseau,  alimenté  par  une  source,  qui  portait  le  même  nom  :  fon* 
Antinana;  dans  le  XI*  siècle,  ce  marais  s'appela  indifféremment:  \8 
palud  de  Saint-Giniez  ou  le  palud  d'Antignane,  —  Notice  sur  Saint- 
Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  192,  138  et  suiv.  —  Dictionnaire  topogra-  - 
phique  de  Mortreuil,  v.  Antignane. 

(4)  Le  palud  de  Formai,  Framald,  Frémaut  devait  être  situé  entre 
Saint-Giniez,  le  Bouet, la Capelette.  «Moi,  Lambertus  Dodo,\e  donne  une 
pièce  de  terre,  prés  l'église  de  Saint-Giniez  ;  elle  se  termine  d'un  côté 
à  la  terre  d'Adalugi,  de  l'autre  au  chemin  qui  va  à  Marseille,  et  de  l'autre 
au  palud  de  Framaut  (Framaldi). . .  Moi,  Virfred  et  Bostagnus  A  m  al  rie, 
donnons  cette  terre  qui  est  située  dans  le  palud  de  Formai.  »  Ch.  de  1097. 
Nous  donnons  en  appendice  cette  charte  dans  notre  ouvrage  :  Sainte 
Euzébie  et  ses  40  compagnes  martyres.  Elle  est  cotée  aux  archives  de 
là  Préfecture,  n*  789,  au  diocèse  de  Marseille,  n*  317.  —  Notice  sur 
Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  charte  de  1097,  p.  141.  —  Dictionnaire 
topographique  de  Mortreuil,  v.  Framaud,  p.  164. 


—  4  — 

Une  tradition  dont  nous  établirons  ailleurs  les  preuves 
nous  dit  que  ce  fut  cet  humble  coin  de  terre  que  choisit  saint 
Cassien  pour  les  religieuses  qu'il  venait  d'établir  à  Marseille. 
Sur  la  rive  droite  de  l'Huveaune,  à  quelques  pas  de  ses  bords, 
non  loin  de  la  plage  sablonneuse  s'éleva  le  monastère  de  Tordre 
naissant.  Dans  cette  solitude,  à  la  grande  voix  de  la  mer,  au 
mugissement  de  la  tempête,  à  travers  la  forêt,  se  joignirent 
désormais  une  voix  plus  douce  :  celle  de  la  prière,  et  un  mur- 
mure bien  suave  :  le  chant  des  bymnes  saintes  que  les  Gas- 
sianites  faisaient  monter  chaque  jour  vers  Dieu. 

Le  Gœnobium  de  l'Huveaune  fut  placé,  au  début  de  sa  fonda- 
tion, sous  le  vocable  de  la  sainte  Vierge  (1).  La  haute  piété, 
les  douces  vertus  des  religieuses  qui  y  vivaient,  autant  que  le 
désir  de  se  sanctifier  à  l'école  du  patriarche  de  la  vie  monas- 
tique (2),  avaient  attiré  en  ce  lieu  béni  de  nobles  âmes.  Elles  y 
accouraient,  avides  de  sacrifices  et  de  renoncement.  Nulle  part 
ailleurs,  à  Marseille  du  moins,  elles  n'auraient  trouvé  une 
source  aussi  limpide  pour  y  boire  à  longs  traits  la  perfection 
chrétienne  qu'elles  rêvaient,  et  y  apaiser  la  soif  qu'elles 
avaient  de  servir  Dieu  uniquement  (3). 


(1)  Ruffl,  Histoire  de  Marseille,  t,  II,  p.  57.  —  L'Antiquité  de  l'Eglise 
de  Marseille,  par  Mgr  de  Belsunce,  t.  I.  p.  258.  —  André,  Histoire 
de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur  de  Marseille,  p.  3.  — 
Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  28.  —  Les  Saints  de 
V  Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  225. 

*(2)  C'est  vers  415  ou  420,  que  Cassien  établit  à  Marseille  deux  monas- 
tères, l'un  pour  les  hommes,  l'autre  pour  les  femmes.  On  peut  l'appeler 
à  juste  titre  le  fondateur  dans  notre  ville  de  la  vie  cénobitique.  Avant  lui, 
il  y  avait  peut-être  dans  les  grottes  et  les  bois  environnants  des  soli- 
taires, des  anachorètes,  des  ermites,  adonnés  à  la  contemplation  et  à  la 
pénitence.  Mais  il  n'y  avait  pas,  à  proprement  parler,  de  monastères, 
c'est-à-dire  de  religieux  vivant  en  commun  sous  le  même  toit  et  soumis 
à  une  même  règle. 

(3)  Sur  divers  points  de  la  Gaule  ou  de  la  Provence  s'élevaient  déjà 
des  monastères.  Vers  405,  saint  Honorât,  qui  fut  plus  tard  évoque  d'Arles, 
avait  fondé  celui  de  Lérins,  dans  l'île  de  ce  nom.  En  360,  saint  Martin  de 
Tours  avait  fondé  celui  de  Ligugé,  près  de  Poitiers,  et  un  peu  plus  tard, 
celui  de  Marmoutier,  près  de  Tours. 

En  Italie,  la  vie  monastique  jetait  aussi  un  vif  éclat.  Sur  le  mont 
Aventin,  à  Rome,  la  patricienne  Marcella  avait  fait  de  son  palais  un 


—  5  - 

Au  début  du  VI"  sièole,  on  comptait  parmi  ces  cœurs  d'élite, 
la  jeune  Césarie,  sœur  de  l'évoque  d'Arles,  saint  Césaire.  Elle 
vint  demander  aux  vierges  de  l'Huveaune  de  lui  apprendre  la 
pratique  de  cette  vie  religieuse,  que  plus  tard  elle  devait 
enseigner  à  d'autres.  L'évêque  d'Arles,  saint  Césaire,  l'avait 
voulu  ainsi,  tant  il  avait  en  estime  la  sainteté  des  filles  de 
Cassien  (1). 

Cette  renommée  si  justement  acquise  valut  au  monastère 
de  nombreux  bienfaiteurs.  Deux  personnages  illustres  de  Mar- 
seille au  VIe  siècle,  Dynamius  et  Aurelius,  en  avaient  agrandi 
les  constructions,  en  cédant  une  de  leurs  maisons  que 
Ton  unit  par  un  corps  de  bâtisse  aux  appartenances  de 
l'abbaye  (2).  La  dévotion  spéciale  que  ces  donateurs  profes- 


cœnobium de  vierges  et  de  saintes  veuves.  A  Milan,  saint  Ambroise  fon- 
dait un  monastère  de  filles.  En  Afrique, «saint  Augustin  en  fondait  un 
pour  les  hommes,  à  Tagaste.  En  Espagne,  dès  380,  un  concile  de  Sarra- 
gosse  parle  des  moines  et  des  religieuses  qui  vivent  dans  les  monastères 
de  celte  contrée. 

Cet  élan  vers  la  vie  monastique,  en  Occident,  avait  été  déterminé  par 
les  merveilles  de  sainteté  et  de  vertu,  que  saint  Athanase,  exilé  d'Alexan- 
drie, et  venu  à  Trêves  en  336,  à  Rome  eu  340,  avait  racontées  des  reli- 
gieux vivant  dans  les  cœnobia  des  bords  du  Nil.  —  Histoire  de  l'Eglise, 
par  le  cardinal  Hergenroether,  t.  II,  p.  592.  —  Histoire  de  sainte  Poule, 
par  l'abbé  Lagrange,  p.  85.  —  Histoire  de  l'Eglise,  par  l'abbé  Darras, 
t  IX,  p.  551.  — Ozanam,  La  civilisation  au  V9  siècle,  leçon  XII,.t.  II, 
p  31.  — *  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  par  l'abbé  Alliez,  t.  I,  p.  14. 

(1)  c  Evocataque  eMassiliensi  cœnobio  venerabili  sorore  sua  Gffisaria, 
<  quam  ideirco  eo  miserat,  ut  disceret  quod  doceret,  et  prius  esset  disci- 
t  pula  quam  magistra.  »  Vie  de  saint  Césaire,  par  Gypricn,  son  disci- 
ple, dans  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinensis,  par  Barralis, 
p.  237.  — Patrologie latine,  édit.  Migne,  t.  67,  OperaS.Cœsarii,  col.  1013. 

Mabillon  dit  de  saint  Césaire  d'Arles  que  :  «  Perfecto  monasterio, 
t  8ororem  Gœsariam  a  Massiliensi  Parthenone,  quo  eam  monasticis 
c  ritibus  informandam  direxerat,revooatam  prœfuit.  »  Annales  Ordinis 
S.  Benedicti,  t.  I,  p.  22.  —  «  Evocat  e  monasterio  venerabilem  germa- 
t  nam  suam  Caesariam,  quam  inibi  direxerat.  »  En  note,  Mabillon 
ajoute  :  «  Nempe  in  Parthenone  a  Joanne  Gassiano  sanctimonialibus 
«  erecto  in  agro  Massilise  suburbano  ad  Yvelinum  amnem,  unde  nomen 
«  esnobio.  »  Annales  Sanctorum  Ordinis  Benedictini,  Vie  de  saint 
Césaire,  1. 1,  p.  642.  —  Histoire  de  saint  Césaire,  évéque  d'Arles,  par 
l'abbé  VU)  e  vieille,  p.  129. 

P)  «  ...  Juxta  petitionem  filiomm  nostrorum  Dynamii  atque  Aure- 


_  6  — 

saient  pour  le  bienheureux  Gassien,  avait  été  le  motif  d'un  tel 
acte  de  générosité.  C'était  sans  doute  aussi  dans  l'intention 
d'offrir  un  abri  plus  vaste,  plus  spacieux  aux  filles  de  Gassien, 
dont  le  nombre  au  monastère  augmentait  sans  cesse.  11  ne  se 
passait  pas  de  jour,  qu'une  âme,  fatiguée  du  monde,  dégoûtée 
de  sa  corruption,  désireuse  de  vivre  sous  le  regard  de  Dieu, 
n'accourût  y  demander  asile. 

Elles  étaient  nombreuses,  en  effet,  les  Gassianites  au  Cœno- 
bium  de  l'Huveaune. 

En  597,  le  pape  saint  Grégoire  leur  permit  d'élire  parmi 
elles,  et  à  l'exclusion  de  toute  religieuse  d'un  autre  monas- 
tère, leur  abbesse  (1).  Un  tel  privilège  n'aurait  pas  eu  sa  raison 
d'être,  si  le  Gœnobium  n'avait  compté  qu'un  nombre  restreint 
de  vierges  consacrées  à  Dieu. 

«  liani,  qui  id  reiigiosa  devotione  domuî  sui  juris  junctis  uniisse  aedi- 
«  ficiis  comprobantur...  »  Lettre  de  saint  Grégroire  à  Respecta.  Ces 
deux  personnages  de  Marseille  étaient  peut-être  deux  frères,  peut-être 
le  frère  et  la  sœur,  car  certains  auteurs  Usent  Au  relise  ou  Aurelianae, 
au  lieu  de  Aurelius.  Nous  ne  savons  pas  grand'chose  d'Aurelius.  Dans 
une  lettre  à  un  personnage  de  ce  nom,  saint  Grégoire  le  Grand  l'exhorte 
à  continuer  la  vie  de  pénitence  et  de  charité  qu'il  avait  embrassée.  Quant 
à  Dynamius,  il  a  eu,  semble-t-il,  une  carrière  assez  mouvementée.  D'a- 
bord gouverneur  de  Marseille,  sous  Gontran,  roi  de  Bourgogne,  il  per- 
sécuta bien  vivement  saint  Théodore,  alors  évêque  de  cette  même  ville. 
Il  était  en  même  temps  administrateur  des  biens  de  l'Eglise  romaine 
dans  les  Gaules.  A  plusieurs  reprises,  saint  Grégoire  parle  de  lui  dans 
ses  lettres  en  termes  excellents.  Retiré  des  affaires  publiques,  il  s'adonna 
aux  œuvres  de  bien  et  de  charité.  Dans  une  lettre  du  pape,  adressée  à 
Respecta,  il  est  dit  que  Dynamius  avait  donné  sa  maison  pour  agran- 
dir le  monastère,  in  honore  sancti  Cassiani  constructum.  Selon  quel- 
ques auteurs,  Dynamius  mourut  en  601 .  Son  épitaphe  et  celle  d'Euche- 
ria,  son  épouse,  font  savoir  qu'il  mourut  à  l'âge  de  50  ans  et  qu'il  fut 
enterré  avec  son  épouse  dans  une  église  dédiée  à  saint  Hippolyte, 
martyr.  St  Grégoire,  Lettres  (passim) ;  Patroi.  lat., édit.  Migne,  t.  77.— 
Ed.  Leblant,  Inscrip.  chrét.  de  la  Gaule,  t.  II,  n#  641.  —  Guesnay,  Pro- 
vincial Massiliensis  annales,  p.  224.  — Mgr  de  Belsuoce,  Antiquité  de 
l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  227-258.  —  André,  Histoire  de  V abbaye  de 
Saint-Sauveur,  p.  4  et  aux  pièces  justificatives  A.  —  Les  Saints  de 
l'Eglise  de  Marseille,  saint  Théodore,  sainte  Eusébie. 

(1)  «  ...  Gonstituentes  ut  obeunte  antedicti  monasterii  abbatissa,  non 
«  extranea  sed  quam  congregatio  sibi  de  suis  elegerit  ordinetur. ...» 
Lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand  àl'abbesse  Respecta...  André,  His- 
toire de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  appendice,  pièces  justificatives  A. 


—  7  — 

Vastes  et  étendues  devaient  être  aussi  les  possessions  de 
l'abbaye  (l).  Les  règles  de  l'Eglise  et  la  simple  prudence  dé- 
fendaient d'accepter  plus  de  religieuses  que  les  ressources  du 
monastère  ne  permettaient  d'en  nourrir  (2).  Dès  le  principe, 
Gassien  et  les  premiers  abbés  de  Saint-Victor,  ses  successeurs, 
durent  être  les  administrateurs  de  ces  biens.  Au  milieu  du 
VI' siècle,  ce  furent  les  évoques  de  Marseille.  En  597,  la  lettre 
du  Pape  saint  Grégoire  le  Grand  fait  connaître  que  c'était  Tab- 
besse  seule  qui  en  avait  la  gestion  (3).  Ni  l'ordinaire  du  lieu, 


(1)  Les  fragments  d'un  polyptique  découverts  jadis  par  Ruffl  et  rédigés 
dans  le  courant  du  IX*  siècle,  indiquent,  en  effet,  qu'à  cette  époque, 
l'abbaye  cassianite  de  femmes  possédait  quelques  biens  ;  à  l'origine  de  sa 
fondation,  des  gens  pieux  durent  doter  le  monastère,  dont  ravoir  s'accrut 
ainsi  avec  les  siècles.  Voir  ces  fragments  dans  V Armoriai  et  sigillo- 
graphie des  Evéques  de  Marseille,  par  M.  le  cbanoine  Albanés,  p.  30. 

(2)  Le  concile  de  Mayence,  de  l'an  813,  défendait  dans  son  19*  canon  : 
«  Qu'on  n'envoyât  jamais  dans  les  monastères  plus  de  chanoines  ou  de 
moines,  ou  de  religieuses,  que  la  maison  ne  saurait  en  nourrir.  »  De 
même  le  concile  d'Aix-la-Chapelle,  de  816,  article  118,  celui  de  Gliffe,  en 
Angleterre,  en  747,  canon  28.  Histoire  chronologique  et  dogmatique  des 
conciles  de  la  chrétienté,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  IN. 

(3)  c  ...  In  rébus  autem  vel  in  dispositione  monasterii  ejusdem, nec 
«  episeopum  neque  ecclesiasticorum  quemquam  aliquam  habere  decer- 
c  ni  mus  potestatem,  sed  haec  ad  sollicitudinis  tuée,  vel  ejus  quœ  post  te 
c  in  eodem  loco  fuerit  abbatissa,  curam statuimus  per  omnia  habere.. .  » 
Aux  premiers  temps  de  la  vie  cénobitique,  la  plupart  des  monastères 
de  vierges  ayant  été  fondés  par  des  moines,  il  est  croyable  que  ceux- 
ci  avaient  l'administration  des  biens  de  ces  monastères.  Nous  savons, 
en  effet,  que  saint  Facôme  établit  des  couvents  de  religieuses,  qui 
étaient  pourvus  du  nécessaire  par  les  couvents  des  moines,  pour  lesquels 
elles  travaillaient  de  leur  côté.  De  plus,  ce  que  Ton  appelait  en  Orient  les 
monastères  doubles,  c'est-à-dire  les  couvents  de  moines  et  de  religieuses, 
bâtis  à  proximité  les  uns  des  autres,  n'avaient  d'autre  raison  d'être  que 
la  facilité  de  s'entr'aider  mutuellement  pour  les  choses  nécessaires  à  la 
vie.  Gassien  donc,  établissant  à  Marseille  deux  couvents,  l'un  pour  les 
hommes,  l'autre  pour  les  filles,  dut  s'inspirer  des  mêmes  idées.  Peu  à  peu 
cependant,  l'influence  et  l'autorité  des  évêques  se  répandant  sur  les  mo- 
nastères, l'administration  des  biens  passa  entre  leurs  mains.  Le  V* 
concile  d'Arles,  en  554,  l'ordonna  en  termes  formels  pour  les  monastères 
de  filles,  t  Ut  episcopi  de  puellarum  mouasteriis  quse  in  sua  civitate 
t  constituta  sunt  curam  gérant.  »  C.  5.  Mais,  pour  remédier  à  certains 
abus  qui  s'étaient  glissés,  sans  que  l'on  puisse  dire  de  qui  ils  pro- 
venaient, le  Pape  saint  Grégoire  le  Grand,  en  597,  ordonna  que  l'abbaye 


—  8  — 

ni  qui  que  ce  fût,  désigné  par  lui,  n'avait  le  droit  d'y  pré- 
tendre (1).  Preuve,  d'ailleurs,  que  tout  dans  l'abbaye  suivait 
une  marche  régulière,  et  que  les  difficultés  n'étaient  pas  à  ce 
point  compliquées,  qu'il  fallût  une  autorité,  une  vigilance, 
une  direction  autre  que  celle  d'une  simple  abbesse. 

À  celle-ci  encore  de  conduire  son  petit  troupeau  et  de  tout 
régler  dans  l'intérieur  du  monastère.  L'Evêque  cependant 
avait  la  haute  surveillance  de  la  conduite  et  des  actions  des 
servantes  de  Dieu  et  de  l'abbesse.  Il  devait,  le  cas  échéant, 
punir,  selon  la  rigueur  des  saints  canons,  celles  qui  auraient 
pu  tomber  dans  quelques  graves  manquements. 

A  l'abbaye  cassianite  était  joint  un  oratoire.  Chaque  jour, 
un  prêtre,  commis  à  cet  effet  par  l'Ordioaire,  y  célébrait  la 


en  l'honneur  de  saint  Cassien,  à  Marseille,  gérerait  ses  propres  affaires. 
Histoire  de  l'Eglise,  par  Hergenroether,  t.  II,  p.  583.  —  Histoire  des 
conciles,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  IT,  p.  488.  —  L'Antiquité  de 
l'Eglise  de  Marseille,  par  M*r  de  Belsunce,  1. 1,  p.  233.  —  Lettre  de  saint 
Grégoire  à  Respecta,  dans  Histoire  de  Saint-Sauveur,  par  André,  Pièces 
justificatives  A. 

(1)  Combien  d'années  le  monastère  cassianite  de  Marseille  jouit  de  ce 
privilège  d'exemption  que  lui  accorda  le  Pape  saint  Grégoire,  en  597  ? 
D'une  part,  ce  pontife  ne  voulait  pas  crue  les  religieuses  s'occupassent 
du  temporel  de  leurs  monastères;  il  ordonnait  à  l'archevêque  de  Gagliari 
de  «  choisir  dans  son  clergé  un  homme  que  son  âge  et  sa  probité  missent 
à  l'abri  de  tout  soupçon  et  qui  prît  soin  des  affaires  matérielles  des  mo- 
nastères de  son  diocèse.  »  D'autre  part,  le  II*  concile  de  Sévi) le,  de  l'an 
619,  ordonnait  que  :  «  l'administration  des  biens  des  monastères  de 
filles  fût  confiée  aux  moines.  »  G.  H.  Quoi  qu'il  en  soit,  au  lendemain 
des  invasions  sarrasines,  ce  privilège  n'existait  plus.  Les  évêques  de 
Marseille  avaient  pris  l'administration  des  biens  de  l'abbaye  de  Saint- 
Victor.  Or  «  l'abbaye  marseillaise  des  religieuses  était  alors  en  un  état 
plus  triste  encore  que  celle  des  hommes,  et  devait  autant  que  celle-ci 
se  trouver  sous  l'autorité  épiscopale.  »  Au  sortir  des  invasions,  quelques 
années  après  la  restauration  de  cette  abbaye  sous  le  titre  de  Saint-Sau- 
veur, en  1069,  l'évéque  de  Marseille  la  soumit  à  la  juridiction  temporelle 
de  l'abbé  de  Saint-Victor.  Mais  ce  ne  fut  que  pour  quelques  années.  Bien- 
tôt l'évéque  dut  en  prendre  la  direction,  sous  peine  de  voir  labbaye  dis- 
paraître. Vie  de  saint  Grégoire  le  Grand,  par  l'abbé  Glausier,  p.  252. 
—  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  p.  572.  — 
Armonial  et  sigillographie  des  Evêques  de  Marseille,  par  M.  le  cha- 
noine Albanés,  chap.  XXIV.  —  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur, 
par  André,  p.  21-24. 


—  9  — 

messe.  A  l'anniversaire  de  la  fondation  du  monastère  ou  de  la 
dédicace  de  cette  église,  l'Evêque  y  officiait.  Ce  jour-là,  en 
signe  de  juridiction,  la  cathedra  y  était  dressée.  Mais,  suivant 
la  prescription  de  saint  Grégoire,  elle  devait  être  enlevée  au 
départ  de  l'Evêque  (1). 

C'est  à  peu  près  tout  ce  que  l'histoire  nous  a  gardé  de  sou- 
venirs sur  l'antique  Cœnobium  des  bords  de  l'Huveaune. 


(1)  «  ...  Die  siquidem  natalis  vel  dedicationis  supradicti  monasterii, 
c  episcopus  il  lue  missarum  sacra  conveniat  solemnia  celebrare  ;  a  quo 
c  tamen  ita  est  hoc  officium  exsolvendum  ut  cathedra  ejus  nisi  prsedictis 
c  diebus  dum  illic  missarum  solemnia  célébrât,  non  ponatur.  Quo  disce- 
c  dente  similiter  etiam  cathedra  illius  de  eodem  oratorio  auferatur. 
c  Caeteris  vero  diebus,  per  presbyte  ru  m,  qui  ab  eodem  episcopo  fuerit 
c  deputatus  missarum  officia  peragentur. .  •  » 

Ce  n'était  pas  une  exception  laite  en  laveur  seulement  du  monas- 
tère que  gouvernait  Respecta,  à  Marseille,  mais  bien  une  loi  quasi  géné- 
rale que  le  Pape  saint  Grégoire  devait  formuler  en  601,  au  V*  concile  de 
Rome  ou  de  Latran  :  c  Nous  défendons  à  l'évêque  de  faire  l'inventaire 
des  biens  ou  titres  du  monastère,  même  après  la  mort  de  l'abbé  ;  nous 
lui  défendons  aussi  d'y  célébrer  des  messes  publiques,  d'y  établir  sa 
chaire. . .»  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  p.  558. 


CHAPITRE  II 


L' Abbesse  Eusébie 


EUSÉBIE  AU  CŒNOBIUM  DE  i/HUVBÀUNB.  —  OCCUPATIONS  DBS  RELI- 
GIEUSES DANS  LES  MONASTÈRES,  A  CETTE  ÉPOQUE  :  PRIÈRE,  LECTURE 
DES  LIVRES  SAINTS,  TRAVAIL  MANUEL,  COPIE  DBS  MANUSCRITS.  — 
EUSÉBIE  S'ADONNE  A  CBS  TRAVAUX.  —  ELLE  REÇOIT  LE  VOILE  DB8 
VIERGES.  —  EUSÉBIE  RELIGIEUSE,  ABBESSR.  —  SES  COMPAGNES.  — 
ELLES  ÉTAIENT  QUARANTE.  —  DIGNITÉ,  CHARGES,  DEVOIRS  D'UNE 
ABBESSB. 


Or,  vers  la  fin  du  VII'  siècle,  une  jeune  fille,  presque  une 
enfant,  se  présentait  à  l'abbesse  du  monastère  des  bords  de 
THuveaune,  la  suppliant  de  l'admettre  au  nombre  des  servan- 
tes de  Dieu  qui  vivaient  sous  sa  direction.  Elle  avait  quatorze 
ans,  était  de  bonne  famille,  et  portait  un  nom  prédestiné  : 
Eusébia. 

Plusieurs  saintes,  en  effet,  se  sont  appelées  de  même  nom 
dans  l'Eglise  de  Dieu  et  l'ont  rendu  illustre  par  l'éclat  de  leurs 
vertus. 

Telle  sainte  Eusébie,  abbesse  du  monastère  d'Hamage 
(diocèse  de  Cambrai),  qui  mourut  à  trente-trois  ans,  en  680, 
lis  embaumé  que  le  divin  Epoux  voulut  cueillir  aux  jardins 
de  celte  terre  pour  le  transporter  dans  son  jardin  du  ciel  (1). 
Telle,  quelques  siècles  plus  tôt,  Eusébie,  la  vierge  et  martyre 
de  Bergame,  qui,  sollicitée  d'aimer  un  autre  époux  que  Jésus- 
Ci)  Sainte  Eusébie,  abbesse  d 'Ha  m  âge,  dans  le  diocèse  de  Cambrai, 
était  fille  d'Adalbaud  et  de  Rictrude,  sœur  d'un  saint  moine  du  nom  de 
Mauront,  et  de  deux  autres  saintes  religieuses  appelées  Glotsende  et 
Adalsende.  Elle  gouverna  ce  monastère  durant  23  ans.  Elle  mourut, 
en  680,  à  peine  âgée  de  33  ans.  On  célèbre  sa  fête  le  14  mars.Acta  Sanc- 
torum  Ordinis  S.  Benedicti,  t.  II,  p.  924.  —  Bolland,  Act.  Eusebice  Ha- 
maticensis,  14  mars. 


—  il  — 

Christ,  préféra  le  bûcher  et  la  mort  aux  délices  et  aux  char- 
mes des  joies  de  la  vie  (1).    ' 

Or,  Dieu  a  voulu,  semble-t-il,  que  notre  Eusébie  de  Mar- 
seille réunit,  dans  sa  propre  vie,  les  vertus  et  les  mérites  de 
chacune  de  ces  saintes,  dont  elle  portait  le  glorieux  nom. 
Elle  aussi  avait  dit  adieu  au  brillant  avenir  que  sa  famille 
peut-être  lui  destinait.  Elle  aussi  avait  été  choisie  par  Dieu, 
pour  être  le  modèle  et  l'exemple  de  ses  compagnes  (2).  Elle 
aussi  donna  généreusement  sa  vie  pour  Jésus-Christ. 

L'abbesse  des  bords  de  THuveaune  devina-telle  ce  qu'il  y 
avait  en  cette  enfant  de  grâces  de  prédilection  et  de  vertus 
singulières  ?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Mais  celui  qui  dirige 
la  volonté  et  incline  les  cœurs  de  ceux  qui  commandent, 
permit  qu'un  bon  accueil  fût  fait  à  la  jeune  Eusébie. 

Toute  heureuse,  elle  franchit  le  seuil  du  monastère  et  se 
donna  au  Seigneur.  Elle  répondait  ainsi  à  cette  voix  douce  et 
pressante  que  Dieu  fait  entendre  à  toute  âme  qu'il  appelle  à 
lui  et  choisissait  la  meilleure  part  que  Dieu  lui  offrait,  de  préfé- 
rence à  d'autres.  Se  dérobant  aux  embrassements  des  siens, 
renonçant  généreusement  à  ce  qu'elle  pouvait  posséder,  elle 
vint  cacher  sa  vie  derrière  les  murailles  du  paisible  moutier. 
Celui-ci  à  cette  époque  était  placé  sous  le  vocable  nouveau 
de  Saint-Cyr,  jeune  martyr  d'Antioche  (3).  C'avait  été  sans 
doute  à  l'occasion  de  quelque  relique  de  ce  saint,  donnée  au 
monastère,  que  ce  vocable  avait  été  substitué  à  l'ancien. 
D'après  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  Eusébie  y  trouva  un 


(1)  Sainte  Eusébie  de  Bergame  souffrit  le  martyre,  le  29  octobre  307, 
sous  Maximien  Hercule.  On  célèbre  sa  fête  ce  môme  jour.  Bol I and,  29  oct. 

On  honore  à  Constantinople,  le  6  juin,  une  sainte  femme  du  nom 
(TEusébie  ou  de  Zénide.  Elle  était  disciple  d'un  saint  évoque  de  Tauro- 
menium  (Taormine).  Le  24  janvier,  on  célèbre  encore  la  fête  d'une 
Eusébie  ou  Xéné,  vierge  de  M  y  les,  en  Carie.  Elle  vivait  au  V*  siècle,  au 
rapport  deNicépbore.  Bolland,  6  juin  et  24  janvier. 

(2)  Et  ubi  a  domino  electa  est,  dit,  de  notre  Eusébie,  l'inscription 
qui  jadis  se  trouvait  sur  son  tombeau,  à  Saint-Victor. 

(3)  Saint  Gyr,  fils  de  sainte  Julitte,  fut  martyrisé,  âgé  à  peine  de  trois 
ans,  avec  sa  mère,  sous  Maximien  et  Dioctétien,  par  Tordre  d'Alexandre, 
gouverneur  d'isaurie,  dans  la  ville  de  Tarse,  en  Gilicie,  en  305,  le  16  juin. 
On  célèbre  sa  fête  ce  même  jour.  Bolland,  t.  III,  de  juin,  le  16  juin. 


—  12  — 

grand  renom  de  sainteté  et  de  perfection.  C'était  encore  une 
pépinière  de  saintes  âmes,  et  de  son  temps,  comme  jadis  au 
V"*  siècle,  beaucoup  avaient  puisé  à  cette  source  féconde  la 
sainteté  la  plu3  consommée  et  s'en  étaient  allées  porter  sous 
d'autres  cieux  ces  hauts  enseignements  de  la  vie  religieuse. 

Nul  ne  sut  mieux  mettre  à  profit  ces  riches  trésors  et  s'ins- 
pirer de  ces  nobles  traditions  que  la  jeune  Eusébie.  L'inscrip- 
tion, placée  jadis  sur  son  tombeau,  à  Saint-Victor,  l'appelle  : 
a  Ancella  Domini.D  Servante  du  Seigneur,  elle  le  fut  vraiment. 
'  Dans  le  Cœnobium  de  l'Huveaune,  comme  dans  tous  les 
monastères  de  l'époque,  le  temps  était  partagé  entre  la  prière, 
la  lecture  des  livres  saints  et  le  travail  des  mains.  A  Bethléem, 
dans  le  monastère  que,  suivant  les  conseils  de  saint  Jérôme, 
la  patricienne  Paula  avait  fondé,  près  de  la  grotte  de  la 
Nativité,  «  on  se  réunissait  dès  le  matin,  puis  à  la  troisième 
heure,  à  la  sixième,  à  la  neuvième,  et  enfin  le  soir,  pour 
chanter  les  psaumes,  et,  au  milieu  de  la  nuit,  les  voix  des 
filles  de  Paula  s'élevaient  encore  pour  redire  les  belles 
hymnes  du  prophète  de  Bethléem  (1).  » 

Il  en  était  de  même  dans  le  monastère  de  sainte  Césarie,  à 
Arles.  Suivant  la  règle  que  le  saint  évéque  Césaire  avait 
écrite  (2),  à  certaines  heures  de  la  journée  on  se  réunissait 
dans  l'oratoire  du  monastère  pour  la  psalmodie.  Une  sœur, 
debout  au  milieu  de  ses  compagnes,  récitait  les  psaumes,  les 
autres  écoutaient.  Aux  grandes  fêtes,  telles  que  la  Noël,  l'Epi- 
phanie, les  veilles  se  prolongeaient  davantage.  A  la  psalmodie 
s'ajoutaient  alors  la  lecture  et  l'oraison. 

Sur  les  bords  de  l'Huveaune  les  anges  de  Dieu  étaient  chaque 
jour  les  heureux  témoins  d'un  aussi  ravissant  spectacle.  Les 
échos  de  nos  bois  et  de  nos  rivages  retentissaient  des  mêmes 
chants  et  des  mêmes  prières.  Notre  cœnobium  en  effet,  avait 
dû,  comme  tant  d'autres  monastères  des  Gaules,  accueillir 
avec  empressement  la  règle  de  saint  Césaire,  remplaçant  ainsi 

(1)  Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  chapitre  M, 
p.  392  et  suiv. 

(2)  Histoire  de  saint  Césaire,  évéque  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille, 
p.  138.  —  Patrol.lat.,  édit.  Mig ne,  t.  67,  saint  Césaire,  régula,  cc.,8,13, 18, 
col.  1109. 


—  13  — 

d'une  manière  avantageuse,  au  point  de  vue  de  la  pratique  de 
la  perfection  religieuse,  l'abrégé  des  institutions  et  des  confé- 
rences de Cassien,  qui  jusqu'alors  en  avaient  tenu  lieu  (1). 

Il  nous  est  donc  permis  de  suivre  la  jeune  Eusébie  à  l'ora- 
toire du  monastère,  de  prêter  l'oreille  au  son  de  sa  voix  alors 
quelle  lisait  la  psalmodie,  ou  chantait  les  hymnes  sacrées. 

Quel  esprit  de  foi,  quel  maintien  pieul  en  chacune  de 
ces  saintes  actions  1  Pénétrée  de  la  pensée  que  c'était  bien 
l'œuvre  de  Dieu,  opus  Dei(2),  comme  l'avait  défini  la  règle  de 
saint  Césaire,  qu'elle  accomplissait,  elle  y  apportait  tout  le  zèle 
d'une  véritable  servante  du  Seigneur. 

La  lecture  des  livres  saints  et  les  occupations  manuelles 
remplissaient  le  reste  de  la  journée  d'une  religieuse,  à  cette 
époque  primitive.  Dans  le  monastère  de  Paula  encore,  rapporte 
saint  Jérôme,  toutes  les  sœurs  étaient  obligées  d'apprendre 
chaque  jour  quelque  chose  des  divines  Ecritures  (3).  A  Arles, 
on  consacrait  les  deux  premières  heures  de  la  journée  à  lire,  à 
écrire,  à  étudier  les  lettres,  c'est-à-dire  la  grammaire  et  les 
autres  éléments  de  la  littérature  ;  cela  afin  de  pouvoir  vaquer 


(1)  Saint  Gésaire,  évoque  d'Arles,  écrivit  vers  520  ou  530  une  régie  pour 
le  monastère  de  vierges  qu'il  fonda  dans  sa  ville  épiscopale,  et  à  la  tête 
duquel  il  avait  placé  Césaric,  sa  sœur.  Avant  saint  Gésaire,  il  n'existait 
pas  de  règle  uniforme.  Chaque  monastère  avait  la  sienne,  rédigée  par  le 
fondateur  et  qui  ne  lui  survivait  guère,  sauf  pour  les  prescriptions  gêné-' 
raies,  communes  nécessairement  à  toutes  les  règles.  Celle  de  saint  Césaire 
a  eu  la  gloire  de  lui  survivre,  d'être  acceptée  et  observée  durant  bien 
longtemps  par  la  plupart  des  monastères  de  la  Gaule,  et  louée  par  les 
papes,  les  évêques,  les  conciles  du  V>  et  du  VII*  siècle.  Et  même  après 
que  saint  Benoit  et  saint  Golomban  eurent  écrit  leurs  constitutions, 
toujours,  il  est  fait  mention  par  ceux  qui  rédigent  de  nouveaux  statuts 
pour  les  monastères  des  Vierges,  de  la  règle  de  l 'Evoque  d'Arles,  à  côté 
de  celles  de  saint  Benoit  et  de  saint  Golomban.  Histoire  de  l'Eglise,  par 
le  cardinal  Hergenroether,  t.  Il,  p.  595.  —  Histoire  de  saint  Césaire,  par 
rabbé  Villevieille,  p.  1 33  et  suiv. 

(2)  c  Quse  signo  tacto  tardius  ad  opus  Dei...  venerit,  correptioni 
«  digna  erit.  »  Opus  Dei,  idest  divinum  officium,  dicit  Coïntius.  Régula 
Cesarii  ad  Virgines.  Patrol.  lat.,  édit.  Migne,  t.  67.  col.  1109. 

(3)  «  Nec  licebat  cuiquam  sororum  ignorare  psalmos  et  non  de  scrip- 
«  turis  sacris  quotidie  aliquid  discere.  »  Saint  Jérôme,  épitapbe  de  Paula. 
Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  p.  392. 


—  14  — 

avec  profit  à  la  lecture  des  saints  livres,  que  Ton  faisait  à 
haute  voix  durant  les  heures  de  travail,  et  à  la  méditation  de 
chaque  jour  (i). 

De  plus,  en  Orient  comme  en  Occident,  les  heures  et  le 
genre  de  travail  étaient  bien  réglés.  A  Bethléem,  le  dimanche, 
au  retour  de  la  messe,  chaque  sœur  du  monastère  recevait  sa 
tâche  pour  la  semaine.  C'était  d'ordinaire  des  vêtements  à 
confectionner  pour  les  pauvres  de  la  contrée,  ou  pour  les  habi- 
tants du  monastère  (2).  A  Arles,  auprès  de  sainte  Césarie, 
mêmes  habitudes.  Une  sœur  lisait  à  haute  voix  pendant  le 
travail  qui  se  faisait  dans  une  salle  commune.  Plusieurs 
étaient  occupées  à  confectionner  et  à  réparer  les  vêtements 
pour  l'usage  des  religieuses,  d'autres  étaient  chargées  des 
différents  services  de  la  maison  (3). 

Mais  dans  tous  les  monastères,  un  plus  noble  travail  encore 
était  départi  à  beaucoup.  Sous  la  direction  et  la  surveillance 
de  saint  Jérôme,  on  commença  dans  les  couvents  de  Bethléem 
«  ce  travail  de  copie  des  Saintes  Ecritures,  qui  devint  plus 
tard  une  loi  universelle  pour  tous  les  religieux.  Loi,  dit 
Ozanam,  la  plus  utile  qui  ait  jamais  été  portée,  si  on  considère 
ce  qu'elle  a  sauvé.  *  Ainsi  les  vierges  romaines,  compagnes  de 
Paula,  a  dans  la  cellule  monastique  qui  avait  remplacé  leurs 
palais  opulents,  entourées  de  volumineux  manuscrits  grecs, 
hébreux,  latins,  mettaient  au  net  avec  un  soin  intelligent  et 
pieux  ces  psaumes  que  nous  chantons  encore  aujourd'hui  (4).  » 

Même  travail  à  Arles.  La  règle  de  saint  Césaire  le  prescri- 
vait. Le  biographe  du  saint  évêque  (5)  nous  apprend  que, 


(1)  Histoire  de  saint  Césaire  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  187. 

—  c  Omnea  litteras  discant,  omni  tempore  duabus  horis,  hoc  est,  a 
c  marie  usque  ad  horam  secundam  lectioni  vacent. . .  i  —  «  Légère  discant 
c  dicit  Golntius.  »  —  c  Reliquis  in  unum  operantibus,  una  de  sororibus 
c  usque  ad  tertiam  légat.»  Patrol.  lat.  édit.  Migne,  t.  67  régula  ad  virgi- 
nes,  c.  17,  etc.,  col.  1109,  etc. 

(2)  Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  p.  393. 

(3)  Histoire  de  saint  Césaire  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  138. 

—  Patrol.  lat.,  édit.  Migne,  t.  67,  régula,  ce,  18,25,26,  col.  1109,1111, 1112. 

(4)  Histoire  de  sainte  Paule%  par  l'abbé  Lagrange,  p.  406. 

(5)  c  Gujus  Cœsariae  opus  cum  sodalibus  tam  prsecipum  viget  et  inter 
«  psalmos  atque  jejunia,  vigilias  quoque  et  lectiones,  libros  divinos 


—  15  — 

sous  la  conduite  de  Césarie  leur  abbesse,  «  quelques-unes  des 
religieuses  transcrivaient  les  livres  saints  avec  de  beaux  carac- 
tères pour  en  multiplier  les  copies.  »  Labeur  fécond  qui 
faisait  des  monastères  de  la  Gaule  autant  de  ruches  d'or,  d'où 
s'échappaient,  comme  des  essaims  d'abeilles,  chargées  d'un 
miel  exquis,  des  recueils  d'homélies,  des  évangéliaires,  des 
manuscrits  sans  nombre.  Disséminés  plus  tard  sur  tous  les 
points  du  monde  chrétien,  ils  apportaient  avec  eux  la 
connaissance  de  la  foi  et  l'amour  de  Jésus-Christ. 

Marseille,  aussi  heureuse  qu'Arles,  sa  voisine,  et  que  Beth- 
léem,, avait  aussi  sa  ruche  animée,  sur  les  bords  de  PHuveaune, 
et  la  jeune  Eusébie  en  était  l'abeille  «industrieuse  (1).  »  Pen- 
dant quelques  années,  se  trouvant  la  plus  jeune  des  religieuses 
du  monastère,  elle  devait,  debout  au  milieu  de  ses  compagnes, 
faire,  avec  piété  et  onction,  la  lecture,  durant  le  travail.  Peut- 
être  aussi  l'abbesse  la  prenait  avec  elle,  lorsque  le  soin  et  la 
visite  des  pauvres,  des  serfs,  des  colons  de  l'abbaye  l'ame- 
naient au  dehors.  Des  mains  d'Eusébie  alors,  passaient  dans 
celles  des  pauvres  serfs,  ces  vêtements  que  ses  compagnes 
avaient  tissés,  la  nourriture  qu'elles  avaient  préparée.  Ainsi, 
son  jeune  âge  et  sa  piété,  que  le  nom  d'Eusébie  semblait  lui 
rendre  naturelle  (2),  faisaient  de  la  jeune  enfant  la  douce 
messagère  des  autres  religieuses  auprès  des  malheureux. 

Un  peu  plus  tard,  nous  aimons  à  la  voir  penchée  sur  un 
manuscrit,  le  copiant,  l'enjolivant  à  l'exemple  de  ses  com- 
pagnes. C'était  peut-être  la  règle  du  Cœnobium  pour  quelque 


<  scripsissent  virgines  Christi,  ipsam  matrera  magistram  habentes.  » 
Vita  Cœsarii  a  Cypriano,  Messiano  et  Stephano  discipulis  ejus,  dans 
Ckronologia  Sanct.  insulœ  Lerinensi  à  Barrali,  1. 1,  p.  247.—  Histoire 
de  saint  Césaire,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  138. 

(1)  t  Apis  argumentosa.  »  On  a  dit  de  sainte  Cécile  qu'elle  avait  été 
apis  argumentosa,  tant  elle  avait  contribué  par  ses  prières,  par  ses  ins- 
tructions, à  la  conversion  de  Valérien,  son  époux  et  de  Tiburce,  son 
beau-frère.  Office  de  sainte  Cécile,  antienne  des  Laudes. 

(2)  cEnsebia.»  Ce  nom,  comme  on  sait,  a  une  étymologie  grecque; 
totftut,  piété,  (Eu,  bien,  aeâbpai,  vénérer.)  Le  moine  Hucbald  écrit 
de  Sainte  Eusébie  d'Hamage  :  «  Busebia  bona  Dei  cultrix,  secundum 
ioterpretationem  sui  nominis.  »  Hucbaldus,  Vita  Sanctœ  Rictrudis. 
Patrol.  Ut.  édit.  Migne,  1. 132,  col.  834. 


-  16  - 

monastère  gui  allait  se  fonder (1),  l'homélie  d'un  saint  Evoque, 
un  extrait  du  Bienheureux  Cassien  ou  quelque  page  de  l'Evan- 
gile, s'attachant  surtout  à  graver  dans  son  cœur  ce  que  sa 
plume  confiait  au  parchemin  déroulé  devant  elle. 

Dans  ces  occupations  multiples,  un  certain  nombre  d'années 
s'écoulèrent.  Eusébie  avait  franchi  le  cycle  de  la  jeunesse, 
et  atteint  l'âge  mûr.  L'heure  allait  sonner  bientôt,  où  sa  consé- 
cration au  Seigneur  serait  définitive. 

Il  était  d'usage,  en  effet,  dans  l'Eglise  à  cette  époque,  du 
moins  en  France,  en  Espagne,  en  Italie,  de  ne  bénir  les  vierges 
et  de  ne  leur  donner  le  voile  qu'après  une  longue  probation, 
et  pas  avant  l'âge  de  40  ans.  Quelque  remplie  d'oeuvres  et  de 
vertus  que  fût  leur  vie,  quelque  éprouvées  que  fussent  leurs 
mœurs,  à  moins  de  circonstances  impérieuses,  telles  que  le 
danger  d'une  mort  prochaine  ou  le  péril  certain  de  perdre  la 
*  chasteté,  on  ne  pouvait  les  admettre  à  cet  honneur  (2).  L'Eglise 
les  considérait  bien  comme  vouées  à  Dieu,  soumises  à  la 

(1)  On  sait  que  Radegonde,  fondatrice  du  monastère  de  Sainte-Croix, 
à  Poitiers,  vint  à  Arles,  avec  Agnès,  l'abbesse  qu'elle  avait  fait  choisir 
pour  ce  monastère,  et  en  rapporta  la  règle  de  saint  Césaire  et  de  la 
bienheureuse  Césarie.  Grégoire  de  Tours,  Hisl.  Francorum,\AX. — 
Histoire  de  saint  Césaire,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  144. 

(2)  La  discipline  a  varié  dans  l'Eglise  sur  ce  point,  suivnnt  les  époques 
et  suivant  les  pays.  En  Afrique,  le  concile  d'Hippone  de  393,  canon  1, 
ceux  de  tîarthage  en  397,  canon  4,  de  418,  canon  10,  de  419,  canon  16, 
défendent  de  donner  le  voile  aux  vierges  avant  l'âge  de. 2 5  ans,  à  moins 
de  circonstances  spéciales.  En  Espagne,  le  concile  de  Sarragosse,  en  381, 
canon  8,  voulait  que  l'on  retardât  jusqu'à  40  ans.  En  Italie,  le  Pape  saint 
Léon  le  Grand  et  l'empereur  Majorien  ne  le  permettaient  pas  avant  cet 
âge.  En  France,  le  concile  d'Agde,  que  présidait  saint  Césaire,  en  506, 
canon  19,  statue  qu'on  ne  donnerait  pas  le  voile  avant  40  ans,  quelque 
éprouvées  que  fussent  les  mœurs  et  la  vie  de  la  postulante.  En  Alle- 
magne, le  concile  de  Francfort,  en  794,  canon  46,  permettait  cette  céré- 
monie dès  l'âge  de  25  ans.  En  France  encore,  le  concile  de  Tours,  en  813, 
canon  28,  s'en  tenait  à  cet  âge  de  25  ans.  Mais  en  858,  un  autre  concile  de 
Tours,  canon  28,  réclamait  l'Age  de  trente  ans.  Enfin,  celui  de  Thionville, 
en  805,  caaon  14,  ne  le  permettait  pas  avant  que  la  jeune  vierge  eût 
atteint  l'âge  de  raison,  et  celui  de  Tribur,  en  895,  canon  24,  le  permettait 
à  12  ans,  si  c'était  de  son  plein  gré  qu'une  enfant  le  demandât.  Histoire 
de  l'Eglise,  par  le  cardinal  Hergenroether,  t.  II,  p.  595.  —  Leçons  du  II* 
nocturne  de  l'office  de  saint  Léon,  Pape.  —  Histoire  des  Conciles,  par 
Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  III,  IV. 


—  17  — 

règle  du  monastère,  et  aux  obligations  qui  découlaient  de  cet 
état  de  vie  (1),  mais  la  consécration  officielle  manquait. 

Au  jour  fixé,  c'était  ordinairement  à  la  fête  de  l'Epiphanie, 
de  Pâques  ou  des  saints  apôtres  (2),  relue,  non  point  parée  des 
ornements  du  siècle,  mais  humblement  revêtue  de  l'habit 
qu'elle  devait  porter  le  reste  de  sa  vie,  dans  le  monastère  (3), 
paraissait  devant  l'Evoque,  seul  autorisé  par  les  saints  canons 
à  procéder  à  la  cérémonie  (4).  Celui-ci  bénissait  le  voile  et 
l'imposait  à  la  nouvelle  épouse  de  Jésus- Christ.  Dès  ce  moment, 
l'adieu  au  monde  devenait  éternel.  Il  n'était  plus  permis  à  la 
vierge  consacrée  à  Dieu  de  sortir  du  monastère,  si  ce  n'est  pour 
des  raisons  très  graves,  approuvées  par  l'Evêque.  Les  peines 
canoniques  les  plus  sévères  lui  étaient  réservées,  si  elle  violait 
ses  vœux  ou  quittait  le  monastère  (5). 

(1)  Saint  Léon  le  Grand  ne  fait  pas  de  différence  officielle  entre  les  reli- 
gieuses :  a  Quae  virginitatis  propositum  atque  habitum  susceperunt, 
etiamsi  coDsecratio,  non  accessit,  »  et  celles  qui  ont  reçu  la  consécration. 
Histoire  de  l'Eglise,  par  le  card.  Hergenroether,  t.  II.  p.  595. 

(2)  Histoire  de  l'Eglise,  par  le  card.  Hergenroether,  t.  II,  p.  595. 

(3)  Le  IV*  concile  de  Carthage,  en  358,  canon  11,  dit  :  a  Sanctimonialis 
«  virgo  cum  ad  consecrationem  suo  episcopo  offertur  in  talibus  vestibus 
<  appltcetur,  qualibus  semper  usura  est  professioni  et  sanctimoniali» 
i  aptis.  Summa  conciliorum  collecta  per  F.  Barth.  Caranzam  Mirend. 
«  0.  P.  p.  155.  »  —  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet,  t.  II,  p.  112. 

Le  concile  de  Constantinople,  appelé  in  Trullo  ou  guinisexte,  confirma 
cette  décision,  canon  45:  cQuoniamintelleximus  in  nonnullis  mulierum 
«  monasteriis,  mulieres  quae  sacro  illo  amictu  dignse  habentur,  prius 
«  sericis  et  omnis  generis  vestibus,  prseterea  autem  et  mundis  auro  et 
«  gemmis  variegatis,  ab  eis  qui  illos  ducunt  exomari  et  sic  ad  altare  acce- 
«  dentés  exui  tanto  materiae  apparatu,  et  statim  in  il  lis  fieri  habitûs 
«  benedictionem,  illasquenigro  amictu  indui  :  statut  mus  ne  hoc  deinceps 
«  fiât.  »  La  raison  que  donne  le  concile  est  celle-ci:  «De  peur  de  donnera 
croire  que  ces  religieuses  quittent  le  monde  à  regret.  »  Summa  conci- 
liorum, ut  supra,  p.  499.  —  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet,  t.  III, 
p.  138. 

(4)  Le  concUe  1"  de  Carthage  en  390,  le  2"  en  390,  canon  3,  le  2-  de 
SéTille  en  619,  canon  7,  de  Rouen,  en  650,  canon  9,  défendaient  aux  prê- 
tres de  bénir  et  consacrer  les  vierges,  réservant  cette  fonction  à  l'évoque. 
Le3~  de  Carthage  en  397,  canon  36,  ne  le  permettait  aux  prêtres  qu'avec 
l'autorisation  de  l'ôvêque.  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet,  t.  II 
et  III.—  Histoire  de  l'Eglise,  par  Hergenroether,  t.  il,  p.  594. 

(5)  Les  Conciles  de  Tours,  567  ;  de  Lyon,  583  ;  de  Paris,  615,  les  frap- 
paient d'excommunication.  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet.  t.  II. 

2 


-  18  — 

En  quelle  fête,  sainte  Eusébie  reçut-elle  le  voile  des  vierges 
sacrées,  des  mains  de  l'Evéque  de  Marseille  ?  Nous  ne  savons. 
Ce  que  nous  devinons,  c'est  qu'il  y  eut  grande  joie  au  Cœno- 
bium  de  l'Huveaune.  Les  religieuses  qui  y  vivaient  remer- 
ciaient Dieu  d'appeler  au  rang  de  ses  épouses  une  de  leurs 
compagnes  si  avancée  en  piété  et  en  vertu. 

Ce  que  nous  devinons  encore,  c'est  qu'il  y  eut  une  joie  pro- 
fonde au  cœur  d'Eusébie.  Relisant  en  ce  jour  les  lettres  et  les 
discours  de  saint  Césaire  aux  religieuses  d'Arles,  véritables 
traités  de  la  vie  monastique,  notre  chère  sainte  y  trouvait 
ces  lignes  sur  lesquelles  son  regard  devait  s'arrêter  avec 
bonheur  (1)  :  a  Mes  filles,  aimez  le  Christ,  si  vous  voulez 
garder  fidèlement  cette  virginité  que  vous  lui  avez  consacrée 
avec  tant  d'ardeur.  Réjouissez-vous,  rendez  d'éternelles 
actions  de  grâces  au  Christ  qui  a  daigné  vous  retirer  d'un 
monde  orageux  et  vous  conduire  dans  ce  port  tranquille. 
Voyez  ce  que  vous  avez  laissé  derrière  vous  et  ce  que  vous 
avez  gagné.  Vous  avez  quitté  les  ténèbres  du  monde  pour  com- 
templer,  heureuses,  la  radieuse  lumière  de  Jésus-Christ.  Vous 
avez  dédaigné  les  plaisirs  amers  des  passions  pour  goûter  la 
douceur  et  les  charmes  de  la  chasteté.  Et  s'il  vous  faut  lutter 
jusqu'à  la  fin  de  votre  vie,  avec  le  concours  de  Dieu  cependant, 
nous  sommes  sûrs  de  la  victoire. . .  Mais  je  vous  en  prie,  mes 
filles,  si  le  passé  inspire  à  vos  cœurs  une  douce  confiance,  que 
l'avenir,  du  moins,  soit  l'objet  de  votre  sollicitude.  Déposer  les 
vêtements  du  siècle  et  revêtir  ceux  de  la  religion,  c'est  l'affaire 
d'un  moment.  Mais  conserver  des  habitudes  vraiment  saintes, 
combattre  ses  inclinations  mauvaises,  fuir  les  plaisirs  si 
amers  de  ce  monde,  c'est  le  travail  de  toute  une  vie,  et  vous 
le  savez,  ce  n'est  pas  celui  qui  commence,  mais  celui  qui  per- 
sévère jusqu'à  la  fin  qui  sera  sauvé.  » 

La  lutte  jusqu'à  la  fin  de  la  vie,  la  persévérance  jusqu'au 
boutl  II  nous  semble  que  ces  paroles  simples  en  elles-mêmes 
durent  captiver  l'attention  d'Eusébie,  ce  jour-là,  d'une  ma- 


(1)  Epistolall,  Sancti  Cœsarii  ad  Virgines,  col.  1129,  t.  67,  Patrol 
lat.,  édit.  Migne. 


—  19  - 

nière  singulière.  Ne  lui  parurent-elles  point  le  présage  secret 
de  lointains  événements  ? 

De  nouvelles  années  de  calme,  de  paix,  de  tranquillité  se 
levèrent  pour  notre  chère  sainte.  Dieu  avait  ses  desseins.  Il 
voulait  qu'Eusébie,  comme  l'avait  déjà  fait  une  des  gloires  du 
Cœnobium  de  l'Huveaune,  sainte  Césarie,  apprît  ce  que  plus 
tard  elle  devait  enseigner,  et  qu'elle  fût  disciple  avant  de 
devenir  maltresse  dans  la  vie  de  perfection. 

Or  à  une  époque,  l'abbesse,  peut-être  celle  qui  avait  accueilli 
la  jeune  Eusébie  au  monastère,  vint  à  mourir.  Suivant  la 
règle  de  saint  Césaire  et  le  rescrit  de  saint  Grégoire  le  Grand 
à  Respecta,  on  dut  procéder  à  l'élection  pour  la  remplacer.  On 
ne  pouvait  la  choisir  dans  un  autre  monastère  (1).  Mais 
qu'était-il  besoin  d'une  semblable  prescription?  Le  Cœnobium 
de  l'Huveaune  possédait  une  fleur  de  vertu  et  de  piété.  Les 
religieuses  le  savaient.  D'une  voix  unanime  elles  élurent  leur 
compagne  Eusébie.  Le  plan  de  Dieu  se  dessinait.  Longtemps 
elle  avait  appris  à  l'école  de  Notre-Seigneur.  De  discipula 
qu'elle  avait  été  jusqu'à  cette  heure,  elle  devenait  magistra. 

A  quel  moment  de  sa  vie  l'élévation  à  cette  dignité  vint  la 
surprendre  ?  Impossible  de  le  dire.  Dans  une  de  ses  lettres,  le 
Pape  saint  Grégoire  le  Grand  écrivait  :  «  Nous  défendons  très 
énergiquemdùt  que  l'on  nomme  de  jeunes  femmes  abbesses.  » 
Et  il  requérait'  l'âge  de  soixante  ans,  et  une  renommée  irré- 
prochable (2). 

Avant  saint  Grégoire  cette  prohibition  n'a  pas  toujours  été 
en  vigueur  dans  l'Eglise.  En  effet,  l'homonyme  de  notre  sainte, 
Eusébie  d'Hamage,  diocèse  de  Cambrai,  n'avait  que  trente- 
trois  ans  lorsqu'elle  mourut  et  elle  avait  gouverné  ce  monas- 
tère en  qualité  d'abbesse  durant  vingt-un  ans.  Elle  n'avait 


(1)  Règle  de  saint  Césaire.  —  Lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand  à  Res- 
pecta, citée  plus  haut. 

(2)  Saint  Grégoire  le  Grand,  pape  et  docteur  de  VEglise,  par  l'abbé 
Qausier,  pubUé  par  l'abbé  Odelin,  p.  252.  —  «  Juvenculas  abbatissas  fieri 
«  vehementissime  prohibemus,  nullum  igitur  episcopum  patemitas  tua, 
«  nisi  sexagenariam  virginem,  eu  jus  setas  hoc  atque  mores  exigerint, 
«  velare  permittat...»  (Velare  in  abbatissam, dit  une  note).  Patrol.  lat., 
Mit.  Migne,  t.  77,  saint  Grégoire,  pape,  lib.  VI,  épist.  11. 


—  20  — 

donc  que  douze  ans  lorsque  ses  compagnes  la  choisirent  pour 
supérieure  (1).  Admettons  que  ce  soit  unç  exception,  motivée 
par  la  sainteté  éminente  et  manifeste  de  cette  enfant. 
Gésarie,  la  sœur  de  saint  Césaire,  évêque  d'Arles,  et  plus  jeune 
que  lui,  fut  dix -huit  ans  abbesse  du  monastère  établi  par 
celui-ci  dans  sa  ville  épiscopale,  et  mourut  douze  ans 
avant  son  frère,  en  503  (2) .  Sûrement  donc,  elle  fut  abbesse 
avant  l'âge  de  soixante  ans.  Gésarie  la  jeune,  nièce  du  môme 
saint  Césaire,  et  de  la  même  Césarie,  la  remplaça  comme 
abbesse  du  monastère  d'Arles.  Sûrement  encore  elle  n'avait 
pas  soixante  ans.  Sainte  Radegonde  fonda  vers  544  un  monas- 
tère de  filles,  à  Poitiers.  Ne  voulant  pas  accepter  la  direction 
de  jeunes  filles  de  toutes  les  conditions,  qui  l'avaient  suivie, 
elle  fit  nommer  abbesse  Agnès,  qu'elle  avait  formée  par  ses 
leçons.  Or,  cette  Agnès  n'avait  pas  soixante  ans. 

Depuis  saint  Grégoire  ce  décret  fut-il  observé  ?  Il  semble 
que  non.  A  Marseille,  Tillisiola,  qui  vivait  de  la  moitié  du 
VP  siècle  environ  au  milieu  du  VII%  mourut  à  70  ans,  et  elle 
fut  abbesse  'durant  quarante  ans,  dit  l'inscription  de  son  tom- 
beau (3).  Elle  n'avait  donc  pas  atteint  l'âge  fixé  par  saint  Gré- 
Ci)  Acta  Sanctorum  Ordinis  S,  £.,  t.  II.,  p.  924.  —  Bolland,  Act. 
Eusebiœ,  14  mars. 

(2)  Vie  de  saint  Césaire  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille,  passim. 

(3)  Voici  l'inscription  de  Tillisiola  : 

•  i  +  T 

IN  HOC  TVMVLO  SITA  EST  TILLISIOLA 

ABBATISSA   QVE  NOMINIS  SVI  DBCVS 

VITA  FACTIS  QUE  8EBVABIT 

CRISTIGBNÀQ.     MABIAM    MENTE 

SBCTVATA  FIDELI  VIBOO 
VIBGINIBVS  SACBIS  XL    PB^FV 
IT    ANNI8  VIXIT    ANN  LXX... 
DP  EIVS.   VII    ID.    APBL  IND  VIII 

Nous  faisons  remarquer  que  le  premier  nous  donnons  la  vraie  lec- 
ture de  ce  texte  épigraphique.  D'éminents  auteurs  l'ont  vu  et  l'ont 
laissé  de  côté  ou  l'ont  donné  incomplet.  Ce  D'est  pas  à  nous,  cependant, 
qu'en  revient  l'honneur,  mais  bien  au  savant  historiographe  de  notre 
diocèse,  à  M.  le  chanoine  Albanés.  Ses  recherches  patientes  et  habiles 
le  lui  ont  fait  découvrir,  l'affection  qu'il  a  pour  tout  ce  qui  intéresse  l'his- 


—  21  — 

goire.  Ainsi  on  ne  saurait  dire  d'une  manière  certaine  si  notre 
Eusébie  était  aussi  avancée  en  âge,  lorsque,  d'une  voix  una- 
nime, ses  compagnes  l'appelèrent  à  les  diriger. 

I/Evêque  de  Marseille,  tout  heureux  de  ratifier  un  tel  choix, 
vint,  quelques  jours  après,  bénir  la  nouvelle  élue  (1),  en 
plaçant  entre  ses  mains  la  crosse  abbatiale,  symbole  de  son 
autorité,  lui  confia  l'administration  du  monastère  et  le  gouver^ 
nement  des  servantes  de  Dieu.  Mieux  que  toute  autre,  peut- 
être,  Eusébie  comprit  ce  que  cette  dignité  lui  imposait  de 
sollicitude.  Ce  n'était  plus  seulement  de  la  perfection  de  son 
âme  qu'elle  devait  avoir  souci;  mais  la  responsabilité  de  la 
sanctification,  de  la  persévérance  dans  le  bien  de  celles  que  sa 
dignité  lui  permettait  d'appeler  ses' filles,  pesait  sur  elle  d'un 
poids  bien  lourd. 

Quarante  religieuses  habitaient  le  cœnobium  de  l'Huveaune. 
Deux  chartes  du  XV*  siècle,  en  effet,  parlant  des  reliques  en 
vénération  à  Saint- Victor,  à  cette  époque,  citent  les  corps  de 
sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante  compagnes  (2).  Une  autre  charte, 


toire  de  l'Eglise  de  Marseille  le  lui  a  fait  recueillir.  M.  le  chanoine  Albanés 
a  bien  voulu  nous  communiquer  ce  précieux  document  et  nous  permettre 
d'en  orner  notre  modeste  travail.  Nous  ne  savons  comment  le  remercier 
d'une  telle  obligeance  à  notre  endroit  ! 

(1)  C'était  à  l'Evêque  de  bénir  l'abbesse  nouvellement  élue.  La  lettre  de 
saint  Grégoire  le  Grand  à  l'abbesse  Respecta  reconnaît  ce  droit  :  «  Cons- 
«  tituentes  ut,  obeunte  antedicti  monasterii  abbatissâ,  non  extranea, 
«  sed  quam  congregatio  sibi  de  suis  elegerit,  ordinetur,  quam  tamen, 
«  si  digna  huic  ministerio  judicata  fuerit,  ejusdem  loci  Episcopus 
c  ordioet.  i  André,  Hiètoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  pièces 
justificatives  A. 

(2)  La  charte  de  1431  est  l'autorisation  donnée  par  l'abbé  de  Saint- Vic- 
tor, Guillaume  Dulac,  à  une  noble  Dame,  Marie  d'Espinosiis,  veuve  du 
chevalier  de  Lumere,  d'habiter  et  de  posséder,  moyennant  une  petite 
redevance  annuelle,  le  prieuré  et  l'église  dédiés  à  la  Sainte-Vierge,  sous 
le  titre  de  Sainte-Marie  de  la  Petite-Baume.  Celle  de  1446  est  la  conces- 
sion du  privilège  d'être  inhumé  dans  le  cimetière  de  Paradis,  accordée 
aux  confrères  de  l'association  de  N.-D.  de  Confession,  par  l'abbé  de 
Saint- Victor,  Pierre  Dulac.  Dans  ce  document,  comme  dans  celui  de 
1431,  il  est  parlé  de  c  Eusebia  cum  XLU  aliis  virginibus  et  martyribus.  » 
—Recueil  de  chartes  par  dom  Lefournier,  t.  III.  —  Notice  sur  les  cryp- 
tes de  Saint- Victor,  par  Kothen  (appendice).  —  Guesnay,  Gass.  illust., 
p.  642,  704. 


—  22  - 

antérieure  de  quelques  années  à  celles-ci  et  que  dom  Lefour- 
nier  a  conservée  dans  son  recueil,  parle  aussi  des  corps  des 
quarante  religieuses  martyres,  qui  sont  ensevelis  devant  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  et  du  corps  d'Eusébie, 
leur  abbes^e,  qui  est  inhumé  à  part,  non  loin  de  l'autel  de  la 
Sainte- Vierge  (1). 

C'est  fort  probablement  le  nombre  exact  des  religieuses 
qu'Eusébie  conduisait  et  dirigeait  dans  son  monastère. 

Eusébie  fut,  nous  pouvons  le  dire,  à  la  hauteur  de  sa  mission. 
Sous  son  gouvernement,  la  vertu  et  la  piété  ne  firent  que  s'ac- 
croître. De  son  côté,  quelle  exactitude  et  quel  soin  dans  l'accom- 
plissement des  devoirs  de  sa  charge  I  Son  titre  d'abbesse  faisait 
d'elle  la  mère  de  ses  compagnes  (2).  A  elle  donc  de  veiller  à  leur 
santé,  à  leur  nourriture,  à  leur  travailla  leur  sûreté,  à  leur 
sanctification.  Aussi,  pas  de  ménagements,  pas  d'attentions 
qu'elle  n'eût  pour  ses  filles  malades.  La  nourriture  de  chaque 
jour  était  saine  et  abondante,  et,  aux  jours  de  fête,  elle  se  faisait 
une  joie  d'ajouter,  suivant  la  prescription  de  la  règle,  quel- 
ques douceurs  au  menu  (3). 

Chaque  jour  elle  distribuait  à  ses  filles  la  tâche  à  accomplir, 
veillant  darîs  sa  charité  délicate  et  prévenante  à  ne  pas  imposer 
une  trop  lourde  part  à  celles  que  la  fatigue  ou  la  maladie 
aurait  pu  affaiblir.  C'était  à  l'abbesse  de  garder  en  dépôt 
pendant  la  nuit  les  clefs  du  monastère;  et  à  ces  époques  de 

(1)  Charte  sans  date,  recueillie  par  dom  Lefournier,  dans  son  recueil. 
Voir  la  page  de  notre  travail  où  cette  charte  est  citée. 

(2)  La  règle  de  saint  Gésaire  appelle  l'abbesse  la  mère  des  religieuses, 
c  Mat  ri  post  Deum  omnes  obediant.  »  Régula,  cap.  16.  —  «  Quia  mater 
monasterii  necesse  habeat  pro  animarum  salute  sollicitudinem gerere...» 
Gap.  25.  Patrol.  lat.,  éd.  Migne,  t.  67,  saint  Césaire,  col.  1109. 

(3)  Règle  de  saint  Gésaire.  «  Sanctœ  Abbatissœ  cura. . .  ut  vinumprovi- 
deat  unde  aut  infirma?,  aut  illae,  quse  sunt  delicatius  nutritae  palpentur. 
Gap.  28.  —  Pulli  vero  infirmis  praebeantur.  Gap.  17.  —  In  ipsis  laniflciis 
faciendum,  pensum  saum  quotidianum  cum  humilitate  accipiant. 
Gap.  14.  —  In  festivitatibus  majoribus  ad  prandium  et  ad  cœnam  fercula 
addantur,  et  recedentibus  de  eà  dulceamina  addenda  sunt.  Gan.  16.  — 
Janua  monasterii  vespertinis,  ac  nocturnis  ac  meridianis  horis  nun- 
quam  pateat,  ita  tamen  ut  ipsis  horis  quando  reficitur,  claves  apud  se 
abbatissa  habeat.  »  Gap.  9,  récapitulatif  Patrol.  lat.  éd.  Migne,  saint  Gé- 
saire, t.  67,  col.  1109,  etc. 


—  23  — 

troubles,  de  guerres,  il  nous  semble  bien  qu'Eusébie  ne  devait 
prendre  son  repos  qu'après  s'être  assurée  par  elle-même  que 
le  moindre  danger  ne  menaçait  ses  filles. 

Et  la  sainteté  de  leurs  âmes  et  leur  avancement  dans  la 
vertu  et  leur  persévérance  dans  l'esprit  de  leur  vocation, 
quel  soin  continuel  elle  en  avait  !  Personne,  ni  hommes,  ni 
femmes,  ni  laïques,  ni  prêtres,  à  l'exception  de  TEvêque  et 
de  ses  ministres  à  certains  jours  de  fête,  ne  pouvait  entrer 
au  monastère.  La  clôture  inviolable  et  perpétuelle  était  en 
vigueur  à  cette  époque  (1).  Notre  abbesse,  qui  avait  quitté 
bien  jeune  le  monde,  devait  être  éloquente  pour  en  peindre 
àses  filles  les  dangers  et  les  périls,  leur  recommander  la  soli- 
tude, le  silence,  la  retraite,  qui  faisaient  de  leur  paisible 
cœnobium  un  arche  de  salut. 

À  Tabbesse  encore  de  régler  les  jeûnes  nombreux  prescrits 
par  la  règle,  les  jours  d'abstinence  et  le  genre  de  mortifica- 


(1)  c  Nullus  virorum  in  sécréta  parte  in  monasterio  et  in  oratorio 
«  introeat,  exceptisepiscopo...  presbytero,  diacono  et  uno  vel  duobus 
«  lectoribus,  qui  aliquoties  missas  facere  debeant.  »  G.  33.  Régula  ad 
rirgines,  S.  Césaire,  Patrol.  lat.  édit.  Migne,  t.  67.  —  €  Nulla  ex  vobis 
«  usque  ad  mortem  suam  de  monasterio  egredi  aut  permittatur  aut  per 
«  seipsam  prsesumat  exire.  »C.  1,  recapitulatio.  Patrol.  lat.  ut  supra. 
-  Le  biographe  de  saint  Césaire  d'Arles,  le  diacre  Cyprien,  dit,  des 
vierges  que  l'Evéque  avait  réunies  dans  le  monastère  d'Arles  :  c  Erant 
«  auteminillo  loco  adeo  inclusse,  ut  usque  ad  supremum  vitse  diem  nulli 
*.  earum  f as  esse t  extra  monasterii  ostium  progredi.»  Barralis,  Chronolo- 
«  gia  Sanctorum  insulœ  Lerinensis,  t.  1,  p.  237.  La  régie  de  saint 
Césaire  ayant  été  écrite  vers  530,  la  clôture  existait  donc  déjà  dans  toute 
sa  rigueur  pour  le  monastère  de  filles,  à  l'époque  de  sainte  Eusébie. 

Bien  antérieurement  à  cette  époque,  on  vit  les  conciles  chercher  à  l'éta- 
blir tantôt  par  une  prescription,  tantôt  par  une  autre.  Les  conciles  d'Hip- 
poneen  393,  can.  26,  de  Carthage  en  397,  canon  25,  défendent  aux  moines, 
clercs,  prêtres,  évéques  de  visiter  souvent  les  vierges  consacrées  à  Dieu. 
Un  concile  d'Irlande,  présidé  par  saint  Patrice,  vers  450  ou  456,  défend 
aux  moines  et  aux  religieuses  de  vivre  dans  la  môme  maison  ;  celui 
d'Agde,  506,  can.  28,  recommande  d'éloigner  les  monastères  des  filles 
de  ceux  des  hommes.  Ceux  d'Epaone  517,  can.  38,  de  Mâcon  582,  c.  2,  de 
Rouen  650,  c.  10,  de  Trullo691,  can.  48,  sont  plus  précis:  l'entrée  des  mo- 
nastères de  filles  est  formellement  interdite  aux  clercs,  aux  laïques,  à 
moins  de  nécessité  et  avec  la  permission  de  l'évêque.  —  Histoire  des 
Concile»  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  III.  Passim. 


—  24  — 

tion.  A  Pabbesse,  enfin,  de  faire  les  remontrances  et  d'infliger 
les  punitions  à  celles  que  l'orgueil  ou  la  vanité  portait  à  ne 
pas  obéir  (1).  Autant  de  détails  dans  lesquels  Eusébie  avait  le 
devoir  de  descendre,  mais  dont  sa  douceur,  sa  bonté  savait 
tempérer  la  rigueur. 

Sous  la  direction  si  maternelle  de  leur  abbesse,  les  quarante 
vierges  du  cœnobium  de  l'Huveaune  étaient  heureuses.  En  l'en- 
tendant leur  redire  sans  cesse  cette  parole  de  saint  Jérôme  :  a  Je 
ne  puis  me  résigner  à  rien  voir  en  vous  de  médiocre,  je  voudrais 
que  tout  y  fût  exquis  et  parfait,»  elles  devaient  avoir  à  cœur  de 
réaliser  ces  ascensions  sublimes  qui  conduisent  à  la  perfection. 
Des  bords  de  THuveaune,  comme  plus  tard  des  champs  qui 
avoisinaient  Saint-Victor,  on  pouvait  dire  déjà,  à  cause  des 
saintes  âmes  qui  y  vivaient  dans  la  pratique  des  vertus  les 
plus  belles,  qu'ils  étaient  le  Paradis,  la  porte  du  Paradis. 


(1)  a  Si  qua  pro  quacumque  re  excommunicata  fuerit,  remota  a 
«  congregatione,  in  loco  quo  abbatissa  jusserit.  »  G.  31.  Pat  roi.  lat. 
ut  supra. 


CHAPITRE  III 


Martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  40  compagnes 


PREMIÈRES  INCUB8I0NS  DBS  SARRASINS  EN  FRANCE.  —  RECÈLEMENT  DES 
CORPS  SAINTS  EN  PROVENGE.  —  LES  SARRASINS  EN  PROVENCE.  —  MAU- 
RONTE  APPELLE  LES  SARRASINS  A  MARSEILLE.  —  L'ABBBSSE  EUSÉBIE 
AU  CŒNOBIOM  DE  L'HUVEAUNE.  —  LES  SARRASINS  ATTAQUENT  LE 
MONASTERE.  —  MARTYRE  DE  SAINTE  EUSÉBIE  ET  DE  SES  COMPAGNES. 


C'était  au  début  du  VIII*  siècle.  De  bien  longues  années 
s'étaient  écoulées  depuis  le  jour  où  le  seuil  du  monastère  de 
l'Huveaune  s'était  ouvert  à  la  jeune  Eusébie.  L'antique  gloire 
de  l'abbaye  cassianite  n'avait  fait  que  grandir  ;  les  vertus  de 
la  nouvelle  servante  de  Dieu  lui  avaient  donné  un  lustre  et  un 
éclat  dont  jusqu'à  la  fin  des  temps  on  gardera  le  souvenir. 

Des  jours  lugubres  cependant  s'étaient  levés  sur  la  Gaule. 
Comme  ce  souffle  de  vent  qui,  aux  jours  d'été,  passant  bas  et 
rapide  sur  les  campagnes,  présage  l'orage  et  la  tempête,  un 
bruit  sinistre  avait  couru.  Les  rares  porteurs  de  nouvelles  b, 
cette  époque,  les  voyageurs  ou  les  moines,  qui  allaient  de 
monastère  en  monastère,  racontaient  des  scènes  sanglantes 
qui  jetaient  le  frisson  dans  les  cœurs.  C'était  le  pillage  des 
églises,  l'incendie  des  monastères,  de  barbares  et  d'igno- 
minieux traitements,  plus  terribles  que  la  mort,  infligés  aux 
moines,  aux  vierges  consacrées  à  Dieu  ;  les  chrétiens  égorgés, 
les  femmes  menées  en  esclavage,  les  enfants  contraints  à 
l'apostasie.  Chaque  nouveau  messager  annonçait  de  nouveaux 
désastres,  et,  détail  plus  poignant,  que  les  Sarrasins,  c'était 
d'eux  qu'il  s'agissait,  avançaient  toujours  ;  qu'ils  avaient 
franchi  les  Pyrénées,  qu'ils  foulaient  le  sol  de  la  Gaule  I 

Vers  716,  sur  Tordre  des  évoques,  on  avait  enfoui  les  reliques 
des  saints  et  les  trésors  des  églises  (1).  A  Saint-Maximin,  on 

(1)  A  vrai  dire,  cet  avertissement  vint  peut-être  du  ciel.  L'anonyme  de 


—  26  — 

recouvrait  d'un  amas  de  décombres  la  crypte  où  reposaient  les 
restes  de  sainte  Marie-Magdeleine  (1).  On  fit  de  même  à  Ta- 
rascon>  pour  le  corps  de  sainte  Marthe  (2),  et  au  petit  hameau 
de  Notre-Dame  de  la  Barque,  en  Camargue,  pour  les  corps  des 
saintes  Maries  (3).  A  Marseille,  on  prit  les  mêmes  précautions. 
L'église  cathédrale  mit  à  l'abri  le  corps  de  saint  Lazare  (4)  ; 
les  moines  de  Saint- Victor,  les  reliques  du  prolecteur  de  leur 
abbaye  ;  puis  ceux-ci  fermèrent  les  cryptes  et  réparèrent  leurs 
murailles.  A  l'abbaye  cassianite  de  l'Huveaune,  la  tradition 
nous  dit  que  Ton  procéda  à  une  semblable  opération.  La  croix 
de  saint  André,  que  Ton  conservait  à  Saint- Victor,  fut  portée 
de  ce  monastère  à  celui  de  l'Huveaune,  et  cachée  dans  un 
endroit  ignoré  (5). 

A  l'annonce  de  ces  terrifiantes  nouvelles,  durant  ces  prépa- 
ratifs hâtés,  signes  avant-coureurs  de  bien  tristes  événements, 
de  quelles  angoisses  l'âme  d'Eusébie  devait  être  remplie  !  Elle 


la  vie  de  saint  Porcaire  de  Lérins  rapporte  que  ce  saint  abbé  connut,  par 
la  révélation  que  lui  en  fit  un  ange,  la  destruction  prochaine  de  son  mo- 
nastère, et  reçut  l'ordre  de  cacher  les  reliques  des  Saints  :  «  Gum  gens 
<  agarenorum  furens,  omnem  depopulasset  Provinciam,  angélus  Do~ 
c  mini...  apparuit  in  sommis  S.  Porcario,  dicens  :  Surge  velociter,  et 
a  occulta  reliquias,  quasin  hac  sacra  insula  decrevit  Dominusper  multa 
«  tempora  observandas...  S.  Porcarius  dicit  :  Occultemus,  viri  fra- 
c  très,  venerafbiles  reliquias,  ne  a  sacrilegis  contingantur.  »  Chrono- 
logies sanctorum  insulœ  Lerinensis  a  Barrali,  1. 1,  p.  221.  —  Paillon, 
Monuments  inédits. . .  1. 1,  col.  681 . 

(1)  Cette  opération  fut  faite  durant  une  nuit  de  décembre  de  l'an  716, 
sous  le  règne  d'Eudes,  duc  d'Aquitaine,  par  les  religieux  cassianites  de 
Saint-Maximin. 

(2)  L'abbé  Faillon,  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte 
Magdeleine,  1. 1,  col.  682-690.  —  Légendes  et  traditions  provençales, 
par  le  marquis  de  Virieu,  p.  11^. 

(3)  Faillon,  op.  cit.,  1. 1,  col.  1280.  —  De  Virieu,  op.  cit.,  p.  98. 

(4)  Et  pour  les  mettre  plus  en  sûreté,  Gérard  de  Roussillon,  comte  de 
Provence,  les  transporte  à  Autun,  un  peu  plus  tard,  à  l'exception  du  chef 
du  saint  évêque  martyr,  que  deux  chanoines  de  Marseille  purent  ravir  à 
celui  qui  emportait  les  vénérables  reliques. 

(5)  Vesuntio  civitas  imperialis,  par  J.-J,  Ghifflet,  p.  199  et  suivantes. 
Sacrum  gynœcœum,  au  30  décembre,  par  Arthur  de  Monestier,  — 
Martyrologium  Gallicanum*  par  de  Saussay,  natalis  eancti  Andreœ.  — 
Cassianus  illustratus,  par  Guesnay,  p,  475. 


—  27  — 

était,  par  le  fait  de  sa  charge,  la  gardienne  de  ses  filles  ;  qu'al- 
laient-elles devenir,  si  les  flots  de  la  barbarie  arrivaient  sous 
les  murs  du  monastère  !  Quel  triste  sort  leur  était  réservé  ! 
Aussi  la  sainte  abbesse  passait  de  longues  heures  prosternée 
au  pied  de  l'autel,  recommandant  à  l'Hôte  du  tabernacle 
celles  qu'elle  appelait  ses  filles,  mais  dont  il  avait  daigné  faire 
ses  épouses  privilégiées. 

Un  moment  l'orage  sembla  devoir  s'éloigner  de  la  Provence. 
Un  joyeux  message,  en  effet,  celui  de  la  victoire  de  Poitiers, 
gagnée  par  Charles- Martel,  était  arrivé  en  732,  rassérénant  les 
cœurs  et  calmant  les  alarmes  (1).  Que  d'actions  de  grâces 
durent  être  adressées  à  Dieu  et  à  Marie,  qui  déjà  se  consacrait 
le  mois  d'octobre  par  l'écrasement  de  la  barbarie  (2).  Hélas, 
ce  ne  fut  qu'une  éclaircie  dans  la  tempête!  Les  jours  rede- 
vinrent mauvais.  Les  Sarrasins  avançaient,  et,  successivement, 
on  apprenait,  en  736,  qu'ils  étaient  aux  portes  de  la  Provence  ; 
qu'ils  y  avaient  pénétré,  en  franchissant  le  Rhône;  qu'Avignon 
était  tombé  entre  leurs  mains  ;  que  le  gouverneur  de  Mar- 
seille, Mauronte,  trahissant  son  prince,  vendant  sa  patrie,  les 
avait  appelés  ! 

«  Deus,  adjuva  nos,  »  dut  s'écrier  la  chère  sainte  Eusébie, 
à  cette  nouvelle,  «Dieu  venez  à  notre  aide,  car  ceux  qui 
doivent  nous  garder  abandonnent  notre  cause  !  »  Il  sembla 
que  cette  prière  fût  entendue,  car,  vers  737,  celui  que  l'on 
appelait  le  Marteau,  le  bras  de  fer,  Charles  Martel,  accourut  en 
Provence  et  les  Barbares  reculèrent.  De  quel  poids  immense 
durent  être  soulagés  tous  les  cœurs  1  Hélas  encore,  la  joie  de 
tous  fut  de  courte  durée  1  Obligé  de  quitter  la  Provence,  en 
738,  Charles  Martel,  la  terreur  des  Sarrasins,  remonta  vers  le 


(!)  c  Du  champ  de  bataille  même,  Charles  Martel  expédia  à  Grégoire  III, 
à  Rome,  des  messagers,  pour  lui  annoncer  la  victoire  de  l'armée  chré- 
tienne. . .  Leur  rapide  passage  à  travers  les  populations,  que  l'invasion 
musulmane  avait  frappées  d'épouvante,  fut  une  course  triomphale.  Dans 
toutes  les  églises  de  France  et  d'Italie  on  rendit  à  Dieu  de  solennelles 
actions  de  grâces.»  Dan-as,  Histoire  générale  de  l'Eglise,  t.  XVII,  p.  41 . 

(2)  L'abbé  Darras  prouve  en  note,  dans  son  Histoire  générale  de 
l'Eglise,  t.  XVII,  p.  93,  que  la  bataille  de  Poitiers  a  été  livrée  le  samedi 
tt  octobre  732. 


—  28  — 

Nord.  Aussitôt  les  Barbares  reprirent  leur  marche  en  avant. 
En  quelques  mois,  Avignon,  Arles,  Marseille  et  les  contrées 
environnantes  devinrent  la  proie  de  leurs  fureurs,  sans  que 
Hauronte,  qui  les  avait  appelés,  pût  en  être  le  maître. 

A  cette  heure  critique,  n'allons  pas  croire  que  l'affolement  et 
la  terreur  envahirent  le  monastère  de  l'Huireaune.  C'est  le  pro- 
pre des  âmes  basses  et  criminelles  de  trembler  ;  les  âmes  fortes 
et  chrétiennes  relèvent  la  tête.  Lisant  au  ciel  la  volonté  de 
Dieu,  elles  l'adorent,  l'acceptent  et  se  mettent  en  mesure  de 
l'accomplir.  En  retour  Dieu  envoie  la  force  et  le  courage  qui 
trempent  les  volontés  et  raffermissent  les  cœurs. 

On  se  trouvait  dans  cette  disposition  d'esprit  au  cœnobium 
de  rHuveaune.  Eusébie  voyait  venir  le  martyre.  Prête  pour  sa 
part  à  l'endurer,  elle  y  préparait  ses  compagnes.  Nous  devi- 
nons sans  peine  le  sujet  habituel  des  exhortations  de  l'abbesse 
à  ses  filles  :  le  martyre,  la  gloire  de  le  souffrir  pour  conserver 
intacte  cette  belle  fleur  de  virginité  qu'elles  avaient  vouée  à 
Dieu. 

Cependant,  les  nouvelles  devenaient  chaque  jour  plus  affli- 
geantes. Où  aller,  où  se  réfugier  ?  Marseille  était  envahie  par 
les  Barbares.  D'affreuses  scènes  de  carnage,  que  Mauronte  ne 
pouvait  empêcher,  y  avaient  lieu.  Les  routes  étaient  cou- 
vertes de  fuyards,  les  campagnes  sil  lonnées  pa  r  les  maraudeurs. 
Déjà  même  du  haut  des  murailles  de  l'abbaye  on  pouvait  aper- 
cevoir des  coureurs  isolés,  des  bandes  détachées,  qui,  se  cachant 
durant  le  jour  dans  les  bois  avoisinants,  venaient  le  soir,  à  la 
faveur  des  ténèbres,  épier  le  monastère  sans  défense,  calculer 
ce  qu'il  devait  receler  de  trésors  et  ce  qu'il  pouvait  procurer 
de  basses  satisfactions  aux  instincts  brutaux  et  sanguinaires  de 
ceux  qui  le  prendraient  d'assaut. 

Chère  sainte  Eusébie,  quel  long  et  douloureux  martyre  Dieu 
vous  faisait  souffrir  1  A  la  pensée  du  sort  ignominieux  dont  les 
ennemis  de  votre  Dieu  vous  menaçaient,  vous  et  vos  com- 
pagnes, quelle  pâleur  parfois  sur  votre  front,  et  quelles  larmes 
dans  vos  yeux  1  ! 

L'heure  du  sacrifice  cependant  avait  sonné. 

Un  soir,  pendant  que  les  vierges  de  l'Huveaune,  réunies 
dans  leur  chapelle,  prolongeaient  leur  sainte  veillée,  comme 


-  29  — 

si  elles  se  doutaient  que  ce  dût  être  la  dernière,  une  rumeur 
sourde,  vague,  lointaine  se  fit  entendre  au  dehors  ;  le  vent 
qui  gémit  dans  la  forêt  apporte  des  sons  inarticulés,  des  cris 
étouffés,  parfois  le  heurt  retentissant  d'une  armure,  et  puis. . . 
le  silence  le  plus  profond.  Seul  le  bruit  du  flot  qui  se  brise  sur 
les  rochers  ou  qui  expire  sur  la  grève  vient  le  troubler  à  in- 
tervalles réguliers.  Des  ombres  de  plus  en  plus  nombreuses 
errent  d'ici  de  là.  Sur  la  mer,  à  quelques  encablures  de  la 
côte,  de  lourds  navires  croisent  dans  l'obscurité,  tandis  qu'en- 
tre les  berges  de  l'Huveaune  des  barques  défilent  et  remontent 
le  courant.  Et  tout  ce  murmure  confus,  indécis,  insaisissable, 
augmente  et  se  rapproche  insensiblement. 

Soudain  une  clameur  féroce,  sauvage  retentit.  A  ce  signal, 
de  tous  côtés  les  Sarrasins  bondissent.  Il  en  sort  des  profon- 
deurs du  bois,  il  en  accourt  des  barques  amarrées  au  rivage,  à 
l'embouchure  du  fleuve  ou  le  long  de  ses  bords.  Le  monastère 
est  entouré.  Des  torches  s'allument,  les  glaives  brillent,  les 
lances  s'agitent,  les  boucliers  s'entre-choquent  ;  des  cris,  des 
imprécations,  des  blasphèmes  se  font  entendre.  Une  bande 
plus  acharnée  se  met  à  la  recherche  de  la  porte  du  monastère. 

Les  vierges  du  Christ,  comme  de  timides  colombes  que  l'ou- 
ragan a  surprises,  se  pressent  autour  de  leur  abbesse.  Elles 
murmurent,  les  yeux  levés  au  ciel,  cette  parole  de  nos  saints 
livres  :  a  Ne  livrez  pas,  Seigneur,  aux  botes  impures  les  âmes 
qui  se  sont  confiées  en  vous  !  » 

La  porte  du  monastère  est  trouvée!  Sous  une  violente 
poussée,  elle  vole  en  éclats  et  la  horde  sauvage  s'élance,  se 
répand  de  tous  côtés,  liais  personne.dans  les  cloîtres,  dans  les 
salles  basses,  dans  les  cellules  I . . .  Les  Sarrasins,  interdits, 
troublés,  furieux,  s'arrêtent. 

Un  chant  plaintif  et  suave  arrive  à  ce  moment  jusqu'à  eux. 
Ils  prêtent  l'oreille.  La  faible  lueur  qui  s'échappe  d'une  des 
ouvertures  de  l'oratoire  leur  indique  l'endroit  où  se  trouve  ce 
qu'ils  recherchent.  Ils  se  précipitent  vers  l'église.  La  porte, 
plus  solide  cette  fois,  résiste  à  leurs  efforts.  Ils  redoublent  de 
blasphèmes,  et  poussent  plus  violemment  ;  ils  ne  peuvent  que 
l'ébranler. 

Dans  l'intérieur  de  la  chapelle,  quel  spectacle  émouvant  ! 


> 


—  30  — 

Debout  au  milieu  de  ses  filles,  au  pied  de  la  croix,  devant 
l'autel ,  Eusébie  tient  dans  sa  main  un  fer  meurtrier.  Prévoyant 
la  honte  et  l'ignominie  du  supplice  que  les  barbares  réservent 
à  ses  compagnes,  elle  brandit,  avec  une  sainte  énergie,  ce 
glaive  d'un  nouveau  genre,  et  de  ses  lèvres  autant  que  de  son 
cœur,  s'échappent  ces  nobles  accents:  «  0  mes  filles  1  l'heure 
est  venue  de  mouiir  pour  notre  Dieu  et  notre  époux  céleste, 
Jésus-Christ  I  Gardons- lui  nos  cœurs  sans  tache  et  sans  souil- 
lure. Si  ses  ennemis  veulent  nous  arracher  à  son  amour, 
trompons  en  cet  instant  leurs  perfides  desseins.  Mille  fois  la 
mort  plutôt  que  le  déshonneur  et  le  péché  !  Voici  un  glaive, 
mes  filles,  défigurons  nos  visages  pour  garder  nos  cœurs  à 
Dieu.  Donnons  à  Jésus -Christ  notre  dernier  captique,  gage 
suprême  de  notre  amour  1  • 

D'une  voix  assurée,  Eusébie  entonne  alors  l'hymne  sainte 
de  l'espérance  et  de  la  confiance  en  Dieu.  Puis,  d'une  main 
courageuse,  elle  presse  l'instrument  tranchant  sur  son  visage 
et  mutile  son  nez  et  ses  lèvres.  La  religieuse  la  plus  rappro- 
chée imite  son  abbesse.  Ensanglanté,  le  couteau  vole  de  main 
en  main,  accomplissant  chaque  fois  son  terrible  ouvrage. 

Le  doux  concert  des  voix  virginales  va  s'affaiblissant  au  fur 
et  à  mesure  qu'augmente  le  nombre  des  héroïnes  de  la  chas- 
teté. Ce  n'est  bientôt  plus  qu'un  plaintif  gémissement,  qui 
cesse  tout  à  coup... 

En  effet,  dans  la  main  de  la  dernière  compagne  d'Eusébie,  la 
plus  jeune  peut-être,  une  vague  et  ancienne  tradition  (1)  nous 


(t)  C'est  un  souvenir  d'enfance  que  nous  rapportons  ici .  Le  premier 
récit  qui  nous  lut  fait  de  cette  légende  marseillaise  renfermait  ce  détail 
qui  demeura, depuis,  profondément  gravé  dans  notre  mémoire. Ce  n'était 
peut-être  bien  en  réalité  qu'une  simple  fiction  de  conteurs  plus  ou  moins 
Imaginatifs.  Mais,  chose  remarquable,  nous  avons  rencontré  il  y  a  des 
années  cette  même  particularité  dans  une  légende  relatant  le  martyre, 
en  Espagne,  à  l'époque  des  Maures,  des  religieuses  d'un  couvent,  qui 
furent  les  dignes  imitatrices  de  notre  sainte  Eusébie  par  l'héroïsme  avec 
lequel  elles  se  mutilèrent  le  visage,  afin  d'échapper  à  la  lubricité  des 
Barbares  1  D'ailleurs  n'incriminons  point  trop  l'intention  de  nos  aïeux  1 
En  quoi  la  puissance  de  la  grâce  sur  les  âmes  est-elle  diminuée  ?  La 
jeune  compagne  d'Eusébie  a- 1- elle  moins  mérité  la  palme  du  martyre? 
Est-ce  qu'une  telle  hésitation  n'est  pas  dans  la  mesure  de  l'infirmité 


—  31  — 

dit  que  le  fer  a  tremblé.  Une  lutte  terrible  se  livre  en  cette 
âme.  Le  sang  généreux  qui  coule  autour  d'elle,  les  clameurs 
impies  qui  retentissent  au  dehors,  l'entraînent  au  sacrifice. 
Mais  Thorreur  de  la  souffrance  et,  sans  doute,  le  sacrifice 
de  sa  beauté  la  font  hésiter. 

Or,  les  barbares  s'acharnaient  contre  la  porte  de  la  chapelle, 
la  secouant  avec  fureur,  la  frappant  à  coups  de  hache.  Quel 
moment  de  poignante  douleur  pour  Eusébie  et  ses  filles  1 
Toutes  sont  à  genoux,  aux  pieds  de  cette  enfant,  les  bras 
tendus  vers  elle,  la  suppliant  de  leurs  regards,  ne  pouvant  le 
faire  de  leurs  lèvres  mutilées,  de  ne  pas  perdre  le  ciel,  pour 
conserver  quelques  charmes  périssables.  La  pauvre  enfant 
hésitait  toujours  1 . . . 

Mais  les  cris  redoublent,  la  porte  ébranlée,  soulevée, 
s'échappe  de  ses  gonds  et  se  renverse  avec  fracas.  Dieu  se 
laissa  toucher  par  le  cri  du  cœur  de  ses  martyres.  La  jeune 
enfant  n'hésite  plus.  Pour  la  quarante  et  unième  fois,  le  fer 
meurtrier,  conduit  par  une  main  redevenue  héroïque,  fit  la 
dernière  victime,  puis  glissa  sur  les  dalles  du  saint  lieu. 

Au  môme  instant,  par  la  porte  brisée  et  abattue,  des  flots 
pressés  de  Sarrasins,  ivres  de  fureur,  de  lubricité  et  de  carnage, 
se  précipitent.  En  un  clin  d'œil  ils  arrivent  au  pied  de  l'autel, 
à  deux  pas  d'Eusébie  et  de  ses  filles  à  genoux,  les  yeux  et  les 
mains  au  ciel.  A  la  vue  du  sang  qui  inonde  les  pauvres  victi- 
mes, des  affreuses  blessures  qui  les  ont  défigurées,  les  barbares 
s'arrêtent,  reculent  et  frémissent  d'horreur.  Mais  bientôt  leur 
colère,  leur  rage  éclate  ;  et  voyant  que  la  proie  convoitée 
leur  échappe,  ils  se  précipitent  de  nouveau,  foulant  aux  pieds, 
frappant  du  glaive,  de  la  hache,  de  la  lance,  du  bouclier  les 
vierges  du  Christ  et  les  massacrent  sans  pitié.  Ils  saccagent 


humaine  ?  Ne  lit-on  pas  dans  le  récit  du  martyre  de  saint  Porcaire  de 
Lérins,  que,  sur  les  500  religieux  massacrés  par  les  Sarrasins,  deux  des 
plus  jeunes,  Golumban  et  Eleuthère,  eurent  peur,<  duos  ex  ipsis  juvenes 
plurimum  formidare,  »  et  coururent  se  cacher  dans  une  caverne.  Golum- 
ban, touché  par  la  grâce,  rougit  de  sa  frayeur  et  vint  rejoindre  les  géné- 
reux confesseurs  de  la  foi  avec  lesquels  il  succomba.  Quant  à  Eleuthère, 
il  ne  sortit  de  sa  cachette  que  lorsqu'il  vit  s'éloigner  les  barques  des 
Sarrasins.—  Chronologie/,  sa  net.  Insul.  Lerinensis  a  Barrali,  1. 1,  p.  222. 


-  32  — 

ensuite,  pillent  et  détruisent  tout  ce  gui  s'offre  à  eux,  mettent 
le  feu  au  monastère  et  se  retirent  à  la  hâte  par  les  sentiers 
obscurs  de  la  forêt  ou  sur  les  navires  qui  les  ont  amenés. 

Ceci  se  passait,  si  nous  en  croyons  les  termes  de  l'inscrip- 
tion lapidaire  placée  autrefois  sur  le  tombeau  de  sainte 
Eusébie,  à  Saint- Victor,  le  pridie  kalendas  octobris,  indic- 
tione  VI ',  c'est-à-dire  le  30  septembre  738. 


CHAPITRE  IV  (1) 


Sainte  Eusébie  et  son  culte  immémorial 


LB6  RESTES  DES  CASSIANITES  PORTÉS  A  SAINT-VICTOR.— SOUVENIR  QUE 
i/ON  CONSERVE  DU  FAIT  GLORIEUX  DE  LEUR  MARTYRE.  —  SAINT 
TSARNB  VISITE  LES  CRYPTES  ET  Y  VÉNÈRE  LES  RELIQUES.  —  «  IBI 
ADTBM  SEORSUM  TURBA  SACRARUM  VIRGINUM  QUIESClT  ».  —  CES 
VLBRGES  SACRÉES  ENSEVELIES,  NON  PAS  DANS  LE  CIMETIÈRE  DE 
PARADIS,  MAIS  DANS  LES  CRYPTES.  —  LA  «  TURBA  SACRARUM  VIRGI- 
RUH  »,  CE  SONT  SAINTE  EUSÉBIE  ET  SES  COMPAGNES. 

La  nouvelle  de  cet  horrible  carnage  se  répandit  bien  vite 
dans  les  environs  et  arriva  jusqu'à  Marseille.  Le  gouverneur 
de  la  ville,  Mauronte,  ne  dut  pas  l'ignorer.  Il  vit  bien  quels 
alliés  il  avait  appelés  pour  l'aider  à  trahir  son  prince  et  sa 
patrie.  L'effroi  s'empara  de  tous  les  cœurs  et  Ton  n'eut  plus 
d'espérance  qu'en  Dieu  seul. 

Cependant,  au  lendemain  de  la  catastrophe,  quelques  colons 
du  monastère,  échappés  à  la  mort,  de  pieux  chrétiens,  cachés 
aux  environs,  des  moines  peut-être,  venus  à  la  dérobée  de 
Saint- Victor,  recueillirent  pendant  la  nuit  ces  restes  glorieux, 
les  transportèrent  en  secret  dans  les  cryptes  de  l'abbaye  et  les 
placèrent  très  probablement  sous  le  pavé,  devant  la  chapelle 
de  Notre-Dame  de  Confession  (2).  Mais,  sous  les  dalles  des 
cryptes  qui  recouvrirent  ces  ossements  sacrés,    ne  put  être 

(1)  Au  sujet  de  ce  chapitre  et  des  deux  qui  suivent,  l'auteur  a  le 
devoir  de  déclarer,  que  pour  lui,  comme  pour  tout  bon  Marseillais,  le  lait 
du  martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  ainsi  que  le  culte 
ininterrompu,  quoique  point  très  apparent,  qu'on  leur  a  rendu  à  travers 
les  siècles  demeure  hors  de  toute  conteste.  C'est  là  la  foi  de  nos  pères  et 
la  tradition  de  notre  Eglise.  Nous  n'avons  qu'à  l'accepter.  Si  donc  l'on 
trouvait  trop  faibles  et  pas  assez  concluantes  les  preuves  a  l'appui,  c'est  à 
l'insuffisance  de  l'auteur  et  non  à  cette  tradition  que  Ton  devrait  s'en 
prendre.  {Note  de  l'auteur.) 

(2)  C'est  en  cet  endroit  que  nous  les  retrouverons  vers  Tan  1000. 

.3 


-  34  — 

enseveli  le  souvenir  de  la  fin  glorieuse  de  ces  chastes  épouses 
de  Jésus-Christ.  Ceux  qui  en  portèrent  les  restes  sanglants 
durent  être  les  premiers  à  faire  connaître  ce  qu'ils  pouvaient 
savoir  de  détails  sur  l'horrible  scène.  Eurent- ils  l'idée  de  la 
regarder  comme  un  véritable  martyre  ?  M.  de  Rey  dit  que 
non  :  «  Au  moment  où  les  Sarrasins  faisaient  tant  de  victimes, 
où  chaque  jour  ils  immolaient  sans  pitié  hommes,  femmes, 
enfants,  moines  et  prêtres,  on  considéra  la  mort  desCassia- 
nites  comme  un  des  événements  douloureux  de  la  guerre, 
mais  non  pas  comme  un  martyre  (1).  »  Nous  le  croyons  aussi. 
Pour  ces  braves  colons  du  terroir  de  Saint-Giniez,  pour  ces 
serviteurs  de  l'abbaye  de  l'Huveaune,  ce  massacre  ne  fut  qu'un 
acte  de  barbarie  à  ajouter  aux  tueries  sauvages  qui  ont 
marqué  le  passage  dans  nos  contrées  de  ces  farouches  enva- 
hisseurs. 

Le  côté  héroïque  cependant  de  cette  mort  dut  les  frapper. 
C'est  par  là  qu  elle  se  distinguait  du  trépas  de  tant  d'autres 
victimes  inconnues  ou  ignorées  à  cette  époque  désastreuse. 
Ce  fut  aussi  ce  qui  en  fit  passer  le  souvenir  à  la  postérité,  et 
le  nom  de  desnarrados  donné  à  ces  martyres  l'a  fait  arriver 
jusqu'à  nous.  Un  détail  encore  frappa  les  esprits,  ce  fut  le 
nombre  des  victimes.  Elles  étaient  quarante  sans  compter 
Eusébie,  dit  la  tradition.  Et  aujourd'hui,  sans  avoir  la  moindre 
idée  d'y  contredire,  nous  les  appelons:  Eusébie  et  ses  quarante 
compagnes. 

Le  fait  du  massacre  des  vierges  de  l'Huveaune  fut  ainsi 
toujours  présent  à  la  mémoire  de  tous.  On  se  le  transmit,  on 
se  le  raconta.  Plus  tard,  au  XI*  siècle,  les  annales  du  monas- 
tère, relevé  de  ses  ruines,  en  gardèrent  le  souvenir,  et  proba- 
blement déjà,  comme  d'anciens  manuscrits  l'attestent  pour 
une  époque  postérieure,  «  à  chaque  novice  qui  faisait  pro- 
fession, on  devait  rappeler  l'héroïsme  d'Eusébie  et  de  ses 
quarante  compagnes  (2).  » 

Cette  persévérance   cependant   de  la  part  des  religieuses 

(1)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  M.  6.  de  Rey,  p.  144. 
Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  237. 

(2)  Deuxième  leçon  du  II*  nocturne  de  l'office  pour  la  fête  de  sainte 
Eusébie,  11  octobre,  Propre  du  diocèse  de  Marseille. 


—  35  — 

cassianites  à  se  transmettre  des  unes  aux  autres  le  souvenu* 
de  la  fin  glorieuse  de  leurs  sœurs,  ne  constitue  pas,  à  propre- 
ment parler,  un  .culte  public  établi  en  leur  honneur.  Nous  ne 
connaissons  pas  pour  le  IX*  et  le  X*  siècle  d'autre  fait  ou 
d'autre  monument  qui  soient  l'indice  d'une  vénération  plus 
accentuée  de  la  part  des  fidèles.  A  cela  rien  d'étonnant.  Aux 
Sarrasins  du  VHP  siècle  ont  succédé  les  Normands  et  les  Sar- 
rasins du  IX-  et  du  X-  siècle.  Sous  les  coups  répétés  de  ces 
barbares,  l'abbaye  cassianite  a  succombé  de  nouveau.  Un 
siècle  presque  entier,  (de  923  à  1004)  s'écoule  sans  que  les  murs 
en  soient  relevés.  Toutes  les  religieuses  qui  avaient  pris  avec 
un  saint  élan  la  place  des  compagnes  d'Ëusébie  sont  mortes, 
d'autres  leur  ont  succédé  et  sont  mortes  à  leur  tour.  Surtout 
le  monastère  ne  s'élève  plus  là,  sur  les  bords  de  l'Huveaune, 
où  sont  tombées  les  héroïques  martyres.  Le  souvenir  du  mas- 
sacre a  donc  pu  s'effacer  quelque  peu. 

Malgré  tout  cependant,  la  tradition  en  demeurait  vivace.  A 
cette  époque,  en  effet,  vers  l'an  1000,  on  conservait  à  Saint- 
Victor  les  corps  des  vierges  de  Jésus-Christ,  ensevelis  dans  un 
endroit  à  part  des  cryptes.  Ce  lieu  béni,  on  le  montrait  aux 
visiteurs  de*  l'abbaye,  et  sans  aucun  doute,  en  cicérone  cons- 
ciencieux, le  moine  qui  les  guidait,  avec  ces  reliques  qu'il 
faisait  vénérer,  racontait  d'une  manière  sommaire  la  vie  et  la 
mort  d'Ëusébie  et  de  ses  compagnes. 

C'est  ce  que  nous  apprend  la  vie  anonyme  de  saint  Ysarne, 
abbé  de  Saint-Victor.  Il  était  jeune  encore  lorsqu'il  vint  à 
Marseille  en  compagnie  du  moine  6aucelin.Se  prenant  d'affec- 
tion pour  les  cryptes,  il  les  visita  avec  foi  et  amour.  Or,  écoutez 
les  détails  que  donne  l'historien  :  «  Les  religieux  qui  accom- 
pagnaient le  jeune  Ysarne,  tout  heureux  de  la  piété  que 
manifestait  leur  visiteur,  s'attachaient  à  satisfaire  le  vif 
désir  qu'il  éprouvait  de  parcourir  les  cryptes.  Aussi,  remplis 
d'une  douce  charité  pour  lui,  ils  le  conduisirent  dans  tous  les 
sanctuaires.  Lui  montrant  un  point  des  cryptes  :  «  En  cet 
endroit,  lui  dirent-ils,  repose  la  vénérable  armée  des  martyrs, 
auxquels  on  ne  s'adresse  jamais  en  vain,  et  qu'entoure  de  tous 
côtés,  dans  les  vastes  champs  d'alentour,  le  peuple  innombrable 
des  saints  confesseurs,  jadis  religieux  de  notre  monastère.  Ici, 


—  36  — 

à  part,  repose  la  troupe  des  vierges  sacrées.  Là,  dans  cet  étroit 
sacrarium  qui  est  creusé  dans  la  roche  vive,  sont  le3  tombeaux 
des  saints  Innocents  (1).  » 

On  a  traduit  différemment  que  nous  cette  page  de  la  vie  de 
saint  Ysarne,  et  notamment  Yibi  autem  seorsum  ne  désigne- 
rait pas  un  endroit  à  part  des  cryptes,  mais  un  coin  du  cime- 
tière de  Paradis  réservé  à  l'ensevelissement  des  Filles  de  saint 
Cassien.  Ce  texte  perdrait  ainsi  toute  valeur  pour  nous  (2  j. 

À  notre  avis  une  telle  interprétation  est  fausse.  Pour  le 
démontrer,  expliquons  ce  texte  avec  quelque  détail. 

D'abord,  la  première  phrase  :  on  visite  a  ce  lieu  où  reposent 
les  martyrs  dont  personne  n'implore  en  vain  la  puissance  : 
Hune  locum  venerandus  martyrum,  eut  nunquam  frustra 
supplicatur,  tenet  exercitus.  »  Quel  est  cet  hune  locum  ?  Ces 
mots  désignent  ou  les  cryptes,  ou  bien  un  coin  du  cimetière  de 
Paradis,  ou  le  cimetière  de  Paradis  dans  son  entier. 

Or,  ce  n'est  pas  d'un  coin  du  cimetière  de  Paradis  que  Ton 
veut  parler.  Les  chartes  qui  traitent  de  Paradis,  notamment 
celle  de  1044,  dans  laquelle  on  raconte  que  Fulco  et  Odile  son 
épouse  firent  rebâtir  à  leurs  frais,  à  la  prière  de  saint  Ysarne, 
alors  abbé  de  Saint-Victor,  l'antique  chapelle  de  Saint-Pierre 
de  Paradis,  ne  disent  pas  qu'il  y  eût  un  point  déterminé,  un 
endroit  à  part  où  les  corps  des  martyrs  étaient  ensevelis.  Et 
cependant  cette  charte  de  1044  explique  bien  ce  qu'était  Para- 
dis :  «  Ce  cimetière,  situé  à  la  porte  du  monastère,  est  appelé 
Paradis,  parce  qu'un  grand'nombre  de  corps  de  saints  martyr^, 
de  confesseurs  et  de  vierges  y  reposent  (3).*  Incodtestablement, 

(1)  «  Hune,  aiunt,  locum  venerandus  martyrum,  cui  nunquam  frustra 
suppllcatur,  tenet  exercifus,  quos  per  hos  totos  latè  patentes  campos 
sanctorum  confessorum,  hujus  loci  quondam  monachorum  circum  circa 
innumerabilis  populus  ambit.  Ibi  autem  seorsum  sacrarum  virginum 
turba  quiescit.  At  in  illo  interiori  sacrario  quod  in  ipso  naturali  saxo 
excisum  vides »  —  Vita  Sancti  Ysarni;  Acta  SS.  ordinis  Béné- 
dicte t.  VIII,  p.  584. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  235. 

(3)  t  Quse  ecclesia  vel  locus,  multis  retroactis  temporibus,  vocatus  est 
Paradisus,  ideirco  vero  idem  locus  ad  porta  m  monasterii  situs,  vocatus 
est  Paradisus,  sicut  et  nos  com péri  mus,  quia  multorum  corporum  vide- 
iicet  sanctorum  martyrum  confessorum  ac  virginum  eodem  loco  quies- 


—  37  — 

s'il  y  avait  eu  dans  ce  cimetière  un  endroit  spécialement  consa- 
cré par  les  dépouilles  des  saints  martyrs,  vers  lequel  les  foules 
se  seraient  portées,  conduites  par  la  vénération  qu'elles  avaient 
pour  ces  reliques,  la  charte  1044  l'aurait  indiqué.  Elle  ne  dit 
rien  de  semblable.  Donc  il  n'y  a  pas  dans  Paradis  de  hune 
îoeum  spécial,  sanctifié  par  la  présence  des  ossements  des 
martyrs. 

Est-il  question  du  cimetière  de  Paradis  en  entier  ?  Mais  alors 
où  se  trouvaient  les  vastes  champs  dans  lequel  le  biographe  de 
saint  ïsarne  affirme  que  reposaient  les  saints  confesseurs  jadis 
religieux  de  Saint-Victor  ?  On  ne  peut  le  nier,  ces  latentes 
campos  ne  sont  autres  que  les  champs  de  Paradis  môme.  Donc, 
cet  hune  loeum  n'est  point  le  cimetière  de  Paradis  tout  entier. 
Donc  par  ces  mots  hune  loeum  il  faut  entendre  les  cryptes, 
et  mieux,  un  point  particulier  des  cryptes,  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Confession,  ainsi  appelée,  disent  les  auteurs, 
i  cause  des  nombreux  corps  de  martyrs  au-dessus  desquels  la 
Sainte  Vierge  a  son  trône  élevé  (1). 

Arrivons  à  la  deuxième  phrase.  Les  visiteurs  s'arrêtent 
devant  l'endroit  à  part  où  reposent  les  vierges  sacrées.  Ibi 
auiem  seorsum  sacrarum  virginum  turba  quiescit ,  Qu'indi1- 
quent  ces  deux  mots  ibi  seorsum  ?  Un  coin  encore  de  Paradis, 
ou  le  cimetière  de  Paradis  tout  entier  ?  Ni  l'un  ni  l'autre. 

Il  ne  s'agit  pas  d'un  coin  du  cimetière  de  Paradis.  Nous  le 
répétons,  s'il  y  avait  eu  dans  Paradis .  un  endroit  à  part,  des- 
tiné à  l'ensevelissement  ici  des  martyrs,  là  des  confesseurs, 
plus  loin  des  vierges,  la  charte  de  Fulco  et  d'Odile  l'aurait 
insinué  de  quelque  manière.  Or,  elle  ne  dit  rien  de  semblable. 

Il  ne  s'agit  pas  du  cimetière  de  Paradis  en  entier,  puisque, 
d'après  le  texte  de  la  vie  de  saint  Ysarne,  la  dépouille  des 


centium,   decoratur  auxiliis  et  suffragatur  meritis.  »  —  Cartulaire  de 
8aint-Victor,  II,  charte  32,  Carta  sancti  Pétri  de  Paradiso. 

(1)  c  Le  nom  de  confession  était  donné  aux  sépulcres  des  martyrs  et 
des  confesseurs,  parce  que  le  lieu  des  maitres-autels  où  Ton  renfermait  des 
reliques  de  martyrs  portait  le  nom  de  confession  »  —  Rufll,  Histoire 
de  Marseille,  t.  Il,  p.  115.  —  Marchetti,  Explication  des  usages  et  cou- 
tûmes  des  Marseillais,  p.  190.—  Martigny,  Dictionnaire  des  antiquités 
chrétiennes,  p.  173. 


-38  - 

vierges  consacrées  à  Dieu  repose  dans  «  un  endroit  à  part .  » 
Forcément  on  veut  parler  des  cryptes. 

D'ailleurs,  admettez  un  instant  que  Vibi  seorsum  désigne  un 
coin  du  cimetière  de  Paradis,  réservé  à  l'ensevelissement  des 
filles  de  saint  Cassien.  Voyez  le  bizarre  itinéraire  que  Ton  fait 
suivre  aux  visiteurs.  Le  hune  locum  venerandus  martyrum 
se  trouve  bien  dans  les  cryptes.  Impossible,  on  Ta  vu,  d'en 
faire  un  coin  de  Paradis.  Ysarne  donc  et  les  moines  qui  le 
guident  sortent  des  cryptes,  où  ils  ont  vénéré  les  martyrs 
qui  y  reposent,  viennent  dans  Paradis  pour  y  visiter  l'endroit 
à  part  «  ibi  seorsum  »  où  reposent  les  vierges  sacrées.  Puis 
ils  redescendent  dans  les  cryptes  pour  y  vénérer  au  sacra  - 
rium  les  reliques  des  saints  Innocents.  Mieux  valait  saluer  le 
hune  locum  venerandus  martyrum  dans  les  cryptes,  conti- 
nuer la  visite  en  passant  devant  le  sacrarium  où  l'on  garde 
les  reliques  des  saints  Innocents  et  remonter  ensuite  dans  les 
champs  de  Paradis  pour  y  vénérer  en  cet  endroit  à  part  les 
reliques  des  saintes  vierges  cassianites  !  Non,  l'interprétation 
donnée  par  quelques  auteurs  est  fausse.  Le  hune  locum  est  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  le  ibi  autem  seorsum 
le  devant  de  l'autel  de  Notre-Dame,  et  le  sacrarium  la  cha- 
pelle de  sainte  Marie-Magdeleine.  Ainsi  les  visiteurs  n'ont  pas 
quitté  les  cryptes.  Mais, après  s'être  agenouillés  devant  le  hune 
locum,  ils  viennent  se  prosterner  là  où  reposent  les  vierges 
sacrées,  puis  ils  visitent  le  sacrarium  des  saints  Innocents. 

Certains  hésiteront  peut-être  à  accepter  notre  interprétation, 
sous  le  prétexte  qu'il  semble  nécessaire  d'admettre  la  déter- 
mination dans  Paradis  d'un  coin  spécialement  réservé  à  l'en- 
sevelissement des  filles  de  Cassien.  Or,  nous  croyons  qu'il  n'y 
a  jamais  eu,  à  aucune  époque,  semblable  affectation. 

En  effet,  si  quelqu'un  avait  dû  posséder  ce  privilège,  de  repo- 
ser dans  un  endroit  à  part  du  cimetière  de  Paradis,  c'étaient  les 
moines  de  Saini-Victor.  Or,  la  chane  de  1044  dit  simplement 
que  a  dans  Paradis  reposent  un  grand  nombre  de  corps  de 
saints  martyrs,  de  confesseurs  et  de  vierges.  »  Le  texte  de  la 
vie  anonyme  de  saint  Ysarne  dit  que  «  les  corps  des  confes- 
seurs, jadis  moines  de  l'abbaye,  reposent  dans  les  vastes 
champs  qui  entourent  les  cryptes.  »  C'est  donc  d'ici  de  là, 


—  39  — 

sans  ordre  bien  établi,  sans  affectation  particulière  pour  les 
moines  ou  pour  les  religieuses,  que  l'on  a  inhumé  dans  Para- 
dis, durant  tant  de  siècles,  les  corps  que  l'on  y  a  portés.  Cha- 
cun choisissait,  ou  Ton  choisissait  pour  le  défunt,  l'endroit  de 
sa  sépulture,  suivant  la  dévotion  que  l'on  avait  pour  tel  saint 
ou  tel  martyr.  L'essentiel  était  de  reposer  auprès  d'eux.  Si  donc 
les  moines  n'avaient  pas  d'endroit  à  part  pour  leurs  dépouilles 
mortelles,  les  religieuses  cassianites  n'en  avaient  pas  non 
plus. 

On  alléguera,  sans  doute,  les  tombeaux  découverts  jadis 
auprès  de  la  chapelle  de  Sainte-Catherine  et  nous  entendons 
Ruffi  nous  dire  que  «  tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce 
lieu  était  assurément  un  cimetière  et  que  c'étaient  des  reli- 
gieuses qu'on  y  avait  enseveli  (1).  »  Il  y  a  du  vrai  et  du  faux 
dans  ce  qu'affirme  Ruffi.  «  Tous  ces  tombeaux  marquaient 
que  ce  lieu  était  un  cimetière.  »  C'est  vrai.  Paradis  devait 
s'avancer  jusqu'aux  environs  de  la  chapelle  qui,  bâtie  plus 
tard,  fut  dédiée  à  sainte  Catherine.  Mais  que  ce  fussent  des 
religieuses  qui  y  étaient  ensevelies,  c'est  ce  que  Ruffi  aurait 
dû  prouver  1  II  donne  l'épitaphe  de  l'une  d'entre  elles  : 
Ëugénia.  Soit.  Mais  il  aurait  dû  citer  les  autres  inscriptions, 
s'il  y  en  avait;  et,  s'il  n'y  en  avait  pas,  qui  Pautorise  à  affir- 
mer que  les  personnes  enterrées  à  côté  d'Eugénia  étaient  des 
religieuses  comme  elle  ? 

Ce  texte  de  Ruffi  ne  prouve  donc  rien  contre  notre  opinion. 
Et  il  est  vrai  de  dire  que  ïibi  seorsum  ne  se  trouve  pas  dans 
Paradis.  C'est  plutôt  un  endroit  à  part  dans  les  cryptes.  Quel 
endroit  ?  Nous  ne  pouvons  le  désigner  sûrement.  Mais,  on  l'a 
vu  plus  haut,  si  le  hune  locum  venerandus  martyrum  est  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  nous  croyons  que 
lïW  seorsum  désigne  le  devant  de  l'autel,  le  pavé  du  sanc- 
tuaire de  Notre-Dame. 

La  vraie  et  rigoureuse  interprétation  de  ce  passage  étant 
donnée,  quelle  est  cette  turba  sacrarum  virginum  dont  les 
dépouilles  reposent  ibi  seorsum,  dans  cet  endroit  à  part  des 
cryptes  ?  Il  ne  s'agit  certainement  pas  de  toutes  les  religieuses 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  55. 


-  40  — 

cassianites,  qui  ont  vécu  avant  le  X'  siècle.  Pas  plus  que  les 
moines  de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  elles  ne  recevaient  la 
sépulture  dans  les  cryptes.  On  n'y  ensevelissait  que  les  reli- 
gieux ou  religieuses  d'un  caractère  de  sainteté  assez  marquant 
et  reconnu  (1).  Quant  aux  autres  moines  ou  religieuses,  c'est  à 
Paradis  que  leurs  corps  étaient  inhumés.  Voilà  pourquoi  la 
vie  anonyme  de  saint  Ysarne  parle  des  vastes  champs  oh  re- 
posent les  confesseurs,  jadis  moines  de  l'abbaye,  et  la  charte 
d'Odile  et  de  Fulco  rappelle  que  dans  Paradis  reposent  les 
corps  des  martyrs,  des  confesseurs  et  des  vierges. 

Il  s'agissait  donc  d'un  nombre  restreint  de  religieuses,  aux 
dépouilles  desquelles  on  avait  donné  cet  endroit  pour  sépul- 
ture. Mais  quelles  religieuses  a-t-on  jamais  inhumées  ailleurs 
qu'à  Paradis  ?  En  faveur  de  qui  a-t-on  fait  une  exception  ? 
Pas  pour  d'autres  religieuses  que  les  compagnes  d'Eusébie. 

En  effet,  le  mot  turba  implique  un  certain  nombre  et  la 
tradition  dit  que  les  compagnes  d'Eusébie  étaient  quarante. 
C'est  à  part,  seorsum,  entre  le  lieu  où  reposent  les  martyrs  et 
le  8acrarium  taillé  dans  le  rocher,  que  repose  la  troupe  des 
vierges  sacrées  et  c'est  à  un  endroit,  à  part  encore,  devant 
l'autel  de  Notre-Dame  de  Confession,  que  la  tradition  et  les 
chartes  les  font  reposer.  La  similitude  est  trop  frappante  pour 
que  l'on  hésite  un  instant.  C'est  bien  d'Eusébie  et  de  ses  com- 
pagnes qu'il  s'agit  dans  ce  passage  de  la  vie  de  saint  Ysarne. 
D'ailleurs  une  charte  du  XV*  siècle  nous  l'assure.  Sainte  Eusébie 
fut  placée  dans  un  tombeau,  derrière  la  chapelle  de  Notre- 


(!)  Les  martyrs  et  les  confesseurs  ont  joui  les  premiers  du  privilège 
de  la  sépulture  dans  les  églises.  Il  y  avait  une  raison  plausible  que  don- 
nait saint  Ambroise  :«  Succedunt  victimse  triumphales  in  locum  ubi  Chris- 
tus  est.  Sed  ille  super  altare  qui  pro  omnibus  passus  est,  isti  sub  altari 
qui  illius  redemptisunt  passione.  »  Un  peu  plus  tard,  les  fidèles  jouirent 
de  ce  privilège.  Mais  il  y  eut  bientôt  des  abus.  Dès  lors,  un  concile 
de  Braga  défendit  cette  pratique.  Au  IX*  siècle,  un  évoque  d'Orléans  lit 
de  même,  mais  il  admettait  des  exceptions  :  «  Nemo  in  ecclesia  sepe- 
liatur,  nisi  forte  talis  sit  persona  sacerdotis  aut  cujuslibet  justi  hominis, 
qui  per  vit©  meritum  talem  vivendo  suo  corpori  defuncto  locum  acqui- 
sivit.  »  —  La  Sépulture  chrétienne  en  France,  par  Arthur  Murcier, 
p.  76,  77.  —  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  t.  II, 
p.  219  et  suivantes. 


—  41  — 

Dame  de  Confession  et  ses  quarante  compagnes  furent  déposées 
devant  l'autel  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie. 

Or,  cet  ensevelissement  à  part  auprès  de  Notre-Dame  de 
Confession,  à  l'endroit  le  plus  sacré  de  nos  cryptes,  à  côté 
des  reliques  des  plus  illustres  martyrs  ;  ce  pèlerinage  que  Ton 
fait  auprès  de  ces  restes?  ;  cette  vénération  que  Ton  a  pour  eux, 
est-ce  autre  chose  que  la  marque  et  le  signe  que  Ton  conserve 
pieusement  le  souvenir  du  trépas  héroïque  de  ces  saintes 
vierges  et  que  Ton  a  voulu  mettre  une  différence  entre  leur 
genre  de  mort  et  la  mort  simple  et  naturelle  des  autres  reli- 
gieuses ?  C'était  une  sorte  de  culte  qui  s'établissait.  Eusébie 
et  ses  compagnes  étaient  donc  honorées  et  déjà  saint  Ysarne 
disait  un  des  premiers,  au  fond  de  son  cœur  :  Bienheureuses 
filles  de  notre  père  Gassien,  priez  pour  nous  ! 


CHAPITRE  V 

Sainte  Eusébie  et  son  culte  immémorial 

(Suite) 


SAINTS  BU3BBIB  BT  SBS  COMPAGNES,  ENSEVELIES  SOUS  LB  PAVÉ  DBS 
CRYPTB8,  DU  VIII"  SIÈCLE  AU  XIV*  SIÈCLE.  —  CHARTE  SANS  DATE,  PAR. 
LANT  d'EUSÉBIE  ET  DE  SBS  COMPAGNE6.  —  LB  CULTE  EN  L' HONNEUR 
DBS  SAINTBS  MARTYRES  S'ACCENTUE  AU  XIV*  SIÈCLE.  —SAINTE  EUSÉ- 
BIE DAN8  UN  TOMBBAU  A  PART.  —  SBS  COMPAGNES ,  DEVANT  L'AUTEL 
DB  NOTRE-DAME  DB  CONFESSION.  —  ON  VISITE  CETTB  CHAPELLE.  — 
MONSEIGNEUR  DE  BELSUNCE  ÉTABLIT  LB  CULTB  PUBLIC  EN  L'HONNBUR 
DB  NOS  SAINTBS  MARTYRES. 


Combien  d'années,  ou  mieux  combien  de  siècles,  ces  restes 
précieux  demeurèrent-ils  en  cet  endroit,  honorés  par  les  visi- 
teurs des  cryptes,  mais  ne  recevant  point  encore  cependant 
de  la  généralité  des  fidèles  ces  marques  de  vénération  qui 
constituent  un  véritable  culte  public  ? 

Trois  ou  quatre  peut-être.  En  effet,  un  inventaire  des  reli- 
ques possédées  par  l'abbaye  de  Saint-Victor,  rédigé  en  1363, 
ne  fait  aucune  mention  de  nos  chères  saintes.  A  cette  époque, 
Urbain  V  avait  ordonné  de  restaurer  Saint-Victor.  Or,  au 
moment  de  détruire  le  maltre-autel  de  l'église  supérieure, 
pour  le  remplacer  par  celui  que  ce  Pape  devait  consacrer 
deux  ans  plus  tard,  on  ouvrit  une  grande  caisse  placée  sous 
cet  autel  et  dans  laquelle  plusieurs  corps  saints  étaient  ren- 
fermés. Le  procès -verbal  dressé  à  cette  occasion  énumère  les 
reliques  que  Ton  y  trouva.  Il  n'y  a  rien  d'Eusébie,  ni  de  ses 
compagnes  (1). 

Déplus,  à  l'occasion  de  la  consécration  de  l'autel  en  1365, 
on  avait  placé,  à  droite  et  à  gauche,  dans  l'église  supérieure, 

(1)  Recueil  de  chartes  de  Saint- Victor,  par  Dom  Lefournier,  t.  III,- 
archives  départementales. 


ST.  HUE    OCCUPEE    J 


—  43  - 

des  reliques  insignes  que  l'on  avait  tirées  des  cryptes.  Or,  pas 
un  mot  encore  de  sainte  Eusébie,  ni  de  ses  compagnes  (1). 
C'est,  à  notre  avis,  la  preuve  la  plus  certaine  que  rien  n'avait 
été  changé  à  l'état  dans  lequel  ces  reliques  se  trouvaient  vers 
Tan  1000,  à  l'époque  de  la  visite  de  saint  Ysarne.  Si  les  corps 
avaient  été  exposés  publiquement  dans  les  cryptes,  ou  placés 
dans  un  tombeau,  comme  Ta  été  le  corps  de  sainte  Eusébie 
plus  tard,  il  est  difficile  de  croire  qu'on  ne  les  eût  pas  exposés 
dans  la  grande  église,  ce  jour-là  (2).  Ils  se  trouvaient  donc 
encore,  très  probablement,  sous  le  pavé  de  la  chapelle  de  N.-  D. 
de  Confession. 

Quelques  années  après  la  mort  d'Urbain  V,  on  fit  certains 
changements  dans  les  cryptes.  On  toucha  aux  reliques  que 
Ton  y  gardait.  Dès  ce  moment,  nous  voyons  sainte  Eusébie 
ensevelie  dans  un  tombeau  à  part,  non  loin  de  ses  compagnes. 
En  effet,  une  charte  sans  date,  que  Dorn  Lefournier  a  transcrite 
d'un  vieux  manuscrit  sur  papier  soie,  atteste  que  a  le  corps 
de  l'abbesse  était  placé  dans  un  tombeau,  en  dehors  de  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession  et  tout  auprès  ;  et  les 
quarante  compagnes  'demeurèrent  ensevelies  devant  l'autel 
de  Notre-Dame  (3).  » 

Or,  quelle  est  bien  la  date  de  celte  charte  ?  Ce  n'est  guère 
que  d'une  manière  approximative  que  nous  pouvons  l'indi- 
quer. En  1376,  Marseille  étant  environnée  et  presque  assiégée 
par  de  nombreux  ennemis  et  l'abbaye  de  Saint- Victor  pouvant 
être  à  chaque  instant  pillée  et  saccagée,  les  religieux  du 
monastère  firent  porter,  le  10  mai,  dans  l'intérieur  de  la  ville, 
le  chef  de  saint  Victor  et  d'autres  reliquaires,  appartenant  à 

(l)  Recueil  de  chartes  de  Saint-Victor,  par  Dom  Lefournier,  t.  III.  — 
Livre  noir  des  archives  de  Saint -Victor,  t.  III,  p.  129. 

(2)11  y  eut,  exposées  à  la  vénération  des  fidèles  dans  l'église  supérieure, 
en  ces  circonstances  et  pendant  un  certain*  temps,  les  reliques  de  saint 
Agricol,  du  bienheureux  Marcel,  de  sainte  Archontanie,  de  saint  Ber- 
nard, abbé  et  câlinai,  de  saint  Mauront,  évoque  de  Marseille,  de  saint 
Hilarion,  de  saint  Yviffred,  les  corps  de  saint  Ysarne  et  de  deux  autres 
saints.  —  Chartes  de  Dom  Lefournier,  t.  III.  —  M.  l'abbé  Albanés, 
Entrée  solennelle  du  pape  Urbain  V  à  Marseille,  en  4365. 

(3)  Nous  donnons  cette  pièce  in-extenso  dans  :  Sainte  Eusébie  et  ses 
W  compagnes  martyres. 


—  44  - 

l'église  de  l'abbaye  (1).  Quelques  jours  après,  le  danger  ayant 
disparu,. tout  fut  rapporté  à  Saint-Victor. 

Quelles  sont  les  reliques  (2),  outre  le  chef  de  saint  Victor, 
que  Ton  s'empressa  de  mettre  à  l'abri  de  la  rapacité  des  enne- 
mis ?  Le  procès-verbal  dressé  par  les  religieux  ne  le  dit  pas. 
Ce  durent  être  les  plus  précieuses  sans  doute,  mais  certai- 
nement aussi  celles  que  4'on  pouvait  le  plus  commodément, 
le  plus  facilement  transporter.  Or,  il  y  avait,  atteste  l'inven- 
taire de  reliques  rédigé  en  1365,  dans  les  chapelles  latérales 
et  au  chevet  de  l'église  supérieure,  plusieurs  châsses  conte- 
nant les  corps  des  saints  les  plus  illustres,  entre  autres  de 
saint  Mauront,  de  saint  Ysarne,  de  saint  Dviffred,  de  saint  Ber- 
nard, etc. ,  etc.  Urbain  V  les  avait  fait  placer,  on  se  le  rappelle, 
en  ces  différents  endroits,  afin  de  satisfaire  la  piété  des  fidèles. 
Presque  certainement,  on  dut,  à  l'époque  critique  de  1376, 
transporter  ces  corps  saints  dans  la  ville. 

Mais,  le  danger  passé,  on  dut  les  descendre  dans  les  cryptes. 
En  effet,  un  autre  inventaire  fait,  en  1444,  mentionnant  les 
reliques  qui  sont  contenues  dans  une  grande  caisse,  placée 
sous  l'autel  de  l'église  supérieure,  ne  parle  nullement  des 
corps  saints,  jadis  placés  dans  les  chapelles  latérales  ou  au 
chevet  de  cette  église.  Ils  ne  s'y  trouvaient  donc  plus.  Or,  la 
charte  sans  date  qui  nous  occupe  les  désigne  comme  étant 
placés  dans  les  cryptes.  Ce  document  a  donc  été  probablement 
rédigé  entre  les  années  1376  et  1444. 


(1)  Ce  procès-verbal  se  trouve  dans  les  chartes  de  Dom  Lefournier, 
t.  III,  à  cette  date  de  1376.0a  y  parle  de  :  caput  sancti  Victoris  et  cœteri 
réliquœTii  sanctœ  Ecclesiœ  venerabilis  monasterii, 

€  En  1376,  tandis  que  la  Provence  était  dans  une  grande  confusion,  les 
Marseillais  firent  porter  dans  la  ville  le  chef  de  saint  Victor  et  les  ossements 
de  ses  compagnons  avec  les  autres  reliques  qu'on  conserve  dans  cette 
église  et  on  les  mit  en  dépôt  entre  les  mains  d'Antoine  Die udé*  et  de 
Guillaume  Vivaud,  gentilshommes  de  Marseille,  en  suite  d'une  délibéra- 
tion du  conseil  de  la  communauté,  qui  fut  tenu  pour  ce  sujet  dans  la 
salle  de  l'hôpital  du  Saint-Esprit,  le  10  mai  de  la  même  année;  mais  quel- 
ques jours  après  elles  furent  rapportées  en  procession  dans  le  monas- 
tère. »  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  122. 

(2)  Ruffl  parle  de  reliques.  Mais  le  procès-verbal  parle  de  reliquaires  : 
cœteri  religuœrii. 


-  45  — 

D'autre  part,  la  placQ  que  Dom  Lefoumier  assigne  à  ce  docu- 
ment, dans  son  recueil  manuscrit  de  chartes,  nous  fournit 
une  indication  plus  précise.  Il  le  fait  précéder  et  suivre  de 
deux  actes  de  1407.  Si  ce  n'est  point  là  l'indication  d'une 
date  certaine,  on  peut  y  apercevoir  cependant  l'opinion  de 
Dom  Lefoumier.  Ce  serait  donc  avant  1407,  qu'on  l'aurait 
rédigé. 

Quelques  mots  de  cette  charte  nous  permettent  de  préciser 
davantage.  Parlant  du  corps  d'Urbain  V,  qui  repose  dans  la 
grande  église  du  monastère,  le  rédacteur  de  cette  charte  écrit 
que  «  l'on  a  des  miracles  constatés  pour  la  canonisation  du 
saint  Pape  (1).»  Or,  la  première  démarche  pour  obtenir  la  cano- 
nisation d'Urbain  V  ayant  été  faite  par  Valdemar,  roi  de 
Danemark,  en  1375  (2);  le  procès  ayant  été  dressé  par  le  pos- 
tulateur  de  la  cause,  en  1382  (3)  ;  durant  cet  intervalle,  l'abbé 
de  Saint -Victor  et  ses  moines  ayant  demandé  de  vive  voix,  à 
Clément  VII,  résidant  à  Avignon,  d'accorder  cette  grâce  (4), 
cette  charte  doit  être  donc  de  1380  ou  de  1381. 

C'est  à  cette  époque,  croyons-nous,  qu'il  faudrait  fixer  le 
changement  dont  nous  avons  parlé  tantôt,  relatif  aux  restes 
d'Eusébie  et  de  ses  compagnes.  A  la  suite  du  remaniement  que 
l'ou  opéra  dans  les  cryptes  et  des  fouilles  que  Ton  y  fit,  on 
plaça  le  corps  d'Eusébie  dans  le  tombeau  qu'il  a  occupé  jus- 
qu'à la  Révolution,  et  l'on  laissa  sous  le  pavé  delà  chapelle, 
au  pied  de  l'autel  de  Notre-Dame  de  Confession,  les  restes  des 
40  compagnes. 

(i)  De  quo  habemus  multa  miracula  ad  canonisât ione m.  Chartes 
recueillies  par  Lefoumier,  t.  III. 

(%)  Abrégé  de  la  vie  et  des  miracles  du  bienheureux  Urbain  V, 
par  l'abbé  Albanés,  p.  189. 

(3)  L'abbé  Albanés,  op.  cit.,  p.  192. 

(4)  L'abbé  Albanés,  op.  cit.,  p.  191 .—  Recueil  de  chartes  de  saint  Victor 
par  Dom  Lefoumier, t. III,  supplique  faite  à  Clément  VII,  par  l'abbé  et  les 
religieux  du  monastère  de  Saint- Victor,  ut  Papa  Urbanus  V  adscriba- 
tur  in  catalogo  sanctorum.  —  Le  8  juillet  1381,  le  conseil  de  la  cité  de 
Jfarseille  présente  aussi  une  requête  au  Pape  et  aux  cardinaux  ad 
petendam,  prosequendam  et  obtinendam  canonisationem  sanctœ  me- 
rnoriœ  Urbani  Papœ  V;  recueil  de  chartes  par  Lefoumier»  t.  III,—  His- 
toire d'Urbain  V  et  de  son  siècle,  par  l'abbé  Magnan,  p.  479. 


—  46  — 

Une  preuve,  c'est  qu'à  partir  de  ce  moment  sainte  Eusébie 
est  nommée  dans  les  chartes.  On  ne  la  confond  plus  avec  ses 
compagnes.  La  sainte  abbesse  et  ses  religieuses  ne  sont  plus 
désignées  par  l'expression  vague  et  confuse  de  turba  sacrarum 
virginum.  Mais  cinquante  ans  à  peine  plus  tard,  en  1431,  on  lira 
dans  les  chartes  :  sainte  Eusébie  et  les  40  vierges,  ses  compa- 
gnes :  sancta  Eusebia  et  XL  aliis  virginibus  et  martyr i- 
bus  (1). 

Y  a-t-il  eu  un  procès- verbal  de  cette  translation?  Nous  ne 
saurions  rien  dire  de  certain  à  ce  sujet.  Dans  tous  les  cas,  cette 
charte  sans  date,  copiée  sur  un  manuscrit  papier  soie,  pourrait 
fort  bien  être  un  débris,  un  extrait  de  ce  procès-verbal  (2). 

Quel  signe  a  pu  faire  distinguer  les  reliques  d'Eusébie  de 
celles  de  ses  compagnes?  Rien  de  certain  encore.  Mais  il  y  a 
l'inscription  d'Eusébie!  Qui  assurera  qu'on  ne  Ta  pas  trouvée 
à  ce  moment  sur  le  corps  de  cette  chère  sainte  ?  Il  est  de  fait, 
d'une  part,  que  jusqu'à  cette  époque  nul  historien,  croyons 
nous,  na  parlé  d'une  inscription  d'Eusébie;  d'autre  part, 
sûrement  cette  inscription  n'a  pas  été  gravée  au  XV*  siècle.  Il 
est  de  fait  encore,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  jusqu'à  ce 
moment  jamais  on  n'a  désigné  nommément  sainte  Eusébie. 
On  la  confond  avec  ses  compagnes  martyres,  la  troupe  des 
vierges  sacrées.  Mais  à  partir  du  XV*  siècle,  Eusébie  apparaît 
distincte  de  ses  compagnes.  On  l'appelle  par  son  nom.  Or,  qui  a 
fait  connaître  ce  nom?  Nous  disons,  nous,  que  c'est  l'inscrip- 
tion. Que  l'on  indique  un  autre  document  !  ! 

D'ailleurs,  voici  ce  que  dit  cette  charte  :  a  Dans  l'église  infé- 
rieure il  y  a  une  chapelle  sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de 
Confession,  elle  est  entourée  d'une  grille  en  fer.  Sous  l'image 

(1)  Charte  de  1431 . —  Chartes  recueillies  par  Lefournier,  t.  III,  Mdifi- 
catis,  etc. 

(2)  Ce  procès-verbal  a  pu  être  égaré  dans  les  deux  circonstances  que 
mentionne  Ruffi,  dans  son  Histoire  de  Marseille.  En  1423  et  1441,  sous 
prétexte  que  les  Aragonais  menaçaient  Marseille,  des  gens  de  cette  ville 
pénétrèrent  à  Saint-Victor,  enlevèrent  des  reliques,  des  joyaux,  des  livres, 
des  ornements,  les  portèrent  de  côté  et  d'autre  et  ne  voulurent  plus  les 
rendre.  Il  fallut  procès  sur  procès  pour  les  y  forcer.  C'étaient  là,  on  peut 
le  dire,  de  fâcheux  amis  :  oneroai  amici.  Ruffi,  Histoire  de  Marseille, 
t.  II,  p.  122. 


—  47  - 

de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  reposent  les  restes  des  trois 
soldats  qui  furent  les  compagnons  de  saint  Victor  et  martyrs 
avtc  lui:  Félicien,  Alexandre  et  Longin.  Devant  l'autel  de 
la  Vierge  Marie  se  trouvent  les  quarante  religieuses  martyres. 
Par  respect  pour  elles,  les  femmes  n'entrent  point  dans  cette 
chapelle.  Si  elles  en  franchissaient  le  seuil,  elles  perdraient 
la  vue.  L'abbesse  de  ces  quarante  religieuses  a  été  placée 
auprès,  mais  au  dehors  de  la  chapelle,  et  cette  abbesse  s'appe- 
lait Eusébie  (1).  »  Si  jusqu'à  la  fin  du  XIV  siècle  aucun  docu- 
ment ne  pouvait  fournir  une  trace  bien  certaine  et  bien  pro- 
bante du  culte  public  en  l'honneur  de  notre  chère  sainte,  à  la 
date  de  la  rédaction  de  cette  charte  toute  difficulté  s'évanouit. 
Le  culte  est  ici  bien  établi  et  bien  marqué. 

C'était  d'abord  une  chose  fréquente,  que  par  respect  pour 
certains  oratoires  il  ne  fût  pas  permis  d'y  pénétrer.  À  l'oratoire 
de  Saint-Sauveur,  à  Aix  (2)  ;  à  la  crypte  de  Sainte- Marie-Mag- 
deleine,  à  Saint-Maxiuiin  ;  à  Rome,  pour  la  chapelle  de  Saint- 
Jean,  dans  le  baptistère  de  Latran  (3),  cette  prohibition  existait 


(l)c  Estqusedamcapella  quse  d  ici  tu  r  cape  lia  B.  Mari»  de  Confessione  et 

eircuiturferro Sub  imagine  B.  Mariée,  jacent  très  milites  qui  fuerunt 

socii  Victoris  et  martyres  eu  m  eo,  Felicianus,  Alexander  et  Longinus,  et 
antealtare  B  Virgin is  jacent  quadragin ta  moniales  martyres.....  Reve- 
rentîam  illarum  mulieres  non  intrant  dictam  capeilam,  et  si  intrant 
amittant  visu  m,  et  abbatissa  illarum  jacet  juxta,  extra  capeilam  etdici- 
tur  Eusebia  ...  i  —  Recueil  de  chartes,  par  Dom  Lefoumier,  t.  III. 

L'abbé  Marchetti  connaissait  ce  texte,  car  il  écrit  au  sujet  des  fem- 
mes qui  par  respect  n'entrent  pas  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de 
Confession,  qu'elles  agissent  ainsi  <  de  peur  que  la  témérité  de  cette  irré- 
vérence ne  soit  punie  de  l'aveuglement  dont  la  tradition  de  cette  abbaye 
assure  que  Dieu  châtia  celle  d'une  princesse  qui  perdit  la  vue  pour  avoir 
été  si  hardie  que  d'y  entrer.  •—  Explication  des  usages  et  coutumes  des 
Marseillais,  p.  191. 

(2)  Les  Trois  Romes,  par  Mgr  Gaume,  t.  I,  p.  278. 

(3)  L'oratoire  de  Saint-Sauveur,  à  Àix,  appelé  la  sainte  chapelle,  fut 
bâti  suivant  la  tradition  par  saint  Maximin,  premier  évoque  de  cette  ville. 
Pitton,  l'annaliste  de  la  sainte  Eglise  d'Aix,  écrit  que  les  femmes,  par 
respect  n'osent  entrer.  Les  actes  des  délibérations  du  chapitre  d'Aix,  de 
l'année  1581,  disent:  «  In  parvam  capeilam  Sancti  Salvatoris  nunquam 
mulieres  ingrediuntur  propter  loci  sanctitatem  et  venerationem.»  Paillon, 
Documents  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Magdeleine,  1. 1,  p.  503.  — 
Pitton,    Annales  de  la  Sainte  Eglise  d'Aix,  pp.  4,  114.  —  L'ancienne 


—  48  - 

pour  les  femmes.  Il  en  était  de  même  à  Saint- Victor  pour  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  où  se  trouvaient  ense- 
velies les  compagnes  d'Eusébie  (1)  Preuve  évidente  de  la  véné- 
ration publique  que  Ton  avait  pour  ce  lieu  béni.  Qu'il  fût 
défendu  en  outre  aux  femmes  de  franchir  le  seuil  de  Cette 
chapelle,  preuve  évidente  encore  que  les  foules  venaient  la 
visiter,  y  prier  les  vierges  héroïques  qui  y  reposaient.  Or,  un 
des  détails  qui  constituent  le  culte  public  rendu  à  un  saint, 
c'est  le  concours  des  fidèles  auprès  du  tombeau  ou  des  reliques 
de  ce  saint.  Donc,  le  culte  était  établi  en  l'honneur  de  nos 
saintes  martyres. 

On  alléguera  que  la  vénération  des  fidèles  s'adressait  non 
pas  aux  reliques  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  mais 
seulement  au  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Confession.  C'est, 
en  effet,  ce  qu'ont  pensé  beaucoup  d'auteurs  et  anciens  et  mo- 
dernes. Mabillon,  dans  les  Acta  sanctorum  ordinis  sancti 
Benedicli  et  dans  les  Annales  ordinis  sancti  Benedicti  dit 
de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession  :  «  que  l'entrée 
en  était  interdite  aux  femmes  (2)  ».  La.  Notice  sur  les  monu- 
ments de  Saint-Victor  affirme  que  les  personnes  du  sexe  ne 
peuvent  y  entrer,  et  l'auteur  de  cet  ouvrage  cite  l'usage  de 
l'église  de  Saint-Pierre  de  Rome,  d'après  lequel  les  femmes 
ne  peuvent  pénétrer  dans  l'église  inférieure  qu'à  certaines 
fêtes  (3).  L'Essai  historique  et  archéologique  sur  V abbaye 
de  Saint-  Victor  (4),  mentionne  la  même  coutume.'  Marchetti 

Vie  de  Sainte-Marie-Magdeleine  dit  :  «  Femina  enim  nulla  unquam 
temeritatis  audacia  in  illud  sanctissimum  templum  ingredi  praesump- 
sit. . .  •  Paillon,  ut  supra,  1. 1,  col.  419,  423  ;  t.  II,  col.  436. 

(1)  a  Ce  sanctuaire,qui  est  réputé  le  premier  et  le  plus  ancien  de  Mar- 
seille, est  pour  cela  en  si  grande  vénération,  que  les  femmes,  à  qui  l'ac- 
cès de  nos  autels  a  été  de  tout  temps  interdit,  s'abstiennent  encore  d'y 
entrer  et  s'en  éloignent  par  révérence.»  Marchetti,  Explication  des  usa- 
ges  et  coutumes  des  Marseillais,  p.  191. 

(2)  «  In  eo  sacello  R.  Maria?  de  Confessione,  cujus  aditus  mulieribus 
interdictus.  »  Mabillon,  Annales,  O.  S.  B.,  t.  II,  p.  90.  —  Acta  sanct, 
O.  S.  B.,  t.  IV,  p.  487. 

(3)  Notice  des  monuments  conservés  dans  V église  noble,  insigne  et 
collégiale  de  l'abbaye  de  Saint-Victor  de  Marseille,  p.  14. 

(4)  Essai  historique  et  archéologique  sur  V abbaye  de  Saint- Victor 
lez  Marseille,  par  E.  B. . .,  p.  24. 


—  49  — 

écrit:  *  Ce  sanctuaire,  qui  est  réputé  le  premier  et  le  plus 
ancien  de  Marseille,  est  pour  cela  en  si  grande  vénération  que 
les  femmes,  à  qui  l'accès  de  nos  autels  a  été  de  tout  temps 
interdit,  s'abstiennent  encore  d'y  entrer  et  s'en  éloignent  par 
révérence  (1)  ».  Ruffl,  Kothen  et  M.  l'abbé  Magnan  (2) 
affirment  à  leur  tour  que  l'entrée  du  sanctuaire  de  Notre- 
Dame  de  Confession  était  interdite  aux  femmes.  Suivant  donc 
ces  auteurs,  la  vénération  des  fidèles  et  la  crainte  qu'ils  ont 
de  pénétrer  dans  ce  sanctuaire  provenaient  du  respect  que 
l'on  avait  pour  la  Sainte  Vierge  et  non  pas  celui  que  Ton  pro- 
fessait pour  les  restes  des  saintes  compagnes  d'Eusébie. 

Guesnay  cependant  donne  une  variante.  Parlant  de  la  cha- 
pelle de  Notre-Dame,  il  dit  qu'elle  est  célèbre  «  soit  à  cause 
de  la  belle  image  de  la  bienheureuse  Vierge,  soit  à  cause  des 
trente-neuf  compagnes  d'Eusébie,  qui  y  sont  ensevelies  t,  et  il 
ajoute  :  «  C'est  à  cause  de  cela  que  les  jeunes  filles  et  les  fem- 
mes ne  peuvent  franchir  le  seuil  de  ce  sanctuaire  (3).  » 

D'après  cet  auteur  donc  l'entrée  de  la  chapelle  serait  inter- 
dite non  pas  seulement  par  respect  pour  Notre-Dame,  mais 
aussi  par  vénération  pour  les  saintes  martyres.  Or,  nous 
croyons  que  Guesnay  est  davantage  dans  la  vérité  que  la  plu- 
part des  auteurs.  Voici,  en  effet,  ce  que  dit  la  charte  citée  plus 
haut  :  «  C'est  à  cause  du  respect  que  l'on  a  pour  ces  martyres 
que  les  femmes  n'entrent  pas  dans  cette  chapelle  (4)  ». 

(1)  Marchetti,  Explication  des  usages  et  coutumes  des  Marseil- 
lais, p.  19J. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  130  :  t  Le  tombeau  des 
quarante  religieuses  qui  se  coupèrent  le  nez  à  l'exemple  d'Eusébie,  est 
dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Goniession  où  les  femmes  n'osent 
pénétrer  de  peur  de  perdre  la  vue.  »  —  L'abbé  Magnan,  Saint-Victor  de 
Marseille,  ses  origines,  etc.,  etc.,  p.  22.  —  Kothen,  Notice  sur  les 
cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-ïex-MarseUle,  p.  47. 

(3)  c  E  regione  autem  illius  speluncœ  amplius  quoddam  et  paten- 
tas sacellum  cui  nomen  B.  Virginia  a  Confessione,  summà  fréquen- 
te celebratum,  tum  ob  elegantem  B.  Yirginis  propositam  in  eo  effi- 
giem,  tum  quia  in  eo  novem  et  triginta  dicatarum  Deo  virginum,  a 
Sarraeenis  Vandalisque  interfectarum,  corpora  sepulta  sunt,  eôque  lit  ut 
pnellse  cseterseque  mulierculae  ab  illius  aditu  etiamnum  hodie  ut  et  a 
majoribus  religiose  observatum  vidimus,  prohibeantur.  »  Cassianus 
illvstratus,  par  Guesnay,  p.  474. 

(4)  Charte  sans  date,  citée  plus  haut. 

4 


—  50  — 

On  a  de  la  dévotion,  du  respect  pour  ces  saintes  martyres, 
donc  elles  ne  sont  pas  inconnues;  on  vient  visiter  leur  tom- 
beau, on  les  prie,  donc  le  culte  en  leur  honneur  est  établi  au 
XIV-  siècle. 

Aussi,  dès  cetle  époque  de  l'histoire,  il  est  facile  de  suivre 
pas  à  pas  le  progrès  et  l'extension  de  ce  culte.'  On  aime  à  se 
confier  à  la  protection  des  saintes  martyres.  On  se  fait  une 
gloire  et  une  consolation  de  dormir  son  dernier  sommeil  dans 
les  champs  qui  avoisinent  leur  tombe.  C'est  un  honneur  que 
l'on  n'accorde  pas  à  tous.  Seuls  les  membres  de  la  confrérie  de 
Notre-Dame  de  Confession  jouissent  de  ce  privilège  (1).  Quand 
on  veut  célébrer  la  gloire  de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  on  rap- 
pelle à  tous  que  les  corps  de  tant  de  saints  illustres  y  reposent 
et  notamment  ceux  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante 
compagnes.  Les  deux  chartes  de  1431  et  de  1446  sont  la 
preuve  de  ce  que  nous  avançons  (2).  Au  XV"-  siècle  donc  on 
honore,  on  vénère,  on  prie  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes. 

Bétail  singulier  cependant,  que  des  auteurs  et  surtout 
M.  de  Rey  ont  noté  (3),  les  enfants  de  Saint-Cassien  et  les 
moines  de  Saint-Victor,  leurs  successeurs,  qui  devaient  consi- 
dérer comme  leur  appartenant  toutes  les  gloires  de  l'ordre  de 
Cassien,  ne  faisaient  pas  l'office  de  ces  glorieuses  martyres  et 

(1)  lis  demandent  que  pour  encourager  cet  élan  (l'établissement  de 
cette  confrérie  de  Notre-Dame  de  Confession)  une  place  particulière  soit 
assignée  dans  le  cimetière  du  monastère  pour  la  sépulture  des  confrères 
et  qu'il  soient  rendus  participants  à  toutes  les  bonnes  œuvres  des  moines. 
L'abbé  de  Saint-Victor,  Pierre  Dulac,  leur  accorda  ce  privilège' par  un 
acte  qui  existe  encore,  daté  du  5  mai  1446.  On  lit  dans  cette  charte  que 
Kothen  a  publiée  en  appendice  dans  sa  Notice  sur  les  crypte  $  :  c  Uni- 
versarum  gratiarum  et  meritorum  quas  et  que  S.  Victor  et  socii  ejus 
S.  Adrianus  cum  sociis  suis,  Mauricius.  Innocentius  et  socii  eorum,  Gri- 
santus  et  Daria,  Eusebia  cum  quadraginta  aliis  virginibus  et  martyri- 
bust  Petrus  et  Marcellinus...  S.  Gassianus,  Maurontus,  Ylarianus,  Ysarnus, 
Hugo.  Bernardus  et  Siffredus  presules  et  Gbristi  confessores  et  SS.  Inno- 
centes ac  XI  millia  virgines,  quorum  et  quarum  corporum  magnus  nu- 
méros in  monasterio  hujusmodi  in  pace  in  Ghristo  requiescunt,  et  alii 
martyres,  episcopi  et  confessores  ac  virgines  in  ecclesià  memorati  monas- 
teriiin. Ghristo  requiescentes,  innocentià  vit».. .  acquivisse  et  promenasse 
noscuntur. ..  » 

(2)  Nous  donnerons  en  Appendice  cette  charte  de  1431. 

(3)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  238. 


—  51  — 

ne  plaçaient  pas  leurs  reliques  sur  les  autels.  Nous  Ta  vous 
déjà  dit,  l'inventaire  des  reliques  fait  en  1444,  à  Saint-Victor, 
celui  qui  fut  dressé  en  1365,  celui  de  1363,  ne  font  aucune 
mention  des  dépouilles  de  nos  saintes  marseillaises.  On  a  retiré 
des  Cryptes  vers  1365  plusieurs  restes  insignes  de  saint  Cas- 
sien,  de  saint  Ysarne,  de  saint  Bernard,  etc.,  pour  les  placer 
dans  l'église  supérieure.  Jamais  il  ne  s'agit  des  ossements 
d'Eusébie  et  de  ses  compagnes.  Un  bréviaire  de  1497,  qui  appar- 
tenait à  Saint-Victor,  ne  fait  mémoire  de  nos  saintes  ni  dans 
l'office,  ni  dans  les  litanies,  ni  dans  le  propre  de  l'abbaye  (1). 
Les  Bollandistes  attestent  que  dans  aucun  martyrologe  tant 
ancien  que  nouveau,  il  n'est  parlé  de  sainte  Eusébie  et  de  ses 
quarante  compagnes  (2).  Arthur  de  Monestier  seul  fait  exception 
dans  le  Sacrum  Gynœcœum  (3).  Bien  plus,  parmi  les  auteurs 
qui  en  parlent,  beaucoup  ne  les  appellent  pas  Saintes.  Et  cepen- 
dant on  les  honore,  on  les  vénère  à  Saint-Victor  !  Explique 
qui  pourra  cette  étrange  anomalie. 

Quand  on  sait  cependant  que  saint  Mauront  n'avait  pas,  lui 
aussi,  d'office  propre  à  Marseille,  dont  il  a  été  évoque,  et  que 
Ton  ne  connaissait  presque  rien  de  sa  vie  (4),  on  devine  que 

(1)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  M.  de  Rey,  p.  141. 

(2)  t. . .  Certé  ego  nullam  eorum  apud  martyrologos  memoriam  reperi, 
excepta  Artburo,  sed  silentibus  omnibus  este  ris  martyrologis  tam  antiquis 
quam  recentioribus,  scriptoribus  intérim  aliis  qui  de  eisdem  honorifici 
meminerint,  antiquum  earum  sacrum  cultum  non  asserentibus  aut  certô 
non  probantlbus,  quin  etiam  eorumden  aliquibus  nec  sanctarum  nec 
beatarum  titulo  illas  honorantibus. . .  »  Acta  sanct.  —  Bolland  ,  Vita 
Sanctœ  Eusebiœ,  14oct.,  p.  282. 

(3)  Sacrum  gynœceum  ab  Arturo  de  Monasterio  ad  diem  30  dec.  : 
c  Apud  Veaunense  monasteriumdiœcesismassiliensis,  passio  sanctarum 
Eusebiae  et  sociarum  sanctimonialium  virginum,  quae  mira  constantià 
pro  tuitione  castitatis  et  ftdei  decertantes,  martyrii  palmam  reportarunt.  » 

(4)  «  Dans  nos  anciens  bréviaires  il  n'y  a  point  de  leçons  propres  pour 
l'office  de  saint  Mauront,  et  dans  l'hymne  il  n'est  rapporté  aucun  fait  de 
ta  vie.  Les  leçons  qu'on  cite  à  présent  le  jour  de  sa  fête,  sont  extrême- 
ment récentes  ......    Antiquité  de  VEglise  de  Marseille,  par  M*'  de 

Belsunce,  t.  I,  p.  300. 

«  Le  sanctoral  de  l'abbaye  de  Saint  Victor  est  muet  et  se  borne  à  louer 
d'une  façon  générale  sa  chasteté,  son  esprit  de  mortification,  la  douceur 
de  son  caractère  et  son  application  à  l'administration  de  son  service.  » 
—  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  253. 


-  52  — 

si  on  n'a  pas  fait  l'office  de  nos  yierge3  cassianites,  c'est  que 
l'on  ne  savait  rien  de  certain  sur  elles  et  que  seule  la  tradition 
rapportait  le  genre  de  leur  martyre. 

Il  faut  arriver  au  XVII-siècle  pour  que  ce  culte  se  réveille 
et  se  pare  de  quelque  splendeur.  D'abord  c'est  Arthur  de  Mones- 
tier,  nous  l'avons  dit,  qui  insère  dans  le  martyrologe  ce  que 
la  tradition  rapporte.  Puis  c'est  Mabillon,  qui  raconte  le  genre, 
l'époque  de  leur  martyre  et  fait  connaître  le  lieu  de  leur 
sépulture.  Guesnay  atteste  à  son  tour  que  de  son  temps  on 
les  appelle  martyres,  bienheureuses,  saintes  (1).  Ainsi  le  culte 
en  leur  honneur  grandit  et  s'implante:  Enfin,  arrive  M"  de 
Belsunce  qui  répare  l'oubli  des  siècles.  Il  compose  lui- 
même  la  Légende  (2),  y  insère  la  tradition  et  par  un  décret 
du  27  mai  1733  institue  une  fête  et  ordonne  la  récitation  de 
l'office  en  leur  honneur.  Alors  et  depuis,  avec  la  sainte  Eglise, 
nous  pouvons  dire  :  sainte  Eusébie,  et  vous  ses  compagnes, 
priez  pour  nous II.. . 

Une  conclusion  se  dégage  des  deux  précédents  chapitres. 
Si,  de  tout  temps,  sainte  Eusébie  a  été  honorée  d'un  culte  plus 
ou  moins  extérieur  et  public,  le  martyre  de  notre  sainte  n'est 
donc  pas  une  pure  légende.  Quelques  historiens  de  Marseille 
l'ont  pensé.  11  est  vrai  qu'ils  se  sont  contentés  de  récrire,  sans 
jamais  s'occuper  de  fournir  la  moindre  preuve  à  l'appui.  Il  en 
est  même  qui  ont  affirmé  le  contraire  le  lendemain  (3).  La  vie 

(1)  Guesnay  à  plusieurs  reprises  dans  son  Cassianus  illustratus,  les 
appelle  saintes  martyres,  page  475  :  «  ...  Àd  hujus  sacelli  dexteram, 
marmoreum  sepulcrum  constitutum  est  in  eoque Sanctœ  Eusebiae...  ossa 
condita. ..  Hae  autem..  mortem  quam  virginitatem  Deo  dicatam  dépé- 
ri re  sibi  maluerunt  . .»  —  Ibidem,  p.  725  :  Sepulchrum . . .  in  quo  sanc- 
tissimarum  virginum  et  martyoïm  lipsana...»—  Page  510  :  «  Quse  fortiter 
dato  capite  ad  duplicatum  virginitatiset  martyrii  praemium  evolarunt.  * 
—  Page  725  :  «  Sancta  Eusebia  virgo  et  martyr...  cœnobium  de  Yvelino 
vixit  aliquot  annos...  Gum  Eusebia,  Deo  sacrât»  virgines  39,  receptis 
repentin»  Victoria?  palmis,  militiae  cœlestis  cuneos  suà  accessione  amplia- 
runt.  Sacra  martyrum  exuviae ...» 

(2)  Acta  sanct.  —  Bolland.,  Vit  a  Sanctœ  Eusebiœ, .  oct.  U,  p.  292. 
M"  de  Belsunce  fixa  la  fête  de  sainte  Eusébie  au  deuxième  dimanche 
d'octobre  :  c  Quod  illan  nullum  certum  suo  cultui  sacrum  diem  habe- 
rent  »,  ajoutent  les  Bollandistes. 

(3)  M.  Mortreuil  traite  d'une  manière  assez  irrévérencieuse  le  fait  des 


—  53  — 

et  la  mort  de  notre  héroïne  sont  entourées  d'obscurités,  c'est 
vrai,  mais  la  foi  du  peuple  ne  s'embarrasse  pas  de  ces  obstacles. 
Elle  perce  ces  ténèbres  pour  aller  droit  au  but.  Et  n'ayons 
crainte,  le  peuple  chrétien  sait  bien  à  qui  il  porte  ses  prières. 
En  définitive  c'est  le  souffle  du  Saint-Esprit  qui  le  pousse  et  le 
conduit 

Lorsque  au  printemps  nous  voyons  une  rose,  fraîchement 
épanouie,  charmer  nos  regards  par  les  brillantes  couleurs  de 
sa  corolle  embaumée,  nous  disons  :  C'est  le  rosier  qui  a  produit 
cette  rose  1  A  l'heure  actuelle  nous  vénérons  sur  les  autels,  à 
Marseille,  la  sainte  abbesse  Eusébie,  et  Ton  respire,  à  la  prier, 
je  ne  sais  quel  parfum  délicieux  de  rose  et  de  lis.  Sachons-le 
bien,  nous  possédons  la  Rose,  sûrement  nos  pères  avaient  vu 
le  Rosier  !  ! 


Desnazzadas.  «  C'est  une  pieuse  légende  commune  à  plusieurs  établisse- 
ments monastiques,  et  la  date  n'en  est  rien  moins  que  certaine.  »  (Mortreuil, 
Réponse  aux  observations  de  M.  Augustin  Fabre  sur  l'ancienne 
bibiliothèque  de  Saint-Victor,  p.  6.) 

Pour  Achard  l'historiographe,  cité  par  M.  Saurel,  Banlieue  de  Mar- 
seille, p.  154,  et  Meynier,  cité  aussi  par  Saurel,  dans  le  môme  ouvrage,  ce 
n'est  qu'une  vieille  légende,  dont  le  fait  n'est  pas  prouvé  et  probable* 
ment  emprunté  à  un  épisode  analogue  arrivé  à  Saint  Jean-d'Acre,  et  qui 
d'ailleurs  semble  être  un  moyen  assez  violent  de  se  défendre  contre  les 
barbares. 

Augustin  Fabre  ne  l'accepte  que  comme  légende,  dans  les  Rues  de 
Marseille,  t,  1  p.  280.  Mais,  dans  Observations  sur  la  dissertation  de 
M.  Mortreuil,  p.  4,  il  l'appelle  :  «  un  sacrifice  touchant  et  sublime  »  et 
le  tient  pour  vrai. 


4. 


CHAPITRE  VI 

Sainte  Eusébie,   ses  compagnes  martyres 

et  leurs   reliques 

JUSQU'A  LA  RÉVOLUTION,  LB  CORPS  DE  8AINTE  EUSÉBIE  ÉTAIT  ENSE- 
VELI DANS  UN  TOMBEAU  A  PART.  — A  CETTE  ÉPOQUE  SES  RELIQUES 
ONT  PU  ÊTRE  PROFANÉES.  —  JUSQU'A  LA  RÉVOLUTION,  LES  RBLI-, 
QUBS  DES  SAINTES  COMPAGNES  D'EUSÉBIE  ONT  ÉTÉ  SOUS  LE  PAVÉ, 
DEVANT  L'AUTEL  DE  NOTRE-DAME  DE  CONFESSION.  —ELLES  T  SONT 
ENCORE. 

La  question  du  culte  en  l'honneur  de  sainte  Eusébie  et  de 
ses  compagnes  étant  réglée,  il  est  intéressant  pour  nous  de 
savoir  ce  que  sont  devenues  leurs  reliques. 

Relativement  à  sainte  Eusébie,  nous  l'avons  vu,  une  charte 
du  XIV-  siècle  affirme  que  ses  ossements  béni?  se  trouvaient 
dans  un  tombeau  (actuellement  au  Musée  du  Château-Borély)*, 
placé  dans  les  cryptes,  à  droite  de  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Confession,  à  l'extrémité  du. passage  étroit  qui  conduit  au- 
delà  de  cette  chapelle.  De  fait,  jusqu'à  l'époque  de  la  Révo- 
lution, c'est  là  que  Ton  voyait  ces  reliques  vénérables. 

Tous  les  auteurs  postérieurs  au  XIV-  siècle  qui  ont  parlé  de 
notre  sainte,  ont  placé  son  tombeau  à  ce  même  endroit,  en 
donnant  des  indications  plus  ou  moins  détaillées.  Chifflet  place 
le  corps  d'Eusébie  dans  la  chapelle  de  l'église  inférieure,  dans 
les  cryptes  (1).  Guesnay  dit  qu'à  la  suite  de  cette  chapelle  se 
trouvait  un  tombeau  de  marbre,  dans  lequel  étaient  placées  les 
reliques  de  sainte  Eusébie,  jadis  abbesse  de  trente-neuf  com- 
pagnes (2).  Mabillon,  parle  du  tombeau  sur  lequel  on  voyait 

(1)  Chifflet,  Veauntio  ci  vit  as  imper ialis,p.  I99etsniv.:  «...  Quarum 
corpora  aliquo  post  tempore  disquisita,  in  monasterium  Sancti  Victoris 
translata  su nt  et  in  sacello  ecclesiœ  inferiorisreposita...» 

(2)  «  Ad  hujus  sacelli  dexteram  marmoreura  sepulcrum  eonstitutum 
est,  in  eoque  sanctae  Eusebise  eammdem  novem  et  triginta  monalium 
quodam  abbatissa?,  ossa  condita. . .  »  Cassianns  illustratua,  p.  475. 


—  55  — 

une  image  de  notre  sainte,  le  visage  et  le  nez  mutilés  (1). 
Arthur  de  Monestjer  citeGuesnay.  Agneau  écrit  :  «  En  sortant 
de  la  chappelle  (Sainte-MagdeleineJ  on  voit  un  tombeau  en 
marbre  blanc  qui  renferme  les  reliques  de  sainte  Eusébie,  ab- 
besse  des  religieuses  Cassianites  (2).  »  M"  de  Belsunce  affirme 
que  «  les  corps  de  ces  martyres  furent  transportés  à  l'abbaye  de 
Saint- Victor,  où  ils  sont  encore  au  jourd'hui,  dans  l'église  sou- 
terraine. Celui  de  sainte  Eusébie  est  dans  un  tombeau  de  mar- 
bre quarré-long,  et  enchâssé  dans  une  espèce  de  niche.  »  La 
Notice  sur  les  Cryptes,  de  Kothen,  précise  l'endroit  de  la 
sépulture  :  «  A  l'extrémité  du  passage  (derrière  la  chapelle  de 
Notre-Dame)  se  trouve,  dans  un  mur,  un  emplacement  de  tom- 
beau arqué  qui  contenait  les  restes  de  sainte  Eusébie  (3)  ». 
M.  le  chanoine  Magnan  dit  de  même  que  «  le  premier  arcoso- 
Hum  (derrière  l'autel  de  Notre-Dame)  est  celui  où  se  trouvait 
autrefois  le  tombeau  de  sainte  Eusébie  (4).»  M.  de  Rey  :  a  Les 
reliques  de  sainte  Eusébie  furent  enfermées  dans  une  tombe 
de  marbre  que  l'on  plaça  dans  l'épaisseur  de  la  muraille,  à 
côté  de  la  grotte'de  sainte  Magdeleine  (5).  » 

Ainsi,  pendant  trois  cents  ans,  sainte  Eusébie  a  reposé  dans 
ce  tombeau  à  part,  à  côté  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de 
Confession. 

Et  aujourd'hui,  où  se  trouvent  ces  restes  précieux  ?  On  est 
d'accord  à  dire  qu'à  l'époque  de  la  Révolution  tout  fut  détruit, 
brûlé  et  dispersé.  Cela  est  fort  probable,  à  moins  que  quelque 
main  pieuse  ait  pu  dérober  le  corps  aux  barbares  modernes, 
et  l'ait  placé  dans  un  recoin  ignoré  des  cryptes  ou  ailleurs. 
Mais  il  n'y  a  guère  lieu  de  l!espérer. 

Quant  aux  reliques  des  quarante  compagnes  d'Eusébie,  les 


(1)  t  Exstat  in  monasterio  Sancti  Victoris  Eusebise  tumulus,  cui  impo- 
rta est  ejusdem  heroinse  effigies,  dimidia  facie  et  naso  mutila,  cum  hoc 
epitaphio...  »   Annales  ordinis Sancti  Benedicti,  t.  II,  p.  96. 

(2)  Agneau,  Calendrier  spirituel  du  Diocèse  de  Marseille,  en  /75P, 
p.  381. 

(3)  Notice  sur  les  Cryptes  de  l'abbaye  de  SainUVictor-lez-Marseille, 
p.  54. 

(4)  Saint- Victor  de  Marseille,  par  l'abbé  Magnan,  p.  22. 

(5)  Les  Saint 8  de  l'Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  235. 


—  56  — 

auteurs  ne  sont  pas  d'accord  pour  désigner  l'endroit  précis 
où  elles  ont  été  déposées. 

Du  temps  de  saint  Ysarne,  nous  l'avons  prouvé,  elles  étaient 
à  part,  seorsum,  et  cet  endroit  à  part,  c'est  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Confession.  Elles  y  étaient  encore  au  XIV  siè- 
cle, puisque  la  charte  citée  plus  haut  dit  qu'elles  se  trouvaient 
placées  :  ante  al  tare  Beatœ  Virginis. 

Depuis  cette  époque,  les  a-t-on  changées  de  place  ?  Nous  ne 
le  croyons  pas. 

D'abord,  avant  la  Révolution  elles  y  étaient.  Chifflet  écrit 
qu'elles  sont  dans  l'église  souterraine  (1).  De  même  Mgr  de 
fielsunce,  qui  ajoute:  a  Elles  y  sont  encore  aujourd'hui, 
(de  son  temps.)  (2)  »  Arthur  deMonestier,  Guesnay,  deAufti, 
Agneau,  disent  qu'elles  se  trouvaient  dans  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Confession  (3).  Mabillon  affirme  que  de  son 
temps  les  reliques  de  ces  saintes  vierges  se  trouvaient  au 
milieu  de  cette  chapelle  (4). 

Il  n'y  a  qu'une  variante.  La  Notice  des  monuments  conser- 
vés à  Saint-  Victor,  sans  désigner  l'endroit  précis  où  se  trouve 
le  tombeau  de  sainte  Eusébie,  place  les  reliques  des  quarante 
compagnes  dans  le  tombeau  de  l'abbesse  (5),  ce  qui  est  maté- 


(1)  Chifflet,  Vesuntio  civitas  imperialis,  p.  199  et  suivantes. 

(2)  L'Antiquité  de  l Eglise  de  Marseille,  par  Mgr  de  Belsunce,  t.  I, 
p.  291. 

(3)  Arthur  de  Monestier  :  Sacrum  gynœceum  ad  30  dec,  cite  le 
texte  de  Guesnay.  —  Guesnay,  Cassianus  illustrât  us,  pp.  474,  725: 
«  Ad  hujus  sacelli  dexteram,  marmoreum  sepulcrum. . .  in  quo  sanctis* 
simarum  virginum  et  martyrum  lipsana  suis  ut  decet  locuiis  condita, 
piorum  clientum  votis  exhibentur.  »  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille, 
t.  II,  p.  130  :  «  Le  tombeau  des  quarante  religieuses  qui  se  coupèrent  le 
nez  à  l'exemple  de  l'abbesse  Eusébie  est  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Confession...»  —  Ruffi  (Antoine  de)  :  c  Elles  sont  ensevelies  au  mitan 
de  la  chapelle  intitulée  :  Notre-Dame  de  Confession.  »  Histoire  de  Mar- 
seille, p.  408.  —  Agneau  :  Leurs  reliques  sont  sous  l'autel  de  Notre-Dame 
de  Confession.  »  Calendrier  spirituel,  p.  384. 

(4)  Mabillon  :  «  Sanctimoniales  alise  quadraginta  ejus  socise  jacent  in 
medio  saoello  B.  Mariae  de  Confessione,  ut  vocant.  »  —  Annales  O.  S.  £., 
t.  2,  p.  90.  —  Acta  sanctorum  O.  S.  B.,  t.  4,  p.  487. 

(5)  Notice  des  monuments  conservés.,,  p.  17.  Nous  venons  de  voir 
que  Guesnay  offre  aussi  cette  variante. 


-  57  - 

riellement  impossible.  Quarante  corps,  ou  les  ossements  de 
quarante  corps  ne  peuvent  être  contenus  dans  un  tombeau 
pareil  à  celui  de  sainte  Eusébie.  En  résumé  donc,  les  auteurs 
antérieurs  à  la  Révolution  sont  d'accord.  De  leur  temps,  les 
reliques  des  quarante  compagnes  d'Eusébie  étaient  dans  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession. 

Les  auteurs  postérieurs  à  la  Révolution  ont  moins  d'unani- 
mité dans  leurs  affirmations. 

Dans  Y  Essai  historique  et  archéologique  sur  les  cryptes  de 
Saint-Victor,  on  lit  que  «  l'autel  (de  Notre-Dame  de  Confes- 
sion) renfermait,  outre  diverses  reliques,  celles  de  quarante 
religieuses  qui,  à  l'exemple  de  leur  abbesse  Eusébie,  se  muti- 
lèrent le  visage. . .  (1)  »  M.  l'abbé  Verlaque  (2)  affirme  que, 
d'après  plusieurs  auteurs  et  la  légende  de  l'ancien  plan  des 
souterrains,  le  tombeau  de  sainte  Eusébie  et  celui  de  ses  com- 
pagnes étaient  placés  sous  l'ancien  autel  de  Notre-Dame  de 
Confession.  M.  Eothen  cite  une  délibération  du  Chapitre  de 
Saint- Victor,  en  date  du  1"  juin  1746,  dans  laquelle  on  lit  : 
«  Attendu  que  le  dit  autel  (de  Notre-Dame  de  Confession)  ren- 
ferme plusieurs  tombeaux  de  saints  martyrs,  les  dits  prieurs 
promettent  que  le  dessus  sera  d'une  planche  en  bois  qu'on 
pourra  facilement  enlever  pour  satisfaire  la  pieuse  curiosité 
des  fidèles.  »  Il  ajoute  :  «  D'après  la  plupart  de  nos  chroni- 
queurs et  la  légende  de  l'ancien  plan,  ces  tombeaux  renfer- 
maient les  restes  des  compagnes  de  sainte  Eusébie,  abbes- 
se (3).  » 

Nous  croyons  ces  opinions  complètement  erronées.  En  effet, 
les  chroniqueurs,  nous  les  avons  cités,  et  à  moins  que  Eothen 
en  ait  connu  d'autres,  ceux  dont  nous  avons  rapporté  le 
témoignage  :  Mabillon,  Arthur  de  Monestier,  Chifflet,  Ruffi, 
disent  à  peu  près  tout  lé  contraire.  Pour  ces  auteurs,  les  reli- 
ques des  compagnes  de  sainte  Eusébie  ne  sont  pas  dans  l'autel 


(1)  Essai  historique  et  archéologique  sur  Us  cryptes  de  Saint- Vic- 
tor, p.  25. 

(2)  Notice  sur  Sainte  Eusébie,  par  l'abbé  Verlaque,  p.  21 . 

(3)  Kothen,  Notice  su*  les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lès- 
MarseiUe,  p.  34. 


—  58  - 

ou  sous  l'autel  de  Notre-Dame,  mais  :  jacent  in  média 
sacello.  La  légende  de  l'ancien  plan  doit  être  celle  que 
M.  Paillon  a  donnée  dans  son  premier  volume  des  Monuments 
inédits  (1),  et  que  Ton  trouve  aussi  dans  Kothen.  Or,  dans  le 
plan  que  donne  Paillon,  pas  un  mot  du  tombeau  de  sainte 
Eusébie,  ni  de  celui  de  ses  compagnes,  et  dans  le  plan  que 
donne  Eothen,  le  tombeau  de  l'abbesse  est  indiqué,  mais  pas 
celui  de  ses  compagnes. 

Quant  au*  reliques  qui  se  trouvaient  sous  l'autel  de  Notre- 
Dame  de  Confession,  nous  n'avons  qu'à  nous  rappeler  la  charte 
sans  date  du  XIV*  siècle,  nous  saurons  à  quels  saints  elles 
appartenaient.  «  Sous  l'image  de  la  Bienheureuse  Vierge  repo- 
sent les  trois  soldats  qui  furent  les  compagnons  de  saint  Vic- 
tor et  martyrs  avec  lui:  Félicien,  Alexandre  et  Longin(2)  ». 
Voilà  les  reliques  que  l'autel  Notre-Dame  renfermait.  L'auteur 
de  V Essai  historique,  M.  l'abbé  Verlaque  et  Eothen  se  sont 
donc  trompés.  Nous  préférons  l'opinion  de  M.  André:  «  Les 
restes  vénérés  des  quarante  martyres  étaient  devant  l'autel  de 
Notre-Dame  de  Confession  (3)  ».  Et  l'opinion  de  M.  Rey  qui  dit 
également  :  «  Les  corps  des  quarante  victimes  des  Sarrasins, 
que  le  peuple  appelle  du  nom  expressif  de  desnarrados  Jurent 
ensevelis  dans  l'église  inférieure  de  Saint- Victor.  Ils  y  repo- 
saient dans  le  sol,  sous  le  dallage,  à  l'entrée  de  la  chapelle 
de  Notre-Dame  de  Confession  (4)  *.  Avant  la  Révolution  ils 
étaient  donc  là.  Les  auteurs  modernes  le  reconnaissent. 

Or,  pendant  la  Révolution  les  a-t-on  déplacés  de  cet  en- 
droit ?  A-t-on  fouillé  le  pavé?  A  t-  on  jeté  au  vent,  au  feu,  à 
la  mer  les  ossements  bénis  qu'il  gardait  depuis  des  siècles  ? 
Peut-être.  Mais  quel  est  l'auteur  qui  l'ait  dit  avec  preuve  à 
l'appui  (5)  ?  Quel  vague  souvenir  a-t-on  conservé  de  ce  fait? 


(1)  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Marie-Magdeleine, 
par  l'abbé  Faillon,  1. 1,  col.  54.  —  Kothen,  op.,  cit.  planche  VI. 

(2)  c  Sub  imagine  B.  Maria?  jacent  très  milites  qui  fuerunt  socii  Vic- 
toria et  martyres  cum  eo,  Felicianus,  Alexander  et  Longinus. ..  » 
Recueil  de  chartes  de  Dom  Lefournier,  t.  3  ;  Archives  départementales.  | 

(3)  André,  Histoire  de  V abbaye  de  Saint-Sauveur,  p.  13.  : 

(4)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  :  sainte  Eusébie,  p.  295. 

(5)  Sur  quinze  ou  vingt  ouvrages  que  nous  avons  entre  les  mains  et  i 


-  59  — 

On  a  prof  ané' et  brûlé,  nous  l'acceptons,  les  reliques  de  sainte 
Eusébie  et  d'autres  saints.  Leurs  tombeaux  étaient  visibles  aux 
regards  de  tous.  Mais  ces  reliques  des  quarante  compagnes 
d'Eusébie  étaient  sous  le  pavé,  peut-être  très  profondément 
enfouies.  Elles  ont  pu  échapper  à  la  rage  des  nouveaux 
yandales.  Aussi  nous  n'hésitons  pas  à  l'affirmer.  Notre  con- 
viction est  qu'elles  s'y  trouvent  encore,  là,  sous  le  pavé,  sous 
le  dallage,  devant  l'autel  de  Notre-Dame.  Et  ce  qui  nous  con- 
firme dans  notre  croyance  c'est  que  nous  nous  rencontrons  du 
même  avis  que  l'historien  de  nos  Saints  de  Marseille,  qui  con- 
naît bien  et  aime  beaucoup  nos  cryptes,  M.  de  Rey  (1). 


que  nous  citons  Je  long  de  ce  travail,  il  n'en  est  guère  que  trois  qui 
supposent  que  les  reliques  des  compagnes  de  sainte  Eusébie  ont  été 
profanées  à  cette  époque  désastreuse.  Dans  quelques  lignes  consacrées 
à  sainte  Eusébie  par  M.  l'abbé  Magnan,  on  lit  :  «  Les  cendres  d'Eusébie 
et  de  ses  compagnes  ont  été  jetées  au  vent,  son  tombeau  a  été  arraché 
do  Heu  qu'il  occupait.»  Semaine  liturgique,  année  1868,  p.  732,  t.  VII. 

Dans  une  Notice  sur  Sainte  Eusébie,  M.  l'abbé  Verlaque  a  écrit  :  «  Le 
tombeau  de  sainte  Eusébie  et  celui  de  ses  compagnes  étaient  placés  sous 
l'ancien  autel  de  Notre-Dame  de  Confession..  Jusqu'en  1793  les  sarco- 
phages restèrent  debout,  mais  à  cette  époque  le  vandalisme  s'abattit 
avec  rage  sur  cette  maison  de  prières...  »  p.  21.  —  L'abbé  Bayle,  dans 
un  opuscule  sur  Saint- Victor,  se  contente  d'écrire  :  «  Ses  reliques  (de 
Sainte  Eusébie)  ont  été  profanées.  »  p.  127. 

(1)  «  Us  y  reposaient,  et  peut-être  ils  y  reposent  encore,  dans  le  sol, 
sous  le  dallage,  à  l'entrée  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Confes- 
sion. »  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  :  sainte  Eusébie,  p.  235. 


o§*>*<*§o 


SAINTE  EUSÉBIE 

Abbesse 
ET     SES    40    COMPAGNES    MARTYRES 

A    MARSEILLE 


En  quel  lieu  et  à  quel  endroit 
elle  a  souffert  le  martyre 


CHAPITRE  PRÉLIMINAIRE 


Précis  Historique   de   la   Controverse 


AUTEURS  QUI  ONT  ÉCBIT  SUR  SAINTE  EUSÉBIE.  —DEUX  QUESTIONS  A 
TRAITER.  —  OPINION  CONTRAIRE  DE  CERTAINS  AUTEURS  RELATIVE- 
MENT A  CES  DEUX  QUESTIONS.  —  MARCHE  A  SUIVRE  DANS  CE 
TRAVAIL. 


Nous  l'avons  dit,  à  notre  avis,  le  monastère  où  sainte  Eusé- 
bie a  passé  de  longues  années  dans  la  pratique  de  la  vie  reli- 
gieuse était  situé  sur  les  bords  de  l'Hu  veaune,  près  de  la  mer, 
à  l'endroit  occupé  actuellement  par  l'ancien  restaurant  Gon- 
tard/Et  c'est  là  qu'elle  a  été  martyrisée  avec  ses  quarante 
compagnes  par  les  Sarrasins,  en  738. 

Mais  la  question  est  controversée .  En  regard  de  nos  obser- 
vations se  dressent  deux  négations  aussi  formelles.* Des 
auteurs  et  bien  nombreux  soutiennent  qu'il  faut  céder  à 
d'autres  lieux  et  à  une  autre  époque  l'honneur  d'avoir  vu  tant 
de  piété,  de  vertu  et  d'héroïsme.  Donnons  en  quelques  mots 
le  précis  de  cette  controverse. 

Quatre  auteurs  ont  écrit  sur  sainte  Eusébie  :  M.  l'abbé 
Nagnan,  dans  un  travail  que  la  Semaine  liturgique  inséra 
jadis  dans  ses  pages  (1)  ;  M.  l'abbé  Verlaque,  dans  un  petit 
opuscule  intitulé  ;  Notice  sur  la  vie  de  sainte  Eusébie, 
abbesse  et  martyre;  M.  Gonzague  de  Rey,  dans  un  livre  bien 

(1;  Sainte  Eusébie  et  ses  compagnes,  par  l'abbé  Magnan  ;  Semaine 
liturgique,  année  1868»  p.  732  et  suiv.  —  Le  même  auteur  a  écrit 
quelques  lignes  sur  le  même  sujet  dans  sa  Notice  sur  la  Croix  de  Saint- 
André,  pp.  16  et  17,  et  dans  l'Histoire  d'Urbain  V  et  de  son  siècle% 
p.  252. 

5 


—  62  — 

goûté  de  tous  :  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  (1); 
M.  Grinda,  enfin,  dans  quelques  extraits  d'une  monographie 
de  Saint-Victor,  publiés  dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la 
Garde,  année  1888* 

Nombre  d'auteurs  ont  effleuré  aussi  dans  leurs  ouvrages  le 
même  sujet,  le  traitant  d'une  manière  plus  ou  moins  som- 
maire. Ainsi,  Chiffletius  J.-J.,  dans  son  Vesuntio  civitas  li- 
béra imperialis  (2)  ;  le  P.  de  Saussay ,  dans  le  Martyrologium 
Gallicanum  (3)  ;  le  P.  Guesnay,  dans  le  Cassianus  illustratus9 
le  Provinciœ  Massiliensis  Annales  (4)  ;  le  P.  Arthur  de  Mones- 
tier,  dans  le  Sacrum  Gynœceum  (5);  Mabillon,  dans  les  Acta 
sanctorum  ordinis  Sancti  Benedicti  et  les  Annales  ordinis 
Sancti  Benedicti  (6)  ;  les  deux  Ruffl,  dans  Y  Histoire  de  Mar- 
seille (7)  ;  H.  Bouche,  dans  la  Chorographie  et  l'Histoire  de 
Provence;  Bouche,  dans  Y  Essai  sur  V Histoire  de  Pro- 
vence (%)  ;  le  P.  Lecointe,  dans  les  Annales  ecclesiastici  Fran- 
corum  (9);  le  P.  Denis  de  Sainte- Marthe,  dans  la  Gallia 
Christiana  (10)  ;  Mgr  de  Belsunce,  dans  Y  Antiquité  ou  la  suc- 
cession des  évéques  de  Marseille  ;  Agneau,  dans  le  Calen- 
drier spirituel  de  1759  ;  le  P.  Saint-Alban,  dans  le  Ca- 
lendrier spirituel  et  perpétuel  de  la  ville  de  Marseille,  de 


(1)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  Sainte  Kusébie  et  ses  com- 
pagnes, vierges  et  martyres,  11  oct.,  p.  225etsuiv.  —  Le  même  auteur 
traite  ce  sujet  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence. 

(2)  Chiffletius  J.-J.,  Vesuntio  civitas,  etc., p.  139  et  suiv. 

(3)  De  Saussay,  Martyrologium  Gallicanum,  Naialis  Sancti  An- 
drœœ,  pridie  kalend.  decembris  (30  nov.).  —  Martyrologium  Gallica- 
num Supplementum,2Q  nov .,  Natahs  Sancti  Hugonis  confessoris. 

(4)  Guesnay,  S.  Cassianus  iUustratus,  p.  475,  etc.  ;  Provinciœ  Mas- 
8iliensis  Annales,  pp.  186  et  600. 

(5)  Arthur  de  Monestier,  Sacrum  Gynœceum,  30  déc. 

(6)  Mabillon,  Act a  sanctorum  ordinis  Sancti  Benedicti,t.  IV,  p.  487; 
—  Annales  ordinis  Sancti  Benedicti,  t.  II,  p.  90. 

(7)  Antoine  de  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  p.  386.  —  Louis  de  Rufû, 
Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  56, 116, 120. 

(8)  H.  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  t.  II.  — 
Bouche,  Essai  sur  l'histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  182. 

(9)  P.  Lecointe,  Annales  ecclesiastici  Francorum,  t.  I,  ann.  536. 

(10)  P.  Denis  de  Sainte-Marthe,  G  allia  Christiana,  1. 1,  Ecclesia  Mas- 
siliensis, col.  695,  etc. 


—  63  — 

1719(1);  Grosson,  dans  VAlmanaeh  historique  de  Marseille 
de  1770  (2)  ;  Papon,  dans  l'Histoire  de  Provence  (3)  ;  Lautard, 
dans  ses  Lettres  archéologiques  (4)  ;  Guindon  et  Méry,  dans 
VHistoire  analytique  et  chronologique  des  actes  et  délibéra- 
tions du  corps  et  du  conseil  de  la  municipalité  de  Mar- 
mite (5)  ;  M.  l'abbé  Magloire  Giraud,  dans  sa  Notice  histori- 
que sur  la  paroisse  de  Saint-Cyr(6)  ;  Bousquet  Casimir,  dans 
La  Major  (7)  ;  André,  dans  Y  Histoire  des  religieuses  de 
Saint-Sauveur  (8)  ;  les  mémoires  de  la  Société  archéologique 
du  Midi  (9);  Expilly,  dans  le  Dictionnaire  historique  (10); 
Edmond  Leblant,  dans  les  Inscriptions  chrétiennes  des 
Gaules,  antérieures  au  VIII9  siècle  (11);  Augustin  Fabre,  dans 
les  Rues  de  Marseille,  •  la  Bibliothèque  de  Saint-  Victor, 
Y  Histoire  de  Marseille  et  V  Histoire  de  Provence  (12);  Mor- 
treuil,  dans  la  Réponse  aux  Observations  de  M.  Augustin 
Fabre  sur  l'ancienne  bibliothèque  de  Saint-  Victor  (13);  Mey- 
nier,  Anciens  Chemins  de  Marseille  ;  l'abbé  Daspres,  dans 


(1)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  par  Mgr  de  Belsunce,  t.  I, 
pp.  toi,  258,  290.  —  Agueau,  Calendrier  spirituel,  pp.  154,  381,  etc.— 
P.  Saint-Àlban,  Calendrier  de  1714,  p.  148. 

(2)  Almanach  historique  de  Marseille,  par  Grosson,  année  1870, 
p.  74;  année  1773,  p.  93. 

(3)  Histoire  générale  de  Provence,  par  Papon,  t.  I,  p.  361. 

(4)  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  par  Lautard,  p.  397,  etc. 

(5)  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique  et  chronologique  des  actes 
et  délibérations,  etc.,  1. 1,  p.  100  ;  t.  Y,  p.  200,  etc. 

(6)  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr%  par  l'abbé  Mag. 
Giraud,  p.  14. 

(7)  La  Major,  par  le  docteur  Bousquet,  pp.  67, 629. 

(8)  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  par 
Aûdré,  p.  9. 

(9)  Mémoires  de  la  Société  archéologique  du  Midi,  t.  II,  p.  219. 

(10)  Dictionnaire  historique  d'Expilly,  verbo  Marseille. 

(H)  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  antérieures  au  VIII* 
siècle,  par  Ed.  Leblant,  n'  545. 

(12)  Rues  de  Marseille,  t.  I,  p.  282.  —  Observations  sur  la  disser- 
tation de  M .  Mortreuil  intitulée  a  L'ancienne  bibliothèque  de  Saint- 
Victor  i,  p.  31  ;  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  313;  Histoire  de  Mar- 
*ifo,t.  I,  p.  218. 

{1$)  Réponses  aux  Observations  de  M,  Aug.  Fabre,  p.  5.  —  Meynier, 
Anciens  Chemins,  pp.  43,  44. 


—  64  - 

sa  Notice  sur  la  paroisse  de  Saint-Giniez  (1)  ;  Satirel 
Alfred,  dans  la  Banlieue  de  Marseille  (2)  ;  l'abbé  J.-J.  Cayol, 
dans  Y  Histoire  de  Saint-Loup  (3)  ;  la  Statistique  des  Bou- 
ches-  du  -Rhône  (4)  ;  Fouque,  dans  les  Fastes  de  Provence  (5); 
Baudin,  dans   Y  Histoire  de  Marseille  (6)  ;   L.   Méry,  dans 

Y  Histoire  de  Provence  (7);  l'abbé  Faillon,  dans  les  Monuments 
inédits  sur  le  culte  de  sainte  Madeleine  (8)  ;  Reynaud,  dans 
les  Invasions    des  Sarrasins  en  France  (9)  ;  Alliez,   dans 

Y  Histoire  de  Lérins  (10)  ;  l'abbé  Darras,  dans  son  Histoire 
de  l'Eglise  (11);  Rocbacker  dans  Y  Histoire  générale  de 
V Eglise  (12). 

Mais  la  solution  qu'ils  donnent  aux  deux  problèmes  que 
nous  nous  proposons  d'étudier  ici  est  loin  d'être  claire  et  uni- 
forme. S'il  s'agit  de  déterminer  l'emplacement  du  monastère 
où  sainte  Eusébie  a  vécu  et  souffert  le  martyre,  Chifflet, 
Arthur  de  Mo  nés  tiers,  de  Saussay,  Mabillon,  Guesnay,  Magnaa 
désignent  les  bords  de  l'Huveaune  ;  Ruffl,  Denis  de  Sainte- 
Marthe,  Agneau,  André,  Daspres,  Verlaque  préfèrent  le  voisi- 
nage de  Saint- Victor  ;  Grosson  assigne  les  Catalans  ;  Meynier 
et  l'abbé  Cayol,  Saint-Loup;  de  Rey,  le  Revest;  Magloire 
Giraud,  Saint-Cyr  du  Var;  Alfred  Saurel,  Guindon  et  Méry, 
Bousquet,  le  bassin  du  carénage  ;  de  Belsunce,  Alliez,  Darras, 
Reinaud,  Fabre,  Boudin,  Faillon  et  d'autres  ne  se  pronon- 
cent pas. 

(1)  Notice  historique,  topographique  et  hagiographique  sur  Saint- 
Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  26. 

(2)  La  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  p.  154. 

(3)  Histoire    du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  J.-J.  Cayol, 
ch.  2. 

(4)  Statistique  des  Bouches-du-Rhône,  t.  II,  pp.  324,  457. 

(5)  Fastes  de  la  Provence  ancienne  et   moderne,  par  M.  Fouque, 
t.  I.  p.  241. 

(6)  Histoire  de  Marseille}  par  Amédée  Boudin,  p.  116. 

(7)  Histoire  de  Provence,  par  L.  Méry,  t.  II,  p.  363. 

(8)  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Marie-Magdéleine, 
par  l'abbé  Faillon,  1. 1,  col.  388. 

(9)  Reinaud,  Invasion  des  Sarrasins  en  France,  p.  137. 

(10)  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  par  l'abbé  Alliez,  1. 1,  p.  398. 

(11)  Histoire  générale  de  V Eglise,  par  l'abbé  Darras,  t.  XVII,  p.  14* 

(12)  Rocbacker,  Histoire  de  l'Eglise;  invasions  des  Sarrasins. 


—  65  — 

S'il  s'agit  de  fixer  l'époque  du  martyre  de  sainte  Eusébie, 
Guesnay  affirme  qu'il  eut  lieu  en  477  ;  M.  Grinda  en  497  ; 
Mabillon,  Belsunce,  Guindon,  Fabre,  Fouque,  Bousquet,  de 
721  à  735,  736,  737;  lluffi,  Lautard,  en  867;  Grosson,  durant 
le  IX-  siècle  ;  André,  de  Rey,  vers  923,  etc.,  etc. ,  etc. 

On  le  voit,  sur  ce  point  comme  sur  l'autre,  le  désaccord  ne 
peut  être  plus  tranché. 

A  nous  donc  de  faire  la  preuve  de  nos  deux  affirmations  et 
de  réfuter  les  assertions  opposées. 

Voici  la  marche  que  nous  nous  proposons  de  suivre.  Deux 
questions  sont  à  examiner:  en  quel  lieu  sainte  Eusébie  a 
souffert  le  martyre,  et  à  quelle  époque  cet  événement  s'est 
passé. 

Pour  traiter  la  première  question  avec  ampleur,  nous  cite- 
rons les  témoignages  des  auteurs  d'une  opinion  contraire  à  la 
nôtre  ;  nous  discuterons  ensuite  les  objections  qu'ils  fournis- 
sent contre  nous,  et,  enfin,  nous  établirons  notre  opinion  sur 
des  preuves  négatives  et  positives. 

Pour  traiter  la  seconde,  nous  suivrons  une  méthode  identi- 
que. Après  avoir  cité  les  auteurs  opposés  à  notre  sentiment 
et  discuté  la  valeur  de  leurs  témoignages,  nous  réfuterons 
leurs  objections,  nous  établirons  ensuite  notre  thèse  ;  enfin 
nous  tirerons  nos  conclusions. 

Une  fois  de  plus,  que  la  chère  sainte  Eusébie  nous  vienne 
en  aide  ! 


■**"*'na/\AAA/\AAAAAaa^*~— . 


PREMIÈRE  QUESTION 


En  quel  endroit  Sainte  Eusébie  a  souffert 

le  martyre 


PEEIOÈBE  PAETIE 


RÉFUTATION    DES    AUTEURS 


PREMIÈRE  SECTION 

Exposition  des  Objections  et  Questions  Préliminaires 


CHAPITRE  PREMIER 


Les  Auteurs  contraires  à  notre  opinion 


AUTEURS  CONTRAIRES  A  NOTRE  OPINION.  —  LE8  DEUX  RUPFI.  —  GROS- 
SON.  —  P.  8AINT-ALBAN.  —  AGNEAU.  —  LAUTARD.  —  GUINDON  ET 
IfÉRY. —  L'ABBÉ  MAGLOIRE  GIRAUD.  —  MEYNIER.  —  ANDRÉ.  —  L'ABBÉ 
CAYOL.  —  L'ABBÉ  DASPRES.  —  SAURBL.  —  LA  «  GALLIA  CHRISTIANA  ». 
—  L'ABBÉ  VBRLAQUE.  —  LES  BOLLANDISTES.—  M.  DE  REY.  —  RÉSUMÉ 
DBS  OBJECTIONS. 


Nous  allons  citer  le  témoignage  des  auteurs  d'une  opinion 
contraire  à  la  nôtre,  en  commençant  par  Ruffi  (Louis  de).  Il 
s'exprime  en  ces  termes  : 

«  Une  des  chartes  que  j'ai  citées  ci-dessus,  pour  prouver 
que  Cassien  avait  été  le  fondateur  de  ce  monastère,  marque 
que  cet  édifice  était  situé  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde, 
et  il  est  certain  qu'il  était  au  même  lieu  où  nous  avons  vu  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine,  qui  n'était  guère  éloignée  du 
monastère  de  Saint-Victor,  et  qui  fut  démolie  en  1685  pour  y 
bâtir  le  Canal  et  quelques  édifices  à  l'usage  des  galères.   Car 


—  70  — 

ce  qui  fortifie  ce  que  je  viens  de  dire  c'est  que  depuis  environ 
quelques  années  que  Ton  creusait  les  fondements  de  la  maison 
que  Ton  construisait  pour  y  fabriquer  la  poudre,  on  décou- 
vrit quantité  de  tombeaux  en  pierre  de  taille,  faits  en  forme 
de  caisse,  avec  leurs  couvercles,  qui  étaient  remplis  d'osse- 
ments, parmi  lesquels  on  en  trouva  un  qui  était  fort  avant 
dans  la  terre,  où  il  y  avait  au-dessus  une  petite  pierre  de 
marbre  qui  contenait  cette  épitaphe  : 

HIC  REQUIESCET  BONE 

MEMORIE   EUGENIA  ANCILLA  DEr 

CUI   VEXIT   ANNUS  ZZXXVI  RECESS1T 

VI  NONAS  MARSIAS 

C      0      3 

«  Tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce  lieu  était  ancien- 
nement un  cimetière  et  que  c'étaient  des  religieuses  qu'on  y 
avait  ensevelies.  Elles  ne  peuvent  être  que  celles  dont  nous 
parlons  ;  puisqu'on  ne  trouve  point  qu'il  y  ait  dans  Marseille 

des  religieuses  si  anciennes  que  celles-ci On  découvrit 

aussi  au  même  endroit  quelques  fondements  d'un  grand  édifice 
extrêmement  épais  qui  marquaient  une  très  grande  antiquité 
et  même  on  y  découvrit  quelques  masures  d'un  presbytère, 
qui  fournait  du  côté  du  levant. 

«  A  tous  ces  raisonnements  j'ajouterai  l'autorité  de  deux 
chartes  des  années  1431  et  1446  qui  font  foi  que,  lorsque  le 
monastère  de  Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y 
avait  tout  proche  un  autre  monastère  qui  ne  peut  être  que 
celui-ci.  De  sorte  qu'on  ne  peut  plus  douter  que  ce  monastère 
ne  fût  situé  en  cet  endroit,  et  non  pas  au  quartier  de  Saint- 
Loup,  ni  à  celui  de  Saint-Marcel,  ni  encore  moins  à  l'embou- 
chure de  THuveaune,  ni  sur  les  bords  de  la  mer,  comme 
quelques-uns  l'imaginent,  à  cause  qu'on  y  voit  paraître  des 
masures  d'une  église  qui  appartient  aux  religieuses  de  Saint- 
Sauveur  et  qu'on  appelait  anciennement  Notre-Dame  de  i'Hu- 
veaune.. . 

a  II  n'y  a  pas  apparence  que  Gassien  ait  bâti  un  monastère 
de  filles  si  loin  de  la  ville,  et  sur  le  bord  de  la  mer,  pour  né 


—  71  — 

pas  les  exposer  aux  incursions  des  pirates  qui  faisaient  alors 
de  fréquentes  courses  en  ces  mers,  ni  qu'il  les  eût  logées  dans 
l'intérieur  du  terroir,  puisqu'il  pouvait  les  placer  plus  proche, 
et  dans  un  lieu  aussi  solitaire  qu'il  pût  souhaiter.  Car  la 
montagne  de  la  Garde  était  toute  couverte  de  bois  de  haute 
futaie  qui  la  rendaient  obscure  et  extrêmement  propre  à  la  vie 
solitaire  dont  Cassien  faisait  profession. 

«  Mais,  comme  il  fonda  l'abbaye  de  Saint-Victor,  il  voulut 
bâtir  proche  de  cette  maison  et  à  une  distance  proportionnée 
ce  monastère  de  filles,  afin  qu'elles  pussent  alors  commodé- 
ment entendre  la  messe  dans  l'abbaye  de  Saint-Victor,  parce 
que  en  ce  temps- là  les  religieuses  n'avaient  point  encore 
d'églises  pour  y  faire  célébrer  les  saints  mystères  ainsi  que 
nous  l'apprenons  de  saint  Jérôme,  qui  exhorte  les  religieuses 
à  ne  point  sortir  de  leur  monastère  pour  aller  à  l'église  qu'en 
compagnie  de  leur  supérieure.  En  effet,  sainte  Paule,  après 
avoir  fait  construire  à  Bethléem  un  monastère  d'hommes, 
fonda  trois  monastères  de  filles,  qui  allaient  tous  les  diman  - 
ches  à  la  messe,  à  l'église  la  plus  proche  de  leur  monastère, 
sous  la  conduite,  de  leur  abbesse.  Quelque  temps  après  les 
religieuses  eurent  des  oratoires  dans  leurs  monastères  pour  y 
faire  célébrer  le  service  divin,  et  ne  commencèrent  à  bâtir  des 
églises  publiques  qu'après  l'an  817,  comme  il  est  facile  de  le 
conjecturer  d'après  le  concile  d'Aix-la-Chapelle.  Ces  autorités 
et  ces  exemples  fortifient  toujours  davantage  la  situation  de 
cette  maison  en  cet  endroit. 

«  D'ailleurs,  il  y  a  lieu  de  croire  que  Cassien,  qui  vivait  du 
temps  de  sainte  Paule  et  qui  avait  demeuré  pendant  cinq 
années  dans  son  monastère  de  Bethléem,  jugea  à  propos  d'in- 
troduire dans  les  deux  maisons  qu'il  fonda  en  cette  ville  la 
même  façon  de  vivre. . .  Il  n'aurait  pas  osé  bâtir  si  loin  un 
monastère  de  filles*  qui  île  gardaient  point  la  clôture,  pour  ne 
pas  les  hasarder  à  mille  inconvénients,  d'autant  plus  que 
nous  ne  trouvons  pas  de  titres  si  anciens  qui  nous  fassent 
savants  qu'avant  ce  temps-là  il  y  eût  quelque  église  en  ces 
quartiers,  où  elles  pussent  entendre  la  messe. 

«  Il  voulut  encore  en  cette  occasion  suivre  l'avis  de  saint 
Jean  Chrysostome  qui  porte  que  les  monastères  ne  doivent 


-  72  — 

point  être  écartés  des  villes,  afin  qu'ils  ne  fussent  point  éloi- 
gnés des  commodités  de  la  vie,  dont  ils  ne  peuvent  se  passer. 
Mais  une  des  principales  raisons  qui  obligea  ce  bon  Père  de 
faire  bâtir  le  monastère  en  cet  endroit,  fut  afin  d'avoir  moyen 
de  visiter  plus  souvent  ses  filles,  pour  les  instruire  et  les 
consoler  dans  leurs  besoins  spirituels  (1).  » 

Voici  ce  qu'Antoine  de  Ruffl,  père  du  précédent,  avait  écrit 
sur  le  même  sujet  (2)  : 

«  Quelques  auteurs  ont  pensé  que  le  monastère  était  aux 
bords  de  l'Huveaune,  à  quoi  l'on  ajoute  qu'il  fut  transféré  dans 
la  ville,  au  lieu  où  il  estaujourd'hui,  après  qu'il  eut  été  rava- 
gé par  les  Sarrasins,  et  que  les  religieuses,  à  l'exemple  de  leur 
abbesse  Eusébie,  se  coupèrent  le  nez .  Cette  tradition  (que  le  mo- 
nastère était  à  l'Huveaune) n'est  appuyée  sur  aucun  monument 
ni  vieille  écriture  qui  en  parle  clairement,  se  trouve  fortifiée 
par  plusieurs  conjectures.  Aux  premiers  siècles  on  bâtissait  les 
monastères  en  lieu  écarté,  hors  de  l'enceinte  des  villes,  si  bien 
que  Gassien,  qui  fut  le  fondateur  et  qui  faisait  profession  de 
vie  solitaire,  voulut  bâtir  cette  maison  en  ce  lieu  écarté. 

«  De  plus,  l'inscription  de  l'abbesse  Eusébie  qui  est  dans 
l'église  inférieure  de  Saint-Victor  nous  marque  que  cette 
illustre  femme  était  une  abbesse  du  monastère  sous  le  titre  de 
Saint-Quirice Saint-Sauveur  était  hors  de  la  ville,  il  por- 
tait le  nom  de  Saint-Quirice.  Il  garda  les  reliques  de  saint  Cyr 
en  vénération  et,  après  qu'il  eut  été  détruit,  les  religieuses 
vinrent  en  ville,  y  portèrent  les  reliques  portées  en  ce  pays 
au  V*  siècle  par  Amator,  évoque  d'Auxerre,  et,  pour  quelque 
raison  que  nous  ne  connaissons  pas,  ce  monastère  changea  le 
nom  de  Saint-Cyr  en  celui  de  Saint-Sauveur.  Quant  à  dire  où 
était  ce  monastère,  nous  ne  tenons  cela  que  par  tradition. 
J'estime  que  ce  monastère  était  ou  à  Saint-Loup  ou  à  Saint- 
Marcel,  d'autant  que  les  religieuses  possèdent  des  biens  et  deux 
propriétés.  Ceux-là  se  trompent  qui  disent  qu'il  se  trouvait  h 
l'Huveaune,  à  cause  des  masures  d'une  vieille  église  appelée 
anciennement  Notre-Dame-d'Huveaune.  » 

(1)  Ruffi  (Louis  de),  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56  et  suiv. 

(2)  Histoire  de  Marseille,  par  Antoine  de  Ruffl,  pp.  386,  401  ;  ouvrage 
imprimé  par  Claude  Garciu,  en  1642,  à  Marseille. 


—  73  — 

Grosson,  dans  VAlmanack  historique  de  1770,  s'exprime 
sur  ce  sujet  en  ces  termes  : 

«  L'abbaye  royale  de  Saint-Sauveur.  Cette  ancienne  abbaye 
de  Cassianites  fut  fondée  par  Cassien  en  420,  en  même  temps 
que  Saint -Victor,  dans  la  forêt  sacrée,  à  quelque  distance  du 
couvent  de  cette  première  abbaye.  Il  y  a  lieu  de  croire  que 
c'était  vers  l'endroit  où  se  trouvent  aujourd'hui  les  Infirmeries 
Vieilles,  sous  la  citadelle  de  Saint-Nicolas,  et  non  pas  à  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune,  comme  quelques-uns  l'ont  dit.  Ce 
dernier  monastère  était  une  abbaye  des  Prémontrés  qui  ne 
fut  établie  que  longtemps  après.  Ce  monastère  fut  d'abord 
dédié  à  saint  Cycirius.  Elles  sortirent  de  ce  local  par  la  persé- 
cution des  Sarrasins.  Vers  Tan  737,  elles  furent  plus  près  de 
Saint- Victor  et  ensuite  aux  Accoules,  puis  au  local  actuel, 
qu'elles  firent  élever  sur  les  ruines  de  l'ancien  Marseille  (1).  » 

A  la  page  75  de  VAlmanach  de  1774,  Grosson  ajoute  : 

«  Ceux  qui  penseraient  que  les  religieuses  cassianites,  au-» 
jourd'hui  à  Saint -Sauveur,  avaient  autrefois  le  monastère  à 
l'Huveaune  et  qui  leur  attribuent  les  restes  des  édifices  que 
Ton  aperçoit  encore  en  ce  lieu,  seraient  bien  aises  d'apprendre 
que  ces  restes  sont  les  ruines  de  l'abbaye  des  Prémontrés  qui 
fut  bâtie  en  1203.  La  charte  dit  :  de  novo  œdificare,  ce  qui 
supposerait  que  les  Prémontrés  y  avaient  déjà  une  église  (2).  » 

Le  P.  Saint-Alban,  dans  son  Calendrier  spirituel  et  perpé- 
tuel de  la  ville  de  Marseille,  en  1713,  écrit,  en  parlant  de 
Saint-Tronc  : 

«  11  y  avait  autrefois  en  cet  endroit  un  couvent  de  reli- 
gieuses de  Saint-Benoit.  On  y  voit  encore  des  masures  de  leur 
église  (3).  » 

Agneau,  dans  son  Calendrier  spirituel,  en  1759,  écrivait  à 
son  tour  : 

«  L'an  420,  Cassien  établit  le  deuxième  monastère  pour  des 
religieuses  qui  prirent  aussi  la  règle  de  saint  Benoit,  et  qui 
était  situé  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  où  était  la 
chapelle  de  Cassien,  tout  auprès  le  monastère  de  Saint-Victor, 

(1)  Grosson,  Abnanach  historique  de  Marseille,  année  1770,  p.  74. 

(2)  Grossdû,  Abnanach  historique  de  Marseille,  année  1/74,  p.  75; 

(3)  P.  Saint-Alban,  Calendrier  spirituel  et  perpétuel^  p.  176. 


—  74  — 

laquelle  fut  démolie  en  1685  pour  l'usage  des  galères.  C'est 
l'abbaye  antique  de  Saint-Sauveur  qui,  après  avoir  souvent 
changé  de  place,  a  été  fixée  à  l'endroit  où  elle  est  mainte- 
nant (1).  » 

Après  Agneau,  Lautard.  Cet  écrivain,  dans  son  ouvrage 
intitulé  :  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  suit  pas  à  pas 
Iluffi  et  le  copie  presque  mot  à  mot,  sans  indiquer  cependant 
qu'il  lui  emprunte  deux  pages  de  son-Histoire  de  Marseille. 
Puisqu'il  n'apporte  d'autres  raisons  que  celles  mentionnées 
dans  Ru fû,  nous  nous  dispenserons  de  transcrire  son  texte.  Ce 
sont  les  pages  398,  399, 400, 401  de  ses  Lettres. 

MM.  Guindon  et  Méry,  dans  le  V*  volume  de  Y  Histoire  ana- 
lytique et  chronologique  des  actes  et  délibérations  du  corps 
et  du  conseil  de  la  Municipalité  de  Marseille  (2),  disent  : 

«  On  ignorait  encore,  il  y  a  quelques  années,  le  lieu  où  la 
première  maison  claustrale  avait  été  située.  Les  uns  la  pla- 
çaient à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  les  autres  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville.  Rufli,  dans  son  Histoire  de  Marseille,  se 
rapproche  le  plus  de  la  vérité.  Il  suppose  que  le  couvent  des 
Cassianites  se  trouvait  dans  le  voisinage  du  monastère  de 
Saint- Victor.  La  découverte  d'une  inscription  sur  marbre  faite 
dans  le  courant  du  mois  de  juillet  1833,  en  creusant  le  bassin 
du  carénage,  a  dissipé  tous  les  doutes  à  cet  égard  et  démontré 
que  la  première  demeure  des  religieuses  s'élevait  au  bord  et 
près  du  port,  à  l'endroit  même  où  le  bassin  du  carénage  a  été 
creusé.» 

Le  chanoine  Magloire  Giraud,  le  savant  curé  de  Saint-Cyr, 
dans  le  Var,  ayant  eu  à  s'occuper,  dans  ses  études  sur  le 
Beausset,  Taurœntum  et  Saint-Cyr,  du  martyre  de  sainte 
Eusébie,  a  écrit  ces  deux  pages  que  nous  empruntons  à  sa 
Notice  sur  Saint-Cyr  : 

a  Ce  serait  le  lieu  d'examiner  ici  si  ce  ne  serait  pas  à 
Saint-Cyr  même  que  se  trouvait  ce  monastère,  monasterium 
sancti   Cyricii,    où    Sainte-Eusébie   passa   cinquante  ans, 

(1)  Agneau,  Calendrier  spirituel,  p.  154. 

(2)  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique  et  chronologique  des  actes 
et  délibérations  du  corps  et  de  la  municipalité  de  Afarseille,  U  V, 
p.  200. 


—  75  — 

comme  l'indique  l'épithaphe  de  son  tombeau  déposé  autrefois 
dans  l'église  de  Saint-Victor...,  monastère  que  des  écrivains 
ont  confondu,  sans  autre  preuve  que  cette  inscription,  avec 
cet  autre  monastère  fondé  en  420  sous  l'invocation  de  la 
Sainte  Vierge  par  l'illustre  Cassiçn,  auprès  de  son  abbaye  et 
sur  l'emplacement  duquel  les  auteurs  sont  si  peu  d'accord, 
puisque  lea  uns  le  placent  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  les 
autres  au  pied  de  la  colline  de  No tre-Dame-de- la-Garde,  qui 
à  Montredon,  qui  aux  Vieilles  Infirmeries  ou  au  local  de 
l'ancienne  chapelle  de  Sainte- Catherine,  qui  enfin  et  avec 
plus  de  raison  au  bassin  du  carénage  ;  tandis  que  d'autres  se 
bornent  à  dire  qu'il  était  situé,  ceux-ci  à  Marseille,  ceux-là 
dans  la  campagne  de  cette  ville,  non  loin  de  l'église  de  Saint- 
Victor.  Mais  les  limites  de  cette  notice  ne  nous  permettent 
pas  de  discuter  cette  question. 

«  Qu'il  nous  suffise  de  faire  remarquer  que  :  1*  le  tombeau 
où  forent  déposés  les  restes  de  sainte  Eusébie,  de  l'aveu  de 
tous,  ne  fut  pas  fait  pour  elle,  il  lui  est  antérieur  de  deux 
cents  ans  ;  2°  que  l'inscription  n'indique  pas  que  cette 
religieuse  souffrit  le  martyre  ni  qu'elle  fût  abbesse  ;  3°  qu'au- 
cun monument  historique  ne  prouve  que  le  célèbre  monastère 
de  femmes  fondé  par  Cassien,  auprès  de  son  abbaye,  d'abord 
détruit  par  les  Normands  en  867,  saccagé  par  les  Sarrasins  en 
923,  réédifié  en  1031  par  les  vicomtes  Guillaume  et  Fouques, 
réparé  en  1060  par  Pons  II  et  son  père  Geoffroy,  rien  ne 
prouve  que  ce  monastère  où  Saint-Césaire  plaça  sa  sœur 
sainte  Gésarie  ait  jamais  porté  le  nom  de  Saint-Cyr,  bien  que 
le  culte  de  ce  glorieux  martyr  y  ait  été  en  grande  vénération. 
L'inscription  dont  il  s'agit  est  la  seule  preuve  qu'on  invoque, 
et  cette  preuve  est  plus  qu'incertaine,  s'il  est  vrai  qu'avant 
la  destruction  de  Taurœntum,  vers  le  milieu  du  IX'  siècle, 
il  existait  près  du  village  de  Saint-Cyr,  au  quartier  rural 
qui  porte  encore  le  nom  de  la  Mure  (villa  murata),  un 
monastère  de  femmes  dont  on  désigne  l'emplacement  et  dont 
il  reste  la  tour,  qui  est  de  beaucoup  antérieure  à  la  destruc- 
tion de  la  ville  phocéenne  (Taurœntum.) 

«  Or,  l'existence  d'un  monastère  de  femmes  près  l'ancienne 
chapelle  de   Saint-Cyr,  laquelle   était  une   dépendance  de 


—  76  — 

l'abbaye  de  Saint-  Victor,  est  un  fait  attesté  par  la  tradition 
locale  et  par  les  débris  qui  ont  survécu  aux  ravages  des  temps 
et  des  hommes. 

«  Ce  fait  semble  déterminer  à  Saint-Cyr  môme  remplace- 
ment du  monastertum  sancti  Cyricii  où  sainte  Eusébie 
vécut  cinquante  ans  (1).  » 

Dans  les  Anciens  Chemins  de  Marseille,  par  Meynier, 
voici  ce  que  l'on  lit  (2)  :  «  Avant  de  terminer  ce  qui  a  trait  à 
l'Huveaune,  il  reste  à  parler  de  son  embouchure,  à  cause 
d'un  établissement  qui  a  donné  matière  à  bien  des  contro- 
verses, le  couvent  des  Gassianites.  La  première  de  ce3  maisons 
fut  édifiée  près  de  Saiut-Victor  ;  quant  à  la  seconde,  celle 
qui  est  admise  par  les  uns  et  contestée  par  les  autres,  celle-là 
a  eu  sa  place  à  l'embouchure  de  l'Huveaune.  Il  a  été  déjà  dit 
qu'il  y  avait  près  de  Saint-Loup  un  couvent  de  femmes  qui 
existait  à  l'époque  des  Sarrasins.  Ceci  repose,  non  point  sur 
une  tradition  vague  et  générale,  mais  sur  une  tradition 
constante  et  accréditée  depuis  longtemps.  Ce  couvent  était 
situé  au  pied  de  la  montagne  de  Saint-Cyr,  nom  que  les 
Cassianites  ont  porté  au  VP  siècle  :  on  les  appelait  religieuses 
de  Saint-Cyr.  D'un  autre  côté,  il  est  dit  que  ce  monastère 
était  situé  à  l'embouchure  de  rHuveaune.  Peut-on  concilier 
ces  deux  opinions  si  diverses  ?  Il  le  semble. 

a  En  examinant  la  plaine  de  Saint-Giniez,  les  amas  de 
sables  accumulés  sur  divers  points,  la  marche  lente  de  la 
rivière,  on  arrive  à  reconnaître  que  des  atterrissements  consi- 
dérables se  sont  formés  sur  ce  point.  La  mer  a  perdu  là  ce 
qu'elle  a  gagné  à  la  plage  de  Séon.  On  peut  admettre  que 
cette  plaine  était  un  vaste  étang,  peut-être  ce  port  de  Léonium 
qui  existait  au  IXe  siècle  et  dont  il  est  parlé  en  son  lieu.  Gela 
posé,  l'embouchure  de  rHuveaune  peut  être  placée  non  loin 
du  Rouet.  Maintenant,  de  ce  point  à  celui  indiqué  par  les  ruines 
du  couvent,  il  reste  bien  2,000  mètres,  mais  rien  n'indique 
que  cet  édifice  a  été  considéré  comme  exactement  placé  à 
l'embouchure  de  la  rivière.  A  l'endroit  où  l'Huveaune  se  jette 

(1)  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr   (Var),  par  l'abbé 
Magl.  Giraud,  p.  14  et  suiv. 

(2)  Meynier,  Anciens  Chemins  de  Marseille,  pp.  43,44. 


—  77  — 

actuellement  à  la  mer,  il  y  avait  les  ruines  du  couvent 
regardé  comme  étant  la  deuxième  maison  fondée  par  les 
Cassianites.  On  reconnut  plus  tard  que  ce  couvent  avait 
appartenu  aux  Prémontrés,  (la  fondation  de  cet  ordre  remonte 
au  XII*  siècle)  et  alors  de  dire  que  les  Cassianites  n'avaient 
jamais  eu  d'établissement  dans  cette  contrée.  Grosson  vint 
visiter  les  ruines,  partagea  l'opinion  des  opposants  et  avec 
beaucoup  de  vivacité. 

«  Toutefois  le  fait  est  appuyé  par  trop  d'auteurs  pour  le 
rejeter  avec  assurance. 

«  A  l'époque  où  Guesnay  écrivait,  si  on  avait  songé  que 
l'embouchure  de  THuveaune  a  pu  être  déplacée,  si  on  avait 
tenu  compte  des  ruines  peu  éloignées  du  Rouet,  de  la  tradition 
constante  sur  ce  fait,  on  aurait  reconnu  que  si  les  Prémontrés 
ont  pu  en  1204  fonder  ce  couvent  à  cet  endroit,  rien  ne 
s  oppose  à  ce  que,  en  410,  Cassien  l'ait  fondé  à  l'embouchure 
primitive.  » 

Nous  rencontrons,  parmi  les  adversaires  de  notre  opinion, 
l'auteur  de  la  monographie  intitulée  :  La  Major,  cathédrale 
de  Marseille,  M.  Casimir  Bousquet.  Cet  auteur,  après  avoir 
dit  dans  son  ouvrage,  sur  la  foi  de  l'historien  Papon,  que  le 
couvent  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  fondé  en  410  par  Cas- 
sien,  était  situé  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  s'en  prend  à 
cet  auteur  de  l'avoir  induit  en  erreur,  et  il  ajoute  : 

«  Papon  a  cru  devoir  admettre  l'existence  simultanée  de 
deux  couvents  de  femmes.  Mais,  pour  que  ce  système  eût 
chance  de  prévaloir,  il  n'aurait  pas  fallu  que  cet  auteur  avouât 
naïvement,  dans  le  deuxième  volume  de  son  Histoire,  qu'il 
n  avait  pas  été  admis  à  consulter  les  archives  de  Saint- Victor. 
Cet  aveu  contient  sa  condamnation.  Si  Papon  avait  eu  accès  à 
ces  archives  de  l'abbaye,  il  aurait  sans  doute  su  que  rem- 
placement du  monastère  cassianite  est  parfaitement  désigné 
dans  le  cartulaire  de  Saint-Victor.  «  Pater  Cassianus,  y  est-il 
«  dit,  f  unda  vit  monasterium  monialium  non  longe  a  ripa  portus 
a  juxta  viam  de  Gardiâ.  »  Voilàqui  est  clair,  ce  nous  semble. 
Kuffl,  Belsunce,  Grosson,  Augustin  Fabre,  Lautard  sont  dans 
terrai  en  affirmant  que  le  premier  couvent  des  dames  de 
Saint-Sauveur  était  situé  près  de  l'abbaye  de  Saint- Victor,  au 

6 


—  78  — 

pied  de  la  montagne  de  la  Garde.  Au  surplus,  une  découverte 
faite  en  creusant  le  bassin  du  carénage  vient  confirmer  plei- 
nement le  texte  du  cartulaire,  ainsi  que  l'opinion  de  Ruffi 
au  sujet  de  l'existence  du  couvent  des  religieuses  cassianites 
dans  le  voisinage  de  l'abbaye.  Une  inscription  tumulaire, 
trouvée  en  juillet  1833,  démontre  que  la  première  demeure 
de  ces  religieuses  s'élevait  au  bord  et  près  de  l'embouchure 
du  port  de  Marseille  (1).-» 

L'auteur  de  l'Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur, 
M.  André  (2),  parlant  du  second  monastère  fondé  par  Cassien, 
dit  «  qu'il  fut  construit  dans  le  voisinage  de  Saint-Victor, 
non  loin  de  la  rive  du  port.  »  Toutefois  la  plus  grande  incer- 
titude a  régné  parmi  les  historiens  sur  la  position  de  ce 
monastère.  André  cite  alors  Ruffi,  Grosson  et  Guindon  et 
Méry.  Puis  il  ajoute  : 

«  Il  serait  difficile  de  déterminer  d'une  manière  précise  la 
position  de  la  première  demeure  des  Cassianites;  nous  savons 
seulement  qu'elle  n'était  pas  éloignée  de  la  rive  du  port.  (En 
note  les  chartes  de  1431  et  1446.)  L'opinion  de  Ruffi  nous 
parait  parfaitement  correspondre  aux  termes  d'une  charte  du 
XI*  siècle  (la  charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor),  dans 
laquelle  il  s'agit  d'une  vigne  qui  confronte  du  levant  le  che- 
min du  Lauret,  du  septentrion  la  terre  de  Sainte-Marie  ou 
des  religieuses  qui  sont  proche  la  rive  du  port ,  dans  le  monas- 
tère fondé  par  Cassien,  et  confronte  également  au  couchant  le 
chemin  de  la  Garde.  » 

L'abbé  J.-J.  Cayol,  dans  son  Histoire  du  village  de  Saint- 
Loup  près  Marseille,  a  efileuré  quelque  peu  notre  sujet.  Il 
a  écrit  : 

«  On  fonda  (  au  quartier  de  Saint-Tronc  )  un  couvent  de 
religieuses  qui  existait  encore  en  1240.  Une  charte  de  Saint- 
Victor  dit  formellement  que  le  6  octobre  1240,  Raymond 
Béranger,  roi  d'Aragon  et  comte  de  Provence,  prit  sous  sa  pro- 
tection la  terre  des  religieuses  de  Carvillian,  ortum  monia- 
lium  de  Carvilliana. . . .  Quelques  antiquaires  croient  que  le 

(1)  La  Major,  parle  docteur  Bousquet,  p.  623. 

(2)  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur  de  A/ar- 
seilley  par  M.  André,  p.  2,  etc. 


—  79  — 

m 

couvent  de  Sainte-Marie  était  une  annexe  de  celui  de  Saint- 
Sauveur,  et  que  c'est  peut-être  là  qu'habitaient  les  des- 
narrados  (1).  a 

L  auteur  de  la  Notice  sur  Saini-Giniez,  le  regretté  M.  le 
chanoine  Daspres,  est  loin  d'avoir  soutenu  notre  opinion  (2). 
G  eût  été  cependant  travailler  à  la  gloire  de  sa  paroisse  que  de 
chercher  à  prouver  qu'elle  était  bien  fondée.  Mais,  après 
avoir  avoué  que  la  plus  grande  incertitude  règne  parmi  les 
historiens  sur  la  position  de  cette  fondation,  il  ajoute  qu'il  se 
doit  à  la  vérité  et  qu'il  suit  l'opinion  de  Rufii.  Il  énumère  les 
raisons  que  Ruffi  a  alléguées,  il  cite  l'opinion  de  Grosson,  de 
Guindon,  et  termine  en  disant  : 

a  Ce  qui  parait  incontestable,  c'est  que  ce  monastère  était 
près  du  port,  car  une  charte  du  XI"  siècle  (charte  40)  parle 
d'une  vigne  qui  confronte  au  nord  la  terre  des  religieuses,  qui 
sont  proche  la  rive  du  port,  dans  le  monastère  fondé  par 
Cassien... 

«  Une  seule  chose  cependant  pourrait  nous  mettre  en  consi- 
dération, ce  serait  la  tradition  constante  et  universelle  de  ceux 
qui  se  souviennent  encore  avoir  vu  la  chapelle  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune  ;  ils  ne  la  dénomment  jamais  que  sous  le 
titre  deis  desnarrados.  Mais  nous  trouvons  l'explication  de 
cette  tradition  dans  la  prise  de  possession  de  cette  chapelle  par 
les  religieuses  cassianites  de  Saint-Sauveur  au  XV?  siècle.  La 
légende  populaire  put  facilement  attribuer  à  ce  lieu  ce  qui 
n'appartient  qu'à  la  congrégation  et,  en  effet,  partout  où  il  y  a 
eu  un  monastère  de  religieuses,  on  place  aussi  ce  glorieux 
fait.  » 

Alfred  Saurel,  dans  sa  description  de  La  Banlieue  de 
Marseille  (3),  écrivait  en  ces  termes  sur  ce  sujet  : 

*  D'après  Papon,  Guesnay,  Denis  de  Sainte- Marthe,  c'est 
dans  le  monastère  qu'elles  habitaient,  près  de  l'embouchure 

(1)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  banlieue  de  Marseille,  par 
l'abbé  J.-J.CayoJ,  chap.  II.  pp.  13,  15,  26. 

(2)  Notice  historique  sur  Saint-Ginies,  par  l'abbé  Daspres,  ch.  111, 
p.  26,  etc. 

(3)  La  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  Saint-Ginies , 
p.  151,  etc. 


—  80  — . 

•  * 

de  PHuveaune,  qu'Eusébie  et  ses  compagnes  se  sont  volontai- 
rement défigurées.  D'autres  historiens,  tels  que  Ruffî,  Grosson, 
Fabre  et  ceux  qui  écrivent  de  nos  jours,  démontrent  que  ce 
monastère  se  trouvait  à  l'entrée  du  port  de  Marseille.  Le 
document  que  nous  citons  avec  d'autres  est  assez  précis  pour 
arrêter  toute  discussion  :  a  Pater  Cassianus  fundavit  monas- 
«  terium  monialium  non  longe  a  ripa  portus,  juxta  viam  de 
«  Gardia.  » 

a  Une  découverte  faile  en  juillet  1833,  quand  on  creusa  le 
bassin  du  carénage,  est  concluante.  C'est  une  inscription 
tumulaire  qui  n'est  autre  que  l'épitaphe  d'Eusébie  et  de  ses 
compagnes.  Le  nom  des  desnarradoa  qui  est  resté  aux  ruines 
que  Ton  voyait  à  l'embouchure  de  la  rivière  n'est  donc  pas 
suffisant  pour  justifier  la  version  de  Papon.  Les  dames  de 
Saint-Sauveur  ayant  reçu  en  don  les  ruines  de  ce  monastère 
en  1407,  le  peuple  désigna  cette  nouvelle  possession  du  nom 
qui  était  encore  donné  aux  religieuses  de  l'ordre  auquel  sainte 
Eusébie avait  appartenu.  » 

La  Gallia  Christiana,  du  P.  Denis  de  Sainte- Marthe,  s'occu- 
pant  aussi  de  l'emplacement  du  monastère  cassianite,  s'ex- 
prime en  ces  termes  : 

«  L'abbaye  de  Saint-Sauveur  fut  fondée  à  Marseille  par 
Paint  Gassien,  auprès  du  cœnobium  de  Saint-Victor,  et  non 
pas  à  l'endroit  que  Guesnay  lui  assigne.  Ruffi,  en  effet,  a  vu 
dans  le  cartulaire  deux  chartes  qui  affirment  que  ce  monastère 
de  femmes  se  trouvait  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  à 
l'endroit  où  en  1685  on  découvrit  des  tombeaux  avec  l'inscrip- 
tion d'Eugenia.  Les  deux  chartes  de  1431  et  1446  confirment 
cette  assertion,  puisqu'elles  disent  que  lorsque  le  monastère  de 
Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Vaudales,  il  y  avait  auprès  un 
monastère  de  vierges  que  Cassien  avait  fondé  (1).  » 

L'abbé  Verlaque,  qui  a  écrit  la  Notice  sur  sainte  Eusébie^ 
a  dit  : 

a  Plusieurs  auteurs  n'étant  pas  d'accord  sur  l'emplacement 
de  ce  monastère,  nous  n'entrerons  pas  dans  une  discussion 
qui  nous  mènerait  trop  loin.  Cependant,  Popiniori  la  plus 

(1)  Gallia  Christiana,  1. 1,  Eccleeia  Mas8iliensi8t  col.  693. 


—  81  — 

accréditée  sur  ce  sujet  est  que  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  fut 
bâtie  au  pied  de  la  montagne  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  sur 
l'endroit  même  où  se  trouve  aujourd'hui  le  bassin  du  carénage. 
D'autres  veulent  qu'elle  ait  été  établie  là  où  se  trouve  actuelle- 
ment la  Major  et,  comme  appui,  ils  signalent  un  passage 
souterrain  qui  existait  entre  la  Major  et  Saint- Victor.  Or,  les 
fouilles  opérées  pour  le  creusement  du  bassin  de  carénage 
n'ont  montré  aucun  vestige  de  ce  souterrain  (1).  » 

Voici  le  résumé  de  ce  que  les  Bollandistes  ont  écrit  sur 
notre  sainte  Eusébie  et  ses  trente-neuf  compagnes,  à  la  date 
du  8  octobre  (2)  : 

(Test  M"  de  Belsuncc  qui,  par  un  décret  du  27  mai  1733, 
fui  la  fête  de  ces  saintes  au  deuxième  dimanche  d'octobre. 
Avant  lui,  aucune  date  n'était  assignée.  Nous  ne  l'avons 
trouvée  indiquée  dans  aucun  martyrologe,  excepté  dans  le 
Sacrum  Gynceceum  d'Arthur  de  Monestier,  qui  place  cette 
fête  au  30  décembre.  Les  autres  martyrologes,  aussi  bien  les 
anciens  que  les  modernes,  se  taisent  sur  ces  saintes  martyres. 
Les  écrivains  môme  qui  parlent  d'elles  et  racontent  leur 
héroïsme,  ne  disent  pas  qu'on  les  honorait  d'un  culte  spé- 
cial, quelques-uns  môme  ne  les  appellent  ni  saintes  ni  bien- 
heureuses. Guesnay,  cependant,  qui  écrivait  quatre-vingts  ans 
avant  le  décret  de  M"  de  Belsunce,  assure  qu'elles  étaient 
honorées  à  Marseille.  Il  est  assez  difficile  d'admettre,  en  effet, 
qu'une  mort  si  héroïque,  un  vrai  martyre,  n'ait  attiré  à  celles 
qui  l'ont  subie  une  vénération  spéciale.  Cependant,  nulle 
part  on  ne  trouve  les  actes  de  cette  passion,  la  tradition  seule 
en  fait  mention. 

£n  quel  endroit  ont-elles  souffert  le  martyre  ?  Sans 
contredit  dans  le  monastère  dont  Gennade  parie  dans  ses 
écrits.  L'emplacement  primitif  de  ce  cœnobium  est  un  objet 
de  discussion.  Qui  le  place  auprès  de  Saint- Victor,  qui  le 
relègue  loin  de  la  ville.  Guesnay  dit  qu'il  s'élevait  sur  les 
bords  de  l'Huveaune,  Belsunce  et  Denis  de  Sainte-Marthe  disent 

(1)  Notice  sur  sainte  Eusébie,  abbesse  et  martyre  du  diocèse  de 
Marseille,  par  l'abbé  Verlaque,  p.  8. 

(2)  Acta  Sanctorum,  Bolland.  t.  IV,  d'octobre,  p.  292,  Sainte  Eusé- 
bie et  ses  compagnes. 


—  82  — 

près  de  la  ville.  Cependant  il  se  trouvait  certainement  hors  de 
la  ville,  lorsque  Eusébie  était  abbesse  et  lorsqu'elle  souffrit 
avec  ses  compagnes. 

Nous  terminerions  volontiers  ces  citations  par  un  emprunt 
fait  au  livre  de  M.  de  Rey  sur  les  Saints  du  diocèse  de 
Marseille,  au  chapitre  de  sainte  Eusébie.  Mais  il  faudrait  tout 
citer.  Nous  devons  donc  nous  contenter  de  l'analyser  : 

Où  se  trouvait  ce  monastère  cassianite,  se  demande  M.  de 
Rey  ?  Suivant  les  uns,  à  Saint-Cyr  près  Saint-Loup  ;  avec 
Ruffi  il  faut  dire  que  c'était  trop  loin  dans  les  bois.  D'autres 
l'ont  placé  à  l'embouchure  de  THuveaune.  Quoiqu'il  y  ait 
eu  en  cet  endroit  une  église  et  une  maison  anciennement, 
et  dont  l'histoire  est  inconnue,  il  ne  paraît  pas  qu'avant 
le  XI*  siècle  les  Cassianites  aient  rien  possédé  à  l'embou- 
chure de  l'Huveaune  et  la  tradition  locale  sur  sainte  Eusébie 
ne  peut  être  plus  ancienne.  Ce  monastère  était  près  du  port, 
la  charte  du  XIe  siècle  le  dit.  Puis,  s'efforçant  d'être  plus  précis, 
M.  de  Rey  arrive  de  déduction  en  déduction  à  fixer  la  position 
du  monastère  au  Revest,'  quartier  de  Rive-Neuve. 

Tels  sont  les  auteurs  qui  sont  opposés  catégoriquement  à 
notre  thèse.  Il  en  est  d'autres,  certainement,  qui  se  sont  occu- 
pés de  la  même  question,  et  qui  sont  aussi  d'un  avis  contraire 
au  nôtre  sur  l'emplacement  du  monastère  où  vécut  sainte 
Eusébie.  Nous  ne  les  connaissons  pas.  D'ailleurs,  la  liste  de 
ceux  que  nous  avons  cités  est  déjà  bien  longue,  et  il  n'est 
guère  probable  que  l'on  puisse  apporter  contre  notre  thèse 
d'autres  arguments  que  ceur  dont  nous  avons  fait  rénu- 
mération. 

Mais  il  n'a  pas  échappé  à  l'attention  de  nos  lecteurs  que 
parmi  les  écrivains  cités,  beaucoup  se  sont  copiés  les  uns  les 
autres,  et  que,  partant,  les  mêmes  objections  ont  plusieurs 
fois  défilé  devant  leurs  yeux. 

Nous  en  faisons  donc  un  résumé  succinct  : 

Suivant  Ruffi  (Louis  de),  la  Gallia  christiana.  Agneau, 
La u tard,  André,  l'abbé  Daspres,  le  monastère  cassianite  se 
trouvait  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  dans  le  voi- 
sinage de  l'abbaye  de  Saint-Victor.  Voici  les  raisons  que  tous 


-83- 

ces  auteurs  ou  quelques-uns  d'entre  eux  ont  données  de  leur 
assertion. 

Ma  charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor  l'affirme; 
2*  en  1685,  on  a  trouvé  à  l'endroit  où  s'élevait  la  chapelle  de 
Sainte-Catherine  des  tombeaux  et  une  inscription  ce  d'Eugenia 
ancilla  Dei*  ;  3°  les  chartes  de  1431  et  1446  disent  que, 
lorsque  Saint- Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait 
tout  auprès  un  monastère  qui  ne  peut  être  que  celui  des 
religieuses  de  Gassien  ;  4*  Cassien  ne  pouvait  établir  ce  monas- 
tère si  loin  de  la  ville,  sans  exposer  ces  saintes  filles  aux 
incursions  des  barbares  ;  5*  ces  saintes  filles  n'auraient  pu 
assister  à  la  messe  le  dimanche,  puisqu'il  n'y  avait  pas 
d'église  en  ce  quartier  de  l'Huveaune  et  qu'elles  n'avaient  pas 
de  chapelles  particulières;  6*  Cassien  voulut  suivre  l'avis  de 
saint  Jean  Chrysostome,  qui  porte  que  les  monastères  ne 
doivent  pas  être  loin  des  villes,  pour  ne  point  être  privés  des 
commodités  de  la  vie  dont  on  ne  peut  se  passer;  7*  parce 
qu'il  voulait  visiter  plus  souvent  ces  religieuses,  les  instruire 
et  les  consoler  dans  leurs  besoins  spirituels. 

Grosson  place  l'abbaye  aux  Catalans.  Il  ne  donne  aucune 
preuve  de  son  assertion. 

Guindon,  Saurel,  Bousquet,  Verlaque  désignent  le  bassin  du 
carénage  comme  l'emplacement  de  ce  monastère.  A  leur  avis, 
la  découverte  que  l'on  fit,  en  1833,  d'une  inscription,  et  le 
texte  de  la  charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor  le  prouvent 
suffisamment. 

Suivant  M.  de  Rey,  l'abbaye  cassianite  aurait  été  au 
quartier  du  Revest,  vu  l'impossibilité  de  la  placer  ailleurs  ; 
et  parce  que,  d'après  une  charte  de  1081,  ce  point  appartenait 
à  Saint-Victor. 

L'abbé  Magloire  Giraud  place  cette  abbaye  Sancti  Cyricii 
à  Saint-Cyr  dans  le  Var,  la  paroisse  dont  il  était  curé,  parce 
qu'une  tradition  locale  indique  la  présence  d'un  ancien 
monastère  de  Saint-Cyr,  et  que  l'on  a  confondu  à  tort  le 
monastère  de  Saint-Cyr  où  vivait  sainte  Eusébie  avec  celui 
que  saint  Cassien  a  fondé  à  Marseille. 

L'abbaye  cassianite  est  à  Saint-Loup,  au  quartier  de 
Saint-Cyr,  a  soutenu  l'abbé  Cayol,  un  enfant  de  Saint-Loup, 


—  84  — 

et  avant  lui  Antoine  de  Ruf  fi,  le  P.  Saint-Alban  et  Meynier. 
La  raison  est  que  en  1240  il  y  avait  là  un  couvent  de  reli- 
gieuses, et  que  celle-ci  y  possédaient  des  biens. 

D'aucuns  affirment  qu'elle  s'élevait  aux  environs  de  la  Ma-* 
jor  ;  Grosson  et  l'abbé  Yerlaque  mentionnent  cette  opinion, 
sans  la  soutenir. 

MM.  D  as  près,  Saurel,  Bousquet,  etc.,  disent  que  le  nom  de 
de8narrado8  que  l'on  donne  à  la  chapelle  en  ruines  située  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune  ne  constitue  pas  une  raison 
suffisante  pour  affirmer  que  le  monastère  de  sainte  Eusébie 
était  aux  bords  de  l'Huveaune. 

Ce  sont  ces  objections  que  nous  allons  combattre  et  tâcher 
de  résoudre. 


CHAPITRE  II 


Divers  emplacements  du  monastère  cassianite 


Première  question  préjudicielle 


LE  MONASTÔBB  CASSIANITE  DE  FILLES,  AUX  ACCOULES,  EN  1077,  —  A 
LA  PLACE  DE  LENCHE,  A  SAINT-8AUVEUR,  EN  1073,  —  AUX  ACCOU- 
LBS,  EN  1069,  —A  LA  PLACE  DE  LENCHE,  EN  1050,  —  AUX  ACCOULES, 
EN  1031,  —  A  LA  PLACE  DE  LENCHE,  EN  1004,  —  PRÈS  DE  SAINT- 
VICTOR,  A  SAINTE-CATHERINE,  EN  923,  —  A  UNE  TERRE  NON  LOIN 
DU  PORT,  SUR  LE  PLATEAU  DE  REVBST,  EN  838,  —  AUX  BORDS  DE 
L'HUVBAUNB,  VERS  738,  —  A  l'huveaune,    LORS  DE  SA  PONDATION. 


Nous  devons,  avant  d'engager  la  discussion,  établir  d'une 
manière  solide,  comme  préliminaires,  trois  propositions  qui 
seront  autant  de  jalons  autour  desquels  elle  roulera,  autant 
de  bases  sur  lesquelles  s'appuieront  nos  arguments. 

D'abord,  le  monastère  des  femmes  et  des  filles  fondé  par 
Cassien,  vers  415,  a  changé  souvent  d'emplacement. 

La  plupart  des  auteurs  sont  d'accord  avec  nous  sur  les  don- 
nées générales  de  ce  changement.  Ruffi  (1)  place  le  monastère 
au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  au  même  endroit  oii  l'on 
a  vu  plus  tard  la  chapelle  de  Sainte-Catherine,  démolie  en 
1685  ;  puis  en  ville,  à  la  place  de  Lenche. 

Monseigneur  de  Belsunce  (2)  dit  que  l'abbaye  de  Saint-Sau- 
veur, après  avoir  souvent  changé  de  place,  a  été  fixée  enfin 
dans  l'endroit  où  elle  est  actuellement,  à  la  place  de  Lenche. 


(1)  Voir  ce  que  disent,  sur  ce  point  particulier,  dans  les  fragments  que 
l'on  a  cités  de  leurs  ouvrages  ut  supra,  ch.  I*p,  les  auteurs  contraires  à 
notre  opinion.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  57,  58. 

(2)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  411. 


—  86  — 

Pour  Grosson,  c'est  aux  Infirmeries  Vieilles,  près  des  Cata- 
lans, que  s'éleva  le  monastère.  Après  737,  ce  fut  aux  environs 
de  Saint- Victor,  et  enfin  aux  Accoules. 

Pour  Lautard  (1),  c'est  dans  le  vaste  quartier  du  territoire 
situé  entre  l'abbaye  de  Saint- Victor  et  l'Huveaune,  puis  en 
ville,  à  la  place  de  Lenche,  aux  Accoules  ensuite,  enfin  de 
nouveau  à  la  place  de  Lenche. 

Guindon  et  Méry  le  fixent  au  bassin  du  carénage  et-,  après 
737,  aux  bords  de  l'Huveaune  (2). 

M.  de  Rey,  enfin,  le  place  d'abord  au  quartier  de  Revest, 
près  de  Saint -Victor,  puis  à  la  place  de  Lenche  (3). 

Mais  où  le  désaccord  commence,  c'est  lorsqu'il  s'agit  de 
fixer  la  date,  sinon  précise,  du  moins  approximative,  de  ces 
changements.  Tandis  que  Grosson  fait  sortir  les Gassianites  de 
leur  monastère  des  Catalans  à  la  suite  de  la  persécution  des 
Sarrasins,  en  737,  et  les  fait  venir  près  de  Saint-Victor,  à 
cette  même  époque  de  Belsunce  les  fait  venir  de  Saint-Victor 
à  la  place  de  Lenche,  à  la  suite  de  ces  invasions,  vers  737  (4). 
D'autre  part  Ruffi,  la  Gallia  christiana  (5),  Lautard  retardent 
jusqu'en  867  ce  transfert  eu  ville,  André  jusqu'en  1030  (6)  et 
M.  de  Rey  jusqu'aux  premières  années  après  le  commence- 
ment du  XI°  siècle  (7).  On  le  voit,  rien  de  précis. 

Essayons  de  fixer  la  date  de  chacun  de  ces  changements  et 
d'indiquer  à  la  fois  et  l'endroit  que  l'on  quitte  et  celui  que 
l'on  vient  habiter. 

Partons  d'une  date  certaine.  Kn  1073,  les  religieuses  habi- 


(1)  Lettres  archéologiques,  pp.  403,  434,  etc. 

(2)  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique,  etc.,  op.  cit.,  t.  V,  p.  202. 

(3)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  pp.  227,  235.  —  Invasions  des 
Saivasins  en  Provence,  p.  139,  etc. 

(4)  V Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  411. 

(5)  c  Potsquam  autem  monasterium,  illud  cum  Victor  in  o  dirutum  est, 
non  quidem  a  Vandalis  sed  potius  a  Normannis,  incerto  anno,  forsan 
8G7,  virgines  illae  in  urbem  migrarunt,  ibique  Sancti  Salvatoris  monas- 
terium sibi  condiderunt...  »  Gallia  christiana,  1. 1,  col.  696. 

(6)  «  Contrairement  à  ce  qui  a  été  dit  sur  la  date  du  transfert  des  reli- 
gieuses en  ville,  il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  ne  s'opéra  que  vers  Tannée 
1030.  »  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  p.  16. 

(7)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  139. 


—  87  — 

tent  le  monastère  de  Sainte-Marie  des  Accoules  dans  la  ville 
de  Marseille  (1).  Qu'était-ce  que  ce  monastère  ?  Ce  n'était  pas, 
à  proprement  parler,  la  demeure  des  religieuses.  «  Les  reli- 
gieuses de  Saint-Sauveur,  dit  deBelsunce,  avaient  déjà  l'église 
des  Accoules,  et  elles  étaient  logées  dans  les  maisons  qui  en 
dépendaient,  en  attendant  qu'elles  pussent  retourner  dans  leur 
monastère  (2).  » 

C'est  aussi  l'avis  de  André,  ainsi  que  celui  de  Ruffi,  qui 
affirme  a  que  les  vicomtes  de  Marseille  tirent  présent  de 
cette  église  des  Accoules  aux  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
pour  y  faire  leur  habitation,  à  cause  que  le  monastère  de 
Saint-Sauveur  était  entièrement  détruit  (3).  » 

Outre  donc  l'église  des  Accoules  qui  servait  provisoirement 
de  monastère,  il  y  avait  le  véritable  cœnobium  qui  était 
appelé  Saint-Sauveur,  c  en  mémoire,  dit  Rufîi,  de  ce  que  le 
Sauveur  du  monde  se  transfigura  sur  une  montagne  (4).  »  Ce 
monastère  de  Saint-Sauveur  était  situé  dans  l'enceinte  de  la 
ville  épisfcopale,  en  dessous  des  murs  de  la  ville  vice-comitale 
de  Marseille  (5).  On  sait  que  notre  cité  était  divisée  en  deux 
parties  :  la  ville  épiscopale  et  la  ville  comitale,  et  suivant  que, 
dans  une  charte,  c'est  Tévôque  ou  le  comte  qui  parle,  Saint- 
Sauveur  est  intra  ou  infra  muros  urbis  (6). 

L'emplacement  précis  de  Saint-Sauveur  était  la  place  de 
Lenche,  de  l'avis  de  tous.  En  1077  donc  les  religieuses  habi- 
taient les  Accoules.  En  1073,  y  habitaient-elles  déjà,  ou  se 

(1)  «  Nos  saoeti moniales  Sanctœ  Mariée  ad  Acua  consistentes,  in  civi- 
tate  Massiliâ,  vendimus  Bernardo  abbati  et  omnibus  monachis  in  mo- 
oasterio  Sancti  Victoris...  >  Gartulaire  de  Saint- Victor,  ch.  88. 

(2)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  op.  cit.,  1. 1,  p.  412. 
(S)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  50,  59. 

(4)  Rufli,  op.  cit.,  p.  58. 

(5)  c  Ad  cœnobium  Sanctœ  Maris  Virginis  quod  est  situm  infra  muros 
Massiliâ*.  »  Donation  de  la  vicomtesse  Stéphanie,  1050.  (André,  Histoire 
de  Vahbaye  Saint-Sauveur,  p.  206.)  —  t  Monasterium  ancillarum  Dei 
quod  est  intra  urbis  nostrœ  ambitum.  »  Charte  de  Pons  II,  évéque  de 
Marseille.  (André,  op.  cit.,  p.  207.) 

(6)  c  Donans  monacharum  monasterio  quod  in  honorem  DeiGenitricis 
Mari»  infra  muros  Massiliœ  situm  est...  »  Charte  de  donation  de  Déo- 

'  <lat,  évéque    de  Toulon,  aux  Cassianites.  (Cassianus  illustratus,  par 
Guesnay,  p.  570.) 


—  88  — 

trouvaient-elles  encore  à  Saint-Sauveur  ?  Cela  dépend  de  l'in- 
terprétation que  Ton  donne  à  une  charte  de  1073. 

D'après  certains  auteurs,  il  s'agit,  dans  cette  charte,  de 
l'église  des  Accoules,  à  laquelle  Pons  II  rendrait  ou  donnerait 
les  droits  de  paroisse. 

Huffi  dit,  en  effet  :  «  Ce  droit  de  paroisse  donné  à  l'église 
des  Accoules  fut  confirmé  huit  ans  après  (1072  ou  1073)  à 
l'abbesse  Garsende,  par  Pons  II,  évéque  de  Marseille,  qui  avait 
élu,  consacré,  intronisé  cette  abbesse.  Ce  prélat  déclare,  dans 
ce  titre,  que  cette  église  était  anciennement  paroisse  (1).  » 

André  affirme  que  a  le  7  janvier  1073,  l'évoque  Pons  II,  le 
jour  môme  de  l'intronisation  et  de  la  consécration  de  Garsende, 
sa  sœur,  que  les  religieuses  avaient  élue  abbesse,  donne  ou  rend 
à  l'église  de  Sainte-Marie  de  l'Abbaye,  c'est-à-dire  des  Accou- 
les, le  droit  de  paroisse  qu'elle  avait  eu  auparavant.  Le  prélat 
ordonna  que  tous  ceux  qui  habitaient  aux  environs  de  cette 
église  et  jusqu'aux  anciens  murs  dépendraient  désormais  de 
Notre-Dame  des  Accoules,  en  qualité  de  paroissiens  (2).  » 

Ainsi,  selon  Ruffi  et  André,  les  religieuses  sont  aux  Accoules 
en  1073,  car,  cette  charte,  disant  que  Pons  II  a  intronisé  et 
consacré  abbesse  sa  sœur  Garsende  ibi,  dans  cette  église,  indi- 
que bien  que  les  religieuses  y  habitaient. 

DeBelsunce  n'est  pas  de  cet  avis,  «  Pons  II,  dit-il,  intronisa 
et  consacra  Garsende  dans  l'église  de  Sainte-Marie,  c'est-à- 
dire  Notre-Dame  des  Accoules,  où  l'élection  avait  été  faite. 
Il  régla  ensuite  le  district  de  l'église  des  Accoules  et  lui  rendit 
les  anciennes  limites.  Il  confirma  Garsende  et  son  monas- 
tère dans  la  possession  de  la  paroisse  et  ordonna  que  tous  ceux 
qui  habitaient  aux  environs  de  l'église  et  jusqu'aux  anciens 
murs  de  la  ville  dépendraient  désormais  de  l'abbaye  de  Saint- 
Sauveur,  en  qualité  de  paroissiens  (3).  » 

Pour  de  Belsunce  donc,  Garsende  est  élue  et  consacrée  aux 
Accoules.  Mais  c'est  l'église  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  qu'il 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  50. 

(2)  André,  Histoire  de  V Abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
p.  23. 

(3)  V Antiquité  de  V Enlise  de  Marseille,  par  M"p  de  Belsunce,  t.  I, 
p.  421. 


—  89  — 

érigea  en  paroisse.  Ainsi  les  religieuses,  suivant  de  Belsunce, 
habitaient  Saint-Sauveur  en  1073.  Qui  a  tort  ?  qui  a  raison  ? 
Recourons  au  texte. 

Voici  d'abord  la  lecture  que  la  Gallia  christiana  donne  de 
celle  charte  de  1073  :  «  Notum  sit  fidelibus  univer- 
sis  quod  ego  Pontius,  urbis  Massilise  episcopus,  sanctimo- 
nialium  feminarum  ad  ecclesiam  Sanctae  Mariae  abbatise  omnes 
circa  ipsam  habitantes  usque  ad  veteris  urbis  muros  paro- 
chialiter  pertineant,  in  omni  ecclesiasticâ  ordinatione,  nostro 
donatu  (1).  » 

En  note,  la  Gallia  christiana  dit  que  la  Gallia  christiana 
quadripartita  fait  lire  :  a  Sanctimonialium  feminarum  paro- 
chiam  dono  infra  Massiliam  in  vice-comitali  parte,  scilicet 
ut  ad  ecclesiam  Sanctae  Mariae  »,  etc.,  comme  plus  haut  (2). 

De  Belsunce  donne  ces  mots  de  surplus  entre  parenthèses  (3) 
et  André  (4)  les  cite  comme  le  texte  même  de  la  charte.  Or, 
la  Gallia  christiana,  qui  ne  donne  pas  ces  mots  de  surplus, 
affirme  que  son  texte  provient  «  ex  autographo  (5)  »  et  de  Bel- 
sunce dit  que  :  cela  (ces  mots  entre  parenthèses)  ne  se  trouve 
pas  dans  l'acte  qu'on  conserve  aux  archives  de  Saint-Victor  (6). 

Si  Ton  prend  donc  le  texte  de  la  charte  tel  qu'il  est  cité  par  la 
Gallia  christiana,  qui  parait  être  le  texte  authentique,  car 
les  mots  de  surplus  ne  sont  qu'une  explication,  et  dono  qu'une 
répétition  de  nostro  donatu ,  il  semble  que  Ruffi,  André,  Bel- 
sunce ont  eu  tort  de  parler  ici  de  l'église  des  Accoules. 

A  notre  avis,  voici  le  sens:  Pons,  évoque  de  Marseille, 
règle,  par  sa  propre  autorité,  nostro  donatu,  que  tous  ceux 
qui  habitent  autour  de  l'église  Sainte-Marie  de  l'Abbaye  des 
religieuses  seront  les  paroissiens  de  cette  même  église  :•  a  ut 
omnes  circa  ipsam  habitantes  parochialiter  pertineant    ad 


(!)   Gallia   christiana,   t.   I,  Eccîesiœ  Massiliensis  instrumenta, 
col.  112,  XVIII. 

(2)  Gallia  christiana,  ibidem . 

(3)  De  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  421,  en  note. 

(4)  André,  op.  cit. ,  pièces  justificatives,  pi  209,  C,    donation  de  l'évé- 
quePons,  1072. 

(5)  Gallia  christiana,  t.  I,  Instrumenta,  c.  112,  XX,  en  marge: 

(6)  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  421,  en  note. 


—  90  — 

ecclesiam   Sanctae  Mariae  abbatise  sanctimonialium  femina- 
«  rum.  » 

Or,  cette  ecclesiam  Sanctœ  Mariœ  abbatiœ,  de  la  charte 
de  1073,  est  la  même  que  V  ipsam  videlicet  abbatiam  de 
la  charte  de  1069  (1).  En  effet,  après  avoir  parlé,  dans 
cette  charte,  du  a  monasterium  ancillarum  Dei  quod  est 
infra  muros  Massiliae,  ecclesia  scilicet  Sanctœ  M... .  ad  Acuas 
praedictum  »,  on  ajoute:  «et  ipsam  videlicet  abbatiam». 
Mais  cette  ipsam  abbatiam  n'est  pas  autre  que  Saint-Sau- 
veur (2).  Donc  il  s  agit  de  Saint-Sauveur  dans  cette  charte 
de  1073.  La  phrase  latine  est  embarrassée,  c'est  vrai;  mais 
les  autres  chartes  du  môme  Pons  II  ne  sont  pas  d'un  style 
plus  correct  et  plus  clair.  Quelque  copiste,  pour  i'éclaircir,  a 
ajouté  plus  tard  les  mots  entre  parenthèses.  Du  coup  il  a 
défiguré  le  texte  primitif.  Or,  s'il  est  dit,  dans  cette  même 
chartedel073:  ibi  intronisavi  ac  consecravt,  c'est  donc  dans 
cette  église  de  Sainte- Marie  de  l'Abbaye  des  religieuses  que 
Garsende  a  été  élue,  intronisée  et  consacrée  ;  et  si  cette  église 
de  Sainte-Marie  de  l'Abbaye  est  l'église  de  Saint-Sauveur, 
c'est  donc  à  Saint-Sauveur  que  les  religieuses  se  trouvaient 
en  1073. 

Ce  n'était  pas  cependant  depuis  de  longues  années  qu'elles 
habitaient  ce  monastère  de  la  place  de  Lenche.  Car  en  1069, 
Pons  II  et  son  frère  Geoffroy,  vicomte  de  Marseille,  «  vou- 
lant rétablir  le  monastère  des  servantes  de  Dieu,  situé  dans 
l'enceinte  de  notre  ville,  monastère  que  les  traditions  des 
anciens  affirment  avoir  été  établi  par  le  fondateur  du  monastère 
de  Saint- Victor,  le  bienheureux  Cassien;  désirant  correspondre 
de  tout  leur  cœur  à  la  volonté  de  Dieu,  réaliser  le  dessein 
que  leur  père,  le  seigneur  et  vénérable  comte  Guillaume, 
avait  eu  d'établir  dans  ce  monastère  des  femmes  pieuses  pour 


(1)  c  Donamus  igitur  ego  Pontius,  Massiliensis  episcopus,  cum  canoni- 
cis  nostrse  sedis,  et  ego  Joffredus,  vicecomes,  una  cum  uxore  et  flliis 

meis monasterium  ancillarum  Dei  quod  est  infra  urbem  Massiliam 

ecclesiam  scilicet  Sanctae  Marias.....  ad  Acuas  predictum,  et  ipsam 
videlicet  abbatiam»  cum  omnibus  quae  ad  eam  pertinent...  »  Cha-te  de 
Pons  II,  1069.  (André,  op.  cit.,  pièces  justilicatives,  p.  207.) 

(2)  On  va  le  voir  à  la  page  suivante. 


V 

\ 


—  91  — 

y  servir  Dieu  et  de  restaurer  cette  maison  qu'il  avait  trouvée 
entièrement  détruite,»  confièrent  ce  monastère  des  religieuses, 
qui  est  situé  en  dessous  delà  ville  de  Marseille,  à  savoir  l'église 
de  Sainte-Marie  appelée  des  Accoules,  et  l'abbaye  elle-même, 
avec  tout  ce  qu'elle  possède,  à  la  direction  et  l'administration 
de  l'abbé  de  Saint- Victor  (1  ). 

Expliquons  ce  passage  de  la  charte  de  1069.  Il  ne  faudrait 
pas  traduire  ces  mots  a  ecclesiam  Sanctae  Mariœ  ad  Acuas 
praedictum  et  ipsam  abbatiam...  »  par:  «  l'église  de  Sainte- 
Marie  des  Accoules  et  l'abbaye  elle-même  (des  Accoules)  » . 
(Test  Pons  II  qui  rédige  cette  charte,  il  parle  en  son  nom  et 
au  nom  de  son  frère  Geoffroy.  Mais,  comme  c'est  lui  évêque 
qui  règle  une  question  de  juridiction,  il  dirige,  il  conduit  la 
phrase.  Or,  s'il  a  dit  plus  haut,  dans  cette  même  charte,  que 
le  monastère  des  religieuses  fondé  par  Gassien  se  trouve 
intra  urbis  nostrœ  ambitum,  dans  l'enceinte  de  sa  ville 
épiscopale  (2),  la  place  de  Lenche,  en  effet,  est  dans  l'enceinte 
de  la  ville  de  l'évéque,  il  ne  faut  pas  lui  faire  dire,  dix  lignes 
plus  bas,  que  ce  monastère  se  trouve  dans  la  ville  comtale, 
en  dessous  de  la  ville  (épiscopale).  li  ipsam  videlicet  abbatiam 
est  donc  un  édifice  distinct  de  Yecclesiam  Sanctœ  Mariœ 
ad  Acuas.  L'une,  Y  ipsam  videlicet  abbatiam,  se  trouve 
intra  urbis  nostrœ  ambitum,  c'est  Saint-Sauveur;  l'autre, 
Yecclesiam  Sanctœ  Mariœ  ad  Acuas ,  l'église  de  Sainte- 
Mai  ie  des  Accoules,  se  trouve  infra  urbem  Massiliœ,  en 
dessous  de  la  ville  épiscopale,  dans  la  ville  vice-comtale. 

Celte  explication  donnée,  il  est  visible  qu'il  s'agit,  dans  cette 
charte,  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur.  Le  monastère  que 
Pons  II  et  Geoffroy  veulent  restaurer  est  celui  qui  est  situé 
intra  urbis  nostrœ  ambitum  ;  c'est  donc  Saint-Sauveur  qui 
est  en  ruines.  Les  religieuses  donc  ne  l'habitaient  pas  encore, 
en  1069  ;  mais  elles  se  trouvaient  à  Sainte-Marie  des  Accoules. 

(1)  Charte  de  Pons  II,  évoque  de  Marseille.  (André,  op.  cit.,  pièces 
justif.,p.  207.) 

(2)  c  Ideoque  monasterium  ancillarum  Dei  quod  est  intra  urbis 
nostrœ  ambitum,  a  beatissimo  Gassiano,  cœnobii  Sancti  Victor is  abbate, 
olim  fuodatum...  *  Charte  de  Pons  II,  1069.  (André,  op.  cit.,  p.  207, 
pièces  justificatives.) 


—  92  — 

C'est  bien  ce  que  dit  la  charte  :  le  monastère  des  religieuses 
qui  est  au-dessous  de  la  ville  de  Marseille,  appelé  l'église 
Sainte-Marie  de?  Accoules. 

Quel  était  le  motif  qui  amenait  l'évoque  et  son  frère 
Geoffroy  à  céder,  à  l'abbé  de  Saint- Victor,  Saint-Sauveur  et  les 
Accoules,  pour  les  administrer?  C'était,  d'une  part,  le  peu  de 
ressources  que  ce  monastère  possédait  ;  d'autre  part,  l'inintel- 
ligence, le  manque  de  fermeté  que  ces  religieuses  apportaient 
dans  le  maniement  de  leurs  affaires  temporelles  (1).  Quoi  qu'il 
en  soit,  en  1069,  les  religieuses  n'étaient  pas  à  Saint-Sauveur, 
mais  aux  Accoules  (2). 

Elles  n'étaient  absentes  de  Saint -Sauveur  que  depuis  quelques 
années  à  peine.  En  1050,  en  effet,  la  mère  de  Pons  II  et  de 
Geoffroy,  la  vicomtesse  Stéphanie,  veuve  de  Guillaume  le 
Gros,  faisait  donation  de  quelques  terres  à  Solliès,  et  de  l'égli- 
de  Notre-Dame-de-Beaulieu,  près  de  cette  ville,  au  cœnobium 
Sancti  Salvatoris,  ou  cœnobium  Sanctœ  Virginia  qui  était 
situé  «  infra  muros  Massilise  »  (3).  C'est  la  vicomtesse  Stépha- 
nie qui  parle  dans  la  charte  ;  pour  elle,  le  monastère  est  en 
dessous  des  murs  de  la  ville  vice-comtale.  En  1050  donc,  les 
religieuses  habitent  Saint-Sauveur. 

Elles  n'y  étaient  que  depuis  peu  de  temps  encore,  puisque, 
en  1033,  le  seigneur  de  Rians,  Geoffroy,  et  sa  femme  Scotia, 
consacraient  à  Dieu  leur  fille  Vauburge,  et  la  cérémonie  avait 
lieu  dans  l'église  des  Accoules  (4).  Saint-Sauveur  était,  en 
effet,  en  réparation  à  ce  moment. 

Cette  réparation  avait  été  entreprise  sous  Tabbesse  Adalmoïs, 
en  1031,  par  le  comte  Guillaume,  père  de  Pons  II  et  de  Geof- 


(i)  DeBelsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  414. 

(2)  André,  op.  cit.,  p.  21. 

(3)  André,  op.  cit.,  pièces  justif.,  B,  donation  de  la  vicomtesse  Stépha- 
nie, p.  206. 

(4)  De  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  412.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille, 
t.  II,  pp.  50,  59. —André, op.  cit.,  p.  19. 

«  Eam  sanctimonialem  in  templo  Domini  offerimus  in  monasterio  mo- 
nacharum  quod  vocatur  Alas  Accoas,  quod  œdificatum  est  in  honorent 
Sanctœ  Genitricis  Mariœ.  »  S.  Cassianus  iîlustratus,  par  Gucsnay, 
p.  704. 


—  93  — 

froy,  et  par  son  frère  Fulco(l).  Ces  deux  vicomtes  de  Marseille 
avaient  trouvé  ce  monastère  détruit  de  fond  en  comble  a  ex 
totopenitus  destructum  »,  dit  la  charte  de  1069(2).  C'était 
pour  doter  ce  monastère  qui  se  reconstruisait,  que  l'évoque  de 
Toulon,  Déodat,  lui  donnait,  en  1031,  l'église  de  Sainte-Marie, 
au  territoire  de  Solliès  (3),  que  Guillaume,  en  1032,  lui  cédait 
la  quatrième  partie  de  la  juridiction  et  des  droits  seigneuriaux 
du  lieu  d'Allauch  (4)  et  que,  en  1050,  la  vicomtesse  Stéphanie 
lui  donnait  les  terres  dont  on  a  parlé  plus  haut  (5). 

S'il  fallait  en  croire  André,  ce  monastère  de  Saint-Sauveur, 
que  Ton  relevait  de  ses  ruines  en  1031,  n'aurait  compté  que 
quelques  années  d'existence.  Cet  auteur  suppose  que  c'était  le 
premier  monastère  construit  dans  la  ville  à  l'usage  des  Cassia- 
nites  (6).  C'est  eu  1030  que  ces  religieuse,  quittant  le  voisinage 
de  Saint- Victor,  seraient  venues  à  la  place  de  Lenche.  Mais  la 
charte  de  1069  démontre  l'erreur  d'André.  Guillaume  et  Fulco 
ont  trouvé  ce  monastère  complètement  ruiné,  ils  commencent 
à  le  reconstruire  en  1031,  sous  Adalmoïs  :  il  faut  donc  suppo- 
ser un  monastère  plus  ancien  à  la  place  de  Lenche.  C'est  donc 
antérieurement  à  Tan  1030  que  les  religieuses  y  sont  venues. 
Les  raisons  sur  lesquelles  André  s'appuie  pour  soutenir  son 
dire  ne  valent  rien.  Car  le  texte  de  la  charte  40  du  X?  siècle 
n'a  pas  le  sens  qu'il  lui  donne,  nous  le  prouverons  plus  tard  (7) 
et  l'inscription  tumulaire  de  Tillisiola,  qu'il  regarde  comme  la 


(1)  Ruffi,  op.  cit.,  t.  II,  p.  59.  —  De  Belsunce,  op.  cit.,  t.  II,  p.  411. 

(2)  Charte  dePous  II,  évoque  de  Marseille,  1069  (André,  op.  cit.,  piè- 
ces justif .,  p    207)  : 

«  Et  quidem  hoc  ipsum  (monasterium)  pater  noster  dominus  ac  vene- 
rabilis  VHlelmus,  vicecomes,  in  votis  habuit  et  devotas  ibi  feminas  ad 
serviendum  Christo  constituera,  ipsumque  locum  quem  ex  toto  penitus 
destructum  invenerat  aliquatenus  renovare. . .  » 

(3)  Donation  de  Deodat,  évéque de  Toulon,  à  Saint-Sauveur.  (Provins 
cirp  Massiliensis  Annales,  par  Guesnay,  p.  292  ;  S.  Cassianus  illustrât  us, 
parGuesnay,  p.  670.) 

I)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  Il,  p.  59. 

(5)  André,  op.  cit.,  pièces  justif.,  D,  donation  de  la  vicomtesse  Stépha- 
nie, p.  206. 

(6)  André,  op.  Ht.,  pp.  16,  18. 

(7)  Voir  le  chapitre  de  cet  ouvrage  intitulé  :  La  charte  40. 

1 


-  94  - 

première  abbesse  de  Saint-Sauveur,  après  le  rétablissement  de 
ce  monastère  en  ville  (1),  est  bien  antérieure  à  Tau  1030.  M. 
de  llossi  la  fait  remonter  au  VI*  ou  VIP  siècle. 

La  date  de  construction  de  ce  monastère  réparé  en  1031, 
une  charte  de  1004  semble  l'indiquer.  Il  s'agit,  dans  cette 
charte,  de  l'élection  de  Pontia  (2),  en  qualité  d 'abbesse  de  Saiiit- 
Sauveur,  et  il  est  dit  d'une  Ëlgarde  qui  assiste  avec  ses  trois 
fils  à  celte  cérémonie,  qu'elle  est  la  fondatrice  de  ce  même  mo- 
nastère :  «  ejusdem  monasterii  fundatricis  ».  Les  auteurs 
s'accordent  à  dire  que  Pontia  est  une  abbesse  de  Saint-Sau- 
veur (3).  De  plus,  en  fait  de  monastère  de  religieuses,  il  n'y 
avait  à  Marseille,  à  cette  époque,  que  celui  de  Saint-Sauveur. 
Dans  cette  charte  de  1004,  il  s'agit  donc  de  Saint- Sauveur.  Et 
comme  Elgarde  est  appelée  la  fondatrice  de  ce  monastère  dont 
Pontia  est  élue  abbesse,  c'est  bien  Elgarde  qui  a  fondé  Saint- 
Sauveur.  La  date  de  la  construction  du  monastère  que  Ton 
restaure  en  1031  est  donc  bien  l'an  1004. 

Ce  qui  achève  de  le  prouver,  c'est  que  le  monastère  d'Elgar- 
de  a  été  bâti  à  la  place  de  Lenche  et  pas  ailleurs. 

Impossible,  en  effet,  d'admettre  avec  André  et  M,  de  Rey  que 
le  monastère  d'Elgarde  a  été  construit  dans  le  voisinage  de 
Saint-Victor  (4).  Cette  personne,  peut-être  l'épouse  de  quelque 
vicomte,  connaissait  certainement,  pour  les  avoir  entendu 
raconter  par  ses  aïeux,  les  désastres  de  923,  la  destruction  de 
l'abbaye  de  Saint- Victor,  l'incendie  de  la  cathédrale,  le  pillage 
delà  ville;  elle  connaissait  aussi  le  fait  de  l'enlèvement  par 
les  Danois  d'un  certain  nombre  de  religieuses,  en  838.  Souvent 
on  avait  dû  rappeler  autour  d'elle  la  mort  héroïque  d'Eusébie 
et  de  ses  chastes  compagnes  ;  et  elle,  une  femme  timide, 
douce  par  nature,  oubliant  ces  horreurs,  ces  massacres,  rebâ- 
tira loin  de  la  ville,  puisque  le  port  l'en  sépare,  un  monastère 
de  filles  ou  de  femmes  1  Quelle  folie  !!  Que  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  se  relève  de  ses  ruines  sur  le  même  emplacement,  on  le 

(1)  Audré, op.  cit.,  p.  17. 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  ch.  1053,  du  6  janv.  1004. 

(3)  BelsuQce,  op.  cit.y  t.  I,  p.  413.—  André,  op.  cit.,  p.  17. 

(4)  André,  op.,  cit.t  p.  17.  —  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence, 
p.  139. 


—  95  — 

comprend,  c'est  un  monastère  d'hommes.  Ces  moines  s'entou- 
rent de  remparts,  à  l'abri  desquels  ils  pourront  se  défendre, 
ce  qui  à  cette  époque  devait  être  habituel.  Il  ne  se  passait  pas 
de  longs  jours,  en  effet,  sans  que  Ton  dût  endosser  la  cuirasse 
sur  la  robe  de  bure,  interrompre  le  chant  des  louanges  de  Dieu 
pour  armer  son  bras  et  courir  à  l'ennemi.  Mais  des  femmes  ; 
des  filles,  que  pourraient-elles?  Non,  si  Elgarde  a  bâti  un  mo- 
nastère, c'est  sûrement  dans  l'intérieur  de  la  ville.  Le  monas- 
tère de  1004  est  le  même  que  celui  de  1031.  En  1004  donc,  les 
religieuses  de  Saint-Sauveur  sont  à  la  place  de  Lenche. 

Hais,  antérieurement  à  Tan  1004,  où  se  trouvait  le  monas- 
tère ?  Sûrement,  en  923  il  était  auprès  de  Saint-Victor,  c'est- 
à-dire  de  l'autre  côté  du  port.  Les  chartes  de  1431  et  1446  en 
donnent  la  preuve. 

Ces  deux  documents,  que  nous  étudierons  plus  tard,  disent 
que  ce  monastère  de  Saint-Victor  et  un  autre  qui  autrefois 
en  était  voisin,  détruit  par  les  Vandales,  avaient  été  fondés 
par  Cassien  (1).  Les  Vandales,  qui  ont  détruit  ces  monas- 
tères, ne  sont  autres  que  les  Sarrasins.  Car  la  charte  de 
1040,  faisant  le  tableau  de  la  désolation  sous  laquelle  l'abbaye 
de  Saint- Victor  avait  été  plongée  durant  de  longues  années, 
l'attribue  à  un  agent  rusé  d'origine  vandale,  «  callidus  exactor 
de  vaginâ  Vandalorum  (2).  »  Or,  nous  savons  que  l'abbaye  de 
Saint-Victor  ne  fut  déserte  qu'à  l'époque  de  923,  lors  de 
l'invasion  des  Sarrasins  (3).  De  plus,  la  charte  de  1005  dit  que 
la  «  gens  barbarica  »,  qui  couvrit  de  ses  hordes  la  Provence, 
détruisit  les  églises  et  saccagea  les  monastères,  était  arrivée 


(1)  «  Gassianus,  qui  hoc  praesens  monasterium  et  aliud  olim  sibi 
vicinum  in  diebus  illifl  per  profanos  Vandalos  funditus  demolitum  miré 
condidit.  »  Chartes  de  1491  et  1446.  (Chartes  de  D.  Lefournier,  t.  III; 
archives  départementales.) 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  14,  du  5  oc  t.  1040.  —  La  plupart 
des  chroniqueurs  qui  ont  raconté  les  désolations  dont  la  France  fut  le 
théâtre  à  l'époque  des  invasions  des  Sarrasins,  se  servent  indifféremment 
des  termes  :  Vandales,  Sarrasins,  Païens.  Voir  les  chroniqueurs  cités 
par  de  Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  288  ; 
Cartulaire  L  II,  à  la  table,  p.  823;  Barras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  VII,  p.  22. 

(3)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  124  et  suivantes. 
—  Vie  des  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  8. 


-  96  — 

en  Provence  plusieurs  cycles  d'années  après  le  décès  de 
Charlemagne  (1),  postérieurement  à  Tan  814.  Donc  il  ne  s'agit 
pas  de  Vandales.  Il  faut  lire:  à  l'époque  où  les  Sarrasins 
détruisirent  Saint- Victor,  il  y  avait  un  monastère  voisin  de 
celui-ci  et  fondé  par  Gassien  (2).  Or,  les  Sarrasins  ne  détrui- 
sirent Saint-Victor  qu'en  922  ou  923.  Donc,  à  cette  époque, 
le  monastère  cassianite  se  trouvait  auprès  de  Saint- Victor. 

Mais,  de  923  à  l'an  1004,  quelle  place  occupait  ce  monas- 
tère ?  C'est  une  chose  curieuse  que  de  Tan  923  à  l'an  1004  on 
semble  perdre  de  vue  ce  monastère  cassianite  de  filles. 
Aucune  charte,  aucun  document  que  nous  connaissions  n'en 
fait  mention.  L'Ordre  semble  avoir  disparu  dans  la  tourmente 
de  923. 

A  vrai  dire,  on  ne  doit  pas  s'en  étonner.  Ce  fut  une  crise 
terrible  pour  l'église  de  Marseille  que  cette  époque  du 
X*  siècle.  Les  chartes  de  Saint- Victor  tracent  de  ces  années 
un  bien  sombre  tableau.  «  Lorsque  le  Dieu  tout-puissant,  lisons- 
nous  dans  la  charte  15  de  l'an  1005,  voulut  châtier  le  peuple 
chrétien,  il  se  servit  des  païens.  Une  nation  barbare  fit 
irruption  en  Provence,  se  répandit  de  tous  côtés,  en  augmen- 
tant chaque  jour  sa  force  et  son  courage,  parvint  à  s'emparer 
de  tous  les  lieux  fortifiés,  s'y  établit,  s'y  livra  au  pillage  des 
églises,  et  beaucoup  de  monastères  furent  détruits;  les  endroits 
qne  l'on  aimait  à  visiter  devinrent  d'affreuses  solitudes,  et  là 
où  les  hommes  habitaient,  les  bétes  féroces  établirent  leurs 
repaires.  C'est  ce  qui  advint  au  monastère  de  Saint-Victor, 
le  plus  fameux  de  la  Provence.  Il  fut  dévasté,  mis  en  ruines 
et  réduit  à  néant  (3).  »  L'histoire  est  là  pour  confirmer  le 

(1)  «  Sed  post  multa  curricula  annorum.  cum  idem  piissimus  princeps 
a  sœculo  decessisset.  »  «Jartulaire  de  Saint-Victor,  charte  15. 

(2)  Voir  au  chapitre  intitulé:  Les  chartes  de  iâSi  et  ihkQ,  de  ce  présent 
ouvrage,  un  autre  sens  que  l'on  pourrait  donner  à  cette  phrase  ;  ou 
arrive  cependant  à  la  môme  conclusion. 

(3)  t  Sed,  post  multorum  curricula  annorum,  cum  idem  piissimus 
princeps  a  seculo  decessisset,  et  omnipotens  Deus  vellet  ilagellare 
populum  christianum  per  seviciam  paganorum,  gens  barbarica  in  regno 
Provincial  irruens,  circumquaque  diffusa,  vehementer  invaluit,  ac 
munitissima  quseque  loca  obtinens  et  inhabitans  cuncta  vastavit, 
ecclesias  ac  monasteria  plurima  destruxit,  et  loca  (juse  desiderabilia 


—  97  — 

dire  des  chartes.  Les  Sarrasins,  qui  depuis  891  ou  892  s'étaient 
emparés  du  Fraxinet,  se  répandirent  dans  toute  la  Provence, 
occupant  d'abord  les  côtes,  puis  promenant  leurs  hordes 
sauvages  dans  le  haut  pays,  prenant  les  villes,  les  saccageant, 
et  descendirent  vers  la  basse  Provence.  Lentement  le  cercle 
se  rétrécit  autour  de  Marseille.  En  922  et  923,  ils  se  jettent  sur 
elle,  la  pillent,  la  saccagent.  La  cathédrale  est  incendiée, 
Saint- Victor  est  dévasté  et  réduit  à  néant  (1). 

La  position  est  si  précaire,  que  les  chanoines  qui  ne  peuvent 
plus  occuper  leurs  sièges,  que  les  clercs,  les  hommes 
libres,  les  serfs  n'ont  ni  nourriture,  ni  vêtements.  Le  mal- 
heureux évoque  de  Marseille,  Drogon,  en  est  réduit  à  solli- 
citer de  son  métropolitain,  l'archevêque  d'Arles,  le  pain  et  le 
vêtement  pour  ses  prêtres  et  ses  fidèles  (2). 

Incontestablement  le  monastère  des  religieuses,  où  qu'il 
se  trouve,  en  923,  auprès  de  Saint-Victor,  a  été  détruit. 
Les  auteurs  l'admettent,  l'abbé  Daspres,  André,  de  Rey,  etc., 
etc.  (3).  Et  cette  ruine  est  si  complète,  qu'à  notre  avis 
il  disparaît  entièrement!  C'est,  d'ailleurs,  ce  qui  arrive 
momentanément  à  l'abbaye  de  Saint- Victor.  La  charte  14  de 
Fan  1040  l'atteste  :  «  Le  monastère  a  vu  périr  ses  nombreux 
enfants,  qui  étaient  sa  gloire.  Il  végète  maintenant  dans  les 
larmes  de  la  solitude,  ruiné,  malheureux,  et  il  traîna  ainsi  de 
longs  jours  une  douleur  qui  le  rongeait  (4).  »  Une  autre 
charte  565,  de  l'an  1055,  dit  encore:  «  Le  monastère  détruit 

videbantur,  in  solitudine  redacta  sunt,  el  quae  dudum  fuerat  habitatio 
homlnum,  habitatio  postrnodum  cepit  esse  ferarum  ;  sicque  factum  est 
ut  monasterium  illud  quod  olim  prsecipuum  ac  famosissimum  in  tôt  A 
Provinciâ  fuerat,  adnullatum  et  pêne  ad  nihilum  est  redactum.  » 
Cartulaire,  t.  I,  charte    15. 

(1)  M.  de  Rey,  Invastons  des  Sarrasins  en  Provence,  passiin. 

(2)  «  Vir  Drogo,  Massiliensis  episcopus,  singultuoso  planctu  canônicos 
suse  ecclesiae  propter  continuos  Sarreceuorum  impetus  suis  in  locis 
manere  non  posse  conquestus...  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  1. 

(3)  Daspres,  Satire  sur  Saint-Ginies,  p.  28.  —  André,  op.  rit.,  p.  12. 
—  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  139;  Idem, 
Saints  de  Marseille,. p.  230. 

(A)  «  Hoc  extincto,  sobolumque  flore  amisso,  viduitalislacryma,  flexibi- 
liset  infelix,  nimisque  senlo  consumptum  permansit...  »  Cartulaire  de 
Saint-Victor. 


-  98  - 

par  les  Païens  avait  perdu  non  seulement  ses  biens,  mais  il 
s'était,  pour  pour  ainsi  dire,  perdu  lui-môme,  réduit  qu'il 
était  en  servitude  (1).  »  Ce  ne  fut  qu'en  966,  sous  Honoré  II, 
évoque  de  Marseille,  qu'il  revint  à  l'existence  et,  à  ce  moment, 
Tévôque  qui  rend  des  biens  à  Saint-Victor  ne  fait  aucune 
mention  des  moines  de  l'abbaye.  Il  n'y  en  a  pas.  Ce  n'est  qu'en 
970  que  Ton  parle  de  Saint- Victor  et  de  ses  moines  (charte 
598)(2).  Trente  ans  après  ce  relèvement,  vers  l'an  1000,  Garnier, 
Tabbé  de  Saint- Victor,  n'a  avec  lui  que  cinq  religieux.  Ce  n'est 
qu'en  1005  qu'il  en  compte  vingt-cinq  (3).  On  le  voit,  l'abbaye 
de  Saint- Victor  s'est  relevée  bien  lentement. 

Il  dut  en  être  de  même  de  l'abbaye  cassianite  des  filles. 
Détruite  en  923,  ce  ne  fut  qu'au  bout  de  trois  quarts  de  siècle 
qu'elle  put  se  relever.  Et  c'est  encore  la  charte  de  1004  qui  en 
est  la  preuve.  Examinez-la  dans  le  détail.  Il  s'agit,  nous  l'avons 
dit,  de  l'élection  d'une  abbesse.  Or,  combien  y  a-t-il  de  reli- 
gieuses, pour  faire  cette  élection  (4)  ?  Trois  sont  nommées, 
tout  au  plus  quatre  ;  en  comptant  Pontia,  qui  fut  élue,  elles 
sont  cinq.  Mais  à  cette  cérémonie  il  y  a  un  concours  assez 
extraordinaire:  deux  évoques,  de  pieux  laïques,  de  vénérables 
dames,  El  garde  et  ses  trois  fils,  même  un  chef  de  soldats,  et 
son  escorte.  Il  est  dit  dans  cette  charte,  en  propres  termes, 


(1)  «  ...  ipsum  monasterium,  a  paganis  destructum,  non  solum  sua, 
sed  etiam  se  ipsum,  in  solitudine  redactum,  amiserat. . .  >  Cartulaire  de 
Saint- Victor. 

(2)  De  Rey,  Invasion*  des  Sarrasins  en  Provence. 

(3)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  Saint  -Viffred,  pp.  305-306. 

(4)  «  Idcirco  nos  dicate  Deo  mulieres,  Rainberga,  Fradegarda,  Suffi- 
cia...  quatlnus  eis  de  quibus  loquimur  consortes  esse  possimus,  anno 
millésime»  quarto  trabcationis  dominiez,  indictione  V,  mense  duodecirao 
qui  dicitur  Janus,  atque  ejusdem  VII  idus,  coram  prsesentia  sacrorum 
antitistum  Produs...  ceetenimque  piorum  hominum,  et  ante  conspectum 
nobilis  matrone,  ejusdem  monasterii  fundatricis,  una  cum  flliis  suis 
(nomen  etenim  ejus  Elgarda  dicitur,  ipsius  vero  nliorum  suorum  notan- 
tur  Garinus,  Vigo,  Aldebertus)  ;  itaque  nos  omnes  unanimiter  praesi- 
gnata  puella,  elegimus  atque  pneferimus  nobis  hanc  monacam  nomine 
Ponciam  vultu  décora  m ,  sensu  illustrem ,  natura  sublimem  rao- 
ribusque  insignem .  Idquidem  facimus  ea  ratione  qua  oportet,  fa  vente 
Dorumdeo  suorumque  militum  copia...  »  Cartulaire  de  Saint-Virtor, 
eh.  1053,  du  6  janvier  1004. 


-  99  — 

qu'Elgarde  est  la  fondatrice  de  ce  monastère.  Ge  monastère 
ainsi  relevé  n'a  pas  de  nom,  la  charte  n'en  mentionne  aucun. 
Or,  si  ce  monastère  de  1004  en  remplace  un  autre,  détruit 
depuis  seulement  quelques  années,  comment  expliquer  cette 
omission  ?  Gomment  affirmer  qu'Elgarde  a  fondé  ce  monas- 
tère? On  dira  plus  tard  de  Pons  II,  et  de  son  frère  Geoffroy, 
qu'ils  désirent  rétablir,  restaurer  le  monastère  détruit,  «cupi- 
mus  restaurare,  aliquatenus- renovare  atque  restituera  ». 
Mais  ici  c'est  «  fundatricis  ejusdem  monasterii  »,  fondatrice 
de  ce  monastère,  que  l'on  dit.  Pourquoi,  d'ailleurs,  cette 
pompe  extraordinaire  à  cette  élection  faite  seulement  par.cinq 
religieuses  ?  D'où  vient  encore  ce  petit  nombre  de  religieuses 
dans  un  monastère  qu'Eusébie  et  ses  quarante  compagnes  ont- 
illustré  ?  Il  y  a  là  plus  qu'une  élection  ordinaire.  C'est  la 
reconstitution  d'un  ordre,  le  rétablissement  d'un  monastère 
détruit  et  disparu.  Pour  nous  donc,  de  l'an  923  à  Tan  1004,  le 
monastère  des  religieuses  n'existait  plus  I  !  ! 

Une  seule  chose  nous  ferait  hésiter  :  un  des  fragments 
découverts  par  Rufll,  concernant  l'histoire  des  possessions  de 
Saint-Sauveur,  à  une  certaine  époque.  Il  est  dit,  dans  ce 
document  (l)  :  a  que  les  religieuses  ont  des  esclaves  dans  la 
campagne,  dans  les  champs  Albuciens  ;  une  colonie  à  Plom- 
bières; près  du  Jarret,  les  champs  de  Saint- Victor  ;  au 
même  endroit  le  tiers  des  terres  de  Sainte  Marie.  Elles  ont 
le  pré  de  Sainte-Euphémie  et  de  Saint-Baudile  en  entier,  terres 
que  le  chorévôque  Honoré  possède  en  bénéfice.  »  Si  Ton  pou- 
vait prouver  que  cet  Honoré,  chorévêque,  est  le  même  qui  fut 
évoque  de  Marseille  de  948  à  976,  on  aurait  là  une  preuve  évi- 
dente que  le  monastère  existait  de  923  à  l'an  1004,  puisque, 
vers  948,  il  possédait  des  terres  qu'Honoré  tenait  en  bénéfice 
avant  d'être  évêque,  c'est-à-dire  avant  948. 


(1)  «  Descrîptio  mancipiorum  de  agro  Albuciano,  colonica  in  Plumba- 
rias.  Habemus  juxta  fluvium  Genre,  campos  Bancti  Victoria.  Habemus 
inibi  de  colonica,  tertiam  partem  de  terras  Sanctse  Maria?.  Habemus 
pratum  Sanctae  Buphemiœ  et  Sancti  Baudilii  ab  integro,  quos  Honoratus 
r.Orepicopus  in  beneticio  babet.  »  Armoriai  et  Sigillographie  des  évê- 
que* fie  Marseille,  par  le  chanoine  Albanés,  p.  30.—  Antiquité  de  l'Eglise 
<ie  Marseille,  par  M«rde  Belsunce,  t.  1,  p.  302,  note. 


—  100  - 

Mais  nous  croyons  d'abord  qu'il  est  difficile  d'idendifier 
cet  Honoré,  chorévêque,  avec  Honoré  II,  évéque  de  Marseille. 
Aucun  auteur,  que  nous  sachions,  ne  Ta  dit.  De  plus,  à  cette 
époque  au  milieu  du  X*  siècle,  il  n'y  avait  presque  plus  de 
chorévéques.  Cette  dignité  disparut  après  le  X*  siècle,  selon 
M1'  de  Belsunce,  et  vers  le  milieu  de  ce  siècle,  selon  le  cardinal 
Hergenroether  (1).  Donc,  fort  probablement  il  ne  s'agit  pas  de 
celui  qui  fut  plus  tard  Honoré  II,  évéque  de  Marseille. 

Ce  qui  ajoute  à  ces  preuves,  c'est  qu'il  est  question  des  biens 
qu'aurait  possédés  le  monastère  cassianite  vers  948.  Or,  s'il  est 
certain  que  ce  monastère  a  été  détruit  vers  923,  comment  peut- 
il  s'être  déjà  relevé  avant  948,  et  posséder  des  biens,  alors  que 
Saint-Victor  n'a  commencé  à  sortir  de  ses  ruines  qu'après  9fi6  ? 
De  plus  ces  biens  sont  appelés  «  les  champs  de  Sainte-Marie, 
les  champs  de  Saint- Victor  ;  »  ces  champs  ont  donc  appartenu 
à  l'abbaye  de  Saint-Victor  et  à  la  cathédrale,  qui,  à  une  certaine 
époque,  les  ont  donnés  à  l'abbaye  cassianite.  Or,  en  nous 
maintenant  toujours  dans  l'hypothèse  que  ce  chorévêque 
Honoré  est  le  même  personnage  qu'Honoré  II,  plus  tard  évéque 
de  Marseille,  nous  sommes  à  une  époque  antérieure  à  948,  au 


(1)  «  Cette  charte  est  donc,  au  plus  tard,  du  X'  siècle,  après  lequel  on 
voit  plus  de  chorévéques.  »  M"  de  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  303.  — 
Histoire  de  l'Eglise,  par  le  cardinal  Hergenroether,  t.  IJI,  p.  311.  — 
Oq  donnait  le  nom  de  chorévéques  aux  prêtres  qui  exerçaient  quelques 
fonctions  épiscopales  dans  les  bourgades  et  les  villages,  et  qui  étaient 
par  ce  lait  les  vicaires  de  l'évêque.  En  Orient,  ils  lurent  très  nombreux. 
Il  en  est  fait  mention  au  concile  d'Antioche,  en  340.  En  Occident,  le 
concile  de  Riez  en  439  est  peut-être  le  premier  qui  en  ait  parlé.  Il  leur 
était  défendu  de  rien  entreprendre  sans  la  permission  de  l'évêque.  Ils  n'a- 
vaient la  tâche  que  de  soulager  celui-ci  dans  ses  fonctions  et  d'administrer 
le  diocèse  pendant  la  vacance  du  siège.  En  Orient,  ils  avaient  le  droit  de 
consacrer  des  lecteurs.  Mais,  comme  ils  voulaient  empiéter  sur  les  fonc- 
tions exclusivement  épiscopales,  telles  que  la  consécration  des  églises, 
des  vierges,  l'ordination  des  prêtres,  la  confirmation,  etc.,  on  restrei- 
gnit leurs  attributions.  Finalement  on  abolit  cette  dignité.  Ils  disparu- 
rent complètement  vers  le  milieu  du  X*  siècle.  —  Diplomatique  chré- 
tienne, édit.  Migne,  col.  202.—  Histoire  de  l'Eglise,  par  Hergenroether, 
t.  II,  p.  429;  t.  III,  p.  133  et  311.  — Dictionnaire  de  théologie,  Lenoir, 
Chorévêque,  t.  II,  p.  504.  —  Histoire  des  conciles,  par  Roisselet,  t.  III, 
p.  624,  errata. 


—  101  — 

lendemain  de  la  destruction  de  Saint- Victor,  au  lendemain  de 
ces  affreux  ravages  qui  forcèrent  le  malheureux  Drogon,  évo- 
que de  Marseille,  à  implorer  le  secours  de  l'archevêque  d'Arles, 
Manassés.  Et  Saint-Victor  serait  assez  riche  déjà  pour  céder  à 
l'abbaye  cassianite  des  terres  sur  le  bord  du  Jarret,  et  partant 
d'une  culture  facile,  puisqu'elles  sont  à  proximité  !  Et  l'évê- 
que  aurait  déjà  des  biens  en  telle  abondance,  qu'il  pourrait  en 
céder  à  l'abbaye!  Cela  n'est  guère  possible. 

Au  contraire,  que  l'abbaye  cassianite  possède  à  une  époque 
des  biens  appelés  «  champs  de  Saint- Victor  et  terres  de  Sainte- 
Marie»,  ce  nous  est  un  indice  que  c'est  tout  récemment  qu'on 
les  lui  a  donnés.  Elle  n'a  pas  eu  le  temps  encore  de  se  les 
assimiler  et  de  les  ranger  sous  le  nom  général  de  biens  de 
l'abbaye.  Que  l'abbaye  de  Saint-Victor  ou  la  cathédrale 
les  ait  donnés  à  l'abbaye  cassianite,  ce  nous  est  une.  preuve 
encore  qu'on  les  lui  a  cédés  pour  former  un  domaine, 
un  fonds,  lin  capital,  une  mense,  et  la  relever  de  quelque 
destruction. 

Or,  nous  l'avons  dit,  après  923,  ni  Saint-Victor,  ni  la  cathé- 
drale n'ont  pu  être  généreux  à  ce  point.  C'est  donc  à  une 
époque  antérieure,  époque  relativement  florissante  pour  Saint- 
Victor  et  la  cathédrale,  peut-être  en  838,  867,  que  ces  biens 
ont  été  donnés.  Ce  chorévêque  Honoré  daterait  donc  de  cette 
époque,  et  non  pas  de  948.  Ce  fragment  du  Polyptique  ne 
s'opposerait  donc  pas  à  notre  assertion:  que,  de  923  à  l'an  1004, 
le  monastère  cassianite  n'existait  pas. 

En  923,  il  se  trouve  tout  près  de  Saint-Victor.  Pourrait- 
on  dire  à  quel  endroit  auprès  de  cette  abbaye  s'élevait  le 
monastère  cassianite?  Très  probablement  aux  environs  de  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine.  Les  ruines  que  Ruf G  y  a  vues, 
l'inscription  tumulaire  qu'il  y  a  trouvée  en  sont  des  indices. 

On  ne  devrait  pas  cependant  arguer  de  ces  tombes  décou- 
vertes à  la  chapelle  de  Sainte-Catherine,  pour  placer  forcément 
le  monastère  à  cet  endroit.  Car,  en  supposant  qu'il  s'élevât  sur 
cette  terre  qui  appartenait  aux  religieuses,  sur  le  plateau  du 
Revest,  on  pourrait  dire  aussi  qu'on  inhumait  celles  qui 
mouraient  dans  l'enceinte  de  Paradis,  aux  environs  de  cette 
chapelle  de  Sainte-Catherine. 


—  102  — 

On  peut  en  effet  le  placer  sur  le  plateau  qui  s'élève  et  s'étend 
au-dessus  de  l'endroit  appelé,  par  M.  de  Rey,  le  Revest.  Ce 
plateau  s'étend  de  rentrée  de  Paradis,  à  peu  près,  à  la  hauteur 
de  la  place  de  la  Gorderie  actuelle,  jusque  vers  la  rue  de 
Rome.  Il  y  avait  là  des  terres,  des  vignes  appartenant  à  des 
particuliers;  les  religieuses  cassianites,  vers  1048,  y  possé- 
daient une  grande  terre  que  très  probablement  elles  avaient 
déjà  au  début  du  X*  siècle,  à  la  fin  du  IX\ 

C'est  à  ces  deux  endroits  que  l'abbaye  cassianite  pouvait 
être,  lors  de  sa  destruction  par  les  Sarrasins,  en  923.  Ces 
deux  emplacements  se  trouvaient  assez  voisins  de  l'abbaye 
de  Saint- Victor  pour  qu'on  put  leur  appliquer  le  texte  des 
chartes  de  1431  et  1446:  «  aliud  olim  sibi  vicinum  ». 

Donc,  indifféremment  le  monastère  pouvait  être  à  Sainte- 
Catherine,  ou  sur  le  plateau  du  Revest.  Cependant  nous  préfé- 
rerions, à  cette  époque  de  923,  l'emplacement  de  S'*-Catherine. 

Depuis  combien  d'années  se  serait-il  trouvé  à  Sainte- 
Catherine?  Qmnze  à  peine.  En  904,  Louis  l'Aveugle  cède 
à  l'abbaye  de  Saint-Victor  «  toute  la  rive  du  port  qui  est  sous 
le  monastère  avec  les  pêcheries,  les  ancrages  et  les  salines, 
de  plus  toute  la  terre  qui  va  du  monastère,  de  ces  pêcheries  et 
de  ces  salines,  jusqu'à  Carnarium,  le  cimetière  de  Paradis  (1)  » . 
Or,  l'emplacement  de  la  chapelle  de  Sainte -Catherine  se  trou- 
vait sur  la  terre  comtale,  cédée  à  Saint-Victor.  Si  l'abbaye 
cassianite  eût  été  en  cet  endroit,  que  le  point  où  elle  s'élevait 
fût  la  propriété  du  comte  ou  de  l'abbaye  cassianite  elle- 
même,  la  charte  de  donation  de  904  aurait  mentionné  que 
cette  terre  était  cédée  à  Saint- Victor,  à  l'exception  de  l'empla- 
cement de  cette  chapelle,  ou  y  compris  cet  emplacement. 

(1)  «  Noverit  quoniam  Rostagnus,  metropolita,   et  Teutbertus, 

cornes,  nostram  adeuntes  excellentiam,  enixius  postula verunt,  quatinus 
fideli  nostro  Magno,  abbati  ecclesiie  scilicet  Dei  Genitricis  Mari®  et  glo- 
riosi  martyris  Victoris  ..  concedamus  jure  perpetuo,  videlicet  fiscum 
quod  nominatur  Pinus,  cum  salinis  et  piscationibus  et  portus  navium 
et  omnibus  juste  et  legaliter  ad  eumdem  fiscum  pertinent! bus  conja- 
centem  in  comitatu  Massiliensiqui  vulgo  Paradisus  nominatur,  sicut  est 
\ia  qua»  descendit  aGuardia  usque  in  Poium  formicarium,  una  cum  terra 
comi'ali  quœ  ante  portam  castri  fore  videtur usque  ad  Carnarium...  » 
Cartulaire  de  Saint-Victor,  ch.  10,  21  avril  90i. 


—  103  - 

C'est  donc  postérieurement  à  Tan  904  qu'il  a  pu  s'élever  à 
Sainte-Catherine,  et,  dans  cette  hypothèse,  il  n'aurait  guère 
compté  que  quelques  années  d'existence,  de  904,  à  l'an  923, 
époque  de  sa  destruction . 

Si,  au  contraire, -on  acceptait  de  placer  le  monastère  cassia- 
nite  sur  le  plateau  axi-dessus  du  Revest,  sur  la  terre  même 
qui  en  1048  appartenait  aux  religieuses,  nous  dirions  qu'il 
s'élevait  en  cet  endroit  au  début  du  IX*  siècle. 

En  838,  en  effet,  c'est  là,  au-dessus  du  Revest,  que  très  pro- 
bablement il  se  trouvait,  lorsque  les  religieuses  furent  enle- 
vées par  les  pirates  et  transportées  par  eux  sur  leurs  vaisseaux. 
Elles  n'habitaient  pas  la  ville,  à  cette  époque.  Rufli  et  Lautard 
se  trompent  en  les  y  plaçant  dès  867,  à  la  suite  des  ravages 
des  Normands,  à  Marseille  (1).  M.  de  Rey  regarde  cette  asser- 
tioo  concernant  les  ravages  des  Normands  à  Marseille  comme 
nn  peu  gratuite  (2).  Nous  le  croyons  avec  lui.  Les  annales  de 
Saint-Bertin  ne  disent  rien  à  ce  sujet.  D'ailleurs,  si  elles  sont 
en  ville  en  867,  pourquoi  sont-elles  revenues  auprès  de 
Saint- Victor  avant  923,  puisque  à  cette  date  le  monastère  cas- 
sianite  se  trouvait  auprès  de  cette  abbaye,  aux  termes  des 
chartes  de  1431  et  1446?  Avaient-elles  oublié  les  ravages  des 
Normands  ?  Elles  n'étaient  donc  pas  dans  l'intérieur  de  la 
ville  en  867. 

Non  plus  en  838,  car  il  est  impossible  de  s'appuyer  sur  les 
texte  des  annales  de  Saint-Bertin  (3)  :  «  non  modica  congre- 
gatio,  qua?  illic  degebat  »,  pour  affirmer  qu'en  838  les  reli- 
gieuses habitaient  déjà  l'intérieur  de  la  cité.  Outre  qu'il  est 
assez  difficile  de  faire  dire  à  ce  texte  pareille  chose,  car  le  sens 
ie  plus  raisonnable  et  le  plus  naturel  de  ces  termes  est  que  le 
monastère  cassianite  se  trouvait  à  Marseille  et  rien  de  plus  au 


fl)  Rufli,  t.  II,  pp.  58,  59,  118.  —  Lautard,  Lettres  archêoloniques  sur 
Marseille,  p.  402. 

(2)  Invasions  fies  Sarrasins  en  Provence,  p.  267. 

(3)  <  838...  intérim  Sarracenorum  piraticœ  classes  Ma«siliam  Provin- 
rûe  ir mentes,  abduciis  sanctimonialibus,  quarum  illic  non  modica 
eongregatio  degebat,  omnibus,  et  cunctis  masculini  sexùs  clericis  et 
laicis,  vastataque  urbe,  thesauros  quoque  ecHesiarum  Christi  seeum 
universaliter  nsportarunt.  »  Annales  de  Saint-Bertin. 


—  104  - 

sujet  de  sou  emplacement,  on  se  heurterait  à  la  même  diffi- 
culté signalée  plus  haul  :  si  elles  sont  en  ville  en  838,  pour- 
quoi sont-elles  revenues  à  Saint-Victor  en  923  ? 

D'autre  part,  elles  ne  se  trouvaient  pas  à  Sainte-Catherine, 
en  838.  Nous  l'avons  déjà  dit,  la  charte  de  904  l'aurait  men- 
tionné. Ni  au  Revest  ;  sur  cet  étroit  espace  il  n'y  avait  pas  la 
place  suffisante  pour  un  monastère.  Non  plus  aux  Catalans,  ni 
au  bassin  du  carénage.  En  effet,  dans  la  charte  23,  de  966, 
Honoré  II,  évoque  de  Marseille,  restitue  à  Saint-Victor  une 
grande  terre  dans  l'étendue  de  laquelle  ces  deux  points  sont 
circonscrits.  Or,  si  l'abbaye  cassianite  se  fût  trouvée  à  un  de 
ces  endroits,  l'évéque  l'aurait  su,  et,  en  966,  en  restituant 
ce  domaine  aux  moines,  il  aurait  indiqué  que  dans  cette 
restitution  était  comprise  ou  non  l'ancienne  abbaye  cassianite, 
détruite  elle  aussi  en  923.  Or,  le  silence  est  complet  sur  ce 
sujet.  Les  religieuses  n'avaient  donc  pas  là  leur  monastère 
eu  838. 

S'élevait-il  dans  le  cimetière  de  Paradis  ?  M.  de  Rey  se 
refuse  à  le  croire  :  a  Ce  n'est  pas  dans  l'enceinte  de  Paradis, 
pas  davantage  en  dehors  dans  la  direction  du  sud-est,  qu'il 
qu'il  faut  chercher  l'emplacement  du  monastère  (I).  »  Et  de 
fait  Paradis  était  un  lieu  trop  vénéré  pour  que  l'on  y  eût  bâti 
un  monastère.  D'autre  part,  un  cimetière  n'est  guère  la  place 
d'un  établissement,  quelconque.  On  pourrait  dire  de  même 
que,  l'abbaye  de  Saint- Victor  s'y  trouvant,  l'abbaye  cassia- 
nite pouvait  y  être  !  Soit  ;  mais  que  l'on  explique,  alors, 
pourquoi  les  chartes  qui  parlent  de  Paradis,  mentionnent 
l'abbaye  de  Saint-Victor  dans  son  voisinage  et  omettent  d'in- 
diquer de  quelque  manière  que  l'abbaye  cassianite  s'élevait 
aussi  en  cet  endroit. 

S'élevait-elle  entre  Paradis  et  la  ville  ?  Non  sûrement, 
dit  encore  M.  de  Rey  (2).  Il  y  avait  des  salines  depuis  les 
abords  du  cimetière  de  Paradis  jusqu'à  la  Cannebière  actuelle, 
salines  que  l'on  ne  céda  à  Saint-Victor  qu'en  904.  Lors  de 
cette  donation,  on  Ta  dit  plus  haut,  on  aurait  indiqué  que  là 
se  trouvait  le  monastère,  s'il  y  avait  été  en  réalité. 

Cl)  Les  Saint*  de  VEfjlise  de  AfavsefUe,  sainte  Eusébie,  p.  23?. 
(2)  Les  Saints  de  VIù/Hse  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  231. 


—  105  — 

Où  se  trouvait-il  alors  ? 

Sur  cette  terre,  qui  était  non  loin  du  port,  quoiqu'elle  ne 
fût  pas  sur  la  rive,  comme  nous  le  prouverons  plus  tard,  et 
que  les  religieuses  possédaient  en  10381048,  aux  termes  de  la 
charte  40 . 

Depuis  quelle  époque  le  monastère  se  trouvait-il  sur  cette 
terre,  sur  le  plateau  au-dessus  du  Revest  ?  Aucun  document 
que  nous  connaissions  ne  l'indique.  Pour  ceux  qui  admettent 
que  ce  monastère  a  toujours  été  réellement  non  loin  de  Saint- 
Victor,  c'est  en  cet  endroit  ou  aux  environs  qu'ils  le  font 
établir  par  sain  t  Cassien . 

Pour  nous  qui  soutenons  que  sainte  Eusébie  a  été  marty- 
risée aux  bords  de  l'Huveaune,  nous  disons  qu'au  lendemain 
de  cet  événement  on  quitta  ces  parages  et  Ton  vint  construire 
le  nouveau  monastère  près  de  la  ville,  auprès  de  Saint- Victor, 
sur  celte  terre  dont  nous  parlions  tantôt:  Nous  sommes  ainsi 
d'accord  avec  plusieurs  auteurs:  Lautard,  Grosson,  Ruffi,  de 
Belsunce,  etc., qui  supposent  un  changement  de  local,  en  se  rap- 
prochant de  Saint- Victor,  à  la  suite  du  martyre  de  sainte  Eusé- 
bie. Or,  comme  nous  plaçons  le  martyre  de  sainte  Eusébie  vers 
738,  ce  serait  vers  750  qu'aurait  eu  lieu  ce  changement.  Avant 
cette  époque  l'abbaye  avait  toujours  été  aux  bords  de  rHu- 
veaune. C'est  ce  qui  sera  plus  longuement  prouvé. 

Nous  nous  résumons.  De  410  à  738,  le  monastère  cassianite 
est  aux  bords  de  l'Huveaune  ;  de  738  à  838,  il  se  trouve  aux 
abords  de  la  ville,  sur  la  terre  au-dessus  du  Revest,  avec 
changement  probable  de  local  après  838.  En  923,  c'est  auprès 
de  Saint- Victor,  à  Sainte-Catherine,  qu'il  s'élève. 

De  923  à  l'an  1004,  il  n'y  a  pas  de  trace  du  monastère,  il 
semble  ne  plus  exister.  En  1004,  il  se  relève  et  se  trouve  à  la 
place  de  Lenche.  En  1033,  les  rtîligieuses  sont  aux  Accoules. 
En  1050,  elles  sont  retournées  à  la  place  de  Lenche,  qu'elles 
quittent  avant  1069,  pour  y  revenir  vers  1073,  s'en  éloigner 
encore  vers  1077,  et  demeurer  aux  Accoules.  Enfin  elles  se  fixent 
définitivement  à  la  place  de  Lenche  dans  le  X1P  siècle,  puis- 
que, en  1153  et  1159,  les  bulles  des  papes  nomment  le  «monas- 
leriuin  Sancti  Salvatoris»  et  les  «  sorores  Sancti  Salvatoris  ». 


CHAPITRE  III 

Noms  divers  que  le  Monastère  a  portés  du  Vr 

au  XIe  siècle 


Deuxième  question  préjudicielle 


PREMIER  VOCABLE  DE  L'ABBAYE  CA8SIANITE  :  LA  SAINTE  VIERGE  ;  — 
PUIS:  8AINT-CAS8IEN,  —  SAINT -CYR.  —  SAINT  AMATOR  ET  LES  RE- 
LIQUES DE  SAINT  CYR.  —  L' ANTIQUE  VOCABLE  DE  LA  SAINTE  VIERGE 
REPRIS  AU  XI*  SIECLE,  UNI  A  CELUI  DE  SAINT-SAUVEUR. 


Si  le  monastère  cassianite  a  souvent  changé  de  place,  sou- 
vent aussi  il  a  changé  de  nom.  De  l'aveu  de  tous  les  auteurs,  il 
fut  placé  successivement  sous  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge. 
deSaint-Cassien,  de  Saint-Cyr,  de  Sainte-Marie  et  de  Saint-Sau- 
veur. Cet  ordre  cependant  n'est  pas  admis  sans  constestation. 
Tels  et  tels  auteurs  ont  élevé  des  diffîculés  à  ce  sujet.  Nous 
avons  donc  le  devoir  d'entrer  dans  quelques  détails,  afin  d'in- 
diquer avec  le  plus  de  précision  possible  dans  quel  ordre  véri- 
table ces  différents  vocables  ont  été  portés. 

La  plupart  des  auteurs  admettent  que  le  premier  vocable  du 
monastère  a  été  la  Sainte  Vierge.  C'est  ce  que  nous  affirment 
Iiuffi,  la  Galliachristiana,  deBèlsunce,  André,  de  Rey  (1),  pour 
ne  citer  que  quelques  noms.  Nous  croyons  cette  assertion 
exacte.  Cassien  fonde  à  Marseille  deux  monastères,  l'un  de 


(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56.  —  De  Belsunce,  Antiquité 
de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  258.  —  Gallia  christiana,  t.  I,  col.  696.— 
André,  Histoire  de  l'abbaye  des  reliyieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  3.  — 
De  Rey,  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  224. 


—  107  — 

femmes,  l'autre  d'hommes  (i),  à  peu  près  à  la  même  époque  : 
celui  des  hommes  vers  415,  celui  des  femmes  vers  420  (2).  Or, 
celui  de  Saint-Victor  est  sous  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge. 
A  chaque  instant  on  lit  dans  les  chartes  que  la  Vierge  Marie 
est  le  titulaire  de  cette  abbaye  (3).  Pourquoi  douter  qu'il  ait 
donné  le  môme  vocable  au  monastère  de  filles  et  de  femmes  ? 
C'est  très  croyable  (4). 

Environ  cent  cinquante  ans  plus  tard,  ce  vocable  a  disparu. 
Celui  de  Sain t-Cassien  l'a  remplacé.  Saint-Grégoire  le  Grand, 
pape,  écrivant  à  Respecta,  abbesse  cassianite,  en  597,  parle  du 
monastère  «  in  honore  sancti  Cassiani  consécration  (5)  » . 
Depuis  combien  de  temps  s'appelait-il  de  ce  nom  ?  A  quelle 
occasion  lui  avait-il  été  donné?  Nous  ne  savons  rien  de  précis. 
Il  est  fort  probable  que  dès  la  mort  de  Cassien  (6),  ses  lilles 
n'aient  pas  attendu  longtemps  pour  placer  leur  monastère 
sous  la  protection  de  leur  saint  fondateur.  Mais  plus  tard  il 
perdit  encore  ce  titre  pour  prendre  celui  de  Saint-Cyr.  L'épi- 
taphe  de  sainte  Eusébie  mentionne  que  cette  religieuse  vécut 
cinquante  ans  «  in  monasterio  Sancti  Cyrici  (7)  ».  Or,  à  quelle 
époque  ce  vocable  nouveau  fut-il  donné  au  monastère;  à  quelle 

(I)  c  Mortuo  Ghrysostoino,  Maasiliam  recessit  Gassianus,  ibique  près- 
byterfactus  duo  monasterîa,  virorum  alterum,  et  altorum  mulierum, 
condidit. ..  *  Offlcium  proprium  venerabilis  monasterii  Sancti  Victoris 
Ma$*illiœ  1672. 

[I)  Ruffi  et  de  Belsunce  ne  donnent  pas  de  date  certaine  ;  André  assi- 
gne l'année  410  pour  la  fondation  des  deux  monastères;  et  de  Rey  l'an- 
née 415  pour  celui  des  hommes,  et  420  pour  celui  des  femmes. 

(3)  t . . .  Notum  sit. . .  qualiter  nosob  araorem  Donnai,  ad  monasterium 
Massiliense  quod  est  in  honore  beatisslme  semperque  Virginis  Mariai, 
vel  Sancti  Victoris  martyris  ...  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  n°  8. 

(4)  Nous  devons  à  la  vérité  d'avouer  qu'il  n'existe  pas,  à  notre  connais- 
sance, de  document  qui  1e  prouve  catégoriquement. 

(5)  €  Proinde  monasterio  quod  in  honorem  sancti  Cassiani  est  consé- 
cration, in  quo  praeesse  dignosceris...»  Lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand 
âl'abbesse  Respecta.  —  André,  op.  cit.,  pièces  justificatives,  A,  p.  205. 

(6)  L'auteur  de  la  Vie  des  Saints  de  l'Église  de  Marseille  dit  que  saint 
Cassien  est  né  aux  environs  de  Tannée  360  et  est  mort  après  440.  Il  avait, 
croit-on,  97  ans.  (Saint-Gassion,  La»s  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille, 
p.  109  et  suiv.) 

(7)  Voir  cette  épitaphe  au  chapitre  :  Inscription  de  sainte  Ktusébie,  de 
notre  présent  ouvrage. 


—  108  — 

occasion;  combien  de  temps  il  le  garda:  autant  de  points 
qu'il  est  nécessaire  d'élucider.  Souvent,  en  effet,  on  nous  a 
posé  cette  question  :  Est-il  bien  sûr  que  le  cœnobium  des 
filles  ait  porté  le  nom  de  Saint-Cyr,  après  avoir  porté  celui 
de  Saint-Cassien,  c'est-à-dire  postérieurement  à  Tan  597  ? 
Ne  pourrait-on  pas  supposer  raisonnablement  qu'au  début 
la  Sainte  Vierge  en  fut  le  titulaire  et  que,  dans  la  suite, 
ce  fut  Saint-Cyr?  Et  l'on  invoquait  à  l'appui  plusieurs 
raisons. 

La  première  était  déduite  de  ce  que  racontent  Rufii,  André, 
Magloire,  Giraud,  de  Rey,  Grindaet  avant  eux  la  Gallia  ckris- 
tiana,  Guesnay,  V Histoire  littéraire  de  la  France,  etc.  Sui- 
vant ces  auteurs,  les  reliques  de  saint  Cyr,  ce  petit  enfant  qui 
fut  martyrisé,  en  304,  à  Tarse,  en  Cilicie,  en  même  temps  que 
sa  mère  sainte  Julitte,  furent  transportées  à  Antioche  sous  le 
règne  de  Constantin,  et  de  cette  ville  saint  Amator,  évêque 
d'Auxerre,  les  apporta  en  Gaule  au  commencement  du  V-  siè- 
cle. Une  partie  de  ces  reliques  vinrent  en  la  possession  des 
religieuses  de  Marseille,  et  c'est  pour  cette  raison  qu'elles  se 
placèrent  sous  le  patronage  de  saint  Cyr  (1). 

La  seconde  raison  était  celle-ci  :  Les  hommes  les  plus 
compétents  regardent  comme  étant  du  VIe  siècle  l'inscription 
de  sainte  Eusébie,  où  il  est  dit  que  celle-ci  vécut  cinquante  ans 
a  in  monasterio  Sancti  Cyrici(2)».  On  voitd'iciles  conclusions. 
Puisque  saint  Amator  a  porté  en  Gaule  les  reliques  de  saint 
Cyr  et  en  a  donné  au  monastère  cassianite,  au  début  du 
V"  siècle  ;  puisque  l'inscription  de  sainte  Eusébie  est  du  VIe 
siècle,  forcément  le  monastère  cassianite  a  porté  le  nom  de 

(1)  Rufli(le  père).  Histoire  rie  Marseille,  p.  387.  — Rufli,  Histoire  de 
Marseille,  t.  II,  p.  57.  —  Guesnay,  Annales  Massiliensis  provincial 
p.  599.  —  Gallia  christ iana,  1. 1,  col.  697.  —  André,  Histoire  de  l'abbaye 
des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  14.  —  L'abbé  Magloire  Giraud* 
Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr  (Var),  p.  18. — L'abbé  Daspres, 
Notice  sur  Saint-Giniez,  p.28.—  De  Rey,  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Mar- 
seille, p.  226.  —  Grinda,  Monographie  de  Saint-Victor  (Echo  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  1888  ;  note). 

(2)  Edmond  Leblant,  dans  les  Inscriptions  chrétiennes  des  Gaules, 
antérieures  au  VIII*  siècle,  à  l'épitapbe  de  sainte  Eusébie,  dit  que  cette 
inscription  de  Marseille  semble  appartenir  au  VI°  siècle  ;  t.  II,  n°  545. 


—  109  — 

Saint-Cyr  avant  de  prendre  celui  de  Saint-Cassien.  Or,  cette 
conclusion  est  fausse,  parce  que  les  prémisses  sont  fausses 
elles-mêmes.  Le  vocable  de  Saint-Cyr  est  postérieur  à  celui 
de  Saint-Cassien.  Voici  les  preuves  : 

D'abord,  la  Gallia  chrisliana,  Guesnay,  Y  Histoire  litté- 
raire de  la  France,  Hufli,  Magloire  Giraud,  etc.,  etc.,  sem- 
blent bien  croire  à  cette  translation,  et  paraissent  la  fixer  au 
V*  siècle.  Mais  c'est  à  tort  que  Ton  en  concluerait  qu'au  V 
siècle  l'abbaye  cassianite  de  Marseille  porta  le  vocable  de 
Saint-Cyr.  Ruffi,  en  effet,  regarde  l'inscription  de  sainte  Eusé- 
bie  comme  l'épitaphe  de  notre  sainte  marseillaise  et  il  sou- 
tient que  cette  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les  Normands 
vers  867.  Or,  il  dit  que  le  monastère  dans  lequel  cette  sainte 
souffrit  la  mort  était  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr  (1).  Donc, 
Ruffi  pensait  que  l'abbaye  cassianite  portait  le  vocable  de 
Saint-Cyr  postérieurement  à  celui  de  Saint-Cassien,  titulaire 
de  ce  monastère  en  597. 

L'abbé  Magloire  Giraud  croit  que  le  monasterium  Sancti 
Cyrici  où  sainte  Eusébie  vécut  cinquante  ans  se  trouvait  à 
Saint-Cyr  du  Var.  Il  n'est  pas  sur  que  l'abbaye  cassianite  de 
Marseille  ait  porté  le  vocable  de  Saint-Cyr.  L'Eusébie  de  l'ins- 
cription n'est  pas,  selon  cet  auteur  encore,  la  sainte  martyre 
que  nous  honorons  (2).  Comment  apporter  contre  nous  son 
témoignage  ?  Il  n'est  ni  pour,  ni  contre. 

André  est  persuadé  qu'il  «  faut  distinguer  deux  Eusébie  : 
Tune  simple  religieuse,  décédée  paisiblement  dans  le  monas- 
tère cassianite,  sous  le  titre  de  Saint-Cyr,  au  VII?  siècle, 
et  l'autre  abbesse  et  martyre,  qui  vivait  au  commencement  du 
X'  siècle,  époque  de  la  destruction  de  l'antique  abbaye  (3).  » 
Donc,  selon  André,  c'est  au  VHP  siècle  que  l'abbaye  cassianite 
portait  le  vocable  de  Saint-Cyr. 

I/auteur  des  Saints  de  l  Église  de  Marseille,  n'acceptant 
que  très  difficilement,  et  il  a  raison,  de  placer  au  V*  siècle  le 

(I)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  57. 

(2i  Magloire  Giraud,  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr 
VVi,;,  pp.  ie  et  17. 

(3)  André,  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
p.  10. 


-  no  - 

martyre  de  sainte  Eusébie,  croit  de  préférence,  avec  la  tradi- 
tion, que  cette  sainte  a  été  massacrée  par  les  Sarrasins  vers  le 
XB  siècle.  Il  regarde  l'inscription  d'Eusébie  comme  l'épitaphe 
de  notre  sainte  héroïne  (1).  Donc,  selon  M.  de  Rey,  c'était  bien 
sous  le  vocable  ,de  Saint-Cyr  que  se  trouvait,  au  X*  siècle, 
l'abbaye  cassianite. 

Quant  à  la  Gallia  christiana,  il  est  assez  difficile  de  dire 
de  quel  côté  elle  se  range  (2).  Elle  semble  bien  dire  que  l'ins- 
cription d'Eusébie,  abbesse  de  Saint-Cyr,  est  celle  de  notre 
Eusébie  de  Marseille.  Elle  affirme  bien  que  l'abbaye  cassianite 
a  porté  successivement  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge,  de 
Saint-Cassien,  puis  celui  de  Saint-Cyr.  Mais,  comme  elle  ne 
donne  de  date  approximative  ni  pour  l'inscription,  ni  pour  le 
martyre  de  sainte  Eusébie,  et  qu'elle  se  contente  de  fixer  la 
ruine  de  l'abbaye  vers  867,  on  ne  saurait  affirmer,  d'après  elle, 
que  le  martyre  de  notre  sainte  a  eu  lieu  entre  le  V*  siècle, 
date  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Cyr,  et  l'année  597, 
où  l'on  voit  le  vocable  de  Saint-Cassien  donné  à  l'abbaye,  et 
qu'ainsi,  le  vocable  de  Saint-Cyr  a  été  porté  par  ce  cœnobium 
postérieurement  à  celui  de  Saint-Cassien. 

Guesnay  et  Grinda  fournissent  une  base  à  l'argumentation 
contre  nous.  Eux  racontent  la  translation  des  reliques  de  saint 
Cyr,  faite  au  V*  siècle.  Mais  ils  placent  aussi  le  martyre  de 
sainte  Eusébie  au  Ve  siècle  (3). 

En  résumé,  sur  six  auteurs  dont  on  invoquerait  le  témoi- 
gnage contre  nous,  il  en  est  quatre,  ayant  écrit  de  Marseille, 
qui  ne  sont  pas  contre  nous.  Ajoutons  maintenant  qu'il  faut 
en  rabattre  de  l'assertion  de  Ruffl,  André,  etc.,  etc.:  que 
saint  Amator  aurait  donné  au  V*  siècle,  aux  Cassianites  de 
Marseille,  une  partie  des  reliques  de  saint  Cyr.  Il  est  à  peu 
près  certain  que  ce  saint  évoque  apporta  d'Orient  en  Gaule  les 
restes  du  saint  enfant  martyr  et  ceux  de  sa  mère  sainte  Ju- 

(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille;  Sainte  Eusébie,  11  octobre. 

(2)  Gallia  christiana,  1. 1,  col.  696. 

(3)  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Annalest  p.  599,  pp,  186,900.  — 
Grinda,  Monographie  de  Vabbaye  de  Saint- Victor  (Écho  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  année  1888). 


-  ill  -^ 

lille  (1)  ;  certain  aussi  qu'à  une  époque  l'abbaye  cassianite  de 
Saint-Sauveur  a  possédé  quelques  reliques  de  saint  Cyr.  Mais 
il  est  faux  de  tout  point  que  ce  soit  saint  Amator  qui  les  lui 
ait  données.  On  lit,  en  effet,  dans  un  manuscrit  de  la  collection 
du  cardinal  Barberini,  dans  un  autre  cité  par  Henschenius, 
dans  les  actes  de  ce  martyr  donné  par  Hucbald,  moine  de  la 
lin  du  IX*  siècle,  le  récit  suivant  (2)  : 


(1)  c  Translata  fuisse  horum  sanctorum  martyrum  corpora  in  Gallias 
per  sanctum  Amatorem  episcopum  Antissiodorensem,  cum  in  Oriente 
peregrinatus  est.  »  (Notée  in  Martyrologio,  XVI  junii.)  —  «  Hujus opéra 
delata  esse  in  Gallias  corpora  sanctorum  Julittœ  et  Quiricii,  habent  acta 
eoraradem  martyrum.  »  (  Nota?  in  Martyrologio,  I  inaii,  Baronius.  ) 

(2)  c  Sanctus  Amator,  epîscopus  Antissiodorensis,  clarissimo  viro 
Savino  comité,  fines  Àntiochiae  peragrans,  sanctorum  illorum  corpora 
(Quiricii  et  Julittae)  Christ»  gratia  reperit.  Quœ  cum  magno  cultu  rediens 
in  partes  Gai  Use  altulit  ac  Austricse  urbi  delata,  solo  tantum  pueri  brac- 
chio  sancti  Savini  precibus  concesso,  in  domo  quâ  idem  prasul,  merito- 
rum  gloria  pollens,  a  fidelibus  honoratur,  item  honorificè  tumulavit.  » 
Manuscrit  du  cardinal  Barberini,  Acta  sanctorum,  1. 1,  maii.— Il  y  a  eu  de 
cette  translation  des  reliques  de  saint  Gyr  d'Orient  en  Occident  par  saint 
Amator  une  relation  qui  ne  se  trouve  pas,  il  est  vrai,  dans  la  vie  de  ce 
saint  évêque  d'Auxerre,  écrite  en  580  par  un  prêtre  du  nom  d'Etienne, 
Africain  d'origine.  Mais  cette  relation  a  été  insérée  dans  plusieurs  ma- 
nuscrits que  les  Bol  1  an  dis  tes  ont  vus  et  qu'ils  ont  jugés  dignes  de  foi* 
Entre  autres  il  y  avait  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  cardinal  Barba- 
berini,  et  celui  que  Henschenius  avait  trouvé  à  Rome. 

Sur  quels  originaux  ces  manuscrits  avaient  été  composés?  Le  voici  : 
Dn  évêque  d'Iconie,  appelé  Théodore,  avait  écrit  les  actes  de  ces  mar- 
tyrs et  les  avait  adressés  â  un  évêque  d'Isaurie,  Zenon,  au  temps  de 
l'empereur  Justinien.  Après  cet  évêque,  Métaphraste  en  avait  fait  paraître 
d'autres.  C'étaient  là  des  documents  sur  lesquels  on  pouvait  s'appuyer,  et 
il  n'y  avait  entre  eux  d'autre  différence  que  le  style.  Les  Manichéens,  au 
V*  siècle,  en  composèrent  à  leur  tour,  dans  lesquels  ils  insinuèrent  le 
venin  perfide  de  leur  hérésie.  Le  papeGélase,  en  496,  au  concile  de  Rome, 
condamna  ces  actes  comme  apocryphes  et  hérétiques.  Or,  tandis  que 
Iâpomanus,  Surius  se  guidaient  sur  les  actes  écrits  par  Théodore  et  Méta- 
phraste, d'autres,  malheureusement,  n'ayant  à  leur  disposition  que  les 
actes  apocryphes,  se  guidaient  sur  eux  et  donnaient  de  nouvelles  éditions 
tout  en  les  corrigeant.  Les  manuscrits  de  Barberini  et  d'Henschenius 
ont  été  rédigés  incontestablement  sur  les  actes  primitifs  de  Théodore  et 
de  Métaphraste  et  nous  font  lire  la  vérité.  Un  moine  du  IX°  siècle,  prieur 
d'ErnoDe  ou  Saint-Amand,  diocèse  de  Tournai,  mort  en  930  ou  932, 
regardé  comme  le  plus  célèbre  docteur  du  IX*  siècle,  après  saint  Rémi 


—  112  — 

«  Saint  Amator,  évêque  d'Auxerre,  vint,  accompagné 
de  l'illustre  Savinus,  visiter  les  contrées  voisines  d'An- 
tioche.  Par  la  grâce  du  Christ,  il  trouva  les  corps  des  deux 
saints  martyrs  Quirice  et  Julitte.  Il  les  recueillit  et  les 
transporta  avec  grande  pompe  et  grand  respect  en  Gaule 
et  les  plaça  dans  la  ville  d'Auxerre.  Aux  instantes  prières  de 
Savinus,  son  compagnon,  qui  lui  demandait  une  portion  de 
ces  reliques,  il  sépara  le  bras  du  saint  enfant  et  le  lui  remit. 
Quant  au  reste,  il  l'ensevelit  avec  honneur  dans  l'église  où 
plus  tard  lui-même  fut  inhumé,  et  où  il  est  honoré  par  les 
fidèles.  » 

d'Auxerre,  à  l'occasion  de  la  translation  qu'il  fit  lui-même  d'une  relique 
de  saint  Cyr,  de  Ne  vers  à  Saint-Amand,  voulut  écrire  la  vie  de  saint  Gyr  et 
de  sainte  Julitte.  N'ayant  auprès  de  lui  que  les  actes  apocryphes,  il  les 
corrigea,  mais  ne  parvint  pas  à  donner  à  son  ouvrage  la  moindre  auto- 
rité. Son  travail  se  trouve  parmi  ses  œuvres  dans  la  Patrologie  de  Migne, 
t.  132.  Or,  tous  cçs  actes  faux  ou  vrais  portent  le  récit  de  la  translation 
des  reliques  de  saint  Gyr  en  Orient,  on  peut  donc  y  ajouter  foi. 

Voici  ce  que  disent  les  Bollandistes  des  manuscrits  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut  :  «  Miranda  sunt  quse  Romse  descripsimus  ex  manuscripto 
cardinalis  Barberini  et  alio  ms.  (quod  Rom»  repertum  allcgat  Hensche- 
nius)  in  quo  hic  tituius  praefigebatur  :  incipiunt  miracula.  »  Suit  la  rela- 
tion du  voyage  d 'Amator  en  Orient.  «  Post  praemissum  titulum  ea  in 
dicto  ms.  (celui  d'Henschenius)  sequuntur  quse  in  ms.  Barberini  im- 
médiate subjiciuntur  legendae  per  Hucbaldum  impositse.  »  Suit  le  fait  de 
la  translation  des  reliques.  Quant  à  l'écrit  d'Hucbaldus,  voici  leur 
opinion  :  <r  Utrique  (  aux  deux  manuscrits  ou  deux  relations  dignes 
de  foi,  celle  de  Théodore  et  de  Mètaphraste)  subjungere  placet  ex 
codice  Bodecensi,  acta  apocrypha  (ce  manuscrit  «  Bodocensis  »  est  la 
traduction  des  actes  apocryphes  que  Hucbaldus  suivit,  en  lu  conn- 
geant)  ut  posse  cognoscere  et  sestimare  lector  possit,  quid  distent  aéra 
lupinis,  minusque  miretur,  non  majorem  a  nobis  haberi  rationem  eorum 
quse  Hucbaldus  edidit. .  » 

Voici  enfin  leur  opinion  au  sujet  de  l'absence  de  cette  relation  dU 
voyage  en  Orient  dans  la  vie  d'Amator  par  Etienne  :  «  Licet  in  ea  (vîtâ) 
nihil  de  ejusmodi  sancti  Amatoris  peregrinatione  legatur,  non  débet  ea 
prorsus  incredibilis  videri,  cum  ad  finem  ejusdem  quinti  sœculi,  cujus 
initio  Amator  obiit,  adeo  passim  nota  fuerit  passio  sancti  Quiricii  apo- 
crypha (  ulique  cum  reliquiis  perlata  ex  Oriente  et  eodem  tempore  latine 
reddita)  ut  Gelasius  papa  de  eà  necesse  habuit  judicium  ferre...  »  Acta 
sanctotnim,  t.  III  de  juin,  p.  17  et  suiv.;  1. 1  de  mal,  p.  50.—  Martyrologe 
annoté  par  Baronius,  au  16  juin  et  1"  mai.  —  Notice  historique  sur 
Hucbaldus,  Patrologie  latine,  édit.  Migne,  t.  GXXXII,  col.  815  et  suiv. 


—  113  — 

Il  y  a  loin,  on  le  voit,  entre  l'affirmation  de  Rufïi,  etc.,  et  la 
relation  des  manuscrits.  Saint  Amator  n'a  cédé  un  bras  de 
saint  Cyr  qu'à  son  compagnon  Savin  :  «  solo  tantum  pueri 
bracchio  sancti  Savin i  precibus,  concesso  ».  Ce  n'est  donc  point 
saint  Amator  qui  a  donné  ces  reliques  aux  Cassianites  de 
Marseille.  Ce  n'est  donc  pas  au  début  du  Ve  siècle  que  celles- 
ci  ont  pu  les  recevoir.  L'affirmation  des  auteurs  précités  est 
donc  fausse,  tout  au  moins  fort  hasardée  et  sans  preuve. 

Inutile,  croyons-nous,  de  nous  arrêter  au  dire  de  l'abbé 
Darras  dans  son  Histoire  générale  de  V Eglise,  au  sujet  de 
cette  translation  des  reliques  de  saint  Cyr.  Suivant  cet 
auteur,  Amator  aurait  fait  le  voyage  en  Orient  et  en  aurait 
apporté  les  reliques  du  saint  martyr,  avant  d'être  évoque. 
«  Ainsi  que  tous  les  nobles  gallo-romains  de  son  temps, 
Amator  avait  passé  son  adolescence  dans  les  célèbres  écoles 
d'Autun,  de  Lugdunum  et  de  Burdigala.  Il  avait  complété  son 
éducation  par  un  voyage  en  Italie  et  en  Orient.  A  Antioche, 
accueilli  par  le  clarissime  comte  Sabinus,  gouverneur  de 
Syrie,  il  avait  assisté  à  l'ouverture  du  tombeau  de  sainte 
Julitte  et  de  saint  Cyr.  Les  reliques  sacrées  qu'il  en  obtint 
enrichirent  les  églises  des  Gaules  auxquelles  il  les  dis- 
tribua (1).  »  Et  Darras  raconte  à  la  suite  le  mariage  d'Amator, 
puis  son  ordination  sacerdotale  et  épiscopale.  Il  y  a  dans  ces 
lignes  une  série  d'inexactitudes.  Le  manuscrit  Barberini  dit 
que  :  «  sanctus  Amator,  episcopus  Antissiodorensis  fines  Antio- 
chiae  peragrans...  honorificè  tumulavit...  (2)  ».  Baronius, 
dans  les  notes  sur  le  Martyrologium,  dit  :  «  Translata  fuisse 
horum  sanctorum  corpora  per  S.  Amatorem  episcopum  (3)  » . 
Saint  Amator  était  donc  évêque  quand  il  apporta  en  Gaule 
les  reliques  de  saint  Cyr. 

Le  manuscrit  Barberini  parle  d'un  «  clarissimo  viro  Savino 
comité  ».  Ce  Savin  était  un  prêtre  ou  un  diacre  qui  accompa- 
gnait l'évéque  dans  son  voyage  et  non  pas  un  gouverneur  de 
Syrie  (4).  Le  manuscrit  Barberini  affirme  qu'Amator  ne  céda 

(1)  Darras,  Histoire  fie  l'Eglise,  t.  XII,  p.  520. 

(2)  Voir  plus  haut  le  texte  de  ce  manuscrit. 
f3)  Baronius,  au  iM  et  au  lG.juin. 

(4)  Les  Bollandistes  avouent  ne  pas  connaître  qui  était  ce  Savin.  Ce 


—  114  — 

qu'à  son  compagnon  Savin  un  des  bras  du  saint  martyr.  Que 
reste-t-il  de  vrai  du  récit  de  Darras? 

Il  y  a  une  autre  preuve,  assez  forte,  croyons-nous,  pour  ne 
pas  dire  péremptoire.  On  lit,  en  effet,  à  un  endroit  du  Polypti- 
que  de  Vadalde,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  la  :  a  descriptio 
mancipiorum  Sanctae  Mariae  et  Sancti  Gyrici  Massiliensis  facta 
temporibus  Vadaldi  episcopi,  indictione  VI  ».  Nous  explique- 
rons plus  tard  comment  ces  mots:  a  Sancti  Cyrici  »  furent 
mis  au  XI*  et  XII*  siècles  sur  cette  charte,  au  lieu  des  mots 
a  Sancti  Victoris  »  que  Ton  y  voyait,  et  comment  l'abbaye  de 
Saint-Sauveur,  remise  en  possession,  au  XI*  siècle,  des  biens 
que  le  Polyptique  désignait  en  814  comme  appartenant  à 
Saint- Victor  ou  à  la  cathédrale,  les  replaçait  sous  la  rubrique 
de  Saint-Cyr,  vocable  antique  de  cet  abbaye. 

Mais  sur  ce  fait  matériel  nous  établissons  cet  argument  : 

D'une  part,  si  Saint-Cyr  a  été  le  vocable  de  l'abbaye  cassia- 
nite  avant  qu'elle  portât  celui  de  Saint-Cassien,  c'a  été  de  l'an 
415  environ  à  Pan  500.  Saint  Gassien  est  mort  vers  460,  et, 
nous  Pavons  dit,  il  est  fort  probable  que  les  Cassianites  n'aient 
pas  attendu  longtemps  pour  placer  leur  monastère  sous  la 
^protection  de  leur  fondateur.  Retardons,  si  Pon  veut,  jusqu'en 
550. 

D'autre  part,  et  par  voie  de  conséquence,  Saint-Cassien  a 
été  le  vocable  du  monastère  depuis  500  ou  550  jusqu'à  l'épo- 
que de  sa  ruine  vers  923.  En  effet,  ceux  qui  soutiennent  que 
Saint-Cyr  a  été  le  vocable  primitif  ne  peuvent  raisonnable- 
ment affirmer  qu'après  avoir  remplacé  ce  vocable  par  celui 
de  Saint-Cassien  en  597,  les  religieuses  Pont  repris  de  nouveau 
postérieurement  à  597.  Pourquoi,  en  effet,  auraient- elles 
quitté  le  titre  de  Saint-Cassien  pour  reprendre  celui  de  Saint- 
Cyr  qu'elles  avaient  déjà  laissé  avant  597  ? 

Or,  au  XI*  ou  au  XT1*  siècle,  on  inscrit  sous  la  rubrique 
de  Saint-Cyr  des  biens  qui  ont  jadis  appartenu  à  l'abbaye 
cassianite,  alora  qu'elle  portait  ce  nom  de  Saint-Cyr.  En  affir- 
mant qu'elle  a  porté  ce  vocable  de  415  à  500  ou  550,  on 

n'était  ni  un  évoque,  ni  un  personnage  illustre  ;  ils  croient  que  c'était 
un  prêtre  ou  un  diacre.  [Acta  SS.y  Boll.,  t.  III  de  juin  et  t.  I  de  mai,  vie 
de  Saint  Cyrice  et  vie  de  Saint  Àmator.) 


—  115  — 

affirme  partant  qu'il  s'agit  de  biens  appartenant  à  l'abbaye 
à  cette  époque  primitive  de  415  à  550.  Or,  peut-on  croire 
d'abord  qu'au  lendemain  de  sa  fondation  l'abbaye  cassianite 
possédait  tant  de  biens  ?  Ensuite,  comment  expliquer,  durant 
cette  époque  assez  paisible  de  415  à  550,  cette  dépossession 
totale  de  Saint-Cyr  en  faveur  de  Saint-Victor  ou  de  la  cathé- 
drale (1)  ?  Il  faudrait  supposer  une  série  de  circonstances  qui 
ne  se  sont  pas  rencontrées  à  cette  époque  (2).  Donc,  au  XI°  siè- 
cle, on  ne  veut  pas  parler  de  biens  ayant  appartenu  à  l'abbaye 
cassianite  à  cette  époque  primitive,  417-550,  mais  de  ceux  qui 
avaient  pu  lui  appartenir  postérieurement  à  415-550  et  anté- 
rieurement à  814,  à  une  époque  qui  par  ses  agitations  et  ses 
bouleversements  explique  cette  transmission  successive  des 
biens  de  l'abbaye  de  Saint-Oyr  à  Saint- Victor  ou  à  la  cathé- 
drale. Or,  dès  597,  le  vocable  de  l'abbaye  est  Saint-Cassien. 
Si,  au  XI*  siècle,  on  avait  voulu  parler  des  biens,  propriétés  de 
l'abbaye  vers  le  VI°  siècle,  c'eût  été  sous  le  vocable  do  Saint- 
Gassien  qu'on  les  aurait  inscrits.  On  les  a  placés  sous  le  nom 
de  Saint-Cyr,  donc  on  a  voulu  parler  des  biens  qui  ont  appar- 
tenu à  l'abbaye  postérieurement  encore  au  VI"  siècle.  Donc 
c'est  postérieurement  à  597  que  l'abbaye  a  été  sous  le  vocable 
de  Saint-Cyr.  Donc  ce  vocable  de  Saint-Cyr  a  été  porté  après 
celui  de  Saint-Cassien. 

La  seconde  raison  que  Ton  alléguait  ne  vaut  pas  davantage. 
Nous  croyons  pouvoir  prouver  un  peu  plus  loin,  dans  ce  tra- 
vail, que  l'inscription  de  sainte  Eusébie,  rangée  par  Edmond 
Leblant  parmi  celles  du  VI*  siècle,  appartient  à  une  époque 
postérieure,  au  VII?  siècle.  Donc  encore  ce  n'est  pas  au  début 
du  V*  siècle  que  le  monastère  cassianite  se  trouvait  placé  sous 
le  vocable  de  Saint-Cyr. 

A  ces  raisons  négatives  nous  pouvons  en  ajouter  de  positi- 
ves. D'abord,  il  est  impossible  que  ce  soit  saint  Amator  qui 
ait  donné  les  reliques  de  saint  Cyr  à  l'abbaye  cassianite,  et 

(1)  Rappelons-nous  que,  dans  le  Polyptique,  en  814  ces  biens  sont 
sous  la  rubrique  de  Saint- Victor,  et  que  ce  mot  «  Victoria  »  a  été  gratté 
et  remplacé  par  celui  de  «  Cyrici  >  au  XI-  ou  XIIe  siècle. 

(2)  On  le  verra  dans  les  chapitres  de  ce  présent  ouvrage,  où  il  s'agit 
des  invasions  des  Vandales,  Visigoths,  etc. 


—  116  — 

qu'ainsi  cette  abbaye  ait  porté  ce  nom  dans  le  V*  siècle. 
En  effet,  saint  Amator  est  mort  en  418  (1).  Il  a  dû  effectuer 
son  voyage  en  Orient  avant  418  et  donner  des  reliques  de  saint 
Gyr  aux  Cassianites,  en  supposant  qu'il  en  ait  laissé,  au  plus 
tard  dans  l'année  418.  Or,  M.  de  Rey  fixe  à  l'année  420  la  fon- 
dation de  l'abbaye. 

La  conclusion  est  facile  à  tirer.  Mais  supposons  que  l'abbaye 
ait  été  fondée  en  410,  suivant  André,  en  415  suivant  d'autres. 
Ou  bien  saint  Amator  a  donné  ces  reliques  avant  la  fondation 
de  l'abbaye,  avant  415,  si  déjà  le  saint  évéque  avait  effectué 
son  voyage  en  Orient,  car  on  ne  connaît  pas  la  date  précise  de 
ce  voyage  ;  ou  bien  il  les  a  données  après  la  fondation  de  l'ab- 
baye, de  415  à  418.  S'il  les  a  données  avant  la  fondation  de 
l'abbaye,  avant  415,  ce  sera  Cassien  lui-même  qui,  pour  ho- 
norer ce  saint  martyr  d'Antioche,  aura  placé  le  monastère  dès 
sa  fondation  sous  son  vocable.  Or,  la  plupart  des  auteurs,  Ruf- 
fi,  André,  etc.,  disent  que  l'abbaye,  au  début  de  son  existence, 
avait  pour  titulaire  la  Sainte  Vierge  !!  Cassien  aurait-il  donné 
au  monastère  des  femmes  et  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge  et 
celui  de  Saint-Cyr,  comme  il  l'avait  fait  pour  le  monastère 
des  hommes  qui  était  élevé  a  in  honore  Beatissimse  semperque 
Virginis  Mariae  vei  Sancti  Victoris  martyris  (2)  r> .  Alors,  pour- 
quoi la  lettre  de  Grégoire  le  Grand  à  l'abbesse  Respecta  ne  fait- 
elle  mention  que  d'un  seul  vocable  :  celui  de  Saint-Cassien  ? 
Pourquoi  l'inscription  de  sainte  Eusébie  ne  porte-t-elle  encore 
que  le  nomade  Saint-Cyr  ?  D'oii  vient  qu'à  ces  deux  époques  le 
monastère  n'a  plus  qu'un  nom  ? 

Qu'importe  d'ailleurs,  la  chose  pourrait  à  la  rigueur  être 
possible.  Mais,  si  la  Sainte  Vierge  et  Saint-Cyr  sont  les  vocables 
donnés  par  Cassien  lui-môme,  pourquoi  les  a-t-on  laissés  pour 
prendre,  avant  597,  celui  de  Saint-Cassien  ?  Ce  sont  les  Cassia- 


(t)  Saint  Amator  naquit  vers  344.  Il  fut  sacré  évéque  vers  388,  et  mou- 
rut le  1er  mai  418.  Sa  vie  fut  écrite  vers  580  par  un  Stephanus  Africanus. 
De  plus,  Gonstantius ,  qui  a  écrit  la  vie  de  saint  Germain  d'Auxerre, 
parle  aussi  de  saint  Amator.  —  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XII, 
p.  534.—  Acta  Sanctorum,  1"  mai,  t.  I,  de  mai,  p.  51.  —  Baronius, 
notes  in  Martyrologium,  au  1er  mai  et  au  16  juin. 

(2)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  passim,  chartes. 


—  117  — 

nites,  dira-t-on,  qui,  en  souvenir  de  leur  père  qu'elles  regar- 
dent et  vénèrent  comme  un  saint,  ont  sacrifié  le  vocable  de 
Saint-Cyr  pour  adopter  celui  de  leur  fondateur.  Soit.  D'où 
vient  qu'elles  ont  quitté  ce  vocable  de  Saint-Cassien  qui  leur 
était  si  cher,  pour  prendre  plus  tard  celui  de  Saint-Cyr  ?  car, 
avant  814  et  postérieurement  à  cette  date,  l'abbaye  était  sous 
ce  nom,  nous  l'avons  dit  tantôt.  Non,  ce  n'est  pas  saint  Gassien 
quia  donné  le  vocable  de  Saini-Cyr  à  son  abbaye,  et  les  reli- 
ques de  ce  saint  martyr  n'ont  pas  été  portées  par  saint  Amator 
avant  la  fondation  de  l'abbaye,  antérieurement  à  415. 

Saint  Amator  les  a-t-il  données,  après  cette  fondation,  de  l'an 
415  à  Tan  418?  C'est  encore  impossible.  L'abbaye  étant  fondée, 
Cassien  la  place  sous  le  vocable  de  la  Très  Sainte  Vierge.  C'est 
croyable,  nous  l'avons  dit.  Quelques  années  après,  recevant 
de  saint  Amator  ces  précieuses  reliques,  il  changera  le  vocable 
de  la  Sainte  Vierge  et  le  remplacera  par  celui  de  Saint-Cyr! 
C'est  à  peine  croyable.  Réunira-t-il  ces  deux  vocables?  Alors 
encore  pourquoi  cette  inscription  de  sainte  Eusébie  et  la  lettre 
à  Respecta  ne  font-elles  pas  mention  de  ce  double  vocable  ? 
Pourquoi  encore,  comme  on  vient  de  l'objecter  plus  haut,  les 
Cassianites  ont-elles  quitté  ces  deux  vocables  pour  prendre 
celui  de  Saint-Cassien  ?  Pourquoi  enfin,  y  revenir  au  IX*  siè- 
cle? 

Non,  il  y  a  impossibilité  à  ce  que  ce  nom  de  Saint-Cyr  ait  été 
donné  par  Cassien  de  415  à  418,  ou  après  420  ;  impossibilité  à 
supposer  que  saint  Amator  ait  porté  lui-môme  ces  reliques  à 
l'abbaye.  Donc  celle-ci  n'a  été  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr 
qu'après  avoir  été  sous  celui  de  Saint-Cassien. 

A  la  suite  de  quelles  circonstances  ce  vocable  de  Saint-Cyr  fut 
attribué  au  monastère  cassianite?  Il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il 
n'y  ait  un  fond  de  vérité  dans  ce  que  les  auteurs  affirment,  à 
savoir  que  c'est  à  l'occasion  du  don  fait  à  ce  monastère  de  quel- 
ques reliques  de  ce  saint  martyr,  qu'il  fut  placé  sous  son 
patronage.  La  dévotion  à  saint  Cyr  a  été  très  grande,  à  une 
époque,  en  France  (l).On  réclamait  de  tous  côtés,  dit  Saussay, 

(1)  La  cathédrale  de  Nevers,  au  IXe  siècle,  était  dédiée  à  Saint-Cyr. 
Acta  sanctorum,  Bolland  ,  t.  III,  de  juin. 


—  118  - 

des  parcelles  de  ces  vénérables  reliques.  Un  grand  nombre 
d'églises  et  de  monastères  furent  élevés  en  son  honneur  (1). 
L'abbaye  cassianite  de  Marseille  dut  recevoir  quelque  relique, 
que  d'ailleurs  elle  a  conservée  pendant  bien  longtemps  (2),  et 
échangea  son  ancien  vocable  avec  celui  de  Saint-Cyr  qui  alors, 
pourrait-on  dire,  était  à  la  mode. 

À  quelle  époque  eut  lieu  ce  changement  ?  Il  n'est  guère 
possible  de  le  dire.  Le  culte  de  saint  Cyr  est  très  ancien 
en  Provence,  il  faut  donc  remonter  bien  haut.  D'une  part, 
en  effet,  les  détails  que  nous  donnerons  plus  tard  sur  le 
Polyptique  de  Vadalde  indiquent  qu'antérieurement  à  814 
l'abbaye  portait  ce  nom  de  Saint-Cyr;  d'autre  part,  en  597, 
elle  portait  celui  de  Saint-Cassien,  peut-être  depuis  une 
centaine  d'années,  et  elle  l'a  conservé  encore  un  demi -siècle 
au  moins.  A  cette  époque,  le  souvenir  de  saint  Cassien 
commence  à  se  perdre.  Plusieurs  générations  ont  passé  depuis 
la  mort  du  saint  fondateur.  On  ne  tient  plus  autant  à  l'ancien 
vocable.  Survienne  un  événement  favorable  et  le  changement 
s'opérera  sans  difficulté.  L'occasion  se  présenta.  Vers  650 
environ,  on  dut  apporter  ces  reliques  de  saint  Cyr  et  ce  nou- 
veau titulaire  fut  adopté.  Combien  de  temps  le  garda-t-il  ? 
L'inscription  que  nous  avons  du  tombeau  de  sainte  Eusébie 
porte  cette  mention  :  in  monaaterio  sancti  Cyrici,  Or,  nous 
fixons  à  738  la  date  de  la  mort  de  cette  martyre.  Au  VIII*  siècle 
donc  l'abbaye  cassianite  était  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr. 

En  838,  lorsque  les  Normands  enlevèrent  un  grand  nombre 


(1)  t  Quorum  sacratissima  pignora  inde  in  Gallia  per  sanctum  Ama- 
torem  Antissiodorensem  episcopum  (eu m  in  Orientera  peregrinatus  est) 
alla  ta,  ambitiosaque  populorum  petitione  dispertita,  sacraria  plurima- 
rum  ecclesiarum  ditaverunt.  eamque  in  ipsos  martyres  excita verunt 
devotionem  ut  basilicaî  multae  in  eorum  cœlitum  honorem  mox  fuerunt 
conditae,  monasteriaerecta...  >  Saussay,  Supplementum  Martyrologii 
gallicani  (Sanctorum  Cyrici  et  Julittae,  16  kalendas  julii),  pp.  360,  361. 

(2)  Saint-  Germain  d'Auxerre,  voyageant  en  Italie,  portait  sur  lui  des 
reliques  de  saint  Cyr.  Il  mourut  à  Ravenne,  et  ces  reliques  demeurèrent 
dans  cette  ville.  Qui  sait  si  les  reliques  de  saint  Cyr  ne  vinrent  pas  aux 
Cassianites  de  Marseille  par  l'intermédiaire  de  quelque  moine  qui  les 
leur  apporta  d'Italie  ?  — Acta  sanctowm,  Bolland.,  t.  I,  de  mai  ;  vie  de 
saint  Amator. 


—  119  — 

de  religieuses;  en  923,  lorsque  les  Sarrasins  détruisirent 
l'abbaye,  conservait-elle  ce  vocable?  Aucun  titre  que  nous 
connaissions  ne  l'indique.  Nous  croyons  cependant  qu'en 
mémoire  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  héroïques  compagnes,  les 
Gassianites,  qui  avaient  relevé  le  monastère  incendié  au 
VII?  siècle,  avaient  dû  être  heureuses  de  le  garder. 

Le  monastère  qu'Elgarde  fondait  et  bâtissait  en  1004,  quel 
nom  portait-il?  Très  probablement  ce  n'était  pas  celui  de 
Saint-Cyr;  dans  la  tourmente,  ce  nom  et  ses  gloires  avaient 
disparu.  Ce  fut  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge  que  Ton  adopta. 
En  effet,  vers  1031,  lorsque  Tabbesse  Adalmoïs  relève  le  monas- 
tère déjà  en  ruines  et  que  Déodat,  évoque  de  Toulon,  lui 
accorde  quelques  libéralités  (1),  ctst  la  Très  Sainte  Vierge 
qui  en  est  la  patronne.  De  même  en  1050,  puisque  la  vicom- 
tesse Stéphanie  fait  une  donation  au  «  cœnobium  Sanctœ 
Mariae  Virginis  (2)  ».  Mais,  à  cette  date,  un  second  vocable 
apparaît  :  celui  de  Saint-Sauveur,  «  cœnobium  Sancti  Salva- 
toris  (3)  ».  Depuis  quelle  époque  le  donnait-on  à  l'abbaye  ? 
Etait-ce  depuis  la  première  restauration  du  monastère,  ou 
seulement  depuis  quelques  années?  Ruffi  semble  supposer  que 
c'est  depuis  l'arrivée  des  Cassianites  en  ville,  a  Lorsque  les 
religieuses  se  axèrent  au  lieu  où  elles  se  trouvent,  qui  est 
situé  sur  une  petite  éminence,  elles  lui  changèrent  le  nom,  et 
lai  donnèrent  celui  de  Saint -Sauveur  (4)  » .  C'est  le  titre  qu'il 
a  gardé,  à  travers  les  siècles,  jusqu'à  son  extinction  en  1793. 

En  résumé  donc,  de  415  à  550,  l'abbaye  fut  sous  le  vocable 
de  la  Sainte  Vierge,  de  550  à  à  650  sous  celui  de  Saint-Cassien, 
de  650  à  923  sous  celui  de  Saint-Cyr,  de  1004  à  1032  sous  celui 
de  la  Sainte  Vierge,  de  1050  à  1799  sous  celui  de  Saint- 
Sauveur. 

(t)  c  . . .  Deodatus  episcopus  Telonensis,  donans  monacharum  monas- 
terio  quod  in  hoaorem  Oei  Ctenitricis  Mariœinfra  muros  Massiliae  situm 
est...  s  Provinciœ  Massiliensis  Annales,  par  Guesnay,  p.  292. 

(2)  André,  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
pièces  justificatives,  B,  p.  206. 

(3)  Dans  la  même  donation  on  lit  en  effet:  c  Dono...  Deo  omnipo- 
tent!, et  beat»  Maria  et  cœnobio  Sancti  Sa  1  va  tons  Massilise. ..  »  André, 
op.  cit.,  p.  206. 

(4)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58. 


—  120  — 

Complètement  fausse  est  donc  l'opinion  de  ces  auteurs  qui, 
ne  parvenant  pas  à  établir  Tordre  successif  suivant  lequel  les 
divers  noms  de  l'abbaye  cassianite  ont  été  portés  durant  les 
siècles,  ont  eu  l'idée  d'affirmer  qu'il  y  avait  eu  à  Marseille, 
trois  ou  quatre  monastères  de  religieuses,à  peu  près  à  la  même 
époque.  Papon  nomme  celui  de  Saint-Sauveur,  qui,  bâti  près 
de  Saint-Victor,  portail  le  nom  de  Saint-Cyr  lorsqu'il  fut  dé- 
truit par  les  Sarrasins  qui  massacrèrent  sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes  ;  puis  celui  de  l'Huveaune  bâti  et  fondé  encore  par 
Cassien  et  dont  les  religieuses  qui  l'habitaient  eurent  le  même 
sort  que  sainte  Eusébie  (1). 

Guesnay,  dans  son  Cassianus  illustraius,  énumère  jusqu'à 
quatre  monastères  de  femVnes  qui  ont  existé  à  Marseille  :  celui 
de  l'Huveaune,  celui  de  Saint-Sauveur,  celui  fondé  par  Dyna- 
mius  en  l'honneur  de  saint  Cassien,  et  celui  de  Saint-Zacharie 
au  pied  de  la  Sainte-Baume  (2). 

On  comprend  que  de  telles  assertions  devraient  être  basées 
sur  quelques  documents,  pour  être  prises  au  sérieux. Or,  pas  la 
moindre  preuve.  Inutile  donc  de  nous  arrêter  à  discuter.  Il 
n'y  a  jamais  eu  à  Marseille,  du  Ve  au  XI?  siècle,  qu'un  monas- 
tère de  religieuses,  qui  a  changé  souvent  de  nom  comme 
souvent  il  a  changé  de  place. 


(1)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  360. 

Le  Père  Lecolnte,  dans  les  A  nnales  ecclesiastici  Francorumtk  la  suite 
de  Guesnay,  parle  du  monastère  de  l'Huveaune  et  de  Saint-Cassien 
comme  de  deux  monastères  bien  distincts. 

L'abbé  Magloire  Giraud  est  tombé  dans  la  même  erreur.  Le  monas- 
tère de  filles  fondé  par  Cassien  à  Marseille  est  bien  différent  d'un  monas- 
tère de  Saint-Cyr,  qui  se  serait  élevé  à  Saint-Cyr  du  Var,  dans  sa 
paroisse. 

La  Gallia  christiana  fait  de  même.  Outre  le  monastère  de  Saint- 
Sauveur,  elle  place  un  monastère  des  Accoules  fondé  vers  1033  entre 
l'abbaye  de  Saint- Victor  et  la  rivière  de  l'Huveaune  ;  t.  1,  col.  696. 

(2)  S.  Cassianus*  illustralus,  par  Guesnay,  ch.  XVII,  p.  409. 

M.  le  chanoine  Bayle,  dans  la  Vie  de  Saint  Sérénus,  demande  si  le 
cœnobium  de  Saint-Cassien ,  dont  Respecta  était  abbesse,  était  le  même 
que  celui  qui  s'appela  du  nom  de  Saint-Cyr.  Il  cite  l'opinion  de  Mgr  de 
Belsunce  et  celle  de  Guesnay.  (Vie  de  Saint  Sêrênus,  par  l'abbé  Bayle, 
p.  36.) 


CHAPITRE  IV 


Le  quartier  de  Saint-Giniez  du  Ve  au  XIe  siècle 


Troisième  question  préjudicielle 


LE  TERROIR  DE  SAINT-GINIBZ  HABITÉ  AVANT  L'ÈRE  CHRÉTIENNE.  —  IL 
ÉTAIT  HABITÉ  AU  IX*  SIÈCLE,  CHARTE  DE  CARVILLAN  DE  840  ;  —  AU 
Xe  SIECLE,  LB8  DEUX  RIVES  DE  L^UVEAUNa  SONT  HABITEES  ;  —  AU 
XI»  SIECLE  AU8SI  ;  —  DONC,  ELLES  L*ONT  ÉTÉ  DU  V  AU  VIII-  SIÈCLE 
—  SAINT-GINIEZ  «  IN  RIPA  MARIS  ».  —  SOUS  LES  BARBARES  ON  A  PU 
CULTIVER  CETTE  PARTIE  DU  TERROIR.  —  LES  INVENTAIRES  DE 
VADALDB  EN  818,  ET  DE  VENATOR  EN  896. 

Un  point  encore  à  établir  c'est  que  le  quartier  de  Saint-Giniez 
n'était  point  aussi  désert,  aux  V,  VI",  VIIe  et  VHP  siècles,  que 
certains  auteurs  ont  bien  voulu  le  dire. 

De  tout  temps,  il  a  été  habité. 

Pour  l'époque  antérieure  au  christianisme,  et  pour  les  pre- 
miers siècles  de  notre  ère,  M.  l'abbé  Daspres  nous  donne  de 
cette  assertion  des  preuves  surabondantes  dans  sa  Notice  sur 
Saint-Giniez  (1).  Lors  des  fouilles  opérées  à  l'occasion  de 
l'agrandissement  de  l'église,  on  a  découvert  des  poteries  en 
grès  d'un  gris  foncé,  des  débris  d'amphores  et  des  dolium,  in-1 
diquant  l'époque  gréco-marseillaise,  le  VII-  ou  le  VP  siècle 
avant  Jésus-Christ  ;  puis  des  poteries  de  fabrication  gauloise 
d'un  travail  plus  fini,  indiquant  l'influence  de  la  domination 
romaine,  et  l'époque  plus  récente  du  II0  siècle  avant  notre 
ère  ;  ensuite  des  poteries  romaines  importées  en  Gaule,  les 
unes  avec  le  vernis  noir  et  brillant,  que  Ton  est  convenu  d'ap- 

(1)  Xotice  hiëtovique,  topor/raphique  et  hayiologique  sur  Saint-Giniez 
par  l'abbé  Daspres;  Notes  et  pièces  justificatives,  p.  129  et  suivantes; 


—  122  — 

peler  poteries  étrusques  ;  les  autres  avec  le  vernis  d'un  rouge 
vif,  et  le  grain  lin  et  délicat,  rappelant  les  belles  poteries  si- 
gnées Ruûus,  contemporain  deMarius;  enfin,  des  poteries 
gallo-romaines,  c'est-à-dire  faites  par  les  Romains  en  Gaule, 
vers  la  même  époque.  En  outre,  la  pioche  des  terrassiers  mit  à 
découvert  des  constructions  antiques  qui  jadis  avaient  servi 
de  citernes,  de  réservoirs;  des  médailles  de  Nerva  et  d'Antonin  ; 
des  tombes  gallo-romaines  éparses  çà  et  là,  ou  placées  dans 
les  citernes  hors  d'usage  mentionnées  plus  haut.  Ce  sont  tout 
autant  de  témoignages,  que  de  temps  immémorial  l'emplace- 
ment où  se  trouve  l'église  a  été  fréquenté  ;  de  preuves  et  d'in- 
dices qu'une  villa  romaine  avait  dû  s'élever  dans  cette  position 
si  délicieusement  abritée. 

De  plus,  cette  église  de  Saint-Giniez,  édifiée  dans  cette  partie 
du  terroir  et  en  ruines  dès  1044,  semble  indiquer  l'existence 
d'un  sanctuaire  chrétien  très  ancien.  L'archéologie,  en  effet, 
regarde  comme  un  axiome  que  partout  où  l'on  rencontre  un 
sanctuaire  chrétien  très  ancien,  là  devait  se  trouver  un 
sanctuaire  païen.  Où  s'élève  Saint-Giniez  aujourd'hui,  là 
presque  certainement  se  trouvait  quelque  lucus,  quelque 
bois  sacré,  quelque  oratoire  du  paganisme  (1).  De  tout  temps 
donc  ce  quartier  a  été  habité.  A  elles  seules,  ces  preuves 
ci-dessus  mentionnées  nous  conduisent,  du  VI*  siècle  avant 
J.-G.  aux  1?,  IIP  et  IV  siècles  après. 

Si  nous  ouvrons  maintenant  le  cartulaire  de  Saint- Victor; 
si  nous  nous  aidons  des  travaux  de  M.  l'abbé  Daspres,  curé  de 
Saint-Giniez,  et  de  M.  l'abbé  Arnaud,  curé  de  Sainte-Margue- 
rite (2),  nous  arrivons  à  cette  conclusion  :  que  ce  quartier  de 
Saint-Giniez,  que  les  deux  rives  de  l'Huveaune,  depuis  Sainte- 
Marguerite  jusqu'à  la  mer,  étaient  cultivés  et  habités  dès  Tan 
800  ou  900. 

En  effet,  sur  la  rive  gauche  de  l'Huveaune,  dès  Tan  840, 
Sigobertus,  et  son  épouse  Euberba  donnent  à  l'abbaye  de 
Saint-Victor  la  terre  deCarvillan  (3J,  vaste  tèneraent  qui  avait 

(1)  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  ut  supra,  p.  11. 

(2)  Notice  historique  et  topographique  sur  Sainte-Marguerite,  par 
l'abbé  Arnaud,  pansim. 

(3)  «...  lu  suburbio  Massilieuse,  villam  quœ  dicitur  Garvilliauus,  id 


—  123  — 

pour  limites,  au  midi  le  sommet  des  montagnes,  au  nord  le 
rivage  de  l'Huveaune,  et  qui  s'étendait  du  pont  de  Yivaux 
actuel  jusqu'aux  premières  maisons  situées  sur  le  bord  de 
l'Huveaune,  près  de  Sainte-Marguerite.  Or,  ce  tènement  n'était 
pas  inculte.  La  charte  de  donation  qui  en  fait  la  description 
dit  qu'il  y  avait  des  maisons  en  état  d'être  habitées,  d'autres 
en  ruines,  des  terres  cultivées,  des  terres  incultes,  des  vignes, 
des  prés,  des  pâturages,  des  bois,  des  taillis,  des  vergers,  des 
arbres  fruitiers  et  des  arbres  de  haute  futaie.  Forcément,  il  y 
avait  dans  ce  domaine  des  serfs,  des  colons,  des  cultivateurs. 
Et  si,  en  840,  ce  domaine  était  en  état  de  prospérité,  s'il  y 
avait  des  maisons  en  ruines,  on  peut,  sans  trop  hasarder  de 
conjectures,  dire  qu'en  800  ce  coin  du  terroir  de  Saint-Giniez 
était  habité. 

Descendons  plus  bas  vers  la  mer,  toujours  sur  la  rive 
gauche  de  l'Huveaune.  Il  y  avait  là  des  marécages,  les  paluds 
d'Arculens,  des  terres  gastes,  des  terres  incultes,  le  gast  de 
Romagnac.  Or,  en  965,  Honoré  II,  évoque  de  Marseille  (1)  se 
rendit  à  Arles,  auprès  de  Boson,  comte  de  Provence,  et  lui 
demanda  de  restituer  à  l'église  de  Marseille  et  à  l'abbaye  de 
Saint-Victor  certaines  terres  qu'il  détenait  injustement, 
quoique  de  bonne  foi.  Entre  autres  terres  qu'il  réclamait,  il  y 
avait  celle  de  Romagnac,  sur  le  fleuve  de  l'Huveaune,  le 
terroir  actuel  de  Bonneveine.  Saint  Honoré  prouva,  sur  la 
déposition  de  témoins  sûrs  et  fidèles,  le  bien  fondé  de  ses 
revendications  et  cette  terre  lui  fut  rendue. 

Or,  si  en  965  Boson  détient  ces  terres,  si  des  témoins 
«  scientes  ac  cognitores  »  affirment  que  ces  biens  apparte- 
naient auparavant  à  la  cathédrale  ou  à  Saint-Victor,  nous 
arrivons  à  l'an  900.  Et,  comme  ni  l'abbaye  de  Saint-Victor,  ni 


est  casis  astantibus  et  dirutis,  terris  cultis  et  incultis,  vineis,  pratis, 
pascuis,  8ilvis,  montibus,  garricis,  ortis,  pascuis,  arboribus  pomileris  et 
impomileris,  aquis  aquarumve  decursibus,  accessisque  omnibus  cum 
omni  integritate  absque  ullà  diminutions.  »  Gartulaire  de  Saint-Victor, 
ch.  28,  du  24  juin  840. 

(1)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  29,  de  mars  965:  c...  interea 
namque  episcopus,  scientes  et  bene  cognitores  ac  testes  fidèles  adhibens, 
voluit...  d 


—  124  — 

la  cathédrale  ne  les  possédaient  pas  depuis  quelques  années 
seulement,  on  peut  arriver  jusque  vers  l'an  850.  Dès  cette 
époque,  il  y  a  en  ces  lieux  des  colons,  des  habitants  ;  car, 
quelque  inculte  que  soit  une  terre,  il  y  a  toujours  des  habi- 
tants, ne  fût-ce  que  des  gardiens  de  troupeaux.  Donc,  de  800  à 
850  la  rive  gauche  de  l'Huveaune,  du  pont  de  Vivaux  à  la 
mer,  est  habitée. 

Passons  sur  la  rive  droite.  Le  même  document  (1)  que  nous 
venons  de  citer  nous  montre  Boson  restituant  à  Saint- Victor 
deux  autres  terres  :  Tune  le  Ligus  Pinis,  partie  boisée  du  terroir 
sur  le  versant  sud  de  la  Garde;  l'autre,  Fabias,  située  au  con- 
fluent du  Jarret  et  de  l'Huveaune.  Et  nous  disons  comme  plus 
haut  :  si  Boson  les  détient  en  965,  et  si,  avant  qu'il  les  possédât, 
elles  appartenaient  à  la  cathédrale  ou  à  l'abbaye  de  Saint- 
Victor,  nous  remontons  encore  à  Tan  800  ou  850. 

Nous  trouvons  dans  plusieurs  chartes  d'autres  preuves  que, 
dès  la  lin  du  XI*  siècle,  les  deux  rives  de  l'Huveaune  étaient 
habitées. 

Pour  la  rive  gauche  d'abord.  En  1030,  un  certain  Boniface 
donne  à  Saint- Victor  une  terre  en  partie  cultivée,  en  partie 
boisée,  située  auprès  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  Margue- 
rite (2).  La  charte  42,  qui  doit  être  de  1050,  indique  les  terres 
cultivées  et  non  cultivées  de  Mont-Redon,  au  delà  de  l'Hu- 
veaune, comme  appartenant  à  Saint-Victor  (3).  En  1072,  Pons  II, 
évoque  de  Marseille,  donne  à  l'abbaye  l'église  de  Sainte-Mar- 
guerite située  entre  Carvillan  et  l'Huveaune,  avec  toutes  ses 
terres  cultivées  et  non  cultivées,  ses  sources  et  ses  jardins  (4). 
Une  charte  de  l'an  1097  énumère  plusieurs  portions  de  terre 
cédées  à  Saint- Victor  par  des  particuliers.  L'une  de  ces  terres 
est  dans  la  vallée  de  Mazargues,  près  du  chemin  qui  va  à  Mont- 
Ci)  Charte  29,  de  mars  965,  Cartulaire  de  Saint- Victor. 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  91,  de  1030  :  «  . . .  omnem  partem 
meam,  henni  et  culti. . .  » 

(3)  c  . ..  ultra  Vuelna,  in  Podio  Rotundo,  terra  erma  et  cul  ta.»  Cartu- 
laire de  Saint- Victor,  charte  42,  scecuL  XL 

(4)  «  ...  ecclesiam  Sanctse  Mari»  quae  dicitur  Margarita,  cum  omni- 
bus appendiciis  suis,  in  terris  cultis  etincultis,  cum  fonte  et  ortis  quœ  ibi 
tiferi  possunt. . .  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  80; 


—  125  — 

Redon,  l'autre  à  Homanana,  Bonneveine;  une  autre  au  palus 
d'Archulens  ;  deux  autres  encore  près  de  Mont-Redon  (1).  La 
rive  gauche  est  habitée  au  XI*  siècle. 

lien  est  de  même  pour  la  rive  droite.  En  1030  Guillaume  et 
Fulco,  vicomtes  de  Marseille,  Pons  II,  évoque  de  cette  ville, 
donnent  ou  plutôt  restituent  aux  moines  de  Saint- Victor  le 
moulin  qu'ils  avaient  bâti  jadis  à  grands  frais,  situé  au  con- 
fluent du  Jarret  et  de  THuveaune  (2).  En  1062,  Lambert,  fils 
d'Adalbert,  et  son  épouse  donnent  à  Saint-Victor  une  terre  en- 
tre le  béai  et  l'Huveaune  (3).  En  1065,  Pons  et  Geoffroy,  fils 
du  vicomte  de  Marseille,  Guillaume,  rendent  à  Saint- Victor  des 
terres  qu'on  lui  avait  enlevées  et  qui  étaient  situées  entre  la 
rive  du  Jarret  et  le  jardin  des  moines,  près  de  Saint-Giniez  (4). 
En  10S0,  Fougues  Humbert  cède  au  monastère  uue  terre  située 
entre  le  Jarret  et  le  jardin  des  moines  à  Saint-Giniez  (5).  En 
1080  encore,  Iterius  et  Aicelena  cèdent  à  Saint- Victor  une  pièce 
de  terre,  près  de  THuveaune  et  du  béai  du  moulin  de  Saint- 
Giniez  (6).  Enfin,  la  charte  de  1097énumère  les  donations  fai- 
tes à  Saint-Victor  de  terres  situées  près  de  l'église  de  Saint- 
Giniez,  dans  les  marais  d'Antignane,  à,  l'embouchure  de  THu- 
veaune, au  marais  Framaud,  et  dans  toute  l'étendue  du  terroir 
de  Saint-Giniez  (7). 

Inutile  de  pousser  plus  loin  la  nomenclature.  Les  chartes 
sont  si  nombreuses  ;  si  précis,  si  détaillés  sont  les  rensei- 
gnements qu'elles  fournissent,  que  Ton  pourrait,  si  Ton  vou- 
lait, dresser  le  plan  cadastral  des  deux  rives  de  THuveaune, 
au  XI*  siècle.  Les  deux  rives  sont  habitées.  C'est  l'abbaye  de 

(1)  Daspres,  Notice  *uv  Saint-Giniez  t  op.  cit.,  pièces  justifie.»  note  C; 
charte  inédite  de  Saint-Victor,  cotée  n*  789,  diocèse  de  Marseille,  n*  317. 

(2)  Chartes  20,  21,  22 du  Cartulaire  :  «  ...  ortorum,  pratorum  vel  ar- 
borura  et  omnium  omnino  rerum  quae  in  supradicto  termino,  monachi 
Saocti  Victoris  sedilicavërunt...  ipso  molendlno  quem  monachi  aedifica- 
verunt  cum  raagoo  labore  et  multis  sumptibus. . .  » 

(3)  Charte  35  du  Cartulaire  de  Saint-Victor,  1062. 

(4)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  84,  de  l'an  1065-1079. 

(5)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  148,  de  1080. 

(6)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  chartes  1087, 1088,  de  l'an  1080. 

(7)  Daspres,  Notice  vur  Saint-Giniez,  charte  inédite,  pièces  justifica- 
tives. 

9 


—  126  — 

Saint- Victor  qui  a  en  sa  possession  la  presque  totalité  de  cette 
partie  du  terroir,  et,  comme  M.  l'abbé  Daspres  Ta  dit  :  *  Dès 
ce  moment  l'abbaye  n'a  plus  rien  à  y  acquérir  (1).» 

Or,  nous  disons  que  si  ces  rives  de  l'Huveaune  sont  habitées 
de  Tan  1000  à  Tan  1100,  elles  Tétaient  déjà  dès  le  IX'  siècle. 

En  effet,  est-ce  que  la  mise  en  valeur  de  ces  terres  date  de 
quelques  années  à  peine?  Non.  Dans  les  chartes  20  et  21 
il  s'agit  de  la  restitution  faite  aux  moines  de  Saint-Victor  de 
prairies,  de  jardins  que  ceux-ci  ont  défrichés,  du  moulin  lui- 
même  qu'ils  ont  bâti  à  grands  frais  et  avec  beaucoup  de  travail. 
Or,  les  moines  n'ont  pu  construire  ce  moulin  postérieurement 
à  l'an  923,  époque  de  la  destruction  du  monastère.  Ils  ont  dû, 
depuis  cette  époque  jusqu'à  celle  où  les  chartes  20  et  21  ont 
été  rédigées,  en  1030,  s'occuper  d'abord  de  la  restauration  de 
leur  abbaye  ;  il  s'ensuit  que  les  vicomtes  de  Marseille  qui  res- 
tituent ce  moulin  en  1030  ont  dû  s'en  emparer  à  l'époque  de 
la  destruction  de  Saint-Victor  en  923.  La  construction  de  ce 
moulin  date  donc  au  moins  des  dernières  années  du  IX*  siècle. 

De  plus,  est-ce  que  les  particuliers  qui  font  donation  à 
Saint- Victor,  au  XI'  siècle,  de  quelques-unes  de  leurs  terres, 
sont  les  propriétaires  primitifs  de  ce  sol  ?  Nullement. 

Tantôt,  en  effet,  les  chartes  disent  clairement  qu'il  s'agit  de 
biens  que  l'on  restitue  ;  ainsi,  en  1065-1079,  Geoffroy,  fils  du 
vicomte  de  Marseille  du  même  nom,  rend  à  l'abbaye  des 
vignes,  près  du  Jarret,que  Ton  avait  enlevées  à  l'autel  de  Saint- 
Pierre  de  Paradis  (2).  En  1097,  Damalcus,  d'Àubagne,  et  son 
épouse  Dulciane  donnent  deux  pièces  de  terre  situées  à  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune  et  que  l'on  avait  jadis  enlevées  à 
Saint- Victor  (3). 

Tantôt  elles  disent  que  ces  biens  cédés  à  Saint-Victor  par 
ces  particuliers  leur  sont  arrivés  par  héritage.  C'est  le  cas  de 
Vicherius,  qui,  en  1040,  donne  à  l'abbaye  quelques  terres 

(1)  Daspres,  op.  cit.,  p.  19. 

(2)  c  Reddo  et  guipertionem  facio  de  vineis  quas  Petrus  Nodollo  tol- 
lebat  altario  Sancti  Pétri  de  Paradiso..  »  Charte  84,  cartulaire  de 
Saint-Victor. 

(3)  Charte  inédite  dans  Notice  sur  Samt-Giniez,  par  l'abbé  Daspres, 
p.  136. 


—  127  — 

qu'il  a  reçues  en  héritage  de  sa  mère  (I  ).  L'une  de  ces  terres 
est  située  à  Àrcolas,  sur  la  rive  gauche.  C'est  le  cas  de  Damal- 
cus  et  Dulciane  cités  plus  haut,  qui  affirment  que  ces  terres 
de  l'embouchure  de  l'Huveaune  ont  été  laissées  en  héritage  à 
sa  mère  (2). 

Tantôt  elles  mentionnent  que  ces  biens  donnés  à  Saint  Vic- 
tor proviennent  de  propriétés  antérieurement  vendues,  cédées 
aux  donateurs,  En  1087,  l'abbesse  Garcende  de  Saint-Sauveur 
cède  à  Saint-Victor  la  dime  d'un  champ  qui  avait  appar- 
tenu à  Pierre  Saumade  (3)  ;  Amelius  Candidia,  en  1097,  donne 
la  dime  qu'il  prélevait  sur  un  champ  déjà  cédé  à  Saint - 
Victor  (4). 

Tantôt  la  donation  du  XI'  siècle  n'est  que  la  confirmation 
d'une  donation  antérieure.  En  1062,  Lambert  donne  à  Saint- 
Victor  une  terre  que  déjà,  de  concert  avec  son  père  et  sa  mère, 
il  lui  avait  cédée  (5). 

Tantôt  ce  que  l'on  donne  a  été  démembré  d'une  autre  pro- 
priété. En  1076,  Pierre  Saumade  donne  la  condamine  qui  jadis 
faisait  partie  des  biens  d'un  certain  David  (6). 

Tantôt  les  donateurs  montrent  bien,  par  les  termes  dont  ils 
se  servent,  qu'ils  sont  en  possession  de  ces  terres  depuis  de 
longues  années. 

Tantôt,  enfin,  il  est  mentionné  dans  ces  chartes  qu'il  s'agit 
de  terres  cultivées,  de  vignes,  de  prairies  que  l'on  a  conquises 
sur  le  marais. 

Ces  divers  modes  par  lesquels  ces  biens  sont  advenus  aux 
propriétaires  du  XI*  siècle,  indiquent  clairement  que  anté- 


(1)  c  Ego  dono  aliquid  de  proprietate  meâ.. .  quae  mihi  ex  succes- 
sione  matris  mese  venit.. .  »  Charte  52. 

(2)  Daspres,  op.  citato,  charte  inédite. 

(3)  Cartulaire  de  Saine- Victor,  charte 88  :  c  ...  Nos  sancti moniales., 
veodimus. . .  decimo  de  campo  que  fuit  de  Petro  Saumada. . .  » 

(4)  Charte  inédite  (Daspres,  op.  cit.) 

(5)  «  Donamus...  videlicet  totam  terram  illam,  quem  jam  dictus 
pater  meus  et  mater  mea  et  ego  donavimus. . .  »  Charte  95,  cartulaire 
de  Saint- Victor. 

(6)  «  . . .  facio  venditionem. . .  de  condaminà  ipso,  que  de  menso  David 
fuit...  »  Charte  87,  cartulaire  de  Saint- Victor. 


—  1-28  — 

rieurement  au  XP  siècle  cette  partie  du  terroir  était  cultivée. 
Nous  pouvons  remonter  ainsi  jusqu'à  la  fin  du  IX*  siècle. 

Que  Ton  n'allègue  pas  le  texte  delà  charte  de  1097  (1)  qui, 
parlant  des  marais  de  Saint  -Giniez,  semble  affirmer  que  l'église 
dédiée  à  ce  saint  se  trouvait  sur  le  bord  de  la  mer,  a  Sancli 
Genesii  in  ripa  maris  »,  et  qu'ainsi  il  n'y  avait  pas  d'habitant 
en  ces  lieux. 

M.  Saurel  (2)  a  supposé  que  la  mer  avançait  jusqu'à  Saint- 
Giniez  et  qu'il  y  avait  là  une  anse,  un  marécage  se  prolon- 
geant jusqu'au  Rond-Point,  et  accessible  aux  barques.  Tout 
ceci  n'est  que  de  la  pure  imagination.  Sans  doute  au  X-  et  au 
XIe  siècle,  le  quartier  de  Saint-Giniez  n'était  pas  ce  quil  est 
aujourd'hui.  Il  y  avait  un  marais  près  de  l'église,  le  «  palus 
Sancti  Genesii  »  ;  un  autre  vers  le  Rond-Point,  le  «  palus 
Antignana  »  ;  un  autre  vers  le  Rouet,  le  palus  Formai  ;  un 
autre  entre  Saint-Giniez  et  la  mer,  vers  le  parc  Borrely,  le 
palus  Archulens.  Ils  étaient  formés  soit  par  l'Huveaune,  dont 
les  eaux,  point  encore  encaissées,  ni  complètement  utilisées 
pour  les  moulins,  se  répandaient  sur  les  terrains  en  dépres 
sion,  soit  par  les  diverses  sources  qui  n'avaient  point  eucore 
un  écoulement  régulier  vers  la  mer.  Mais  autre  chose  un  ma- 
récage où  croissent  des  joncs,  autre  cfrose  des  lagunes  où  les 
barques  peuvent  naviguer.  Cette  charte  de  1097,  qui  cite  le 
«  palus  Sancti  Genesii  »,  celui  de  Formai,  d'Antignane,  d'Ar- 
coulens,  parle  précisément  de  terres  que  l'on  cultive  dans 
ces  marais  (3)  ;  preuve  évidente  que  chaque  jour  les  habitants 
faisaient  la  conquête  de  quelques  portions  de  terrain  sur  ces 
endroits  incultes  jusqu'alors. 

Ces  termes  :  «  Sancti  Genesii  in  ripa  maris  »  sont  mis  tout 

(1)  Daspres,  op.  rit.,  charte  inédite,  p    136. 

(2)  La  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  Saint-Ginie:, 
l>p.  151,  152. 

C'était  aussi  quelque  peu  l'opinon  de  M.  Meynier  :  Anciens  Chemin* 
rie  Marseille,  p.  43.  Suivant  cet  écrivain,  l'embouchure  de  l'Huveaune 
se  trouvait  à  Saint-Loup,  aux  premiers  siècles,  de  sorte  que  la  plaine  de 
Saint-Giniez  aurait  été  un  vaste  étang,  peut-être  le  port  de  Leoniuni 
dont  il  est  parié  au  IX«  siècle. 

(3)  Voir  les  détails  de  cette  charte  inédile,  de  1097,  dans  la  Notice  w 
Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  pièces  justificatives,  note  C,  p.  136. 


—  129  — 

simplement  pour  faire  une  distinction  entre  les  biens  appar- 
tenant à  Saint-Giniez  de  Marseille  et  les  possessions  des  autres 
églises,  dédiées  au  même  saint  martyr,  en  divers  lieux  de  la 
Provence.  Il  y  avait,  en  effet,  beaucoup  d'églises,  de  monastères 
sous  le  vocable  de  ce  saint.  Le  livre  de  M.  l'abbé  Daspres  en 
indique  plusieurs  (1).  Il  y  avait  Saint-Giniez  d'Arles,  Saint- 
Giniez  de  de  Lodève  ;  dans  les  Basses- Alpes,  il  y  en  avait  deux 
autres;  dans  le  diocèse  de  Rodez,  trois;  près  de  Forcalquier, 
une  ;  près  d'Apt,  une  autre  ;  près  de  Martigues,  une  autre  ;  etc. 
Or,  chacune  de  ces  églises,  chacun  de  ces  monastères  relevant 
pour  la  plupart  de  l'abbaye  de  Saint -Victor,  possédaient  des 
biens.  Afin  de  ne  pas  se  tromper  sur  le  monastère  dont  ils 
étaient  les  ressources,  on  les  avait  désignés  par  une  rubrique 
spéciale.  L'église  de  Saint-Giniez  à  Marseille  s'appelait  «  Sancti 
Genesii  in  ripa  maris  ». 

Or,  nous  disons  :  Le  quartier  de  Saint-Giniez  a  été  habité 
vers  le  IV*  siècle,  il  l'était  sûrement  dès  le  IX'  ;  donc  il  l'a  été 
aussi  durant  l'intervalle  qui  va  du  V'  au  IX-  siècle,  et  ce 
n'était  pas  cet  affreux  désert  que  Rutli  voudrait  nous  repré- 
senter. Nous  n'avons  pas,  il  est  vrai,  des  données  précises  et 
exactes  pour  faire  la  description  de  ces  lieux  aux  V,  VI°,  VIP 
VIII*  siècles.  L'histoire  n'en  fournit  guère  pour  cette  époque. 
Il  est  assez  diflicile  de  croire  cependant,  que  ce  quartier  n'était 
ni  cultivé,  ni  habité. 

D'où  proviendrait,  en  effet,  cette  solitude  qui  se  serait  sou- 
dainement faite  du  Ve  au  IX-  siècle  ?  Faudrait-il  en  accuser 
les  invasions  barbares  ?  Sans  doute  Goths,  Visigoths,  Bourgui- 
gnons et  Ostrogoths  sont  venus  assiéger  et  piller  Marseille 
durant  ces  siècles.  Mais  faut-il  croire  qu'ils  se  soient  telle- 
ment acharnés  sur  cette  partie  du  terroir,  qu'ils  l'aient  sac- 
cagée, dévastée  et  qu'ils  en  aient  massacré  les  habitants? 
Sous  l'action  de  ces  invasions,  les  terres  ont  été  enlevées  à 
leurs  possesseurs  légitimes,  c'est  vrai,  mais  toutes  ne  res- 
taient pas  en  friche.  Le  moment  de  la  fureur  passé,  les  enva- 
hisseurs eux-mêmes  tendaient  à  se  fixer  dans  les  villes  qu'ils 
saccageaient.  A  l'exception  des  Goths  d'Ataulphe  qui  ne  firent 

(!)  Daspres,  Notire  *i#r  Saint-Ginies,  p.  115  et  suiv. 


—  130  — 

que  traverser  la  Provence,  les  Visigolhs  d'Euric  se  fixent  à 
Marseille  et  y  demeurent  au  moins  vingt  ans.  Après  eux,  les 
Bourguignons  de  Gondebaud  et  de  Godégisile  y  passent  un 
bon  nombre  d'années  dans  une  paix  profonde.  Théodoric  le 
Grand  gouverne  la  Provence  avec  une  sagesse  admirable. 
Les  Francs  l'administrent  dans  l'ordre  et  la  tranquillité. 

Seuls  les  Sarrasins  font  exception.  Ils  furent  le  fléau  dévas- 
tateur. Dès  leur  apparition  en  Provence  vers  730,  tout  fut 
détruit  sur  leur  passage,  les  colons  massacrés,  les  habitations 
dévastées.  La  charte  de  Tan  840  mentionne  dans  le  domaine 
de  Carvillau  des  «  casis  adstantibus  et  dirutis  ».  Ces  destruc- 
tions et  tant  d'autres,  c'est  à  ces  barbares  qu'il  faut  les  impu- 
ter. Déjà  donc,  avant  leur  arrivée  en  nos  contrées,  le  terroir 
de  Saint-Giniez  était  cultivé  et  habité.  Ce  qu'ils  ont  détruit 
au  VIII'  siècle  existait  au  Vil*  et  plus  que  probablement  aux 
VI'  et  V'  siècles.  Non,  on  ne  peut  pas  prétexter  les  invasions 
des  barbares  pour  soutenir  que  notre  terroir  était  désert. 

On  a  dit  souvent  que  les  exigences  du  fisc  romain  rendaient 
la  culture  des  terres  très  difficile,  que  les  paysans  étaient 
obligés  de  se  vendre,  de  se  faire  esclaves  pour  vivre ,  que 
d'autres  préféraient  laisser  les  terres  en  friche,  prendre  les 
armes  et  piller.  Sans  doute  il  y  avait  de  graves  désordres  à 
cette  époque  ;  mais  de  là  à  dire  qu'il  n'y  avait  ni  colons,  ni 
esclaves  dans  notre  terroir,  pour  le  cultiver  et  l'habiter,  c'est 
pousser  à  1  exagération. 

Les  quelques  fragments  dans  lesquels  se  trouvaient  inven- 
toriés les  biens  de  l'abbaye  cassianite,  nous  sembleraient  une 
preuve  de  plus  que,  dès  le  VIII*  siècle,  notre  terroir  était  cul- 
tivé. En  effet,  trois  de  ces  inventaires  ont  été  rédigés  sous 
l'épiscopat  de  Vadalde,  à  l'indiction  Xï,  qui  correspond  à 
Tan  818  (1).  Il  ne  s'agit  pas  précisément,  dans  ce  document, 
de  propriétés  situées  dans  notre  terroir.  Il  en  est  un  cepen- 

(1)  «  Descriptio  mancipiorum  de  agroColumbario,  factum  tempore  Gua- 
daldi  episcopi,  indictione  XI  ;  —  Descriptio  mancipiorum  de  agello 
Cellas,  factum  tempore  supradicti  episcopi,  indictione  XI  ;  —  Descriptio 
mancipiorum  de  villa  Podiolum,  juxta  fluvium  Uvelnœ,  factum  tempore 
supradicti  episcopi,  indictione  XI.  »  (Armoriai  et  Sigillographie  det* 
évéque*  fie  Marseille,  par  M.  le  chanoine  Albanés,  p.  30.) 


—  131  — 

dant  qui  relate  la  description  des  serfs  du  domaine  de  Colom- 
bier; or,  Mortreuil  place  ce  domaine  au  Rouet  (1).  Mais,  si 
on  fait  en  818  un  inventaire  de  ces  biens,  donc  il  est  permis 
de  supposer  que  ceux  qui  les  possédaient  en  818  n'en  étaient 
pas  les  premiers  possesseurs,  que  ces  terres  étaient  déjà  habi- 
tées et  cultivées  lorsqu'ils  en  sont  devenus  les  propriétaires. 
Nous  remontons  ainsi  à  l'an*00,  750  ou  700. 

Le  même  raisonnement  peut  être  fait  pour  le  fragment  rela- 
tant lïnventaire  fait  la  dixième  année  de  l'épiscopat  de  Vena- 
tor vers  896,  des  biens  et  des  esclaves  que  l'abbaye  cassianite 
possédait  «  in  agro  Massiliensi  (2)».  L'«  ager  Massiliensis  » 
comprenait  Saint-Giniez.  Si,  en  891,  on  fait  un  inventaire  des 
serfs  qui  cultivent  cette  terre  ;  si  l'abbaye  n'a  pas  mis  elle- 
même  ces  terres  en  culture;  si  elle  les  a  reçues  d'un  proprié- 
taire primitif,  il  est  facile  dédire  qu'en  800,  750,  700  ce  coin 
de  terre  était  cultivé,  habité,  et,  s'il  l'était  au  VIP ,  on  se 
demande  pourquoi  il  ne  l'aurait  pas  été  aux  VI*  et  V*  siècles. 

Cassien  fondant  un  monastère  de  religieuses  a  pu  le  placer 
sur  les  bords  de  l'Huveaune.  C'était  la  solitude,  mais  pas  le 
désert.  Lui  qui  avait  parcouru  toutes  les  thébaïdes  ne  dut  pas 
être  effrayé  de  ces  marais,  de  ces  bois.  Recherchant  le  calme, 
la  tranquillité,  l'éloignement  du  bruit  du  monde  pour  ses 
filles,  aucun  site  n'était  favorable  comme  les  rives  de  l'Hu- 
veaune  et  la  vallée  de  Saint-Giniez  (3). 

Ces  prolégomènes  établis,  abordons  les  objections  que  les 
divers  auteurs  apportent  contre  notre  thèse. 


(t)  Dictionnaire  topoyraphique  de  V arrondissement  de  Marseille, 
par  Mortreuil  ;  verbo  Colombier,  pp.  114,  115. 

(2)  c  Descriptio  mancipiorum  de  agro  Massiliensi,  factum  terapore 
Venatoris  episcopi,  decimo  anno  episcopatus  ejus.  »  (Armoriai  et  Sigil- 
loyraphie  des  êvêques  de  Marseille*  ut  supra,  p.  30.) 

(3)  (l'est  le  sentiment  qu'exprime  M.  de  Rufïi  (le  père),  lorsqu'il  écri- 
vait dans  son  Histoire  de  Marseille,  p.  285  :  «  Cassien,  qui  était  le  fon- 
dateur de  cette  abbaye  et  qui  faisait  profession  de  vie  solitaire,  voulut 
bâtir  cette  maison  en  ce  lieu  écarté.  » 


DEUXIÈME  SECTION 


Discussion  des  Objections 


CHAPITRE  PREMIER 

Texte  de  la  Charte  40  du  XIe  siècle   dans  le 
Oartulaire  de  Saint-Victor 


OBJECTION  DE  RUFFI,  TIRÉE  DE  LA  CHARTE  40  DU  XI*  SIECLE.— TEXTE 
DE  CETTE  CHARTE.  —  DONNÉES  TOPOGRAPHIQUES  FOURNIES  PAR 
CETTE  CHARTE.  —  LA  TERRE  DES  RELIGIEUSES  DE  SAINTE-MARIE. 


La  première  objection  qui  s'offre  à  nous-  est  celle  que  l'his- 
torien lluffi  énonce  en  ces  termes  :  «  Une  des  chartes  que  j'ai 
citées  ci-dessus  pour  prouver  que Cassien  avait  été  le  fondateur 
de  ce  monastère,  marque  encore  que  cet  édifice  était  situé  au 
pied  de  la  montagne  de  la  Garde  (1).  »  Et  nous  Favons  dit, 
avec  Rutïi  se  trouvent  la  Gallia  christiana,  Lautard,  André, 
l'abbé  Daspres,  etc. 

Ruffi  n'indique  pas  clairement  de  quelle  charte  de  Saint- 
Victor  il  entend  parler.  Car,  quelques  lignes  plus  haut,  il 
s'appuie  «  sur  deux  chartes  qui  disent  formellement  que  Cas- 
sien  fut  le  fondateur  de  cette  maison  »,  et  en  marge  il  désigne 
le  folio  14  du  grand  cartulaire(2).  Au  folio  14,  il  n'y  a  qu'une 
charte  qui  traite  de  notre  sujet,  c'est  la  charte  40.  C'est  celle- 

<1)  Ruffi,  HMoire  de  Marnille,  t.  II,  p.  55. 
(2)  Ruffi,  op.  rit.,    p.  44. 


—  134  — 

là,  d'ailleurs,  que  les  auteurs  ci-dessus  nommés  citent  à  leur 
tour. 

Voici  le  passage  de  ce  document  en  question  : 

a  Non  loin  de  l'église  de  Saint-Pierre  (1),  en  dehors  de  la 
porte  qui  est  appelée  Paradis,  aux  environs  du  chemin  public 
qui  vient  de  l'église  de  Saint-Thyrse  et  se  dirige  vers  le  port  de 
Marseille,  sont  placées  les  vignes  suivantes.  Il  y  a  là  une  vigne 
de  la  contenance  d'une  demi-quarterée,  qui  appartient  à 
Gairald  Blanca  Lancea,  que  celle-ci  donna  à  Dieu  et  à  Saint- 
Victor.  Elle  est  bornée  à  l'orient  par  le  chemin  de  Lauret; 
au  midi,  par  la  vigne  de  Ilichao;  au  nord,  par  la  terre  de 
Sainte-Marie  ou  des  religieuses  demeurant  dans  le  monastère 
fondé  par  Gassien,  terre  placée  non  loin  du  port;  h  l'occident, 
par  le  chemin  qui  conduit  à  la  Garde.  » 

On  devine  que  la  phrase  dont  Ruffi  et  les  autres  auteurs  veu- 
lent faire  une  preuve  de  leur  assertion  est  celle-ci  :  «  au  nord, 
la  terre  de  Sainte-Marie  ou  des  religieuses  qui  habitent  dans  le 
monastère  fondé  par  Cassien,  terre  située  non  loin  du  port  : 
a  ...  a  septentrione,  terra  Sanctœ  Mariae  vel  sanctimonialium, 
non  longe  a  ripa  porti  supradicti,  incœnobio  quod  Pater  fun- 
davit  Gassianus,  consistentium.  »  C'est  sur  elle  donc  qu'il 
nous  faut  concentrer  toute  notre  attention. 

Selon  Ruffi,  il  n'y  a  jamais  eu  de  monastère  cassianite  sur 
les  bords  de  l'Huveaune,  mais  ce  monastère  a  toujours  été  au 
pied  de  la  montagne  de  la  Garde.  La  preuve  qu'il  donne  c'est 
la  phrase  ci-dessus  indiquée,  et  voici  son  argumentation  : 

Si  au  début  du  XIe  siècle  les  religieuses  de  Sainte-Marie 
habitent  non  loin  du  port,  comme  le  dit  la  charte  40,  puisque 
cette  même  charte  ajoute  qu'elles  habitaient  dans  le  monas- 
tère que  leur  Père  Cassien  avait  bâti,  il  est  certain  que,  d'après 
cette  charte,  à  toutes  les  époques  et  de  tout  temps,  le  monas- 
tère cassianite  s'est  trouvé  non  loin  du  port,  au  pied  de  la  mon- 
tagne de  la  Garde,  et  non  pas  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Or, 
nous  disons  qu'il  est  impossible  de  prouver  pareille  assertion 
par  le  texte  de  cette  charte  40.  On  lui  donne  un  sens  qu'il  n'a 
pas.  Pour  nous  en  convaincre,  entrons  dans  les  détails. 

(I)  Cartulairede  Saint-Victor,  charte  \0. 


—  135  — 

D'abord,  de  quoi  s'agit-il  dans  cette  phrase  de  la  charte? 
Dune  terre:  a  terra  Sanctae  Maris  ».  Or,  où  se  trouvait  cette 
terre?  La  charte  l'indique  clairement:  Elle  borne,  au  nord, 
la  vigne  d'une  certaine  Gairald  Blanca  Lancea.  Mais  cette 
vigne  de  Gairald  est  bornée  au  midi  par  la  vigne  de  Richao, 
au  levant  par  le  chemin  de  Lauret,  au  couchant  par  le  chemin 
de  la  Garde.  La  charte  fournit  un  autre  renseignement  :  les 
vignes  dont  il  s'agit  sont  situées  non  loin  de  l'église  de 
Saint-Pierre,  en  dehors  de  la  porte  Paradis,  aux  environs  du 
chemin  public  qui  vient  de  l'église  de  Saint-Thyrse  et  aboutit 
au  port  de  Marseille.  Lorsque  nous  connaîtrons  chacun  de  ces 
points  topographiques,  nous  aurons  remplacement  à  peu  près 
exact  de  la  terre  de  Sainte-Marie. 

Saint-Thyrse  est  le  village  actuel  de  Saint-Loup  (l).  La  «  via 
quœ  venit  ab  ecclesiâ  Sancti  Thyrsi  et  vadit  in  portu  Massi- 
liensi  »  est  le  chemin  de  Toulon  qui  arrive  à  la  place  Gas- 
teilane,  et  qui,  suivant  le  vieux  chemin  de  Rome,  venait  abou- 
tir, en  faisant  un  coude,  au  port,  c'est-à-dire  à  la  porte  de  la 
ville  qui  s'ouvrait  au  Podium  Formicarium,  près  de  l'église 
des  Augustins  actuellement  (2). 

Le  Lauret  était  un  quartier  de  Marseille  placé  aux  abords 
de  la  place  Maronne  et  vers  le  milieu  du  cours  Belsunce.  Ce 
nom  lui  venait  d'un  oratoire  «  l'aouret,  l'aouretori  »  qui  se 
trouvait  en  cet  endroit.  Le  chemin  qui  y  menait,  à  peu  près 
la  rue  Saint-Ferréol  actuelle,  s'appelait  la  «  via  de  Laureto  ». 


(1)  Sanrtus  Tyrsus,  anciennement  Cent/ri*  et  plus  tard  Saint-Thyrs, 
aujourd'hui  Saint-Loup,  village  situé  sur  le  territoire  de  Marseille. 
(Dictionnaire  géographique  du  cartulaire  de  Saint-Victoi\  t.  II,  p.  924. 
—  Dictionnaire  topographique  de  l'arrondissement  de  Marseille,  par 
Mortreuîl,  verbo  Saint-Loup,  p.  336.) 

(2)  Cette  porte  s'appelait  Porte  de  la  Calade,  parce  que  de  ce  point 
partait  la  c  via  que  vocatur  Galada  »,  qui  conduisait  à  la  plaine  de 
Saint-Michel  parla  rue  d'Aubagne  ou  de  (a  Palud.  Ainsi,  du  Podium  à 
la  nie  d'Aubagne,  le  chemin  de  Saint-Thyrse  s'appelait  :  via  Calada.  — 
<  Usque  ad  columnam  flxam  in  via  que  vocatur  Calada.  »  Charte  864, 
cartulaire  de  Saint-Victor.  —  Statistique  des  Bouches-du-Rh6ne,  t.  II, 
p.  353.  —  Histoire  analytique  et  chronologique  fies  actes  et  délibéra- 
tions du  corps  et  du  conseil  de  Marseille,  par  Guindon  et  Mery,  t.  I. 
p.  1 19. 


—  136  - 
Il  y  a  quelques  années  une  rue  voisine,  celle  de  Saint-Gilles, 

0 

qui  débouchait  sur  cette  place  Maronne,  portait  encore  le 
nom  de  rue  de  Laurel  (1). 

Le  chemin  de  la  Garde  allait  de  cette  montagne  au  Podium 
Formicarium.  Le  Podium  Formicarium,  le  Plan  Four- 
miguier  ainsi  appelé  à  cause  des  fourmis  qui  venaient  man- 
ger le  blé  que  les  navires  y  débarquaient,  commençait  à 
l'endroit  jadis  nommé  Cul  de  Bœuf,  la  place  actuelle  entre  la 
Bourse,  l'église  Saint-Ferréol  et  le  quai  de  la  Fraternité,  et 
s'étendait  jusqu'au  bas  de  la  Gannebière  (2),  à  un  petit  ruis- 
seau qui  déversait  dans  le  port  les  eaux  d'une  tannerie 
voisine,  d'autres  disent  les  eaux  du  Jarret  qui  à  cette  époque 
se  jetait  dans  le  port  (3).  Sur  ce  Plan  Fourmiguier,  entre  le 
rempart  qui  touchait  au  port  et  ce  petit  ruisseau,  se  dressait 
une  colonne  en  pierre.  C'était  la  limite  de  la  ville  comtale  et 
de  la  ville  abbatiale  de  Saint-Victor.  Au-delà  de  ce  ruisseau 
et  en  remontant  jusqu'à  mi-hauteur  de  la  Cannebière,  com- 
mençaient les  salines.  Elles  s'étendaient  le  long  du  port,  le 

(1)  Statistique,  op.  cit.,  t.  II,  p.  773,  note  2.  —  Peut-être  aussi  ce 
nom  lui  venait  de  ce  qu'il  conduisait  au  Rouet.  Le  mot  Lauretum,  dit 
l'index  du  Car  tu  lai  re,  t.  II,  p.  876,  désigne  cette  localité  ;  ou  parce  qu'il 
conduisait  au  quartier  du  Lauret,  près  de  la  place  Maronne.  Plus  tard 
aux  abords  de  cette  place  on  ouvrit  la  porte  Réale,  qui  s'appelait  aussi 
porte  de  Lauret,  parce  que  le  poids  de  Lauret,  c'est-à-dire  le  bureau  de 
pesage  des  grains  et  farines,  y  était  établi.  (Meynier,  Ancien*  Chemins 
(le  Marseille,  p.  13-14.  —  Rufll,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  204.) 

(2)  Statistique,  op.  cit.,  t.  II,  p.  773,  note  2.— Dans  la  suite,  la  dénomi- 
nation de  Plan  Fourmiguier  s'est  étendue  à  toute  la  partie  des  quais  oc- 
cupée plus  tard  par  l'arsenal  des  galères  jusqu'aux  environs  de  la  place 
aux  Huiles.  (Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  300.) 

(3)  La  charte  917,  de  1230,  dit  :  «  inter  parietem  et  rivulum  qui  defluit  a 
curataria  juxta  Podium  Formicarium.  »  Mais  la  charte  1002,  de  1204, 
appelle  ce  ruisseau  vallato  salinarum  ;  c  Quoddam  patuum,  se i lice t  a 
vallato  salinarum  usque  ad  Podium  Furmiguerii.. .  9  Ce  vallat,  ce  ruis- 
seau, semblerait  provenir  du  marais  de  la  Palud,  de  la  Font-gate.  Une 
vue  de  Marseille,  datant  de  1655  (Meriam  sculpsit),  montre  des  marais 
vers  le  Grand  Théâtre,  quartier  de  la  Palud,  et  un  ruisseau  qui,  de  ce 
point,  se  jette  dans  le  port  dont  les  quais  Est  et  Sud  sont  couverts  de 
salines  ou  marécages.  (Bibliothèque  de  Marseille,  estampes,  n°  36.  —  La 
Provence  pittoresque  et  illustrée,  publiée  jadis  par  l'imprimerie  Olive, 
l'a  donnée  a  ses  lecteurs.) 


—  137  — 

contournaient,  en  occupaient  le  versant  tout  le  long  de  Rive- 
Neuve,  en  contre-bas  de  la  rue  Sainte  actuelle.  Bornées  au 
midi  par  le  chemin  qui  montait  à  la  Garde,  a  sicut  est  via 
quœ  descendit  a  Guardia  usque  ad  Poium  Formicarium  »,  elles 
se  continuaient  le  long  de  la  rive  jusqu'à  la  hauteur  de 
1  église  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  «  ab  istà  ecclesia  Sancti 
Pétri  usque  ad  civitatem  (l).  » 

Cette  chapelle  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  Rufli,  Belsunce, 
la  Statistique  des  Bouches- dit- Rhône  la  placent  à  l'endroit 
où  se  trouvait  l'arsenal  (  rue  Breteuil,  cours  Pierre-Puget, 
place  du  Palais  de  Justice)  (2).  C'est  à  peu  près,  en  effet,  ce 
qu'indiquent  les  chartes.  Nous  savons  qu'en  1044  Fulco  et 
Odile,  au  jour  de  la  dédicace  de  l'église  de  Saint-Pierre  de 
Paradis  qu'ils  avaient  fait  bâtir  à  la  prière  de  saint  Ysarne(3), 

(1)  Statistique  des  Bouches- •du-ffltône,  t.  II,  p.  351.  —  Actes  et 
délibérations  etc.,  par  Guindon  et  Mery,  1. 1,  p.  155.  —  «  Cum  salinis 
et  piscationibus  et  portu  navium  et  omnibus  juste  et  legaliter  ad  eum- 
dem  fiscum  pertinentibus,  conjacentem  în  coraitatu  Massiliensi  qui 
vulgo  Paradisus  nominatur,  sicut  est  via  quae  descendit  a  Gardia  usque 
in  Poium  Formicarium...  »  Charte  10,  21  ap.  904,  cartulaire  de  Saint- 
Victor.—  Fulco  et  Odile  donnent  à  Saint-Victor  :  a  omnem  partem  nostram 
(rase  ad  nos  pertinere  débet  de  salinis,  quse  in  portu  civitatis  Massiliœ 
esse  videntur,  ab  ipsà  ecclesia  Sancti  Pétri  usque  in  civitatem.  »  Charte 
32,  de  l'an  104  i,  cartulaire  de  Saint-Victor. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p>  179  :  «  Cette  église  fut  dé- 
molie du  temps  de  Bourbon,  et  le  lieu  où  elle  était  a  donné  à  tout  le 
quartier  le  nom  de  Paradis.  » 

Belsunce,  Antiquité  de  V Enlise  de  Marseille,  t,  I,  p.  396  :  «  Pons  II 
rebâtit  l'église  Saint-Pierre  qui  était  tombée  par  vétusté.  Elle  était  dans 
le  quartier  de  Paradis,  à  l'endroit  où  est  à  présent  le  Parc.  Une  partie 
du  quartier  que  l'on  appelle  aujourd'hui  Rive-Neuve  en  dépendait,  et  a 
porté  longtemps  le  nom  de  clos  de  Saint-Pierre.  » 

Lautard,  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  t.  II,  p.  376  :  «  Cette 
chapelle  de  Saint-Pierre  de  Paradis  donna  son  nom  à  tout  le  quartier  où 
elle  se  trouvait  et  la  belle  rue  qui  le  porte  encore  aujourd'hui  indique  û 
peu  prés  le  lieu  qu'elle  devait  occuper.  » 

La  Statistique  de*  bouches-du-Rhône,  t.  II,  p.  352  :  «  Cette  chapelle 
de  Saint-Pierre  de  Paradis,  une  des  plus  anciennes  de  Marseille,  était  où 
se  trouve  maintenant  l'arsenal . . .  » 

(3)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  32  :  «  Uoc  advenit  in  mente  et 
voluntate  firmaquatenus  œdificaremus  ecclesiam  in  honore  Sancti  Pétri 
apostoli. . .  quae  olim  vetustate  destructa  ad  nihilum  devenerat  et  lundi- 
tus  corruerat...  Quare  disposuimus  œdifleare  ecclesiam  supradictam* 
consilio  atque  jussudomini  Ysarni  felicis  mémorise.  .  » 


—  138  — 

donnèrent  à  l'abbaye  de  Saint- Victor,  pour  servir  à  l'entretien 
de  cette  chapelle,  trois  terres,  trois  clos  plantés  de  vignes. 

Or,  l'un  de  ces  clos,  le  troisième,  était  situé  au  chevet  de 
l'église  de  Saint-Pierre  :  a  tertium  clausum  qui  est  situs  ad 
caput  ejusdem  ecclesiae  Sancti  Pétri  (1)  ».  Ce  clos  fut  appelé 
clos  Saint-Pierre  pendant  longtemps  (2).  Au  XI*  siècle  il  por- 
tait ce  nom,  car  la  charte  40,  qui  est  de  cette  époque,  le 
mentionne.  Il  servait  de  limite,  au  midi,  à  une  petite-vigne 
qu'un  certain  David  avait  donnée  à.  Sain  t- Victor  (3).  A  côté  de 
cette  vigne,  en  dessous,  probablement  sur  le  bord  de  la  mer, 
devait  se  trouver  une  ou  plusieurs  tuileries.  La  charte  40  dit 
que  cette  vigne  de  David  était  «ad  Teolarias(4)  ».  Au-delà 
de  cette  vigne  de  David,  et  de  ces  tuileries,  s'étendait  une  terre 
comtale  (5)  que  Louis  l'Aveugle  avait  cédée  en  904,  à  Saint- 
Victor  et  qui  d'un  côté  touchait  à  la  mer  (  c'est  là  que  se  trou- 
vaient les  pêcheries,  le  «  portusnavium  »  dont  les  droits  et 
les  revenus  étaient  cédés  par  l'empereur  à  l'abbaye  en  904), 
de  l'autre  montait  jusqu'au  cimetière,  «  usque  ad  carnarium  », 
que  l'on  appelait  Paradis. 

D'autre  part,  non  loin  de  cette  église  de  Saint-Pierre  de  Para- 
dis, passait  le  chemin  de  la  Garde,  puisque  la  vigne  de  Blanca 
Lancea  était  non  loin  de  l'église  de  Saint-Pierre,  et  qu'elle 


(1)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  33  :  «  ...  ego  Fulco et uxor mea 
Odila,  jussu  domini  Ysarni  abbatis. ..  cepimus  œdificare  ecclesiam  in 
honore  beati  Pétri,  Apostolorum  principis...  cui,  in  die  suas  dedicatio- 
nis,  dedimus  ei  in  sponsalitio . . .  Tertium  vero  (clausum)  quem  dedimus, 
non  quidem  plantavimus,  sed  de  nostro  adquisivimus,  qui  est  situs  ad 
caput  ejusdem  ecclesiœ  Sancti  Pétri.. .  » 

(2)  De  Belsunce,  op.  cit.,  1. 1,  p.  396.— Statistique,  op.  cit.,  t. II, p.  352. 

(3)  «  Uiiara  semodiatam  de  vinea  quam  David  dédit  Sancto  Victori  . . 
ab  oriente  terminum  publicam  viam  quae  vadit  ad  Guardiam,  a  mendie 
clausum  Sancti  Pétri  de  Paradiso.  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40, 
ad  fine  m. 

(4)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  40,  item  ad  flnem  :  c  . . .  vinea 
quae  David  dédit  Sancto  Victori  quem  Pontius  Suricis  tenet  ad  fevum, 
habemus  ad  Teolarias.  » 

(5)  c  ...  salinis...  sicut  est  via  quae  descendit  a  Gardia,  usque  inPoium 
Formicarium,  una  cura  terra  comitali,  quae  ante  portam  castri  fore 
videtur,  usque  ad  Carnarium.  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  10, 
de  904. 


—  139  — 

était  limitée  au  couchant  par  ce  chemin  de  la  Garde.  De  plus, 
ce  chemin,  limite  au  couchant  de  la  vigne  de  Blanca  Lancea, 
bornant  à  l'orient  la  vigne  de  David,  située  à  Teolarias. 
Ce  chemin  passait  donc  entre  ces  deux  vignes  et  allait  vers  le 
midi,  en  moutant  à  la  Garde.  Après  la  vigne  de  David,  il  limi- 
tait, en  le  longeant,  le  clos  Saint-Pierre  et  passait  devant  la 
chapelle  dédiée  à  cet  apôtre  (1). 

Mais,  puisque  ce  chemin  de  la  Garde  servait  de  limite,  au 
midi,  au  salines,  jusqu'à  la  hauteur  de  la  chapelle  de  Saint- 
Pierre  et  qu'arrivé  à  la  vigne  de  David  et  de  Blanca,  il  se  diri- 
geait vers  le  midi,  vers  la  montagne  de  la  Garde,  forcément  il 
faisait  un  coude.  Or,  en  supposant  l'inflexion  de  ce  chemin  à 
l'angle  des  rues  Sainte  et  Fort-Notre-Dame  actuelles,  on  voit 
que  la  chapelle  de  Saint-Pierre  devait  se  trouver  à  peu  près 
à  la  place  de  la  Corderie  ou  à  celle  du  Palais  de  Justice  (2). 
C'est  là  que  finissait  le  vaste  terrain  appelé  Paradis. 

Cet  espace  s'étendait  devant  le  portail  du  monastère,  «  ante 
portam  monasterii  » .  Ce  nom  lui  venait  de  ce  que,  dit  la  charte 
32,  il  servait  de  sépulture  à  un  grand  nombre  de  corps  de 
saints  martyrs,  confesseurs  et  vierges.  Il  portait  un  autre  nom, 
celui  de  porte  de  Paradis  :  a  vocabatur  porta  Paradisi  »  ,  parce 
que,  aux  jours  et  à  l'époque  de  Cassien,  la  sainteté  des  moines 
qui  habitaient  le  monastère,  la  règle  admirable  que  Ton  y 
suivait  lui  donnèrent  un  tel  éclat,  que  l'on  put  à  bon  droit 
l'appeler  le  Paradis,  jardin  rempli  des  dons  de  la  rosée  céles- 
te (3).  Cet  espace  de  terrain  partait  de  l'abbaye,  s'étendait 

(1)  c  Nod  longe  ab  ecclesia  Sancti  Pétri. . .  habetur  vinea  quai  fuit  de 
GairaJd  Blanca  Lancea.. .  ab  occidente  terminât  via  de  Gard i a.. .  vinea 
quam.  dédit  David  Sancto  Victori,  ab  oriente  terminum  publicam  via  m 
quae  vadit  ad  Gardiam...  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40, 
passîm . 

(2)  Ce  fut  sur  cette  place,  où  se  trouvait  jadis  la  porte  Paradis  (ce  nom 
(ut  donné  au  quartier  environnant  l'abbaye  de  Saint-Victor,  à  cause  de  la 
sainteté  des  premiers  moines  qui  vivaient  dans  ce  monastère)  et  qui  est 
occupée  aujourd'hui  par  le  palais  de  justice,  que  fut  élevée  cette  fontaine. 
(Vie  de  Monseigneur  île  Belsunce,  par  le  P.  Demi  Bérengier,  t.  II, 
pp.  318.  321.) 

(3)  «  Idcirco  isdera  locus,  ad  portam  monasterii  si  tu  s,  vocatus  est  Pa- 
radisus,  sicut  et  nos  co  m  péri  m  us,  quia  multorum  corporum,  videlicet 
sanctorum  martyrum,  confessorum  et   virginum,  eodem  loco  quies- 


—  140  — 

d'une  part  vers  la  montagne  de  Ja  Garde,  jusqu'à  un  chemin 
qui  le  longeait  au  midi,  «  viam  juxta  locum,  quem  vocant 
Paradisum  (1  )  »,  de  l'autre  jusqu'à  la  terre  comtale  dont  nous 

■ 

avons  parlé  plus  haut,  a  usque  ad  carnarium  (2)  »,et  finissait  à 
l'église  de  Saint-Pierre  qui  était  appelée  aussi  Paradis,  aquae 
ecclesia  vel  locus  vocatus  est  Paradisus»,  et  qui  se  trouvait 
bâtie  dans  son  enceinte,  a  ecclesise  in  supradicto  loco  cons- 
truise^) ». 

Ainsi  donc  ce  chemin  de  la  Garde  partait  du  Podium  Formi- 
carium,  traversait  ce  plan,  enjambait  le  ruisseau,  côtoyait  les 
salines  de  la  Cannebière,  parallèlement  à  la  rue  Beauvau  ou  à 
la  rue  Paradis,  les  contournait  à  la  hauteur  de  la  rue  de 
la  Darse,  les  longeait  dans  le  sens  de  la  rue  Sainte,  en  contre- 
bas de  cette  rue  (4),  et  cela  jusqu'à  l'église  de  Saint- Pierre  de 
Paradis.  C'est  là  que  les  salines  unissaient  :  «  salinse  ab  ecclesia 
Sancti  Pelri  usque  ad  civitatem  ».  A  cet  endroit,  à  l'angle  des 
rues  Sainte  et  Fort  Notre-Dame,  le  chemin  de  la  Garde  faisait 
un  second  coude  et  se  dirigeait  vers  le  midi,  passant  entre 
deux  vignes,  servait  de  limite,  à  l'orient,  à  celle  de  David,  «  ab 

centium,  decoratur  auxiliis  et  suffragatur  meritis,  imo  eliam  vere  voca- 
batur  Paradisus  et  porta  Paradisi,  quia  in  diebus  Gassiani  . .  tanta  no- 
bilitate  viguit  et  sanctitate  floruit  apostolice  et  régula  ri  s  disciplina?,  ab 
his  sanctis  Patribus  tradite,  in  qua  continentur  inserte  sanctarum  ani- 
marum  oranes  delicie,  ut  merilo  et  actu  etnomine  vocaretur  Paradisus, 
rorisquc  superne  gratiae  illustralus  virtutibus.»  Charte  32,  cartulaire  de 
Saint- Victor.  * 

(1)  La  terre  qu'Honoré  II,  évèque  de  Marseille,  donne  à  Saint- Victor 
en  965,  est  située  autour  de  l'abbaye,  et  une  de  ses  limites  est  :  «  viam 
juxta  locum  quem  vocant  Paradisum  ».  Charte  23  du  cartulaire  de  Saint- 
Victor. 

(2)  Charte  10  du  cartulaire. 

(3)  Charte  32  du  cartulaire  de  Saint- Victor.  —  Grosson,  Remeil  des 
antiquités  et  des  monuments  marseillais,  p.  10  etsuiv.  — -  Statistique 
des  Bouches-du-Rhône,  t.  II,  p.  352. 

(4)  Il  est  incontestable  que  l'ancien  chemin  de  la  Garde  n'est  pas  la  rue 
Sainte  actuelle.  L'ancien  chemin  de  la  Garde  a  disparu  sous  les  maisons 
que  l'on  a  bâties  à  l'endroit  qu'il  occupait.  De  plus  il  était  eu  contre-bas 
de  la  rue  Sainte.  Les  plans  et  dessins  de  l'ancienne  Marseille  font  voir 
une  sorte  de  plateau  s'abaissant  brusquement  vers  la  mer,  derrière  les 
arsenaux  qui  s'élevaient  à  Rive-Neuve.  Voir  :  vue  de  Marseille  n°  31,  Dek 
43,  tiroir  42,  portefeuille  65,  31,  a  la  bibliothèque  de  Marseille. 


—  141  —  • 

oriente  terminum  publicam  viam  quse  vadit  ad  Guardiam(l)», 
de  limite,  à  l'occident,  à  la  vigne  qu'un  Petrus  Algitinus  avait 
donnée  h  Saint-Victor  et  à  celle  de  Bianca  Lancea.  A  ce  point, 
le  chemin  passait  devant  la  chapelle  de  Saint-Pierre,  recevait 
l'amorce  du  chemin  qui  longeait  Paradis  et  montait  à  la 
colline. 

Précisons  maintenant  la  position  de  la  vigne  de  Gairald 
Bianca  Lancea.  Elle  se  trouve  non  loin  dé  l'église  Saint-Pierre, 
en  dehors  de  Paradis,  aux  environs  du  chemin  public  qui 
vient  de  Saint-Thyrse  à  Marseille.  La  chapelle  de  Saint-Pierre 
se  trouvant  à  peu  près  à  la  place  de  la  Corderie  ou  du  Palais 
de  Justice;  et  le  chemin  de  Saint-Thyrse,  étant  la  rue  de 
Home,  c'est  donc  entre  ces  deux  points  que  se  trouvent  les 
vignes  de  Bianca  et  des  autres  particuliers.  De  plus,  la  vigne  de 
Bianca  est  limitée  à  l'orient  par  le  chemin  de  Lauret,  au  cou- 
chant par  celui  de  la  Garde.  Le  chemin  de  Lauret  étant  la  rue 
Saint-Ferréol  et  ce  chemin  de  la  Garde  suivant  à  peu  près  la 
rue  actuelle  de  Fort  Notre-Dame,  c'est  entre  la  rue  Saint-Fer- 
réol et  celle  de  Fort  Notre-Dame  que  cette  vigne  se  trouvait. 
Or,  la  vigne  de  Bianca  était  limitée  au  nord  par  la  terre  des 
religieuses  de  Sainte-Marie  (2)^  donc,  cette  terre  se  trouvait 
entre  la  rue  Saint-Ferréol  et  la  rue  Fort  Notre-Dame. 

Or,  s'il  faut  placer  la  vigne  de  Bianca  non  loin  de  l'église 
Saint-Pierre,  c'est-à-dire  non  loin  de  la  place  du  Palais  de  Jus- 
tice, à  l'ouest  de  la  rue  Saint-Ferréol  ;  si  la  terre  de  Sainte- 
Marie  est  assez  grande,  puisque  elle  sert  de  limite  à  plusieurs 
propriétés  à  la  fois  (3),  c'est  aux  environs  de  la  Préfecture,  du 
Grand  Théâtre,  du  Palais  de  Justice,  en  tirant  vers  le  nord,  que 
se  trouvait  cette  terre  de  Sainte-Marie  ou  des  religieuses  de 
Saint-Cassien. 

(!)  Charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor. 

(2)  c  ...  a  septentrione,  terra  San  et  se  Maria?  »,  etc.  Charte  40  du  car- 
tulaire de  Saint-Victor. 

(3)  Cette  terre  de  Sainte-Marie  est  à.  la  fols  limite  de  plusieurs  terres  : 
celle  de  Petrus-  Algitinus  est  bornée  «  a  meridie  terram  sanctimonia- 
lium,  a  septentrione  idem  ipsam  terram  »;  celle  de  Boniface  est  bornée 
«  a  meridie  supradicta  terra  ancillarum  Dei  »  ;  celle  d'AImaric  est  bornée 
«  ab  oriente  vinea  SanctîD  Mari  se,  a  meridiano  terra  Sanctsc  Maria?.. .  » 
Charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor; 

10 


CHAPITRE  II 
Texte  de  la  charte  40  du  XI9  siècle 

(Suite) 

ON  PBUT  DONNER  TROIS  SENS  ▲  CETTE  PHRASE  DE  LÀ  CHARTE  40.  — 
LB  PREMIER  SENS  EST  INADMISSIBLE  ;  EN»  1004,  LE  CCBNOBIUM  EST  A  LA 
PLACE  DE  LENCHE.  —  LE  SECOND  EST  INADMISSIBLE  ENCORE  ;  CES 
MOTS  :  C  NON  LONGÉ  A  RIPA  PORTI  »  NE  SIGNIFIERAIENT  RIEN.  —  LE 
TROISIEME  SENS  EST  LE  SEUL  LÉGITIME.  —  SIGNIFICATION  DES 
MOTS  :    «  CŒNOBIUM  QUOD  PATER  CASS1ANIUS  PUNDAVIT  ». 

L'emplacement  précis  de  la  terre  de  Sainte-Marie  ou  des 
religieuses  étant  déterminé,  relisons  la  phrase  en  question  de 
la  charte  40  :  «  terra  Sanctœ  Maria  vel  sanctimonialium,  non 
longe  a  ripa  porti  supradicti,  in  cœnobium  quod  Pater  fun- 
davit  Cassianus,  consistentium  ».  Quelle  est  sa  signification 
exacte? 

On  ne  peut  le  nier,  cette  phrase  est  d'une  construction  assez 
embarrassée.  A  la  première  lecture,  on  lui  donne  le  sens  que 
Ruffl  et  les  autres  auteurs  lui  ont  attribué.  Mais,  en  l'étudiant, 
en  mettant  chaque  terme  à  la  place  que  Tordre  grammatical 
lui  assigne  dans  le  mot  à  mot,  afin  de  fournir  un  sens  raison- 
nable, en  tenant  compte,  bien  entendu,  de  la  ponctuation,  on 
s'aperçoit  que  cette  phrase  dit  tout  autre  chose  que  Ruffl  veut 
lui  faire  signifier.  Telle  quelle  est  dans  la  charte,  elle  est 
susceptible  de  recevoir  trois  sens  différents  (1) . 

• 

(1)  Voici  le  texte  en  litige  :  t  Non  longe  ab  ecclesià  Sancti  Pétri,  foris 
portam  quse  vocal ur  Paradisi,  circa  viam  publicam  quse  venit  ab  ecclesià 
Sancti  Tyrsi  et  vadit  in  portu  Massiliensi,  h»  positse  suntvinese  :  l'abe- 
tur  ibidem  vineaquactai  rata  dimidia,quœfuit  deftairaldoBlanca  Lancea, 
quam  dédit  Domino  Deo  et  Sancto  Victori.  Terminât  eam  ab  oriente 
via  deLaureto;  a  parte  meridianâ,  vinea  de  Richaoja  septentrione» 
terra  Sanctae  Mariée  vel   sanctimonialium,  non  longe  a  ripa  porti  supra. 


—  143  — 

D  abord  :  *  terra  Sanctae  Mariae  vel  sanctimonialium  non 
longe  a  ripa  porti  supradicti,  in  cœnobio  quod  Pater  f  undavit 
Cassianus,  consistentium  ».  Dans  ce  premier  sens,  la  terre  qui 
appartient  aux  religieuses  est  remplacement  même  qui  porte 
le  cœnobium  fondé  par  Cassien.  Ainsi  terre  et  cœnobium  sont 
situés  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  près  du  port. 

Ensuite  :  «  terra  (pertinens  ad  monasterium)  Sanctœ  Mariae 
vel  sanctimonialium  consistentium  non  longe  a  ripa  porti 
supradicti,  in  cœnobio  quod  Pater  fundavit  Cassianus  ».  Ici, 
la  terre  des  religieuses  est  située  à  un  endroit  quelconque,  le 
monastère  seul  est  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  près  du  port. 

Enfin:  a  terra  (sita)  non  longe  a. ripa  porti  supradicti 
(pertinens  ad  monasterium)  Sanctae  Mariœ  vel  sanctimonia- 
lium consistentium  in  cœnobio  quod  Pater  fundavit  Cassianus». 
Dans  ce  troisième  sens,  la  terre  est  située  non  loin  du  port  ; 
quant  à  l'emplacement  du  cœnobium,  la  charte  ne  le  désigne 
pas. 

Or,  lequel  des  trois  sens  est  le  sens  légitime  et  logique  ? 

C'est  le  dernier.  Nous  allons  le  prouver. 

Impossible,  d'abord,  d'admettre  le  premier  sens  :  que  la 
terre  de  Sainte-Marie  et  le  cœnobium  se  trouvent  au  même 
endroit, non  loin  de  la  rive  du  port,  t  non  longe  a  ripa  porti  ». 

Nous  avons  établi,  en  effet,  à  l'aide  du  texte  des  chartes, 
que  cette  terre  des  religieuses  est  située  aux  environs  du 
Grand-Théâtre  ou  du  Palais  de  justice,  en  réalité  non  loin  du 
port.  Or,  si  le  cœnobium  des  religieuses  du  Bienheureux  Cas- 
sien  se  trouve  aussi  en  cet  endroit,  pourquoi  Ruffî,  Lautard, 
l'abbé  Daspres,  etc.,  qui  mettent  en  avant  cette  charte,  ne 
l'on  t^  ils  pas  dit?  Pourquoi  Font-ils  placé  les  uns  aux  Cata- 
lans, les  autres  à  Sainte-Catherine,  qui  au  Revest,  qui  auprès 
de  Saint-Victor?  On  le  voit,  nos  adversaires  ont  été  les  pre- 
miers à  ne  pas  adopter  ce  premier  sens. 

Mais,  dira-t-on,  ces  auteurs  se  sont  trompés.  Us  ont  mal  lu, 
faussement  interprété  la  charte.  Ils  auraient  dû,  en  adoptant 
le  premier  sens,  placer  le  monastère  aux  environs  du  Grand - 

dicti,  in  cœnobio  qnod  Pater  fundavit  Cassianus,  consistentium  ;  ab  occi- 
dent*, item  terminât  via  de  Guardia.  »  Gartulaire  de  Saint-Victor, 
charte  40. 


-  144  - 

Théâtre,  là  où  se  trouvait  véritablement  la  terre  des  religieu- 
ses. Soit.  Mais  vain  subterfuge.  11  est  impossible  d'induire 
des  termes  de  la  charte  que  terre  et  cœnobium  se  trouvaient 
à  l'endroit  réellement  désigné,  aux  environs  du  Grand- 
Théâtre. 

En  effet,  nous  avons  établi  que  le  monastère  fondé  par 
Elgarde  en  1004  ne  se  trouvait  pas  près  de  Saint-Victor,  mais 
à  la  place  de  Lenche  (1).  Or,  ou  bien  cette  charte  40  est  pos- 
térieure à  Tan  1004,  et  alors,  comme  le  cœnobium  est  à  la 
place  de  Lenche,  la  charte  ne  peut  pas  dire  qu'il  se  trouve 
de  l'autre  côté  du  port.  Ou  bien  elle  est  antérieure  à  Tan  1004. 
Alors,  puisque,  d'une  %part,  cette  charte  est  du  XI*  siècle,  et 
que,  s'appuyant  sur  cette  charte,  les  auteurs  affirment  que  le 
cœnobium  est  auprès  du  port,  et  que,  d'autre  part,  il  est  cer- 
tain que  dès  l'an  1004  le  cœnobium  se  trouve  à  la  place 
de  Lenche,  '  il  faut  nécessairement  supposer  que,  de  l'an 
1000  à  Tan  1004,  ce  monastère  près  du  port  a  été  détruit. 
Or,  la  cause  raisonnable,  le  motif  plausible,  la  preuve  de 
cette  destruction  où  est-elle,  quel  auteur  l'a  donnée  ?  Donc, 
il  est  faux  qu'il  y  a  un  cœnobium  près  du  port,  de  l'an  1000 
à  Tan  1004.  Donc,  la  charte  40  ne  prouve  pas  que  terre  et 
cœnobium  étaient  aux  environs  du  Grand-Théâtre.  Donc, 
c'était  la  terre  des  religieuses  qui  se  trouvait  a  non  longe  a 
ripa  porti  »,  et  non  pas  le  cœnobium.  Donc,  le  premier  sens 
est  inadmissible. 

admettons  qu'en  dépit  de  nos  preuves  il  soit  faux  que  le 
monastère  fondé  par  Elgarde  en  1004  ait  été  bâti  à  la  place 
de  Lenche,  mais  qu'en  réalité  il  ait  été  construit  près  du 
port  aux  environs  du  Grand-Théâtre,  là  où  se  trouvait  la 
terre  de  Sainte-  Marie  ;  impossible  encore  d'admettre  ce  pre- 
mier sens  ainsi  rectifié. 

En  effet,  si  les  Cassianites  sont  non  loin  du  port,  aux  envi- 
rons du  Grand-Théâtre  en  1004,  il  est  certain  qiren  1033  elles 
habitent  de  l'autre  côté  du  port,  aux  Accoules,  en  attendant 
que  le  monastère  de  Saint-Sauveur  soit  réparé.  Cette  répara- 


(1)  Voyefc  Je  chapitre  intitulé  :  Divers  emplacements  que  le  mono*- 
Ivre  vanianite  a  occupés. 


—  145  — 

lion  avait  été  commencée  sous  l'abbesse  Adalmoïs  en  1031, 
date  à  laquelle  ce  monastère  était  a  penitus  ex  toto  déstruc- 
tura (1)  9.  On  pourrait  faire  remonter  h.  une  dizaine  d'années 
la  fondation  de  ce  monastère  ainsi  en  ruines  en  1031,  soit 
vers  1020.  D'autre  part,  donnons  une  dizaine  ou  une  quin- 
zaine d'années  d'existence  au  monastère  fondé  en  1004  «  non 
longe  a  ripa  porti  ».  Ainsi,  en  moins  de  trente  ans,  deux 
monastères  ont  été  construits  et  renversés?  Or,  quelle  est  la 
cause  de  ces  destructions  successives  ?  Qui  Ta  fait  connaître  ? 
Aucun  auteur,  croyons-nous.  Donc,  l'existence  d'un  cœno- 
bium  «  non  longe  a  ripa  porti  »  en  1004,  aux  environs  du 
Grand-Théâtre,  n'est  pas  prouvée.  Donc,  ce  premier  sens, 
même  rectifié,  est  inadmissible. 

Faut-il  adopter  le  second  :  que  la  terre  des  religieuses  est 
aux  environs  du  Grand  Théâtre  actuel,  mais  le  cœnobium 
est  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  au  Revest  par  exemple,  à 
l'emplacement  de  la  chapelle  ,de  Sainte-Catherine  ?  On  peut 
dire  que  c'est  là  le  sens  que  Ru  fil*  La  u  tard,  Daspres,  etc.  ont 
suivi. 

Non,  ce  deuxième  sens  est  encore  inacceptable. 

Voyez,  d'abord,  le  rôle  que  l'on  fait  jouer  à  ces  mots: 
«  noq  longe  a  ripa  porti  ».  Ils  ne  se  trouvent  pas  dans 
une  charte  ordinaire,  traitant  d'un  sujet  de  dogme,  de 
morale,  de  religion.  Ce  n'est  pas  pour  terminer  une  période 
sonore,  une  phrase  à  effet  qu'on  les  a  écrits.  Cette  charte  40 
indique  des  confronts,  des  bornes  de  propriété.  Et  dans  ces 
sortes  de  documents,  pas  plus  au  XI*  siècle  qu'au  XIX*,  on  ne 
s'amuse  à  faire  des  phrases.  Dans  les  actes  de  vente, 
d'échange  de  propriétés,  tout  doit  être  précis,  chaque  mot  à 
sa  place  ;  aucun  terme  qui  puisse  fournir  une  marque  topo- 
graphique ne  doit  être  omis  ou  ajouté  sans  raison.  Or,  si  ces 
mots  «  non  longe  a  ripa  porti  supradicti  »  s'appliquent  au 
cœnobium  et  non  pas  à  la  terre  des  religieuses,  ils  sont  d'abord 
une  redondance,  susceptible  d'induire  en  erreur  et  de  plus 
ils  désignent  mal  les  confronts  des  propriétés  en  question. 

(I)  Voir  le  chapitre  intitulé:  Divers  emplacements  que  le  monastère 
rassfanite  a  occuvôt*. 


—  146  — 

Ils  sont  d'abord  une  redondance.  Combien  y  avait-il,  au 
XI*  siècle,  de  monastères  de  femmes  ou  de  filles,  à  Marseille  ? 
Un  seul,  celui  des  Cassianites.  Combien  de  maisons  habitées 
par  des  religieuses  cet  ordre  y  possédait-il?  Une  seule 
encore.  Nul  auteur,  que  nous  sachions,  n'en  indique  d'autre- 
Il  était  donc  impossible  de  se  méprendre.  Quand  on  parlait 
du  monastère  des  Cassianites,  on  savait  de  qui  il  s'agissait. 
Dire  donc  d'une  terre  qu'elle  appartenait  aux  religieuses 
cassianites  était  suffisant.  Ajouter  que  ce  monastère  était 
situé  près  du  port  c'était  inutile  et  superflu.  On  savait  bien, 
on  voyait  bien  que  ce  monastère  se  trouvait  près  du  port. 

Ces  mots  donc,  appliqués  au  cœnobium,  afin  de  désigner 
son  emplacement,  sont  une  redondance.  Et  cependant  il  est 
visible,  à  la  simple  lecture  de  la  charte  40,  que  ces  mots 
placés  entre  deux  virgules,  comme  dans  une  sorte  de  paren- 
thèse, ont  été  inscrits  à  dessein.  Ils  ont  leur  valeur,  ils  don- 
nent une  marque  topographique. 

De  plus,  si  ces  mots  s'appliquent  au  cœnobium,  la  confusion 
se  met  dans  la  désignation  des  confronts.  Est  -il  sur,  en  effet, 
que  les  religieuses  cassianites  ne  possédaient  pas,  le  long  du 
chemin  de  la  Garde,  de  Lauret  ou  de  Saint-Thyrse,  d'autres 
propriétés  que  celle  qui  servait  de  limite  à  la  vigne  de  Blanca 
Lancea?  Elles  le  pouvaient  bien.  Nous  ne  possédons  pas  l'in- 
ventaire des  biens  de  l'abbaye  cassianite  à  cette  époque.  Or, 
quand  on'lira  que  la  vigne  de  Blanca  est  limitée  au  nord  par  la 
vigne  des  religieuses  qui  habitent  non  loin  du  port,  de  laquelle 
de  ces  vignes  des  religieuses  s'agira-t-il  ?  Sera-ce  une  désigna- 
tion claire,  précise,  suffisante  des  confronts  de  celte  propriété 
de  Blanca?  Il  y  a  d'autres  propriétés,  indiquées  dans  cette 
charte  40,  dont  il  est  dit  qu'elles  sont  bornées  par  la  terre  des 
religieuses.  Mais,  lorsqu'on  aura  dit  qu'elles  sont  bornées 
par  la  terre  des  religieuses  qui  habitent  près  du  port,  si  les 
religieuses  ont  plusieurs  •  terres  en  cet  endroit  du  terroir, 
laquelle  de  ces  terres  sera  la  délimitation  ?  Et  si  ce  monastère 
cassianite  vient  à  changer  d'emplacement,  quel  propriétaire  se 
contentera  de  lire  dans  ses  actes  que  son  bien  est  limité  par  la 
terre  des  religieuses  qui  sont  auprès  du  port,  alors  qu'elles  n'y 
demeurent  plus.  Et  si  cet  ordre  vient  h  fonder  plusieurs  mai- 


—  147  —  • 

sons,  Time  près  du  port,  une  autre  ailleurs,  qui  nous  dit  que  ce 
seront  les  religieuses  demeurant  près  le  port  et  non  pas  les 
autres  qui  seront  les  légitimes  propriétaires  de  cette  terre  ?  Et 
alors  quelle  manière  de  désigner  les  borne3  d'une  propriété 
que  de  dire:  Elle  est  limitée  par  la  terre  des  religieuses  qui 
sont  auprès  du  port  ! 

Non,  toute  charte  qui  indique  les  çonfronts  d'une  propriété 
ne  peut  causer  de  pareilles  erreurs. 

D'ailleurs,  à  soutenir  cedeuxième  sens,  on  se  heurte  tou- 
jours aux  mêmes  impossibilités.  La  charte  40  est  du  XI*  siècle, 
d'après  le  cartulaire.  Or,  ou  elle  est  antérieure  à  l'an  1004, 
alors  comment  expliquer  qu'il  y  ait  au  début  du  XI*  siècle  un 
cœnobium  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  au  Revest,  à  Sainte- 
Catherine,  et  que  ce  monastère  soit,  en  1004,  à  la  place  de 
Lenche  ?  Ou  elle  est  postérieure  à  Tan  1004  ;  alors,  puisque 
dès  cette  année  1004  le  cœnobium  s'élève  à  la  place  de  Len- 
che, la  charte  ne  peut  vouloir  dire  qu'il  se  trouve  auprès  du 
port,  aux  endroits  préférés  par  les  auteurs.  Ici  encore  il  faut 
dire  que  l'on  donne  à  la  charte  40  une  fausse  interprétation. 

Reste  le  troisième  sens  :  la  terre  des  religieuses  est  située  non 
loin  du  port  (aux  environs  du  Palais  de  justice  ou  du  Grand- 
Théâtre).  Qaant  à  l'emplacement  du  cœnobium,  la  charte  n'en 
dit  rien. 

Nous  soutenons  que  c'est  là  le  sens,  seul  logique  et  légi- 
time, qu'il  faut  donner  à  cette  phrase  de  la  charte  40. 

D'abord,  en  ce  faisant,  nous  évitons  la  contradiction  dans 
laquelle  tombent  la  plupart  des  auteurs,  Ruffi,  Lautard,  Das- 
pres,  etc.,  etc.,  qui  s'appuyant  sur  cette  charte  pour  prouver 
que  le  monastère  était  à  Sainte-Catherine  au  XI*  siècle,  affir- 
ment que  peu  après  867,  ce  monastère  se  trouvait  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville  1  Nous,  du  moins,  en  plaçant  seulement  la 
terre  des  religieuses  non  loin  du  port,  nous  demeurons  libre 
de  placer  le  monastère  où  nous  voudrons,  au  Revest,  à  la  place 
de  Lenche,  ou  à  Sainte-Catherine.  • 

Ensuite,  avec  ce  sens,  les  termes  de  la  charte  conservent 
leur  signification  naturelle.  Ce  ne  sont  plus  des  redondances, 
des  mots  inutiles  pouvant  plus  tard  amener  la  confusion  dnns 
la  recherche  des  limites  des  propriétés.  Tout  est  clair,  précis. 


•  —  148  — 

La  terre  des  religieuses  est  un  vaste  domaine  situé  non  loin 
du  port.  Et  cette  terre  sert  de  limite  à  telles  et  telles  pro- 
priétés. On  ne  peut  se  tromper.  Que  les  religieuses  en  pos- 
sèdent d'autres,  qu'elles  habitent  ici  ou  là,  n'importe,  il 
n'y  aura  pas  de  confusion.  C'est  de  la  terre  placée  près  du 
port  qu'il  s'agira. 

De  plus,  nous  nous  maintenons  dans  le  sens  général  de  la 
charte  40.  C'est  un  plan  terrier,  un  cadastre  en  petit  que  cette 
charte  (1),  On  n'y  parle  que  de  terres,  de  vignes,  de  prairies, 
et  il  s'agit,  à  plusieurs  reprises,  de  cette  terre  des  Religieuses. 
Mais  on  se  sert  toujours  des  mêmes  termeç  :  «  terra  ancilla- 
rum  Dei,  vinea  Sanctae  Mariae,  terra  sanctimonialium  ».  Jamais 
un  mot  du  cœnobium,  excepté  dans  la  phrase  en  question. 

Sans  doute  le  moine  rédacteur  de  ce  document  aurait  pu 
s'exprimer  avec  plus  de  clarté  et  de  précision.  Mais,  enfin,  il 
faut  prendre  sa  charte  telle  qu'elle  est. 

Nous  tombons  d'accord  avec  les  données  historiques.  Dès 
l'an  1004,  les  Cassianites  habitent,  la  place  de  Lenche  ;  h  cette 
époque  aussi,  au  XI-  siècle,  elles  possèdent  une  terre,  de  l'au- 
tre côté  du  port  et  non  loin  de  sa  rive,  la  terre  de  Sainte- 
Marie,  la  vigne  de  Sainte-Marie.  Plus  de  contradiction,  plus 
de  monastère  bâti  et  détruit  en  l'espace  de  quelques  années. 

Enfin,  nous  sommes  en  règle  avec  la  véritable  date  de  ce 
document.  C'est  ici,  en  effet,  l'argument  qui  brisera,  croyons- 
nous,  toutes  les  résistances.  Quelle  est  la  date  de  la  charte 
40  ?  Le  Cartulaire  la  met  au  nombre  de  celles  qui  appartiennent 
au  XI*  siècle.  Mais  de  quelleannée  ? 

Nous  crovons  l'avoir  trouvée.  Cette  charte,  faisant  mention 
de  la  vigne  de  David,  dont  on  a  parlé  plus  haut,  dit  qu'elle  est 
bornée  au  midi  par  le  clos  de  Saint-Pierre  de  Paradis  (2).  Or, 
ce  clos  de  Saint-Pierre  fut  cédé,  on  s'en  souvient  (3),  à  cette 

(1)  Elle  est  intitulée  :  c  Memoria,  sive  notitia  de  diversis  divisiontbus 
stye  partibus  terrarum  vel  vinearum  pertinentium  adcellariam.  »  Charte 
40  du  Cartulaire. 

(2)  c  Vinea  quam  dédit  David  Sancto  Victori . . .  ad  Teolarias. ..  a  me- 
ridie  clausum  Sancti  Pétri  de  Paradiso.  »  Charte  40,  cartulaire  de  Saint- 
Victor. 

(3)  «  Tertium  clausum  quem  dedimus  ..  qui  est  si  tus  ad  caputejus- 
dem  ecclesia*  Sancti  Pétri.  »  Charte.33,  cartulaire  de  Saint-Victor. 


—  149  — 

chapelle  par  Fulcoet  Odile,  qui,  vers  Tan  1044,  firent  rebâtir, 
à  la  prière  de  saint  Ysarne,  l'antique  chapelle  de  Saint-Pierre, 
et  lui  donnèrent  en  dot  plusieurs  terres  parmi  lesquelles  se 
trouvait  ce  clos  situé  au  chevet  de  ladite  chapelle.  Ceci  se 
passait  postérieurement  à  Tan  1044,  puisque  la  charte  qui  rap- 
pelle la  détermination  que  prirent  Fulco  et  Odile  de  rebâtir  la 
chapelle  est  marquée,  dans  le  Cartulaire,  de  la  date  1044,  et 
que  ce  ne  fut  qu'au  jour  de  la  dédicace,  peut-être  un  an  ou 
deux  après,  qu'ils  donnèrent  la  dot  de  la  chapelle.  Aussi  la 
charte  qui  indique  la  cession  de  ce  clos  porte,  dans  le  Car- 
tulaire, la  date  approximative  de  1038-1048.  Donc,  la  charte 
40,  qui  parle  du  clos  de  Saint-Pierre,  est  postérieure  à  Tan 
1038-1048. 

Or,  de  l'aveu  de  tous  les  auteurs,  de  Rey,  Daspres,  André, 
Lautard,  Ruffi,  etc.,  les  Cassianites  se  trouvaient,  à  cette 
époque,  dans  la  ville.  Sous  l'abbesse  Adalmoïs,  en  1031,  on 
restaure  le  monastère  de  Saint-Sauveur,  à  la  place  de  Lenche, 
et  les  religieuses  habitent  momentanément  aux  Accoules. 
Donc,  il  est  impossible  que  cette  charte  40  dise  que,  an  XI- 
siècle,  il  y  avait  non  loin  du  port  une  terre  et  un  cœnobium. 
Il  y  avait  une  terre  aux  environs  du  Grand-Théâtre,  en  réalité 
non  loin  du  port  ;  mais  le  cœnobium  était  en  ville.  Donc, 
Ruffi  avait  tort  de  vouloir  prouver  l'existence  de  l'abbaye 
cassianite  au  pied  de  la  Garde,  à  Sainte-Catherine,  par  cette 
phrase  de  la  charte  40.  Il  donne  à  ce  texte  une  interpréta- 
tion forcée,  dont  les  faits  démontrent  la  fausseté.  Cette  phrase 
fournit  deux  détails  :  qu'au  X?  siècle  l'abbaye  cassianite  pos- 
sédait une  tejrenon  loin  du  port,  et  qu'à  cette  époque  l'abbaye 
était  sous  le  vocable  de  Sainte-  Marie.  Telle  est  la  seule  et 
vraie  signification  de  cette  phrase  de  la  charte  40,  tant  invo- 
quée par  Ruffi. 

Nous  prévoyons  deux  objections.  D  abord  vous  avez  donné, 
nous  dira-t-on,  à  la  charte  40  un  sens  autre  que  celui  qu'il 
faudrait  lui  assigner.  Ruffi,  Lautard,  Daspres  se  sont  trom- 
pés, c'est  vrai,  mais  vous  aussi.  La  charte  40  étant  du 
XIe  siècle  et  à  cette  époque  le  monastère  cassianite  se  trouvant 
à  la  place  de  Lenche,  la  terre  peut  être  il  l'endroit  qu'indique 
la  charte,  mais  les  mots  «  non  longe  a  ripa  porti  »  doivent 


t) 


—  150  - 

s'appliquer  non  pas  il  cette  terre,  mais  au  cœnobiuin  de  la 
place  de  Lenche,  qui  en  réalité  n'est  pas  loin  du  port.  Soit, 
répondrons-nous.  Si  on  veut  cette  signification,  nous  l'accep- 
tons, sans  l'approuver  cependant.  Mais,  dans  ce  cas,  il  faudrait 
par  avance  avouer  catégoriquement  que  Rufii  et  les  autres 
ont  eu  tort  de  se  servir  de  ce  texte  pour  prouver  que  au 
XIe  siècle  il  y  avait  un  monastère  à  Sainte-Catherine,  sur  la 
rive  du  port,  du  côté  de  Saint- Victor. 

On  nous  objectera  ensuite  :  Si,  aux  termes  de  la  charte  40, 
la  terre  des  religieuses  est  auprès  du  port,  et  le  monastère, 
à  cette  époque,  à  la  place  de  Lenche,  comment  affirmer,  avec 
la  même  charte,  que  ce  cœnobium  a  été  fondé  par  Cassien, 
puisque  il  a  été  fondé  par  Elgarde?  Et  d'abord,  répondrons- 
nous,  si,  au  dire  de  Ru  fû  et  autres,  le  monastère  était  non 
loin  du  port,  sur  la  rive,  près  de  Saint-Victor,  à  Sainte-  Cathe- 
rine, comment  nos  adversaires  s'y  prendraient-ils  pour  sou- 
tenir que  ce  monastère  a  été  fondé  par  Cassien?  Voudraient- 
ils  affirmer  que  le  cœnobium  antique  n'a  jamais  été  démoli, 
que  c'est  matériellement  le  même  qui  fut  bâti  par  le  saint 
fondateur  ?  Cela  n  est  guère  possible.  Doue,  pas  plus  que  nos 
adversaires  nous  ne  voulons  soutenir  que  Cassien  a  bâti  le 
cœnobium  de  Lenche. 

Evidemment  il  faut  donuer  à  l'expression  «  cœnobium  fun- 
dare»unsens  plus  large 'que  celui  de  bâtir  un  monastère. 
Le  style  des  chartes  et  des  écrits  anciens  nous  y  autorise.  Eu 
effet,  lorsqu'il  est  question,  dans  les  chartes,  de  Cassien 
établissant  ses  religieux  à  Marseille,  on  se  sert  des  expressions  : 
«  cœnobium  sic  viguit,  monasterium  instituit,  duo  monas- 
teria  condidit  (1)  »  ;  ces  termes  «  cœnobium,  monasterium  » 
ne  désignent  pas  la  seule  construction  matérielle  de  l'abbaye 
de  Saint-Victor,  puisqu'il  y  eut  jusqu'à  5000  religieux  qui  se 
rangèrent  sous  la  juridiction  de  saint  Cassien  et  ces  cinq  mille 
religieux  ne  se  trouvaient  pas  tous  dans  un  seul  monastère, 

(1)  «  Cœnobium  Massiliense,  priscorum  temporibus  sic  viguit...  ut 
quinque  millium  monachorum  numerus  ibi  reperiretur,  in  SanctiCas- 
siani  teinpore.  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  532. 

«  Cassianus...  Massiliam...  instituit  monasterium  in  quo  usque  ad 
quinque  miilia  monachorum  extitit  Pater.  »  Martyrologe  de  Toulon,  de 


-  151  - 

une  seule  maison.  Ces  mots  signifiaient  donc  ordre,  commu- 
nauté. Les  lexiques,  d'ailleurs,  donnent  au  mot  cœnobium  la 
signification  multiple  de  communauté,  abbaye,  couvent, 
monastère.  Donc,  le  «  in  cœnobio  »  de  la  charte  40  ne  veut  pas 
dire  la  maison  matérielle,  elle  signifie  la  communauté,  Tordre, 
l'institut  des  Gassianites. 

D'autre  part,  il  est  assez  rare,  croyon3-nous,  de  trouver 
l'expression  «  cœnobium  fundare  »  avec  la  signification  de 
bâtir  un  monastère.  Cyprien,  le  disciple  de  saint  Césaire 
d'Arles,  voulant  exprimer  cette  idée,  a  employé  les  mots  de 
«  monasterium  construere,  cœnobium  extruere  Ci)».  Le 
concile  d'Agde  a  dit  :  «  collocare  monasterium  (2)  »  ;  la 
charte  14  :  a  monasterium  a  Cassiano  constructum  (3)  ». 
Donc,  l'expression  «  in  cœnobio  quod  f undavit  »  de  la  charte 
40  ne  peut  se  traduire  par  maison  que  bâtit  le  bienheureux 
Cassien .  Quelle  est  la  vraie  signification  ? 

Dans  la  charte  de.  1069,  Pons  II,  évêque  de  Marseille,  et 

Geoffroy,  son  frère,  parlant  du  monastère  que  Guillaume  leur 

père  voulait  rebâtir,  disent  qu'il  avait  été   «  a  beatissimo 

Cassiano  fundatum  (4)  ».  Pons  II  et  Gooffroy  ne  veulent  pas 

b  affirmer  que  Cassien  avait  fait  bâtir  ce  monastère.  Donc,  il 

faut  traduire  a  in  cœnobio  quod  f  undavit  Cassianus  »  par  le 

• 

H 40,  cité  par  le  chanoine  Albanés  dans  Le  Couvent  royal  de  Saint- 
Maximin  en  Provence,  p.  3,  note  2. 

*  Cassiartus. . .  duo  monasteria  condidit  id  est  virorum  ac  mulierum.» 
Gennade,  De  illustribus  ecclesiœ  scriptoribus .  Patrol.  lat.,  édit.  Mignè, 
l.  LVII1. 

«  Cassianus  hoc  praesens  monasterium...  et  aliud  olim  sibi  vicinum 
mire  condidit.  f  Charte  de  1440,  citée  par  Kothen,  Notice  sur  les 
f'njptes  de  Saint-  Victor,  p.  97. 

(1)  Vite  Cœsarii  episcopi  Arelatensis  a  Cypriano  ejus  discipulo, 
dans  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinensis  par  Vinc.  Bar  rai  is, 
t. 1,  pp.  235,  236:  c  Monasterium  quod  sorori  ejus  et  cœteris  virginibus 
construebatur....  feminarum  extruxit  cœnobium.  » 

(2)  a  Monasterium  novum...  nullus  incipere  aut  fundare  prsesumat  » 
[Can,  48.)  «  Monasleria  puellarum  longe  a  monasteriis  monachorum  col- 
locentur.  »  (Can.  49.  Concil.  Aoathensis.)  (Sunnna  omnium  concilio- 
rum,  par  Carranzam,  p.  254.) 

(3)  Cartulairede  Saint-Victor,  charte  14. 

(I)  Charte  de  Pons  II,  en  1069  (André,  Histoire  de  l'abbaye  des  reli- 
fjieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  207.)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  n°  1079. 


—  152  — 

sens  de  communauté,  d'ordre  que  Cassien  avait  établi,  ou    les 
religieuses  établies  par  Cassien. 

La  première  objection  de  Ruffi,  sans  contredit  la  plus 
forte,  est  ainsi  résolue.  Alléguer  ce  texte  de  la  charte  40,  pour 
prouver  que  le  monastère  où  sainte  Ëusébie  a  vécu  n'était  pas 
sur  les  bords  de  l'Huveaune,  mais  près  de  Saint-Victor,  non 
loin  du  port,  à  Sainte-Catherine  par  exemple,  c'est  s'appuyer 
sur  un  argument  sans  valeur.  MM.  Daspres,  Lautard, 
André,  etc.,ayant  employé  le  même  argument,  sont  convaincus, 
à  leur  tour,  de  s'être  servis  d'une  arme  sans  portée. 


CHAPITRE  III 


Inscription  d'Eugénia 


OBJECTION  DE  RUFFI.  —  L'INSCRIPTION  D'EUQENIA  N'APPARTIENT  PAS 
AUX  IV\  V*,  VI*,  VII*,  VIII*  SIÈCLES.  —  AGES  JÊPIGRAPHIQUES,  ET 
LEURS  TRAITS  CARACTÉRISTIQUES.  —  ELLE  EST  DU  IX*  SIÈCLE.  — 
SI  ELLE  APPARTENAIT  AUX  IV*,  Ve,  VI*,  VII*,  VIII*  SIÈCLES,  ELLE 
SERAIT  L'INSCRIPTION  D'UNE  RELIGIEUSE  MORTE  A  L'HUVEAUNE  ET 
INHUMER  A   PARADIS. 


Nous  passons  à  la  seconde  objection  qui  nous  est  faite  par 
Kuffi,  André,  La u tard,  etc.  Voici  les  paroles  de  Ruffi  (1)  : 

«  U  est  certain  qu'il  était  au  môme  lieu  où  nous  avons  vu  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine,  qui  n'était  guère  éloignée  du 
monastère  de  Saint-Victor,  qui  fut  démolie  en  1685  pour  y 
bâtir  le  canal  et  quelques  édifices  à  l'usage  des  galères.  Car  ce 
qui  fortifie  ce  que  je  viens  de  dire  c'est  que  depuis  environ 
quelques  années  que  Ton  creusait  les  fondements  de  la 
maison  que  Ton  avait  construite  pour  y  fabriquer  la  pou- 
dre, et  qui  fut  abattue  aussi  en  1685,  on  découvrit  quantité 
de  tombeaux  de  pierre  de  taille,  fails  en  forme  de  caisse, 
avec  leurs  couvertures,  qui  étaient  remplis  d'ossements,  parmi 
lesquels  on  en  trouva  un,  fort  avant  dans  la  terre,  où  il  y 
avait  au  dessus  une  petite  pierre  de  marbre  qui  contenait  cette 
épitaphe  : 

HIC  REQUIESCET  BONE 

MEMORISE    EUGENIÀ  ANCILLA  DEI 

CUI   VEXIT  ANNUS  ZZXXVI  RECESSIT 

VI   NONAS  MARSIAS 

0      0 

g  Tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce  lieu  était  ancien- 
nement un  cimetière,  et  que  c'étaieut  des  religieuses  qu'on  y 

(I)  Rufli,  Histoire  de  A/am'i7ft%  t.  II,  p.  55» 


—  154  -' 

avait  ensevelies.  Elles  ne  peuvent  être  que  celles  dont  nous 
parlons,  puisque  nous  ne  trouvons  point  qu'il  y  ait  à  Mar- 
seille des  religieuses  si  anciennes  que  celles-ci.  » 

Selon  Ruiïi  doftc,  l'abbaye  cassianite  de  femmes  était  pro- 
che l'emplacement  de  la  chapelle  Sainte-Catherine,  jparce 
qu'on  a  découvert  à  cet  endroit  des  tombeaux  de  religieuses, 
entre  autres  celui  d'Eugenia. 

Cette  objection  parait  bien  forte,  cependant  elle  ne  résiste 
pas  à  un  examen  approfondi. 

D'abord,  prenons  le  texte  de  Rufli  par  le  détail  et  voyons 
ce  qu'il  pèse:  «  En  1675,  on  découvrit  quantité  de  tombeaux 
de  pierre  de  taille,  faits  en  forme  de  caisse,  avec  leurs  cou- 
vertures, qui  étaient  remplis  d'ossements.  »  Or,  parmi  ces 
tombeaux  «  on  en  trouva  un  fort  avant  dans  la  terre  »,  celui 
d'Eugenia.  D'après  le  contexte  donc,  ces  tombeaux  n'ont  pas 
été  découverts  tous  à  la  môme  profondeur.  Les  premiers  dont 
parle  Ruffi,  on  les  a  trouvés  au  niveau  des  fondations  qne 
l'on  creusait,  et  celui  d'Eugenia,  «  fort  avant  dans  la  terre  *. 
Or,  nous  savons  par  les  rapports  des  ingénieurs  qui  ont  dirigé 
les  travaux  au  bassin  du  carénage,  que  le  sol,*  sur  ce  point 
de  Marseille,  a  été  exhaussé  à  diverses  reprises  (1).  Le  tom- 
beau d'Eugenia  peut  donc  appartenir  aux  cinq  ou  six  pre- 
miers siècles  de  notre  ère  ;  quant  aux  autres,  ils  sont  d'une 
époque  postérieure,  du  IX* ,  du  X*  siècle  peut-être.  Partant 
ils  ne  sont  d'aucune  utilité  à  M.  Ruffi  pour  la  démonstration 
de  sa  thèse  :  que  l'abbaye  cassianite  s'élevait  près  de  la  cha- 
pelle de  Sainte-Catherine.  Nous  admettons,  on  le  sait,  que 
dès  la  fin  du  VIIIe  siècle,  jusqu'en  923,  l'abbaye  a  pu  se  trou- 
ver en  cet  endroit. 

a  Tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce  lieu  était  ancienne- 
ment un  cimetière.  »  C'est  vrai,  jusqu'au  X*  siècle  au  moins 
on  a  enterré  à  cet  endroit.  La  charte  de  904  parle  d'une  terre 
comtale  qne  l'empereur  Louis  l'Aveugle  donnait  à  Saint-Vic- 
tor, et  qui  allait  de  la  nier  «  usque  ad  carnarium  (2)  ».  Cet 
endroit  iaisait  donc  partie  du  cimetière  de  Paradis. 

(\)  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde  (Monographie  sur  l'abbaye  de 
Saint- Victor-les-Marseille  par  M.  Grioda),   n°  324. 
(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  1. 1,  charte  10. 


—  155  — 

Roffi  ajoute  :  «  Tons  ces  tombeaux  marquaient  que  c'étaient 
des  religieuses  qu'on  y  avait  ensevelies  .. .  »  Et  la  preuve? 
Auffi  semble  n'eu  apporter  qu'uue  seule  :  l'épitaphe  qui  se 
trouvait  sur  la  tombe  d'Eugenîa!!  Or,  cette  preuve  ne  vaut 
rien  !  Qu'Eugenia  ail  été  une  religieuse,  son  inscription  le  fait 
croire.  Mais  que  les  ossements  des  autres  tombeaux  appartien- 
nent à  des  religieuses,  lluffi  aurait  été  fort  embarrassé  pour 
le  démontrer.  De  plus,  il  a  été  prouvé  que  dans  le  cimetière  de 
Paradis  il  n*y  avait  pas  d'emplacement  spécialement  réservé 
aux  religieuses,  au  moins  jusqu'au  XI*  siècle,  date  des  chartes 
deFulco  et  d'Odile  (1),  Donc  il  n  est  pas  probable  que  ce  soient 
des  religieuses  que  Ton  ait  ensevelies  dans  ces  tombeaux.  Donc 
l'affirmation  de  Ruffi  n'a  aucune  valeur. 

Et  si  Ton  voulait  quand  même  voir  dans  ces  tombeaux  des 
sépultures  de  religieuses,  comme  ces  tombes  sont  postérieures 
à  celle  d'Eugénia  et  qu'elles  appartiennent  aux  IX*,  X*  siècles 
peut-être,  Rufti  ne  peut  encore  en  tirer  aucun  avantage  pour  sa 
thèse.  Aux  IX*  et  X*  siècles,  l'abbaye  cassiauite  était  probable- 
ment à  cet  endroit.  Les  détails  du  texte  de  lluffi,  on  le  voit, 
n'ont  aucune  valeur  contre  nous. 

Reste  l'inscription  d'Eugénia.  Est-ce  l'épitaphe  d'une  reli- 
gieuse? A  quelle  époque  appartient-elle?  Ce  document  prouve- 
t-il  que  l'abbaye  cassianite  était  au  même  lieu  où  nous  avons 
vu  la  chapelle  Sainte-Catherine  ? 

Eugénia  est  appelée  «  ancilla  Dei  ».  Or,  ce  terme  signifie-t-il 
religieuse?  «  C'est  à  tort,  selon  moi,  a  dit  M.  Edmond  Leblant, 
que  l'on  voit  dans  les  mots  «  ancilla  Dei  »  la  désignation  spé- 
ciale des  religieuses.  Le  titre  de  serviteur  de  Dieu  était  deve- 
nu celui  de  la  généralité  des  chrétiens.  Si  Ton  peut  citer  sur 
ce  point  quelques  exceptions  de  détail,  le  fait  n'en  reste  pas 

moins  hors  de  doute La  seconde  partie  du  traité  De  eultu 

ferninctrum,  où  Tertulien  reprend  le  luxe  inconvenant  des 
femmes  chrétiennes,  débute  par  les  expressions  :  «  Ancillse  Dei 
vivi,  conservae  etsorores  me»  v,  qui  ne  s'adressaient  pas  ap- 
paremment aux  religieuses.  La  même  mention  se  lit,  d'ailleurs, 
sur  les  tombes  de  femmes  mariées  (2).  » 

(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  chapitre  de  l'introduction. 

(2)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule  antérieures  au 


—  156  — 

« 

Nous  croyons  juste  l'assertion  de  M.  Leblant.  Daus  son  ou- 
vrage :  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  nous  en  trou- 
vons notamment  une  du  VI*  siècle  :  «  Ancella  ad  Dcminum 
festinat.  »  Dans  le  tome  I  des  Inscriptiones  christianœ  urbis 
Romœ  par  M.  de  Rossi,  nous  avons  trouvé  trois  marbres  portant 
ce  terme  a  ancilla  Dei  »,  dans  aucun  il  n'apparaît  qu'il  s'agisse 
de  religieuses  (1).  L'abbé  Martigny  en  donne  un  autre,  celui  de 
Praetiosa,  enfant  de  douze  ans,  qui  est  appelée  vierge,  et  de  plus 
a  ancilla  Domini  etChristi  (2)  ».  Il  ne  s'agit  pas,  ici  encore,  de 
religieuse.  Les  auteurs  ecclésiastiques  nous  fournissent  aussi 
des  textes  à  l'appui  de  l'opinion  de  M.  Leblant.  Gennadius,  prê- 
tre à  Marseille,  rapporte  qu'Eutropius  a  scripsit  ad  duas  sorores 
suas,  ancillas  Christi,  quseob  devotionem  pudicitise  etamorem 
religionis  exheredatae  sunt  a  parentibus  (3)  ».  Ici  non  plus  il  ne 
s'agit  pas  de  religieuses  dans  la  force  du  terme.  On  pourrait  en 
dire  autant  du  texte  de  saint  Augustin  :  «  intactisque  ancillis 
Christi  (4)  »,  de  celui  de  Grégoire  de  Tours  :  «  Propria  Dei  an- 
cilla ipsi  sedulodeservire(5)».  A  notre  humble  avis,  dans  ces 

VIIJ*  siècle ,  t.  1,  p.  123,  note.  —  M.  de  Rossi,  lnscript.  christ,  urbis 
Romœ,  1. 1,  n°  739,  p.  322,  donne  un  marbre  daté  de  447ou  460,  et  portant 
le  nom  de  Gaudiosa,  qualifiée  de  «  clarisshna  femina  ancilla  Dei  ».  — ► 
Leblant,  op.  cit.,  t.  I,  n°  708. 

(1)  N»6JÎ  de  l'année  440:  «  Hic  Honorantiœ  ancillae  Dei  »,  p.  286;  — 
«  Hic  quiescit  Gaudiosa  clarissima  femina  ancilla  Dei,  quae. ..  »,  de  l'an- 
née 447-460.  n°  739,  p.  322  ;  —  «...  ancilla  Dei  quae  vixit. . .  »,  de  Tannée 
381-434,  n°91l,  p.  406.  —  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  II,  p.  708. 

(2)  Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes,  p.  663  ;  «  Prsetio- 
sa, puella  annorum  virgo  XII  tant  uni,  ancilla  Dei  et  Christi.  » 

(3)  Gennade,  Eutropii,  Patrologie  latine,  édit.  Migne,  t.  58,  col.  1887. 

(4)  Ces  mots  sont  en  opposition  avec  viduis,  midieribus  nUptiset  rir- 
ginibus  nupturis.  «  Quse  faciunt  pudoris  immemores  etiam  feininisfemi- 
nae  jucundo  turpiter  et  ludendo,  non  solura  a  viduis  et  intactis  aucillis 
Christi  in  sancto  proposito  constituas,  sed  omnino  nec  a  mulieribus 
nuptis  et  virginibus  sunt  facienda  nupturis  ».  Il  s'agirait,  selon  nous.de 
personnes  qui  vivant  dans  le  monde,  avaient  fait  vœu  de  virginité,  et 
non  pas  de  religieuses  proprement  dites.  D'autant  plus  que  saint  Au- 
gustin, dans  la  même  lettre,  appelle  les  religieuses  :  «  famula?  Dei  «.(Opé- 
ra sancti  Augustini,  t.  II,  col.  964.  Patrologie  latine,  édit.  Migne.) 

(5)  Il  s'agit  de  sainte  Clotilde  qui,  à  la  mort  de  ses  petits  enfants,  s'oc- 
cupa exclusivement  de  faire  du  bien  aux  églises  et  aux  monastères  (Gré- 
de  Tours,  Histoire  des  Francs,  livre  III,  chap.  18<) 


—  157  — 

textes,  cette  expression  équivaut  à  «  famulaDei  »,en  français: 
humble  servante  de  Dieu,  pieux  serviteur  de  Dieu,  selon  le 
sens  que  nous  donnons  aux  paroles  de  la  Vierge  Marie  :  ce  Ecce 
ancilla  Domini  ».  Après  avoir  trouvé  ce  terme  sur  les  lèvres  de 
la  Mère  de  Dieu,  il  est  tout  naturel  que  les  chrétiens  en  or- 
nassent les  tombes  de  celles  qui  avaient  vécu  dans  la  pratique 
des  vertus  chrétiennes. 

Mais  «il  est  incontestable  aussi  que  ce  terme  équivaut  sou- 
vent à  celui  de  religieuse. 

Possidius,  écrivant  la  Vie  de  saint  Augustin,  dit,  de  la  sœur 
du  grand  et  saint  évoque,  qu'elle  était  :  «  prœposita  ancilla- 
mm  Dei  (1)  ».  Saint  Grégoire  le  Grand  composa  l'oraison: 
«  super  ancillas  velandas  »  ;  ce  pape,  appelle  les  religieuses 
par  ce  nom,  soit  dans  ses  lettres,  soit  dans  ses  autres  ouvra- 
ges (2) .  L'auteur  de  la  Vie  de  saint  Césaire  dit  des  religieuses 
d'Arles  :  a  Turbatae  sunt  ancillae  Dei  (3)  ».  Saint  Eucher  com- 
mence un  traité  par  :  a  Venerabiles  filiœ,  servi  et  ancillse 
Dei,  clerici,  monachi  et  virgines  (4)  r> .  «  Ancilla  Dei  signifie 
donc  religieuse.  Maison  peut  faire  une  remarque,  c'est  que  le 
contexte  indique  toujours  qu'il  s'agit  bien  de  personnes  consa- 
crées à  Dieu,  lorsque  le  terme  «  ancilla  »  a  cette  signification. 

Or,  dans  l'inscription  d'Eugenia,  que  veut  dire  le  terme 
€  ancilla  Dei  »  ?  S'agit-il  simplement  d'une  bonne  chrétienne, 
fidèle  à  la  vertu,  ou  d'une  religieuse,  d'une  personne  consa- 
crée à  Dieu  ?  Rien  dans  le  contexte  ne  l'indique.  On  pourrait 
donc  à  la  rigueur  soutenir  qu'Eugenia  était  une  pieuse  chré- 
tienne de  Marseille.  L'argument  deRuffi,  du  coup,  perd  toute 
sa  valeur. 

A  quelle  époque  appartient  cette  inscription  ?  Elle  est  de  la 
fin  du  VP  siècle  ou  du  début  du  VII"  siècle.  Nous  l'établirons 

(1)  Possidius,  Vita  sancti  Augustini,  ch.  26.  {Opéra  sancti  Augus- 
tini,  t.  II,  col.  55.  Patrologie  latine,  édition  M  igné.) 

(2)  Grégoire  le  Grand,  dans  sa  lettre  à  Respecta  de  Marseille,  appelle 
les  religieuses  :  «  ancillae  Dei  ».  — Dans  une  lettre  de  ce  pape,  Patrologie 
latine,  édition  Migne,  t.  77,  col.  881,  on  lit  :  «  De  medietate  vero  ancillis 
Domini  Dei,  quas  vos  grœca  linguà  dicitis  monastrias,  lectisternia  emere 
disposui,  quia  multa?  sint...  » 

(3)  Barrai i s,  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinensis,  t.  I,  p.  255i 
(h)  Eucher  (Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  50,  col.  1210.) 

11 


—  158  — 

avec  quelques  détails  dans  un  chapitre  subséquent  (1).  Une 
conséquence  à  en  déduire.  Comme  à  ce  moment  le  mot  «  ancilla 
Dei  »  est  assez  fréquemment  employé  pour  désigner  une  reli- 
gieuse, on  peut  dire  avec  quelque  certitude  qu'Eugenia  en 
élait  une.  Nous  le  croyons,  en  effet. 

Or,  de  ce  qu'Eugenia  vivait  au  VI*  ou  VII*  siècle,  qu'elle  a 
été  inhumée  aux  environs  de  la  chapelle  Sainte-Catherine, 
est-ce  une  preuve  que  1  abbaye  cassianite  se  trouvait  à  cet 
endroit  aux  VI*,  VII*  siècles  et  même  depuis  sa  fondation  ? 
Point  du  tout. 

En  effet,  ne  pouvons-nous  pas  supposer,  et  cela  raisonna- 
blement, avec  un  fond  de  vraisemblance  bien  établie,  que, 
tout  en  demeurant  aux  bords  de  l'Huveaune,  comme  nous  le 
supposons,  les  religieuses  cassianites  aient  tenu  à  se  faire 
ensevelir  auprès  de  Saint-Victor  ?  Oui,  la  supposition  est 
permise  et  très  légitime.  Rappelons-nous  que  les  champs  au- 
près de  Saint- Victor  qui  avaient  été  la  nécropole  des  chrétiens 
aux  premiers  siècles  (2)  ;  qui  servaient  probablement  encore 
de  cimetière  au  X*  siècle  (3)  ;  rappelons -nous,  dis- je,  que  ces 
champs  sont  appelés  Paradis  parce  que  les  corps  de  beaucoup 
de  martyrs,  de  confesseurs  et  de  vierges  y  reposent  (4)  ;  rap- 
pelons-nous que  Ton  montre,  vers  Tan  1000,  au  jeune  Ysarne 
qui  visite  Saint- Victor,  les  tombes  des  saints  martyrs,  qu'a  en- 
tourent au  loin,  dans  les  champs  environnants,  les  innombra- 
bles confesseurs  qui  jadis  furent  religieux  dans  ce  monas- 
tère ».  Rappelons-nous,  enfin,  qu'à  ces  âges  de  foi,  le  désir 
du  chrétien,  sa  consolation  dernière,  le  plus  grand  honneur 
que  Ton  pouvait  accorder  à  sa  dépouille  était  de  reposer  au— 
près  du  tombeau  de  quelque  martyr,  de  quelque  saint  confes- 
seur (5). 


(1)  Cf.  chap.  VI:  Inscription  de  Sainte  Eusébie . 

(2)  Grosson,  Recueil  des  antiquités  et  des  monument  s  marseillais, 
p.  98. 

(3)  Charte  10  du  cartulaire  de  Saint-Victor. 

(4)  «  Vocatus  est  Paradisus  quia  multorum  corporum,  videlicet  sanc- 
torurn  martyrum  et  virgînum,  eodem  loco  quiescentium.  »  Charte  32» 
cartulaire  de  Saint- Victor. 

(5)  Dès  les  temps  antiques,  les  fidèles  pensaient  que  les  restes  des 


—  159  — 

Or,  tandis  que  les  moines  de  Saint- Victor  ambitionnent 
d  avoir  un  coin  de  ce  champ  de  repos  pour  y  dormir  après 
leur  mort  auprès  des  corps  des  saints  martyrs  qu'ils  honoraient 
à  l'abbaye,  de  ces  saints  confesseurs  qui  avaient  été  leurs 
frères  en  religion,  vous  pouvez  supposer  que  les  religieuses 
cassianitea  dus  V\  VI*,  VU*  siècles  n'ont  pas  désiré,  n'ont  pas 
réclamé,  une  place  auprès  de  ces  martyrs  de  la  foi,  ou  de  cette 
foule  de  vierges  chrétiennes  des  premiers  âges,  et  de  cette 
foule  surtout  de  vierges,  jadis  leurs  compagnes  dans  l'abbaye? 

La  supposition  est  à  ce  point  légitime,  qu'elle  est  la  vérité. 
Que  vous  dit  la  tradition?  Qu'Eu  se  bie  et  ses  compagnes  ont 
été  martyrisées  aux  bords  de  l'Huveaune,  qu'on  a  jeté  leurs 
corps  sanglants  dans  un  puits,  que  les  colons  les  en  retirèrent 
et  vinrent  les  ensevelir  dans  les  cryptes  de  Saint -Victor.  Or, 
s'il  avait  été  d'usage  d'ensevelir  les  Cassianites  auprès  de  leur 
monastère,  les  colons  n'auraient  pas  eu  l'idée  de  les  porter 
à  Saint-Victor.  Ils  auraient  retiré  du  puits  les  corps  des 
martyres,  leur  auraient  donné  dans  la  chapelle,  sur  le  théâtre 
même  de  leur  glorieuse  mort,  une  sépulture  honorable.  -C'eût 
été  plutôt  fait  et  avec  moins  de  risques  et  de  périls.  Mais  non, 
leur  première  idée  est  de  porter  ces  restes  vénérables  dans  les 
cryptes  de  Saint-Victor.  D'où  vient  ?  Est-ce  pour  les  mettre 
plus  en  sûreté?  Erreur,  ils  l'eussent  été  davantage,  enterrés 
auprès  de  l'oratoire  incendié,  ou  çà  et  là  dans  les  champs  de 
Paradis,  que  tous  réunis  dans  les  cryptes.  Si  on  inhume  dans 
les  cryptes  les  vierges  cassianites,  c'est  que  leur  mort  est 
l'objet  de  l'admiration  de  tous,  c'est  qu'on  les  regarde,  sinon 
comme  des  martyres,  du  moins  comme  des  modèles  achevés 
d'héroïsme  et  de  vertu.  Mais,  si  on  a  pensé  tout  d'abord  à  les 
porter  à  Saint- Victor,  c'est  qu'on  avait  l'habitude  d'ensevelir 
à  Paradis  les  religieuses  de  l'Huveaune  qui  mouraient. 

saints  les  protégeraient,  dans  la  tombe,  contre  les  redoutables  atteintes 
da  démon,  les  recommanderaient  à  la  miséricorde  divine.  (Edmond  Le  - 
blant,  op.  cit.,  p.  146.) 

Saint  Ambroise  dît  :  «  Commendabiliorem  Deo  futurum  esse  me  cre- 
dam,  quod  supra  sancti  corporis  ossa  quiescam.  »  (Opéra,  t.  II,  col. 
1118.) 

C'est  ce  que  signifient  ces  locutions  que  l'on  trouve  si  souvent  dans  les 
anciens  écrits  :  c  sociari    martyribus,  ad  sanctos  martyres  »,  etc. 


-  160  - 

Quoi  donc  aurait  pu  empêcher  cet  usage  d'exister?  La  distance 
des  bords  de  l'Huveaune  aux  champs  de  Paradis  ?  A  notre 
époque,  telle  paroisse  que  nous  connaissons  porte  ses  morts 
à  une  grande  heure  de  distance.  Le  nombre  peut-être  trop 
grand  de  décès  des  religieuses,  ce  qui  aurait  pu  occasionner 
des  sorties  trop  fréquemment  répétées  du  monastère  ?  Outre 
que  la  clôture  n'était  pas  une  règle  aussi  sévère  à  cette  époque 
qu'à  la  nôtre,  l'abbaye  de  rHuveaune  ne  devait  pas  compter 
un  nombre  si  grand  de  religieuses,  qu'il  dût  y  avoir  un  décès 
tous  les  jours,  toutes  les  semaines,  tous  les  mois.  Si  sainte 
Eusébie  dirigeait  quarante  religieuses,  il  n'y  a  pas  d'appa- 
rence que  l'abbaye  ait  compté  jamais,  sauf  peut  être  en  838, 
un  nombre  bien  considérable  de  religieuses.  Donc  on  peut 
soutenir  avec  beaucoup  de  vraisemblance  et  de  raison  qu'aux 
V*,  VI*  et  VII*  siècles,  les  religieuses  cassianites  se  faisaient 
inhumer  dans  les  champs  de  Paradis.  L'endroit  où  reposaient 
leurs  dépouilles  mortelles  était  peut-être  aux  environs  de  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine.  Les  sarcophages  découverts  en 
1685,  à  cet  endroit,  étaient  les  tombes  de  ces  saintes  filles  de 
Cassien,  et  l'inscription  l'épi taphe  de  l'une  d'entre  elles.  Ainsi 
l'objection  de  Ruffi  devient  sans  force  et  sans  valeur. 

Mais  nous  dirons  aussi  qu'à  notre  avis  cette  inscription 
appartient  au  VIII*,  ou  IX*  siècle  ;  que  partant  Eugenia  était 
une  religieuse  inhumée  à  cette  époque  aux  environs  de  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine.  De  ce  chef  encore,  l'objection  de 
Ruffi  essuie  une  nouvelle  réfutation.  En  effet,  en  818  ou  à. 
peu  près,  l'abbaye  cassianite  existe,  puisque  Vadalde,  évéque 
de  Marseille,  fait  opérer  le  dénombrement  des  serfs,  des  colons 
appartenant  à  l'abbaye,  dans  le  quartier  du  Colombier  (1). 
En  838,  l'abbaye  existait  encore,  puisque  les  pirates  normands 
enlèvent  un  certain  nombre  des  religieuses  qui  l'habitaient  (2). 
En  867,  l'abbaye  était  debout  encore,  puisque,  s'il  faut  en 
croire  Ruffi,  les  Normands  la  saccagèrent  (3).  En  923,  elle 

(1)  «  Descriptio  mancipiorum  de  agro  ColumbaHo,  factum  tempore 
Guadaldi,  indictione  XI.  »  De  Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise  de  Mar- 
seille, 1. 1,  p.  302). 

(2)  Annales  de  Saint-Bertin  en  Tannée  838. 
(3;  Ruffl,  Histoire  de  Marseille^  t.  II,  p.  56. 


—  161  — 

existait  puisque  elle  fut  détruite  par  les  Sarrasins  en  même 
temps  que  la  cathédrale  et  le  monastère  de  Saint-Victor  (1). 
Or,  nous  savons  aussi  qu'à  ces  différentes  époques  l'abbaye 
cassianite  s'élevait  non  loin  de  Saint- Victor,  et  nous  ne  nous 
refusons  pas  à  l'admettre,  à  peu  près  à  l'emplacement  de 
la  chapelle  de  Sainte-Catherine.  Par  conséquent,  ces  tombes 
découvertes  en  1685,  cette  inscription  d'Eugénia  peuvent 
avoir  été  les  tombes  et  l'inscription  des  religieuses  qui 
habitèrent  cet  endroit  à  la  fin  du  VIII*  siècle,  durant  le  IX*  et 
au  début  du  X0.  Mais,  de  là  à  dire,  comme  Ruffi,  que  c'est  une 
preuve  que  toujours  le  monastère  cassianite  s'est  élevé  en  cet 
endroit,  c'est  vouloir  forcer  l'argument. 

Nous  résumons  nos  conclusions  : 

Si  ces  tombeaux  découverts  en  1685  appartiennent  à  des 
religieuses,  ils  sont  postérieurs  à  celui  d'Eugénia,  ils  datent 
probablement  du  VIII"  ou  du  IX*  siècle.  Or,  à  cette  époque, 
l'abbaye  cassianite  peut  être  placée  à  la  chapelle  Sainte- 
Catherine.  Si  Eugénia  est  une  simple  chrétienne,  l'objection 
de  Rufll  n'a  aucune  valeur.  Si  l'inscription  d'Eugénia  est 
celle  d'une  religieuse,  ou  bien  cette  inscription  remonte  au 
VIII0  siècle  et  il  s'agit  alors  d'une  religieuse  du  monastère 
cassianite  qui  s'élevait  en  cet  endroit  de  814  à  923  ;  ou  bien 
elle  appartient  aux  VI*  et  VII*  siècles,  elle  est  alors  l'épitaphe 
d'une  religieuse  de  l'abbaye  de  l'Huveaune  inhumée  à  cette 
époque  dans  les  champs  de  Paradis. 


(1)  Voir  chapitre  :  Divers  emplacements  qu'a  occupés  le  monastère 
cassianite. 


CHAPITRE  IV 


Texte  des  chartes  de  1431  et  1446 


LE  TEXTE  DE  CES  CHARTES,— PHRASE  MAL  CONSTRUITE.— PLUSIEURS 
SENS.— LORSQUE  8AINT-VICTOR  PUT  DÉTRUIT  PAR  LES  VANDALES,  IL 
Y  AVAIT  TOUT  PROCHE  UN  AUTRE  MONASTÈRE.—  LES  VANDALES  N*ONT 
PAS  DÉTRUIT  SAINT-VICTOR.  —  LORSQUE  LE  MONASTÈRE  CA881ANITE 
FUT  DÉTRUIT  PAR  LES  VANDALES,  IL  ÉTAIT  PROCHE  DR  SAINT-VICTOR. 
—  LES  VANDALES  N'ONT  PAS  DÉTRUIT  CE  CŒNOBIUM  DES  VIERGES. 
IL  S'AGIT  DES  SARRA8INS.  —  LORSQUE  LES  SARRASINS  ONT  DÉTRUIT 
SAINT-VICTOR,  IL  T  AVAIT  TOUT  PROCHE  UN  AUTRE  MONASTÈRE  DE  PIL- 
LES.— LES  SARRASINS  DÉTRUISENT  1 AINT-VICTOR,  EN  923.— LORSQUE 
LES  SARRASINS  DÉTRUISENT  LE  CŒNOBIUM  DES  VIERGES,  IL  ÉTAIT 
TOUT  PROCHE  DE  SAINT-VICTOR.—  CE  N'EST  PAS  DE  LA  RUINE  DE  CE 
CŒNOBIUM  EN  738  OU  838  QUE  L'ON  VEUT  PARLER,  MAIS  DE  CELLE  DE 
923.  —  SUREMENT  IL  S'AGIT  DE  LA  RUINE  DE  SAINT-VICTOR  EN  923, 
OU  DE  LA   RUINE  DBS  DEUX  MONASTÈRES  EN  923. 


Nous  passons  à  une  objection  autrement  sérieuse.  C'est 
toujours  Ruffl  qui  la  présente  :  «  A  tous  ces  raisonnements 
j'ajouterai  l'autorité  de  deux  chartes  de  1431  et  1446  qui  font 
foi  que  lorsque  le  monastère  de  Saint- Victor  fut  détruit  par  les 
Vandales,  il  y  avait  tout  proche  un  autre  monastère  qui  ne 
peut  être  que  celui-ci,  de  sorte  que  Ton  ne  peut  plus  douter 
que  ce  monastère  fût  situé  en  cet  endroit  et  non  pas  au  quar- 
tier de  Saint-Loup,  ni  à  celui  de  Saint-Marcel,  encore  moins  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune,  ni  sur  les  bords  de  la  mer  comme 
quelques-uns  s'imaginent  (1).  » 

Si  deux  chartes  attestent  qu'à  l'époque  des.  Vandales,  c'est- 
à-dire  de  405  à  535,  il  y  avait  un  monastère  auprès  de  Saint- 
Victor,  comme  il  n'y  a  jamais  eu  à  cette  époque  d'autre 
monastère  de  religieuses  à  Marseille  que  celui  dont  nous  par- 
lons (2),  il  est  certain  que  l'abbaye  des  Cassianites  n'a  jamais 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56. 

(2)  Ruflï  ledit  en  plusieurs  endroits:  «  Cassien   fonda  un   monastère 


—  163  — 

élé  aux  bords  de  l'Huveaune.  Cette  époque  des  Vandales  est 
trop  rapprochée  de  celle  de  la  fondation  de  l'abbaye  par  Cas- 
sien  pour  qu'il  y  ait  eu  au  début  un  monastère  à  l'Huveaune, 
et  qu'à  l'époque  des  Vandales  ce  monastère  se  trouvât  auprès 
de  Saint- Victor,  ou  qu'après  la  destruction  de  ce  monastère 
auprès  de  Saint-Victor,  par  les  Vandales,  il  y  ait  eu  un 
monastère  de  Cassianites  à  l'Huveaune.  L'objection  de  Huffl 
serait  donc  péremptoire  et  notre  thèse  battue  en  brèche. 

Mais  l'étude  que  nous  allons  faire  du  texte  de  ces  deux  chartes 
va  nous  montrer  clairement  qu'elles  ne  contrarient  en  sien 
notre  opinion.  Citons  d'abord  le  texte  de  ces  deux  chartes. 

La  première  est  de  Tannée  1431.  C'est  l'abbé  de  Saint- Victor 
qui  donne  à  une  personne  de  piété  une  modeste  église  appelée 
Sainte-Marie  de  la  Petite-Baume,  aux  environs  de  Saint- 
Zacharie.  Après  avoir  raconté  les  gloires  de  cette  grotte  célèbre, 
dans  laquelle  sainte  Marie-Madeleine  avait  passé  trente  ans, 
dans  laquelle,  ou  auprès,  de  laquelle  grotte  Cassien  avait  lui- 
même  passé  plusieurs  années  de  sa  vie  dans  la  pratique  des 
vertus  érémitiques,  l'abbé  ajoute  qu'enfin  :  «  hoc  praesens 
sacrum  monasterium  (Saint- Victor)  et  aliud  olim  sibi  vici- 
num,  in  diebus  illis  per  profanos  Vandalos  fuuditus  demo- 
litum  mire  condidit  (1)  » . 

Dans  la  charte  de  1446,  l'abbé  de  Saint- Victor,  Pierre  Dulac, 
veut  accorder  aux  confrères  de  l'Association  de  Notre-Dame 
de  Confession  l'autorisation  d'être  inhumés  dans  le  cimetière 
du  monastère.  Or,  après  avoir  dit  que  dans  ce  monastère  il  y 
a  les  reliques  de  saint  Victor,  saint  Adrien,  saint  Maurice, 
sainte  Eusébie  et  ses  quarante  compagnes,  il  parle  de  saint 
Cassien,  ajoutant  :  «  qui  hoc  praesens  monasterium  et  aliud 
olim  sibi  vicinum  in  diebus  illis  per  profanos  Vandalos  f  un- 
dltus  demolitum  mire  condidit  (2)  ».  Tel  est  le  texte  que  Ton 
objecte  contre  nous.  Examinons-en  le  sens  précis. 

de  religieuses  à  Marseille...  Nous  n'eu  avons  aucun  qui  ne  soit  moderne 
en  comparaison  de  celui  dont  nous  parlons.  »  pp.  cit.,  pp.  54,  55. 

(1)  Guesnay,  Cassianus  illustratus,  p.  642.  —  Archives  départemen- 
tales. Recueil  de  chartes,  par  Dom  Lefournier,  t.  IJI. 

(î)  Kolhen,  Les  Cryptes,  appendice,  p.  97  ;  cette  charte  de  1440  est 
citée  en  entier. 


—  164  — 

t 

Avez*-vous  remarqué  cette  sorte  d'équivoque  produite  par  la 
mauvaise  construction  de  la  phrase?  11  est  dit  que  Cassien  a 
fondé  deux  monastères  :  «  hoc  prœsens  monasterium  et  aliud 
olim  sibi  vicinum  per  profanos  Vandalos  f  unditus  demolitum 
mire  condidit.  »  A  quoi  se  rapporte  ce  «  per  profanos  f  unditus 
demolitum  »  ?  Est-ce  à  a  hoc  praesens  monasterium  »  ?  est-ce 
à  «  olim  sibi  vicinum  *>  ?  Est-ce,  en  un  mot,  le  monastère  de 
Saint- Victor,  ou  celui  qui  en  était  voisin,  qui  a  été  détruit  par 
les  Vandales?  C'est  douteux.  Ruffl  le  fait  se  rapporter  à  «  hoc 
praesens  monasterium  »,  puisqu'il  écrit  :  «  Lorsque  lo  monas- 
tère de  Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait 
tout  proche  un  autre  monastère  (1).  »  Serait-ce  à  a  aliud  sibi 
vicinum  »?  Le  sens  alors  serait  tout  différent.  Saint  Cassien, 
dirait  la  charte,  a  fondé  deux  monastères  :  celui  de  Saint- 
Victor,  et  un  autre  qui  en  était  jadis  voisin  et  qui  fut  détruit 
par  les  Vandales. 

Lequel  des  deux  sens  est  le  bon  ? 

Dans  l'incertitude,  passons  en  revue  les  deux  hypothèses  ; 
voyons  si  les  Vandales  ont  détruit  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux 
monastères,  et  partant  si  ces  deux  chartes  concluent  contre 
nous. 

D'abord,  étudions  les  termes  des  chartes  précitées  d'après 
la  signification  que  leur  donne  Ruffl  :  a  Lorsque  le  monastère 
de  Saint- Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait  tout 
proche  un  autre  monastère.  »  Les  Vandales  ont-ils  détruit 
l'abbaye  de  Saint- Victor,  à  Marseille?  Sûrement,  ils  ne  l'ont 
pas  fait  avant  450. 

Nons  en  avons  la  preuve  dans  le  silence  que  garde  Salvien, 
né  à  Cologne  ou  à  Trêves,  et  ordonné  prêtre  à  Marseille,  sur 
un  semblable  fait,  dans  son  livre  De  Gubernatione  Dei.  Cet 
auteur,  qui  vécut  de  390  à  495,  a  été  témoin  des  ravages  que 
les  barbares  ont  semés  sous  leurs  pas.  Il  a  écrit  son  livre  en 
445  ou  450  (2).  Or,  à  aucun  endroit  de  ce  livre,  il  n'insinue 

(1)  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58. 

(2)  Salvien,  dans  Dictionnaire  de  théologie,  par  Lenoir,  t.  XI,  p.  313 
—  Bibliographie  générale  de  Michaud.  —  Cet  écrivain  aurait  vécu  de 
390  à  484.  Cependant  Gennade,  qui  vivait  en  495,  année  où  il  termine  son 
catalogue  des  écrivains  ecclésiastiques  et  le  dédie  au  pape  Gélase,  dit  de 


—  165  — 

que  ces  barbares  soient  venus  à  Marseille,  et  qu'ils  se  soient 
attaqués  à  l'abbaye  de  Saint  Victor.  On  ne  s'expliquerait  pas 
son  silence  sur  ce  point,  si  ce  fait  réellement  était  arrivé. 

Ce  n  est  pas  non  plus  de  450  à  environ  490.  Nous  avons  un 
argument  que  nous  croyons  sans  réplique.  Gennade,  prêtre 
et  écrivain  de  Marseille,  qui  vivait  sous  le  pape  Gélase  (492- 
496)  et  sous  Ànasta3e,  empereur  d'Orient  (491-518),  a  écrit 
un  livre  intitulé  De  scripioribus  ecclesiasticis,  composé 
de  cent  articles  ou  biographies  sommaires  de  personna- 
ges qui  ont  vécu  de  330  à  490.  Or,  dans  ce  recueil,  à  l'article 
de  Cassien,  fondateur  de  l'abbaye  de  Saint- Victor,  il  dit  : 
«Condidit  duo  monasteria  id  est  virorum  acmulierum,  qure 
usque  hodie  exstant(l).  »  A  l'époque  donc  où  Gennade  écrivait 
cette  biographie  de  Cassien,  les  deux  monastères  qu'il  avait 
fondés  existaient  encore. 

Or ,  cette  biographie  de  Cassien  a  été  écrite  avant  495, 
puisque  en  cette  année  même  Gennade  termine  son  manus- 
crit et  l'envoie  au  pape  Gélase.  Mais  sûrement  il  ne  l'a  pas 
envoyé  au  souverain  pontife  sans  le  revoir  et  le  retoucher.  Si 
donc,  depuis  le  jour  où  il  avait  rédigé  l'article  de  Cassien, 
dans  lequel  il  est  dit  que  a  les  deux  monastères  existent  enco- 
re »,  ces  deux  monastères  eussent  été  détruits,  Gennade  aurait 
rectifié  sa  phrase.  Il  ne  l'a  pas  fait,  donc  jusqu'en  495  ces 
deux  monastères  n'avaient  eu  à,  subir  aucune  attaque  de  la 
part  des  barbares,  ou,  dans  tous  les  cas,  ils  n'avaient  pas  été 
renversés. 

Ce  ne  fut  pas  non  plus  à  une  époque  postérieure  de  495  à 
535,  date  de  l'extermination  des  Vandales,  que  le  monastère 
de  Saint-Victor  a  été  renversé,  car,  dès  l'an  480,  les  Visi- 
goths  s'emparent  de  Marseille.  Puis  ce  sont  les  rois  bourgui  - 
gnons  qui  la  gouvernent,  ensuite  les  Ostrogoths  de  Théodoric, 


Salvien  que  «  vivit  usque  hodie  in  senectute  bonà  ».  Il  vivait  donc  en- 
core en  495.  (Gennade,  De  scriptotnbus  ecclesiowticis  ;  Patrologie  latine, 
édition  Migne,  t.  LVIII,  col.  979,  etc.) 

(1)  «  Gennade,  prêtre  de  Marseille,  a  composé  plusieurs  écrits,  entre 
autres  celui  intitulé  De  scriptoribus*  ercleaiastirii*,  qui  est  un  recueil  de 
cent  biographies.  Il  termina  ce  livre  on  495.  »  (Gennade  ;  Patrologie  lati- 
ne, édition  Migne,  t.  LVIII.) 


—  166  — 

enfin  les  Francs  qui  se  partagent  la  Provence  vers  536.  Or, 
ni  les  uns,  ni  les  autres  n'auraient  permis  aux  Vandales  de 
saccager  Marseille.  Cette  ville  était  occupée  par  de  bonnes 
garnisons,  relevant  des  divers  rois  qui  la  possédaient.  Par 
conséquent,  les  Vandales  n'ont  pu  détruire  Saint-Victor.  C'est, 
d'ailleurs,  l'avis  de  l'auteur  des  Saints  de  V Eglise  de  Mar  • 
seille  (1). 

Donc,  l'argument  de  Rufïi  :  a  Lorsque  le  monastère  de 
Saint- Victor  a  été  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait  tout 
proche  un  autre  monastère  »  ne  vaut  rien.  Les  Vandales  n'ont 
pas  détruit  Saint-Victor.  Donc,  on  ne  peut  pas  en  déduire 
que  de  410  à  530  le  monastère  cassianite  des  vierges  se  trou- 
vait tout  proche  de  l'abbaye  de  Saint- Victor. 

Prenons  l'autre  hypothèse,  faisons  se  rapporter  k  «  aliud 
sibi  olim  vicinum  »  les  termes  «  in  diebus  illis  per  profanos 
Vandalos  funditus  demolitum  »  ;  c'est-à-dire  :  Lorsque  les 
Vandales  détruisirent  le  monastère  des  vierges  cassianites, 
celui-ci  était  tout  proche  de  Saint-.Victor. 

Les  Vandales  ont-ils  détruit  cette  abbaye  cassianite  et  à 
quelle  époque  ?  Ils  ne  l'ont  jamais  renversée.  Les  raisons  que 
nous  avons  données  pour  prouver  qu'ils  n'ont  pas  démoli 
Saint-Victor,  prouvent  aussi  qu'ils  ne  se  sont  pas  attaqués  à 
l'abbaye  cassianite  des  filles.  Donc  encore,  les  termes  de  ces 
chartes  avec  cette  nouvelle  signification  ne  concluent  pas 
contre  nous. 

En  réalité,  nous  attribuons  à  ces  chartes  un  sens  qu'elles 
n'ont  pas  ;  on  les  interprète  mal.  On  traduit  les  mots  a  per 
profanos  Vandalos  »  par  Vandales  proprement  dits,  qui  ra- 
vagèrent l'Afrique  de  429  à  535,  alors  qu'il  faut  les  traduire 
différemment.  Il  ne  s'agit  pas  ici  des  Vandales. 

La  véritable  signification  de  ces  termes  n'est  pas  autre  que 
celle  qui  est  fournie  par  l'ensemble  des  chartes.  Quand 
celles-ci  parlent  des  Vandales,  ce  mot  est  un  terme  générique 
dont  elles  se  servent.  Le  souvenir  de  la  terreur  que  ces  bar- 
bares ont  laissée  dans  le  monde  a  toujours  demeuré.   Nous- 

(1)  «  L'abbaye  de  Saint-Victor,  située  hors  de  la  ville,  était  exposée  à 
toutes  les  péripéties  de  ces  longues  guerres  (412-536)  ;  il  ne  parait  pas 
rependant  quo  les  moines  aient  du  jamais  l'abandonner...  »  Page  7. 


—  167  - 

mômes,  lorsque  nous  voulons  désigner  un  pillard,  un  féroce 
destructeur,  nous  disons  de  ce  scélérat  qu'il  est  un  «  vandale  ». 
Lorsque,  au  IX*  et  au  X*  siècle,  les  Sarrasins  apparurent, 
semant  partout  la  dévastation  et  la  mort,  on  les  appela  d'un 
nom  qui  rappelait  d'anciennes  désolations:  les  Vandales (1); 
et  comme  les  Sarrasins  venaient  d'Afrique,  précisément  par 
le  môme  chemin  que  les  Vandales  avaient  pris  pour  y  aller, 
ce  nom  leur  était  justement  donné  par  les  chroniqueurs  du 
temps.  Aussi,  on  rencontre  ce  mot  de  Vandales  à  côté  des  mots 
«  gens  pagana,  gens  barbarica,  gladium  Sarracenorum  (2)  ». 
Mais, dans  ces  documents,  ces  termes  désignent  les  Sarrasins. 
Il  en  est  de  même  des  chartes  de  1431  et  1446.  Lorsqu'elles 
nous  disent  que  le  monastère  fut  détruit  par  les  Vandales, 
elles  veulent  désigner  les  Sarrasins.  Le  sens  de  ces  deux 
chartes  serait  la  phrase  de  Rufû  ainsi  modifiée  :  «  Lorsque 
Saint-Victor  fut  détroit  de  fond  en  comble  par  les  Sarrasins, 
il  y  avait  tout  proche  un  autre  monastère  »  ;  ou  bien  cette 
phrase  :  a  Cassien  fonda  deux  monastères,  celui  de  Saint- 
Victor,  et  un  autre  qui  en  était  voisin  et  qui  fut  détruit  par 
les  (Vandales)  les  Sarrasins.  »  Il  y  a  là  deux  sens  bien  diffé- 
rents pouvant  donner  des  conclusions  bien  différentes.  Mais, 
quel  que  soit  celui  que  Ton  veuille  choisir,  aucun  des  deux 
ne  conclut  contre  nous. 

Etudions  d'abord  la  phrase  telle  que  la  donne  Rufû  :  «  Lors- 
que  Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Sarrasins,  il  y  avait  tout 

(I)  «  Tarn  altè  Vandalorum  crebrae,  lateque  diffus»  piraticse  incur- 
siones  cunctorum  animis  infixse  erant,  ut  quae  longe  posthac  Sarrace- 
norum incursio  coofecerat,  ad  hanc  simili  ter  epoçham  traducta  fuerit.  » 
(De  initiis  Ecclesiœ  Forojuliensis  dissertatio ,  par  J.  Anthelme, 
p.  120.) 

*  11  parait  qu'au  Moyen  âge  on  désignait  sous  le  nom  de  Vandales  tous 
les  envahisseurs,  quoiqu'ils  n'appartinssent  pas  a  ce  peuple.  Les  Sarra- 
sins venaient  de  l'Afrique,  d'où  les  Vandales  avaient  lait  jadis  des  des- 
centes dans  le  midi  des  Gaules,  ce  qui  a  pu  faire  confondre  les  deux 
nations,  t  (Histoire  du  monastère  de  Lérins,  par  Alliez,  t.  I,  p.  401.) 
—  t  On  donnait  alors  le  fiom  de  Vandales  aux  Sarrasins.  »  (De  Belsunce, 
Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p. 388.) 

(?)  Notamment  dans  les  chartes  155,  100,  269,  77,  101,  15,  1,  où  »1  est 
certainement  question  des  Sarrasins,  quel  que  soit  le  nom  dont  ils  sont 
appelés  :  Pa^am,  Mauri,  Vandali.  Cartulaire  de  Saint-Victor. 


—  108  — 

proche  un  autre  monastère. »  A  quelle  époque  le  monastère  des 
vierges  cassianiles  était-il  proche  de  Saint-Victor?  Ces  barbares 
sont  venus  à  Marseille  vers  la  première  moitié  du  VIII'  siècle. 
Ont-ils  renversé  Saint- Victor  à  ce  moment?  Non. 

La  charte  14  de  Tan  1040  dit,  en  effet,  que  «  de  vaginâ 
Vandalorum  callidus  exactor  educitur  »,  et  que  c'est  ce  tyran, 
cet  exploiteur  préposé  par  les  Vandales  (les  Sarrasins)  qui  fit 
un  désert  du  monastère  (1).  Deux  lignes  plus  bas  la  charte 
ajoute  que  le  monastère  demeura  dans  cet  état  d'abandon 
jusqu'à  ce  que  l'abbé  Wifired  a  hic  has  aedes  condens  dila- 
tavit  ».  Or,  Wiffred  était  abbé  de  Saint- Victor  en  1005  (2).  Si 
les  Sarrasins  ont  détruit  Saint-Victor  vers  738,  cette  abbaye  a 
été  déserte  durant  deux  cent  cinquante  ans,  de  738  h  Tan  1005 
environ.  Et  cependant  il  y  a  des  centaines  de  chartes  qui 
supposent  que  Saint-Viclor  existait  aux  VHP,  IXm  et  X*  siècles. 
Et  encore,  la  charte  15  dit  que  ce  monastère  (de  Saint- 
Victor)  ne  fut  renversé  que  <c  post  multa  curricula  annorum  », 
après  la  mort  de  Charlemagne  (3).  Or,  ce  prince  est  mort 
en  814.  Donc,  les  Sarrasins  n'ont  pas  détruit  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  au  VII?  siècle,  en  737  ou  738  par  exemple. 

C'est  aussi  l'opinion  de  M.  de  Rey.  Dans  les  Invasions 
des  Sarrasins  en  Provence,  il  écrit  :  «  Quelques  souffrances 
qu'ait  endurées  le  monastère  de  Saint- Victor,  depuis  Charles- 
Martel,  cependant  il  existait  epcore  an  commencement  du 
X*  siècle,  et  non  seulement  ses  murs  étaient  encore  debout, 
mais  les  religieux  l'occupaient  toujours.  »  Dans  Les  Saints 


(1)  «  Cumque  diutius  in  tantiamoris  matrimonio  perdurasset  (monas- 
terium)  omissà  proie  tant»  nobilitatis,  de  vagina  Vandalorum  callidus 
exactor  educitur  ..  Quod  necare  antiqui  serpe  utis  framea  corruptovelle 
disponit,  hoc  extincto  sobolumque  flore  omisso,  viduitatis  lacryma, 
flexibilis  et  infelix,  nimioque  senio  consumptum  permansit.  Post  nempe 
annorum  curricula,  temporibus  sanctœ  Romanse  sedis  antistitis 
Johannis,  claruit  sacris  virtutibus  Wifredus  abbas,  locihujus  rector... 
Hicergo  has  aedes  condens  mi  ris  doctrinis  dilatavit,  vellenec  ne  posse 
vicecomitum  seu  egregii  praesulis  Massiliensis...  »  Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  charte  14. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  vie  de  saint  Wifred,  12déc, 
p.  306. 

(3)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  15. 


—  169  — 

de  l'Eglise  de  Marseille,  le  même  auteur  écrit,  à  la  fête  de 
la  translation  des  reliques  de  saint  Victor  :  o  Môme  pendant 
le  cours  de  ces  guerres  sans  pitié,  qui  firent  tant  de  martyrs 
en  Provence,  les  moines  de  Saint- Victor  restèrent  dans  leur 
abbaye  et  veillèrent  sur  les  reliques  confiées  à  leur  soin  (1).  » 

Donc,  si  nous  acceptons  la  signification  que  Ruffi  donne  à 
cette  phrase  des  chartes  de  1431  et  1446,  que  «  lorsque  Saint- 
Victor  fut  détruit  par  (les  Vandales)  les  Sarrasins,  il  y  avait 
tout  proche  un  autre  monastère  »,  son  argumentation  ne  vaut 
rien  contre  nous.  Les  Sarrasins  n  ont  pas  détruit  Saint-Victor 
au  VIII"  siècle;  donc,  à  cette  époque,  il  n'y  avait  pas  de  mo- 
nastère de  filles  proche  celui  de  Saint- Victor. 

Mais,  si  les  Sarrasins  n'ont  pas  détruit  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  au  VHP,  siècle,  sûrement  ils  l'ont  renversée  au  X\  Nous 
lisions  tantôt  la  charte  14  de  Tan  1040,  la  charte  15  de  Tan 
1005  qui  l'affirmaient  en  termes  exprès.  Et  les  auteurs  pla- 
cent cette  destruction  de  l'abbaye  en  923  ou  924.  C'est  à 
cette  époque  donc  qu'il  y  avait  tout  proche  de  Saint-Victor 
un  autre  monastère.  Mais,  nous  l'avons  dit  mille  et  mille 
fois,  pour  nous  l'abbaye  des  religieuses  s'est  trouvée  non 
loin  de  Saint- Victor  dès  837  peut-être  et  presque  sûrement 
en  923.  L'argumentation  de  Ruffi  ne  vaut  rien  contre  nous: 
«  Lorsque  Saint-Victor  fut  détruit  par  (les  Vandales)  les  Sar- 
rasins, il  y  avait  tout  proche  un  autre  monastère.»  Cette  des- 
truction de  Saint- Victor  a  eu  lieu  en  923  ou  924.  A  cette  épo- 
que, le  monastère  des  filles  était  tout  proche.  C'est  ce  que 
nous  avons  dit.  M.  de  Ruffi  en  est  pour  ses  frais. 

Etudions  l'autre  signification  que  nous  avons  donnée  aux 
termes  de  ces  chartes,  en  faisant  se  rapporter  à  a  aliud  olim 
sibi  vicinum  »  les  mots  a  in  diebus  illis  per  prof  anos  Vandales 
funditus  demolitum  »  ,  c'est-à-dire  :  «  Le  monastère  des  filles 
cassianites  était  proche  de  Saint- Victor,  lorsqu'il  fut  détruit 
par  les  Sarrasins.  »  Il  nous  paraît  extraordinaire  que  Rufii, 
sans  cesse  à  l'affût  de  nouvelles  preuves  pour  appuyer  son 
système  (que  le  cœnobium  des  filles  était  tout  proche  de 


(1)  M.  d«  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provencei  p.  124.  —  Les 
Saint*  rie  l'Eflh'te  de  Marseille,  p.  7 


—  170  — 

Saint-Victor,  au  lieu  d'avoir  été  sur  les  bords  de  l'Huveaune) , 
n'ait  pas  découvert  la  sérieuse  objection  que  contient  cette 
signification  donnée  aux  termes  des  chartes  du  XV*  siècle.  Car 
les  Sarrasins  ont  sûrement  détruit  ce  monastère  en  923, 
par  conséquent  à  cette  date  il  se  trouvait  auprès  de  Saint- 
Victor.  A  cela  nulle  difficulté.  Mais  sûrement  aussi  ils 
ont  détruit  le  monastère  dans  lequel  Eusébie  était  abbesse 
et  où  elle  fut  martyrisée.  Or,  ce  martyre  nous  le  plaçons 
dans  notre  thèse  en  738.  Donc,  en  738,  l'abbaye  cassianite 
des  filles  était  tout  proche  de  Saint-Victor,  au  lieu  d'être 
aux  bords  de  l'Huveaune.  Notre  système  serait  à  terre,  et  Ruf- 
fi  aurait  une  preuve  bien  vraisemblable  à  alléguer  contre  nous. 
Ruffi  n'a  rien  découvert  cependant.  Comme  nous  ne  voulons 
pas  diminuer  la  vérité,  nous  nous  devons  de  présenter  cette 
objection  et  d'essayer  de  la  résoudre. 

Voici  cette  lecture  :  Cassien  fonda  le  présent  monastère  de 
Saint-Victor  et  un  autre,  jadis  tout  proche,  qui  fut  détruit 
complètement  par  les  Sarrasins.  Nous  disons  que,  môme  avec 
ce  sens  et  cette  signification,  ce  passage  des  chartes  ne  prouve 
rien  contre  notre  thèse. 

Rappelons-nous  que  le  cœnobium  des  vierges,  à  trois 
reprises,  au  moins,  a  été  saccagé  et  ruiné.  En  738,  d'abord, 
époque  à  laquelle  nous  plaçons  le  martyre  de  notre  sainte  Eu- 
sébie. Quel  que  soit  l'auteur  qui  parle  de  cet  événement,  il 
atteste  que  le  cœnobium  fut  incendié  et  détruit.  Une  seconde 
fois  il  fut  pillé  et  renversé,  en  838.  Le  texte  des  Annales  de 
Saint-Bertin,  qui  raconte  cet  événement,  dit  que  les  Sarrasins 
se  précipitent  sur  Marseille,  la  dévastent,  pillent  les  églises, 
portent  sur  leurs  vaisseaux  les  richesses  qu'ils  ont  prises, 
amènent  comme  esclaves  clercs  et  laïques,  et  enlèvent  toutes 
les  religieuses  de  cette  ville  (1).  On  conviendra  avec  nous  que- 
ces  détails  font  bien  supposer  une  ruine  complète  et  des  égli- 

(1)  «  Intérim  Sarracenoru m  pi ratiese  classes  Masslliam  Provincise  ir- 
ruentes,  abductis  sanctimonialibus,  quanim  illic  non  modiea  congregatio 
degebat,  omnibus  et  cunctis  masculini  sexûs  clericis  et  laicis,  vastatàque 
urbe,  thesauros  quoque  ecclesiarum  Gbristi  secum  universaliter  asporta- 
runt.»  Annales  de  Saint-Bertin,  898  (De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins , 
p.  222). 


-  171  — 

ses  et  des  monastères.  Les  mœurs  connues  des  Sarrasins  nous 
autorisent  à  le  croire.  Autre  dévastation  du  cœnobium  en  923 
ou  925.  Celle-ci  fut  si  complète,  si  entière,  que  le  monastère, 
qui  s'était  relevé  des  désastres  du  VIII6  et  du  IXe  siècle,  suc- 
combe cette  fois.  Ce  n'est  que  quatre-vingts  ans  après,  vers 
1004,  qu'on  le  réédifie.  Mais  alors  ce  n'est  plus  auprès  de 
Saint-Victor  qu'il  s'élève,  c'est  dans  l'enceinte  de  la  ville.  Ce 
ne  sont  plus  lesCassianiles  qui  y  vivent,  ce  sont  les  Bénédic- 
tines, puisque  les  religieuses  de  Saint-Sauveur  ne  suivent  plus 
la  règle  de  saint  Cassien,  mais  ce] le  de  saint  Benoit.  Le  voca- 
ble même  est  changé.  Ce  n'est  plus  celui  de  Sain t-Cyr  qu'il 
porte,  mais  celui  de  Saint-Sauveur. 

Or,  à  laquelle  de  ces  destructions  est-il  fait  allusion  dans  les 
chartes  de  1431  et  1446?  Le  texte  ledit  clairement.  On  y  lit: 
«  funditus  demolitum  »,  ruiné  défend  en  comble.  Or,  la  ruine 
complète  du  cœnobium  est  celle  de  923.  A  cette  date,  il  sombre 
dans  la  tourmente.  C'est  la  fin.  C'est  donc  à  cette  destruction 
du  monastère  en  923  qu'il  est  fait  allusion  dans  les  chartes  du 
XV*  siècle.  Alors  il  était  auprès  de  Saint-Victor,  attestent  ces 
chartes.  Mais,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  à  cette  époque  nous 
acceptons,  nous  croyons  qu'en  effet  le  cœnobium  cassianite 
se  trouvait  voisin  de  Saint -Victor.  Donc,  la  lecture  de  ces 
chartes  n'est  pas  contre  nous. 

Le  contexte  des  chartes  du  XV#  siècle  ne  l'exprimerait  pas, 
que  l'on  serait  autorisé  à  supposer  que  le  moine  rédacteur  de 
ces  documents  a  entendu  parler  de  la  ruine  survenue  au  cœ- 
nobium cassianite,  en  923.  Dans  ces  chartes,  en  effet,  l'abbé 
de  Saint- Victor  raconte  les  gloires  de  son  monastère  fondé 
par  Cassien,  et  il  ajoute,  en  passant,  que  cet  illustre  religieux 
a  fondé  un  autre  cœnobium  voisin  de  Saint-Victor  et  plus  tard 
détruit  par  les  Sarrasins.  Par  trois  fois,  nous  le  savons,  ce 
cœnobium  fut  détruit.  Or,  de  laquelle  de  ces  trois  ruines  du 
monastère  le  moine  rédacteur  a-t-il  voulu  parler  ? 

Supposerons-nous  qu'il  a  voulu  rappeler  à  la  mémoire  de 
ses  lecteurs  que  jadis,  au  VIII*  siècle,  en  738,  par  exemple, 
puisque  c'est  la  date  que  nous  préconisons,  ce  cœnobium  fut 
renversé  ?  Il  oubliera  de  dire  qu'A  la  suite  de  cette  dévastation 
ce  cœnobium  en  a  subi  d'autres  ?  Mais  à  quel  litre  cette  des- 


—  172  — 

traction  de  738  doit-elle,  dans  l'idée  du  moine  historien,  atti- 
rer notre  attention  ?  Serait-ce  à  cause  du  martyre  de  sainte 
Eusébie  ?  Il  est  parlé  précisément  de  cette  sainte,  deux  lignes 
plus  haut,  pour  dire  qu'elle  repose  dans  le  monastère  de  Saint- 
Victor  avec  ses  quarante  compagnes.  Pourquoi  ne  pas  insinuer, 
alors,  que  c'est  bien  à  cette  époque  qu'elle  a  subi  le 
martyre  ? 

Supposera-t-on  qu'il  a  voulu  attirer  notre  attention  sur  le3 
désastres  du  IXe  siècle,  en  838,  l'enlèvement  des  religieuses, 
circonstance  plus  pénible  et  plus  douloureuse  que  le  martyre 
de  sainte  Eusébie  ?  L'écrivain  laissera  dans  l'oubli,  alors,  et  la 
ruine  de  738,  et  la  destruction  de  923  !  Rien  n'autorise  à  croire 
que  telle  a  été  l'intention  de  l'auteur.  Pas  un  mot  de  ces  docu- 
ments ne  l'indique.  D'ailleurs,  les  règles  du  langage  et  de  la 
logique  ne  permettent  pas  de  procéder  ainsi.  Quand  on  ra- 
conte les  événements  heureux  ou  malheureux  qu'une  per- 
sonne, une  institution  ont  subis,  ou  bien  on  détaille  chacun 
de  ces  événements  que  Ton  cherche  à  rappeler,  ou,  si  Ton  se 
sert  d'un  terme  général,  c'est  sur  le  fait  principal,  vers  l'évé- 
nement saillant  que  Ton  attire  l'attention.  Or,quel  est  ici,  dans 
le  sujet  qui  nous  occupe,  le  point  important?  c'est  la  ruine 
complète,  la  tin  du  cœnobium.  Or,  cette  ruine,  s'est  effectuée 
en  923.  C'est  donc  à  elle  que  l'auteur  de  ces  chartes  fait  allu- 
sion. Or,  en  923,  l'abbaye  cassianite,  nous  l'avons  dit,  se  trou- 
vait auprès  de  Saint-Victor.  Donc  encore,  la  lecture,  telle  que 
nous  l'acceptons  de  ce  passage  des  chartes,  ne  conclut  pas 
contre  nous.  C'est  toujours  de  la  ruine  de  l'abbaye  cassianite, 
en  923,  qu'il  s  agit. 

Disons  plutôt  que  cette  nouvelle  signification  donnée  par 
hypothèse  aux  termes  des  chartes  n'est  pas  acceptable. Ce  n'est 
pas  à  «  aliud  sibi  olim  vicinum  »  que  se  rapportent  le  «  in 
diebus illis  per  profanos  Vandalos  fundilus  demolitum  »,  mais 
à  «  hoc  praesens  monasterium  (Sancti  Victoris)  »  ;  c'est-à-dire 
c'est  le  monastère  de  Saint-Victor  dont  il  est  dit  dans  ces 
chartes  qu'il  a  été  détruit  par  (les  Vandales)  les  Sarrasins  et 
non  pas  celui  des  Filles  de  saint  Cassien. 

D'abord,  c'est  l'opinonde  Kufli,  nous  l'avons  dit,  et  de  Lau- 
tard  son    copiste  fidèle.    Rappelons-nous  qu'interpréter  ces 


—  173  — 

chartes  de  1431  et  1446  comme  nous  l'avons  fait,  était  apporter 
la  meilleure  des  preuves  en  faveur  de  leur  système,  contraire 
à  celui  que  nous  préconisons.  Or,  Ruffi  s'en  est  tenu  au  pre- 
mier sens  ;  donc,  ces  chartes,  à  la  première  lecture,  offraient 
ce  sens  tout  naturel  et  tout  obvie. 

Ensuite,  plusieurs  des  auteurs  qui  se  sont  occupés  du  sujet 
que  nous  traitons  n'ont  fait  sur  ces  passages  des  chartes  au- 
cune réflexion  qui  puisse  embarrasser  notre  marche.  Et  ils 
connaissaient  ces  chartes.  La  Gallia,  André,  dans  V Histoire 
de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur  les  ont  citées. 
M.  de  Key  devait  les  connaître  aussi,  car,  d'une  part  il  cite 
souvent  l'ouvrage  de  M.  André,  d'autre  part  il  semble  faire 
allusion  à  ces  chartes  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en 
Provence ,p.  138  :  «  Les  abbayes  de  Saint-Victor  et  de  Saint- 
Sauveur,  ainsi  rapprochées  l'une  de  l'autre,  durent  avoir 
même  fortune  pendant  les  guerres  des  Sarrasins,  et  tout  ce 
que  la  première  eut  à  souffrir  au  milieu  de  ces  longs  boule- 
versements, l'autre  le  souffrit  aussi  ».  Et  à  la  page  138  :  «  Le 
monastère  cassianite  ne  périt  qu'au  temps  des  Sarrasins  du 
Fraxinet,  sous  les  coups  des  mêmes  invasions  qui  emportèrent 
l'abbaye de  Saint-Victor,  c'est-à-dire,  dans  la  première  moitié 
du  X*  siècle  après  Tannée  924.  »  Dans  les  Saints  de  V Eglise 
de  Marseille,  on  lit  aussi  :  e  C'est  alors  (923)  que  périt  le 
monastère  de  Saint-Victor,  et  alors  aussi,  croyons-nous,  que 
celui  de  Saint-Cyr,  surpris  par  une  attaque  imprévue,  suc- 
comba si  glorieusement.  » 

Ces  auteurs,  on  le  voit,  traduisent,  peut-être  même  sans 
y  penser,  le  passage  de  nos  chartes  :  Cassien  fonda  le  monas- 
tère de  Saint- Victor  détruit  par  les  Sarrasins,  et  un  autre 
monastère  qui  était  tout  proche.  Or,  ces  auteurs  ne  paraissent 
pas  se  douter  que  ce  passage  des  chartes  peut  recevoir  une 
autre  interprétation,  celle  que  nous  discutons;  ou,  s'ils  y  ont 
pris  garde,  ils  ont  jugé  cette  interprétation  peu  conforme  avec 
le  sens  général  de  ces  documents  et  ils  ne  s'y  sont  pas  arrêtés. 
C'était  cependant  une  très  forte  preuve  encore  à  l'appui  de 
leur  opinion,  puisque  tous  deux,  MM.  André  et  de  Rey,  placent 
le  monastère  cassianiste  des  filles  auprès  de  Saint -Victor. 
Xou9  aurions  donc  mauvaise  grâce  à  adopter,  nous,  une  in-* 

12 


—  174  - 

terprétation  différente,  d'autant  plus  qu'elle  serait  très  défa- 
vorable à  notre  système,  si  elle  était  demeurée  sans  réponse  et 
sans  explication. 

Ajoutons  que  vouloir  suivre  la  lecture  de  ces  passages  des 
chartes  telle  que  nous  l'avons  proposée  en  objection,  en  fai- 
sant se  rapporter  à  «  olim  sibi  vicinum  »  le  a  in  diebus  il  lis  a 
Vandalis  funditus  démoli tum  »,  c'est  s'exposer  à  un  grave 
inconvénient.  S'il  n'y  avait  pas  à  Marseille  nne  tradition  qui 
place  le  cœnobium  cassianite  sur  les  bords  de  l'Huveaune  ; 
s'il  n'existait  pas  quantité  de  documents  attestant  que  ce 
monastère  a  changé  souvent  et  de  nom  et  d'emplacement  ;  si, 
de  plus,  l'on  pouvait,  à  l'aide  de  cette  lecture,  concilier  les 
auteurs,  on  pourrait  à  la  rigueur  accepter  ces  chartes  comme 
preuve  qu'à  l'époque  où  il  fut  détruit  par  les  Sarrasins,  en 
738,  le  cœnobium  était  auprès  de  Saint- Victor.  Mais  il  y  a  une 
tradition,  quelque  peu  appuyée,  qu'un  monastère  s'élevait 
jadis  à  l'Uuveaune.  Des  documents  prouvent  qu'à  plusieurs 
reprises  ce  monastère  a  changé  son  vocable  et  de  lieu  d'em- 
placement. Cette  lecture  ne  concilierait  pas  le  témoignage 
des  auteurs.  Or,  niera-t-on  la  tradition?  récusera-t-on  les  docu- 
ments? réfutera-t-on  les  raisons  apportées  par  les  auteurs? 
Gela  ne  serait  pas  possible.  Donc,  laissons  de  côté  la  lecture 
proposée  et  objectée,  et  acceptons  celle  de  Ruffi. 

Encore,  pourquoi  appliquer  le  a  per  prof anos  Vandalos  fundi- 
tus demolitum  »  à  1'  a  olim  sibi  vicinum  »  et  non  pas  à  1'  «  hoc 
prsesens  monasterium  Sancli  Victoris  »?  Ces  mots  «  per  profanos 
Vandalos  »  ne  sont  pas  autre  chose  que  la  répétition  de  ce  que 
les  chartes  disent  si  souvent  de  ce  monastère.  Dans  la  charte 
15,  en  1005,  en  effet,  on  lit  que  ce  monastère  de  Saint-Victor 
<  fuit  adnullatum  ac  fere  ad  nihilum  est  redactum  ».  Dans  la 
charte  14,  en  1040,  après  avoir  parlé  de  la  gloire  de  cet  anti- 
que cœnobium,  on  dit  qu'à  une  époque,  «  de  vaginâ  Vanda- 
lorum  callidus  exactor  educitur,  quod  necare  antiqui  serpen- 
tis  framea  corrupto  velle  disponit. ..  »  Puis:  «  hoc  monas- 
terio  extincto. . .  nimioque  senio  consumptum  permansit.  » 
Dans  la  charte  691  de  Tan  1045,  on  lit  encore:  «  olim  illorum 
(monachorum)  raonasteria  a  paganis  destructo  »  ;  dans  celle 
de  1055  (charte  565)  il  est  écrit  :  <  monasterium  a  paganis 


-  175  — 

destructum.. .  in  solitudinem  redactum...  »  Comparez  ces 
diverses  phrases  avec  celle  des  chartes  de  1431  et  1446.  Les 
termes  sont  différents,  mais  l'idée  est  la  même.  Il  s'agit  de  la 
destruction,  de  la  ruine  du  monastère  de  Saint* Victor.  Pour- 
quoi donc  appliquer  à  un  autre  monastère,  dont  on  ne  parle 
presque  jamais  dans  les  chartes,  ce  que  Ton  dit  si  souvent  de 
Saint- Victor  ?  C'est  donc  de  Saint-Victor  qu'il  s'agit  dans  ces 
titres  du  XV  siècle. 

Une  autre  considération  va  démontrer  plus  amplement  que 
c'est  uniquement  de  Saint- Victor  qu'il  s'agit.  De  pieux  fidèles 
ont  exposé  à  l'abbé  du  monastère  que  s'il  accordait,  à  ceux 
qui  font  partie  de  la  confrérie  de  Notre-Dame  de  Confession, 
d'être  inhumés  dans  le  cimetière  de  ce  monastère  et  de  parti- 
ciper aux  prières,  aux  mérites   des  saints  religieux   qui  y 
vivent,  l'honneur  et  la  vénération  qui  en  reviendraient  à  la 
Sainte  Vierge  en  seraient  augmentés.  L'abbé  de  Saint- Victor, 
alors  Pierre  Dulac,  acquiesça  à  cette  requête,  et  à  ce  sujet  il 
célèbre  dans  une  page  très  animée  les  gloires  de  son  abbaye  : 
«  C'est  là,  dit-il,  que  reposent  les  restes  des  martyrs  :  Victor 
et  ses  compagnons,  Adrien  et  ses  compagnons,  Maurice,  Inno- 
cent et  ses  compagnons,  Chrisante  et  Darie,  Eusébie  et  ses 
quarante  compagnes  vierges  et  martyres.  Cassien  fonda  ce 
monastère,  ainsi  qu'un  autre  qui  était  tout  proche,  détruit 
plus  tard  par  les  Vandales.  Dans  ce  monastère  il  se  vit  entouré 
de  cinq  mille  moines...  Là  il  vécut  jusqu'à  l'âge  de  quatre- 
vingt-dix-sept  ans,  et  ce  fut  de  ce  lieu  béni  que  les  anges  le 
portèrent  aux  cieux,  où  il  retrouva  cette  multitude  de  saints 
et  de  saintes  qu'il  y  avait  envoyés  par  ses  exemples  et  ses 
enseignements.  Là  vécurent  encore  saint  Mauront,  Hilarianus, 
Ysarne,  Hugues,  Bernard,  Wiffred  et  quantités  d'abbés  ou  de 
confesseurs  de  Jésus-Ghrist,et  cette  foule  innombrable  de  mar- 
tyrs, d'évêques,  de  confesseurs,  de  vierges,  dont  les  corps 
reposent  aux  alentours  de  ce  monastère  ou  dans  son  église...  » 
C'est  donc  de  l'antique  abbaye  de  Saint -Victor  que  l'on 
parle;  c'est  cette  abbaye  dont  on  rappelle  les  riches  trésors  de 
grâces,  de  vertus,  de  sainteté,  qu'elle  possédait  dans  ses  murs  ; 
pourquoi  donc  mêler  à  cette  histoire  celle  du  cœnobium  cassia- 
nite,  et  dire  qu'il  a  été  détruit  par  tels  ou  tels  barbares! 


—  176  — 

Qu'on  fasse  mention  de  son  existence,  cela  se  comprend,  puis- 
qu'on ajoute  à  la  gloire  de  saint  Cassien,  qui  le  fonda.  Mais 
que  Ton  parle  de  sa  ruine,  à  quoi  cela  servira-t-il  ?  L'on  dira 
au  contraire  que  ce  monastère  de  Saint- Victor  a  été  détruit, 
c'est  un  nouveau  titre  de  gloire  que  l'on  énumère.  L'on  fait 
bien  d'en  parler,  l'histoire  de  l'abbaye  est  ainsi  complète. 
C'est  donc  bien  de  Saint-Victor  que  l'on  dit  qu'il  a  été  «  per 
profanos  Vandalos  funditus  demolitum  ».  Donc,  les  chartes 
de  1431  et  1446  ne  concluent  par  contre  nous. 


(1)  Voir  cette  charte  citée  in  extenso  duus  les  Cryptes  de  l'abbaye  de 
Saint- Victor,   par  Kothen,  p.  99. 


< 

j 


CHAPITRE  V 


Plusieurs  objections  de  Ruffi 


LE  CŒNOBIUM  DES  VIERGES  N'ÉTAIT  PAS  AUX  BORDS  DE  L'HUVEAUNE.— 
LES  MASURES  QU'ON  Y  VOIT  SONT  LES  RESTES  D*UN  COUVENT  DE 
PBBM0NTRÉ3.  —  C'EUT  ÉTÉ  TROP  LOIN  DE  MARSEILLE,  PÉRIL  DES 
PIRATES.—  CASSIEN  AVAIT  DES  SITES  PLU3  RAPPROCHÉS.  —  RUINES 
DÉCOUVERTES  A  LA  CHAPELLE  DE  SAINTE-CATHERINE. 


Le  monastère  où  sainte  Eusébie  a  vécu  n'était  pas  sur  les 
bords  de  l'Huveaune,  parce  que  Cassien  n'a  pu  avoir  la  pensée 
de  rétablir  en  cet  endroit.  Et  Ruffi  (1),  qui  soutient  cette  thèse, 
énumère  une  série  de  raisons  que  nous  rangeons  sous  cette 
même  rubrique  :  Impossibilité  pour  le  monastère  de  Sain  te - 
Easébie  de  se  trouver  à  l'Huveaune.  «  Il  ne  pouvait  être  ni  sur 
le  bord  de  la  mer,  ni  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  comme 
quelques-uns  l'imaginent,  à  cause  qu'on  y  voit  paraître  des 
masures  d'une  église'  qui  appartenait  aux  religieuses  de  Saint- 
Sauveur,  et  qui  fut  un  couvent  de  l'ordre  des  Prémontrés  qui 
ne  fut  bâti  que  l'an  1204.  » 

Après  avoir  lu  notre  travail,  on  avouera,  nous  l'espérons, 
que  si  nous  plaçons  le  monastère  de  sainte  Eusébie  sur  les 
bords  de  PHuveaune,  ce  n'est  pas  uniquement  parce  que 
l'histoire  nous  dit  qu'il  y  avait  là  des  masures  ayant  appar- 
tenu aux  religieuses  de  Saint-Sauveur.  C'est  à  cause  d'un 
ensemble  de  faits,  de  dates,  de  circonstances  qu'il  est  difficile 
de  ne  pas  accepter  comme  preuve  de  notre  assertion.  Ceux, 
d'ailleurs,  qui  du  temps  de  Ruffi  ou  avant  lui,  soutenaient  la 
môme  thèse  que  nous  à  Gette  heure,  ne  s'appuyaient  pas  uni- 
quement sur  ces  masures  des  bords  de  l'Huveaune,  mais  sur 
d'autres  arguments,  et  surtout  sur  la  tradition  dont  Ruffi 
semble  vouloir  ne  pas  entendre  parler  (2). 

(1)  Rufli,  Histoire  de  Marseille*  t.  II,  p.  56. 

(?)  Ainsi  Mabillon,  du  Saussay,  Chifflet,  Lecoiote,  Arthur  de  Mones- 
tier.  etc. 


—  178  — 

«  Il  n'y  a  pas  d'apparence  que  Cassien  ait  bâti  un  monastère 
de  filles  si  loin  de  la  ville,  et  sur  les  bords  de  la  mer,  pour 
ne  pas  les  exposer  aux  incursions  des  pirates  gui  faisaient 
alors  de  fréquentes  courses  en  ces  mers  (1).  »  Soit;  admet- 
tons que  c'était  bien  imprudent,  de  la  part  de  Cassien, 
de  placer  un  monastère  de  filles  loin  de  la  ville,  et  sur  les 
bords  de  la  mer.  Mais  où  donc  l'a-t-il  établi,  suivant  Ruffi? 
Sans  doute  au  sein  de  la  ville,  à  l'abri  des  murailles  ou, 
du  moins,  comme  le  bruit  et  le  tumulte  d'une  ville  ne  sont 
guère  favorables  au  recueillement  d'un  monastère,  ce  sera  en 
dehors  de  la  ville,  mais  toujours  aux  portes  de  la  cité.  En  cas 
d'alerte,  aux  premiers  avis  d'une  invasion,  les  religieuses 
trouveront  un  refuge  assuré  au  milieu  de  la  ville.  C'était  de  la 
plus  vulgaire  prudence,  car  de  410  à  420,  époque  où  les  deux 
monastères  ont  élé  fondés,  il  y  a  bien  des  troubles,  des  bou- 
leversements, des  agitations  au  sein  des  peuples.  Rappelons  la 
phrase  de  saint  Prosper  :  «  La  ruine  de  la  Gaule  eût  été  moins 
complète,  si  l'Océan  avait  déversé  tous  ses  flots  sur  les  champs 
gaulois  (2).  »  II  y  a  quelques  années  à  peine,  les  Vandales  ont 
ravagé  et  saccagé  la  haute  Provence.  Arles  heureurement  les 
a  arrêtés.  Les  Visigolhs  ont  laissé  de  côté  la  Provence,  mais  les 
Burgundes  s'avancent  lentement  vers  elle.  Cassien  ne  peut 
donc  prendre  trop  de  précautions  pour  le  choix  de  l'emplace- 
ment destiné  à  ses  deux  monastères. 

Or,  qu'arrive-t-il  ?  Cassien  avise  de  l'autre  côté  de  la  ville 
un  endroit  solitaire,  au  pied  d'une  montagne,  couverte  peut- 
être  encore  de  bois  épais,  séparée  de  la  ville  par  un  bras  de 
mer  plus  large  que  ne  l'est  le  port  de  nos  jours,  inaccessible 
presque,  puisqu'il  est  entouré  d'une  ceinture  de  salines  et  de 
marais.  C'est  là  qu'il  établit  l'abbaye  de  Saint-Victor  et  qu'il 
fonde  aussi  le  monastère  de  filles.  Quelle  admirable  prudence, 
n'est-ce  pas,  si  Ion  ne  considère  que  le  choix  du  site!  Comme 
il  sera  facile,  au  jour  où  les  pirates  débarqueront  à  l'impro- 

(1)  Ruflî,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56.— M.  deRuffï  père  pensait 
tout  le  contraire.  Cassien,  dit-il,  aimait  la  solitude,  et  il  a  bien  pu  profiter 
de  ce  coin  tranquille  et  retiré  de  notre  terroir  pour  y  établir  un  monastère. 

(2;  <t  Si  toi  us  Gallossese  effudlsset  in  agros  Oceanus,  vastis  plus  supe- 
resset  aquis...»,  dansRuinart,  Hiçtov ta persecutionis  Vanflalicfp.p.  195. 


-  179  — 

viste  soit  à  l'entrée  du  port,  soit  sous  les  murs  du  monastère  ou 
dans  quelque  anse  ignorée  du  versant  opposé  de  la  Garde, 
comme  il  sera  facile,  dis- je,  à  ces  saintes  filles  d'avoir  des 
barques  toutes  prêtes  pour  les  passer  de  l'autre  côté  du  port, 
ou  prendre  leur  course  à  travers  les  salines,  les  marais,  les 
ruisseaux,  de  faire  un  immense  détour  pour  atteindre  et 
gagner  la  ville  ! 

Non,  non,  si  Cassien,  en  fondant  ses  deux  monastères,  s'est 
préoccupé  de  cette  idée  qu'ils  pourraient  être  un  jour  attaqués 
par  les  pirates,  ce  n'est  pas  de  l'autre  côté  du  port  qu'il  devait 
établir  au  moins  celui  des  filles.  C'eût  été  dans  la  ville  même, 
ou  à  côté  des  remparts.  Non  plus,  nous  l'avouons,  il  ne  pou- 
vait songer  aux  bords  de  l'Huveaune.  L'emplacement  eût  été 
aussi  mal  choisi  dans  un  cas  comme  dans  l'autre.  L'argument, 
donc,  de  Ruffi  n'est  pas  irréfutable. 

«  Il  n'y  a  pas  d'apparence  qu'il  les  eût  logées  dans  l'inté- 
rieur du  terroir,  puisqu'il  pouvait  les  placer  plus  proche  et 
leur  donner  un  lieu  aussi  solitaire  qu'il  pût  souhaiter.  Car 
la  colline  de  Notre-Dame  de  la  Garde  était  couverte  de 
bois  (1).»  Nous  ne  sommes  pas  à  chercher  quel  endroit  Cassien 
aurait  dû  choisir.  A  part  les  raisons  que  le  fondateur  pouvait 
avoir  et  que  nous  ne  savons  pas,  nous  avons  dit  que  les  bords 
de  l'Huveaune  étaient  un  site  aussi  défavorable  que  le  voisi- 
nage de  Saint- Victor.  Mais  Cassien  n'avait-il  pas  quelque 
raison  à  nous  inconnue  ?  Quel  site  a-t-il  choisi  de  préférence  ; 
voilà  la  question  qui  en  réalité  fait  l'objet  de  cette  dis- 
cussion. 

«  On  découvrit  au  même  endroit  (dans  les  environs  de  l'an- 
cienne chapelle  de  Sainte-Catherine),  en  creusant  la  terre  pour 
construire  le  Canal,  quelques  fondements  d'un  grand  édifice 
extrêmement  épais,  qui  marquaient  une  très  grande  antiquité, 
et  même  on  y  découvrit  quelques  masures  d'un  presbytère  qui 
tournait  du  côté  du  levant  (2).  »  On  devine  notre  réponse. 
Puisque  nous  acceptons  que  le  monastère  a  été  en  cet  endroit, 
vers  838  ou  923,  ce  sont  les  ruines  de  ce  monastère  que  Ton 


(1)  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille ,  t.  II,  p.  50. 


—  180  — 

a  découvertes  en  1685.  Si  ces  ruines  datent  du  IXe  ou  X*  siècle, 
leur  antiquité  est  assez  respectable.  Quant  au  a  presbytère 
lourné  vers  le  levant  »,Ruffi  est  un  bien  habile  archéologue 
s'il  nous  certifie  que  ces  masures  étaient  celles  d'un  pres- 
bytère. Si  nous  voulions  soutenir,  nous,  que  c'était  une  loge 
de  portier,  nous  ne  savons  qui  voudrait  se  charger  de  dirimer 
la  question  !  D'ailleurs,  l'abbaye  de  Saint-Victor  n'étant  guère 
plus  qu'à  deux  cents  pas  de  distance  du  monastère  cassianite, 
vers  923,  il  était  inutile  qu'il  y  eût  le  logement  des  moines 
dans  les  attenances  de  l'abbaye  des  religieuses. 


CHAPITRE  VI 

Les  Religieuses  cassianites 
n'avaient  pas  de  chapelles  pour  y  faire  célébrer 

les  Saints  Mystères 


objection  de  rufpi.  —  des  524,  les  religieuses  ont  des  chapelles 
publiques.  —  a  l'époque  de  ruffin,  de  saint  Jérôme,  elles 
ont  des  oratoires  privés.  —  si  l'on  va  entendre  la  messe,  le 

DIMANCHE,  A  L'ÉGLISE,  LES  RELIGIEUSES  DE  L'hUVEAUNE  ONT  PU 
ALLER  A  SAINT-GINIEZ.  —  TOUT  AU  PLUS  DURANT  QUATRE-VINGTS 
ANS.  —  DÈS  510  OU  512  ELLES  ONT  PU  AVOIR  UN  ORATOIRE  PRIVÉ. 
—  CHAPELLES  INCONNUES  DANS  NOTRE  TERROIR.  —  PEUT-ÊTRE  CELLE 
DU  CŒNOBIUM. 


C'est  une  autre  objection  de  Ruffî.  a  Gomme  il  fonda  Fab- 
baye  de  Saint -Victor,  Cassien  voulut  faire  bâtir  près  de  cette 
maison,  et  h  une  distance  proportionnée,  le  monastère  des 
tilles,  afin  qu'elles  pussent  plus  commodément  entendre  la 
messe  dans  l'abbaye  de  Saint- Victor,  parce  que  en  ce  temps-là 
les  religieuses  n'avaient  pas  d'église  pour  y  faire  célébrer  les 
saints  mystères. . .  Quelque  temps  après,  les  religieuses  eurent 
des  oratoires  dans  leurs  monastères  pour  y  faire  célébrer  le 
service  divin,  et  ne  commencèrent  à  avoir  d'églises  publiques 
qu'après  l'an  817,  comme  il  est  facile  de  le  conjecturer  d'après 
le  concile  d'Aix-la-Chapelle  (1).  » 

11  y  a  dans  cette  page  un  luxe  d'érudition  avec  lequel  il  va 
falloir  compter,  semble-t-il.  Ne  nous  laissons  pas  éblouir  ce- 
pendant. Il  est  faux  d'abord  de  dire  que  ce  fut  «  après  817  que 
les  religieuses  eurent  des  églises  publiques,  comme  il  est  fa- 
cile de  le  conjecturer  d'après  le  concile  d'Aix  la-Chapelle  » . 
Car,  premièrement,  le  concile  d'Aix-la-Chapelle  de  817  ne 
parle  pas  des  églises  de  religieuses.  C'est  le  concile  de  810, 

(1)  Hufti,  Histoire  fie  Marseille,  t.  II,  p.  56. 


—  182  — 

tenu  dans  cette  môme  ville,  qui  s'en  occupe  (1).  Deuxième- 
ment, ce  concile  de  816  ne  dit  rien  au  sujet  des  chapelles 
publiques  des  monastères.  Voici  ce  qu'on  Ht  dons  un  de  ses 
décrets  :  «  Les  prêtres  chargés  de  dire  la  messe  aux  cha- 
noinesses,  appelées  aussi  sanctimoniales,  n'entreront  dans  la 
communauté  que  pour  célébrer  les  saints  mystères  dans 
l'église  des  chanoinesses  qu'au  temps  marqué.  Pendant  la 
messe,  les  chanoinesses  tireront  un  rideau  devant  elles.  Si 
Tune  d'entre  elles  veut  confesser  ses  péchés  au  prêtre,  ce  doit 
être  dans  l'église,  afin  qu'elle  soit  vue  de  tous.  »  Il  ne  s'agit 
pas,  dans  ce  texte,  de  chapelle  publique,  mais  bien  de  cha- 
pelle privée  dans  un  monastère.  Ruffi  donc  ne  peut  en  déduire 
que  ce  fut  après  817  seulement  que  les  monastères  eurent  des 
églises  publiques  ouvertes  à  tous  les  fidèles.  Bien  avant  817,  les 
monastères  de  religieuses  possédaient  des  églises  publiques.  On 
lit  dans  la  Vie  de  saint  Césaire  d'Arles  que  les  Pères  du  con- 
cile tenu  à  Arles  en  524  firent  la  dédicace  d'une  église  à  trois 
nefs  que  cet  évéque  avait  fait  bâtir  dans  les  attenances  du 
monastère  de  sainte  Césarie,  sa  sœur,  à  laquelle  église  les 
fidèles  avaient  accès  par  une  porte,  les  religieuses  par  une 
autre  (2). 

L'affirmation  de  Rufïi  relativement  aux  églises  publiques  des 
monastères  est  donc  fausse.  Quant  aux  chapelles  privées,  il 
est  vrai  que,  généralement  parlant,  à  l'époque  de  saint  Cas- 
sien,  les  religieuses  n'en  avaient  pas  encore  pour  y  faire  célé- 
brer la  sainte  messe.  Le  cardinal  Hergenroether  (3),  dit  :  «  Ce 


(1)  Histoire  chronologique  et  dogmatique  des  conciles  de  la  chré- 
tienté, par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  III;  coueile  d'Aix-la-Chapelle,  en 
816,  27*  article  de  la  règle  des  chanoinesses,  p.  358. 

(2)  Histoire  de  saint  Césaire,  évéque  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille, 
pp.  131,  132.  —  Iiecapitulatio  regulœ,  ch.  IX;  Saint  Césaire,  Patrolo- 
gie  latine,  édition  M  igné,  t.  LXVlï.  col.  1109,  etc.— Et  il  y  avait  de  plus, 
dans  le  monastère,  un  oratoire  privé  où  un  prêtre  disait  la  messe.  Voici 
le  texte  de  la  Règle  à  ce  sujet:  «  Nullus  virorum  in  sécréta  parte  mo- 
nasterii  et  in  oratorio  introeat,  exceptis  episcopo,  provisore,  presby- 
tero,  diaconis,  et  uno  vel  duobus  lectoribus,  quos  setas  et  vita  commen- 
dant,  qui  aliquoties  missas  facere  debent.  »  Saint  Césaire,  Patrologie 
latine,  édition  Migne,  t.  LXVII,  col.  1109. 

(3>  Histoire  de  VEgh'se%  par  le  cardinal   Hergenroether,  t.  II,  p.  609. 


—  183  — 

ne  fut  qu'à  partir  du  VP  siècle  que  les  couvents  de  nonnes 
eurent  des  églises  particulières.  Dans  l'origine  elles  allaient  en 
commun,  le  dimanche,  à  la  messe  paroissiale.  »  Mais  il  y 
avait  bien  des  exceptions:  Le  moine  Rufiin,  qui  vivait  du 
temps  de  saint  Jérôme  (331-340)  (1),  raconte  qu'  «  il  vint  dans 
la  ville  d'Oxyrinche  en  Thébaïde,  et  qu'il  la  trouva  peuplée 
de  moines  et  de  religieuses.  Les  édifices  publics,  jadis  temples 
des  fausses  divinités,  servaient  d'habitations  aux  moines,  et  il 
y  avait  dans  cette  ville  plus  de  monastères  que  de  maisons  de 
particuliers.  Or,  cette  ville,  fort  grande  et  populeuse,  possé- 
dait douze  églises,  dans  lesquelles  le  peuple  se  réunissait,  à 
l'exception  des  monastères  dans  chacun  desquels  il  y  avait 
des  oratoires.  Nous  demandâmes  à  l'évêque  de  la  ville 
combien  de  moines  et  de  religieuses  Thabil aient,  et  nous 
trouvâmes  vingt  mille  religieuses  et  dix  mille  moines  (requi- 
rentes  a  sancto  episcopo  loci  illius,  viginti  millia  virginum 
et  decem  millia  monachorum  inibi  comperimus  haberi).  » 
Dans  la  ville  d'Oxyrinche,  il  y  avait  donc  des  églises  pour  le 
peuple,  et  chaque  monastère  possédait  un  oratoire.  Or, 
comme  les  habitants  de  chaque  monastère  ne  se  rendaient 
pas  aux  églises  ouvertes  au  public,  forcément  moines  et  reli- 
gieuses entendaient  la  messe  dans  leurs  oratoires  privés. 

lien  était  à  peu  près  de  même  à  Bethléem,  dans  les  mo- 
nastères de  Paula  (2).  Il  y  avait  dans  chacun  d'eux  une  église 
ou  chapelle,  et  nous  savons  même  quel  titulaire  fut  donnée 
par  Paula  à  l'église  de  son  monastère,  ce  fut  Sainte-Catherine 
d'Alexandrie.  Seulement,  on  ne  célébrait  pas  la  messe  dans 
ces  chapelles.  Saint  Jérôme  n'ayant  pu  consentir,  par  un  sen- 
timent de  profonde  humilité,  à  monter  au  saint  autel,  et  Vin- 

(1)  «  Venimus  et  ad  civitatem  quamdam  Thebaidis,  nomine  Oxyryn- 
chum..  replet am  namque  eam  monachisintrinsecusvidimus  et  extrin- 
secusex  omni  parte  circumdatam.  ittdes  publics  (si  qua  in  eâ  fuerant) 
et  templa  superstitionis  antiquse,  habitationes  nunc  erant  monachorum, 
et  per  totam  civitatem  multo  plura  monasteria  quam  doimis  videbantur. 
Sunt  autem  in  ipsâ  urbe,  quia  est  ampla  vaide  et  populosa,  duodecim 
ecclesise,  in  quibus  agitur  populi  conventus,  exceptis  monasteriis  in 
quihun  per  sînfjula  orationum  tlomus  sunt.*  (Saiirtus  Cassimius  illus- 
trât ut,  par  Guesnay,  p.  70.) 

(2)  Histoire  île  sainte  Paule,  par  l'abbé  Laffrange,  pp.  387,393. 


—  184  - 

centius,  le  seul  prêtre  qu'il  y  eut  alors  avec  lui,  ne  voulant 
oser  ce  que  Jérôme  n'osait  pas,  chaque  dimanche  on  se  ren- 
dait à  l'église -de  Bethléem.  Mais  il  faut  savoir  que  cette 
église  n'était  pas  éloignée  des  monastères.  C'était  l'église 
qu'autrefois  sainte  Hélène  avait  fait  édifier  sur  la  grotte  de  la 
Nativité,  et  les  monastères  étaient  à  côté  (1).  N'ayant  pas  à 
faire  une  longue  course,  pour  entendre  la  messe,  aucun  in- 
convénient ne  se  présentait  de  quitter  le  monastère  sous  la 
conduite  de  leur  abbesse.  Si  elles  avaient  dû  aller  bien  loin 
pour  participer  aux  saints  mystères,  nous  n'assurerions  pas 
que  saint  Jérôme,  à  la  prière  de  sainte  Paule,  ne  fût  revenu 
sur  sa  décision  et  n'eût  trouvé  le  moyen  de  procurer  aux  com- 
pagnes de  Paula  la  consolation  d'entendre  chez  elles  la  sainte 
messe. 

Or,  ne  peut-on  pas  dire  que  Cassien  a  eu  pour  ses  Filles  la 
môme  sollicitude,  et  que,  pour  leur  épargner  une  longue 
course,  il  leur  a  bâti  un  oratoire  qu'il  faisait  desservir  par 
un  de  ses  moines? 

N'importe  cependant,  supposons  que  les  religieuses  cas- 
sianites  fussent  obligées  d'aller  entendre  la  messe  hors  de 
leur  monastère,  sous  la  conduite  de  leur  abbesse.  Quel  incon- 
vénient pouvait  se  présenter  ?  La  clôture  n'existait  pas  encore 
à  cette  époque,  ce  n'était  donc  pas  un  obstacle.  Devaient-elles 
aller  bien  loin  ?  S'il  fallait  supposer  que  chaque  dimanche 
elles  étaient  obligées  de  franchir  les  bois  et  la  colline  de  la 
Garde  pour  venir  à  l'abbaye  de  Saint- Victor,  dans  ce  cas  il 
faudrait  avouer,  avec  Rufli,  que  saint  Cassien  n'a  pu  vou- 
loir exposer  ses  Filles  aux  mille  inconvénients  d'une  aussi 
longue  course.  Mais  ne  peut-on  pas  indiquer  une  église  située 

(1)  «  Post  virorum  monasterium  quod  viris  (Paula)  tradiderat  guber- 
nandum  plures,  virgines  quas  e  diversis  provinciis  congregaverat  ta  m 
nobiles  quam  medii  et  infimi  generis  in  très  turmas  monasteriaque  divi- 
sit (un manuscrit  dit:  per  monasteria)  ita  duntaxat  ut  in  opère  et  in 
cibo  separatae,  psalmediis  et  orationibus  jungerentur.  Die  taraen  domi- 
niez ad  ecclesiam  procedebant,  ex  cujus  latere  habitabant.  Erat  ad  an- 
trum  Nativitatis  Christi  quam  Constantius  atque  Helena  construxerant 
et  unumquodque  agmen  matrem  propriam  sequebatur  atque  inde  pari- 
ter  revertentes  instabant  operi  distributo.  »  Saint  Jérôme,  lettre  108. 
(Opéra  Sancti  Hiemnymi,  t.  I,  col.  896;  Patrologie  latine,  édit.  Migne.) 


—  185  — 

dans  les  environs  de  leur  cœnobium  aux  bords  de  l'Hu- 
veaune ? 

Et  Saint-Giniez  ?  Ne  l'oublions  pas,  c'est  une  église  antique, 
qu'elle  ait  ou  non  toujours  porté  ce  titre  ou  ce  vocable.  En 
1040  elle  était  en  ruine,  lorsque  Pons  II  la  donna  à  Saint-Victor. 
Mais  incontestablement  elle  existait  avant  les  invasions. 
M.  Daspres  a  prouvé  que  ce  point  du  terroir  a  toujours  été 
habité,  puisque  Ton  y  a  découvert  des  vestiges  de  tous  les 
âges.  Il  y  a  eu  probablement  un  lucus,  un  oratoire  païen,  et 
plus  tard  une  église  (1).  Et  cela  forcément,  puisque  les  rives 
de  l'Huveaune  ont  été  cultivées  de  bonne  heure,  puisqu'il  y 
avait  des  serfs  et  des  colons.  C'est  donc  à  Saint-Giniez  même 
que  les  religieuses  cassianites  pouvaient  assister  aux  offices. 
Or,  du  monastère  de  l'Huveaune  à  l'église  de  Saint-Giniez,  il 
y  a  une  vingtaine  de  minutes,  et,  à  cette  époque,  surtout 
quand  il  s'agissait  de  religieuses,  une  telle  distance  n'était 
pas  capable  d'effrayer. 

D'ailleurs,  combien  de  temps  durent-elles  s'assujettir  à  ce 
déplacement,  en  supposant  toujours  qu'elles  n'eussent  pas 
d'oratoire  privé  ?  Tout  au  plus  quatre-vingts  ou  cent  ans.  Car, 
en  Provence,  les  monastères  eurent  bientôt  des  oratoires  pri- 
vés, où  l'on  disait  la  messe.  Saint  Césaire  d'Arles,  nous  l'avons 
dit  tantôt,  fit  bâtir  dans  cette  ville  un  monastère  de  filles,  à 
la  tète  desquelles  il  plaça  Césarie,  sa  sœur.  Or,  ce  monastère 
avait  un  ou  deux  oratoires  intérieurs  dans  lesquels  un  prêtre 
venait  célébrer  la  messe  aux  jours  de  fête.  Il  en  est  fait  men- 
tion plusieurs  fois  dans  la  règle.  Et  ce  monastère  fut  bâti 
en  510  et  habité  dàs  512.  De  plus,  le  concile  d'Agde,  en  506, 
avait  autorisé  les  particuliers  à  avoir  des  oratoires  où  l'on 
disait  la  messe,  excepté  les  jours  de  fêtes  (2).  On  peut  bien 
supposer  que  déjà,  depuis  quelque  temps  au  moins,  un  pareil 


(1)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  II.—  Voir  le  chapitre 
de  notre  présent  ouvrage,  intitulé  :  Quartier  de  Saint-Giniez- ,  du  V*  au 
XI*  siècle . 

(2)  <  Il  est  permis  aux  particuliers  d'avoir  des  oratoires  et  des  chapelles 
dans  les  campagnes  éloignées  des  paroisses,  *  (Histoire  dogmatique  et 
et  chronologique  des  concile*  de  la  chrétienté^  par  Hoisselet  de  Sau- 
eliéres.  t.  II,  p.  370.) 


—  186  — 

privilège  était  accordé  aux  religieuses,  fie  ne  serait  donc  que 
de  420  à  Tan  510-512,  que  les  religieuses  cassianites,  si  elles 
habitaient  les  bords  de  l'Huveaune,  auraient  été  obligées 
d'aller  entendre  la  messe  à  Saint-Giniez. 

Or,  est-il  bien  sûr  qu'elles  aient  attendu  aussi  longtemps 
pour  avoir  un  oratoire  privé  ?  Si  en  506  le  concile  d'Àgde  per- 
met d'en  posséder,  est-ce  que  déjà  depuis  un  bon  nombre 
d'années  cette  coutume  ne  tentait  pas  de  s'introduire?  Peut- 
on  dire  que  ce  ne  fut  strictement  qu'après  506  que  Ton  eut 
de  ces  oratoires?  Est-ce  seulement  à  partir  de  597,  sous  l'ab- 
besse  Respecta,  ou  quelques  années  auparavant,  qu'elles  ont 
possédé  celui  qui  était  dédié  à  saint  Casssien  ?  N'y  a-t-il  pas 
eu  en  cet  endroit,  sur  les  bords  de  l'Huveaune,  une  église  et 
un  monastère  dont  l'histoire  est  inconnue,  tant  elle  est 
ancienne  (1)  ? 

Cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait  que  mentionne  la  charte 
de  1097  ne  serait-elle  pas  l'oratoire  primitif  du  monastère  (2)? 
D'autre  part,  il  y  a  eu  dans  l'espace  compris  entre  la  monta- 
gne de  la  Garde  et  l'Huveaune  un  bon  nombre  de  chapelles 
dont  on  connaît  à  peu  près  le  site  (3),  telles  que  celles  de  Saint- 
Saturnin,  de  Saint-Benoit,  de  Saint-Suffren.  Mais  il  en  est 
d'autres,  celles  de  Saint-Gabriel,  de  Saint-Félix,  par  exemple, 
dont  on  ne  sait  absolument  rien.  Qui  pourrait  dire  qu'il  n'y 
avait  pas  d'autres  chapelles  rurales  dont  le  nom  lui-même  a 
disparu  ?  Que  l'on  ne  sache  rien  de  précis  sur  ces  chapelles, 
n'est-ce  pas  une  preuve  qu'elles  datent  d'avant  les  invasions  ? 
Les  documents  qui  en  parlaient  ont  été  perdus.  Or,  qui  sait 
si  le  nom  de  cet  oratoire  domestique  du  monastère  cassianite, 
à  cette  époque  antique,  n'aurait  pas  été  lui  aussi  enseveli  dans 
la  nuit  des  temps  barbares? 


(1)  a  II  y  a  eu,  à  ce  bord  de  mer,  à  une  époque  antique,  une  église 
et  une  maison  dont  l'histoire  nous  est  inconnue.  Etait-ce  une  paroisse 
rurale  ?  Etait-ce  un  prieuré  de  Saint-Victor  1  »  (Saints  (le  l'Eglise  de 
Marseille  ;  sainte  Eusébie,  p.  231.) 

(Z)  C'est  la  question  que  se  posait  l'abbé  Daspres  dans  son  ouvrage 
sur  Saint-Giniez,  p.  149. 

(3)  Saint-Suffren,  Saint-Gabriel,  Saint-Félix,  Dictionnaire  topogra- 
phique de  Mortreuil,  pp.  344,  331. 


—  187  — 

Encore  une  fois  cette  série  de  fails,  de  dates  qu'objecte  Ruiïi 
pour  nier  l'existence  d'un  monastère  cassianite  sur  les  bords 
de  l'Huveaune,  en  réalité  ne  prouve  rien.  Les  Cassianites  ont 
Pu  aller  à  la  messe  à  Sain t-Gi niez,  durant  tout  le  temps 
qu'elles  n'ont  pas  eu  d'oratoire  privé.  Elles  ont  pu  avoir  cet 
oratoire  dès  le  début  du  VI*  siècle,  et  peut-être  avant.  L'objec- 
tion de  Ruiïi  ne  porte  pas. 


CHAPITRE  VII 

Les  monastères  doivent  être  proche  des  villes. 
Texte  de  saint  Jean  Ohrysostome. 


OBJECTION  DE  RUFFI.  —  SAINT  JEAN  OHRYSOSTOME  NE  DIT  RIEN  DE 
SEMBLABLE.  —  TEXTE  DE  SAINT  BASILE.  —  AUTRE  OBJECTION  DIS 
RUFFI  :   LE  CŒNOBIUM  EUT  ÉTÉ  TROP  LOIN  DE  SAINT-VICTOR. 


«  Cassien,  écrit  encore  Itufii,  voulut  encore  suivre  eu  cette 
occasion  l'avis  de  saint  Jean  Chrysostome  qui  porte  que  les 
monastères  ne  doivent  point  être  écartés  des  villes,  alin  qu'ils 
ne  fussent  point  éloignés  des  commodités  de  la  vie  dont  ils  ne 
peuvent  se  passer  (1).  » 

Il  est  fort  possible  que  saint  Jean  Chrysostome  ait  émis  cet 
avis  dans  ses  ouvrages.  Mais  Ruffi  et  ceux  qui  le  copient 
auraient  bien  fait  d'indiquer  dans  quel  écrit  de  ce  grand 
docteur  on  trouvait  ce  texte.  Nous  l'avons  vainement 
cherché.  Nous  avons  pris  la  table  des  matières  des  écrits 
du  saint  évoque  et  fouillé  dans  les  douze  volumes  in-quarto. 
Impossible  de  découvrir  le  texte  en  question.  Et  cependant 
saint  Jean  Chrysostome  parle  souvent  des  moines  ;  la  table 
des  matières  renvoie  à  de  nombreux  endroits  de  ses  ouvrages. 
Nous  n'avons  trouvé  qu'un  seul  renseignement  au  sujet  des 
moines  et  des  religieux  *  Ils  vivaient  nombreux  aux  environs 
d'Antioche,  et  ils  habitaient  tous sur  les  montagnes  (2). 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56. 

(2)  Voir  la  table  des  œuvres  de  saint  Jean  Chrysostome,  Patroloyie 
firéco-ldtine,  édition  Migne,  t.  XIII  de  saint  Jean  Chrysostome,  à  l'article 
Monàchi  in  montibus  def/ebant. 

«  Isidore  de  Péluse,  libr.  III,  epist.  234,  appelle  ces  moines  habitant 
le  sommet  des  montagnes  :  oupavoitoXttac  »  (Histoire  de  V Eglise ,  par 
Hergenroether,  t.  II,  p.  186.) 


-  189  — 

il  y  a  loin,  on  le  voit,  de  ce  que  le  saint  docteur  a  écrit,  à  ce 
que  Ruffi  lui  fait  dire. 

On  pourrait  peut-être  trouver  l'idée  générale  dece  que  Ruffl 
attribue  à  saint  Jean  Chrysostome  dans  quelques  lignes  du  pané- 
gyrique de  saint  Basile,  prononcé  par  son  ami,  saint  Grégoire 
de  Nazianze  (1).  «  Le  grand  évéque  avait  remarqué,  dit  le  saint 
docteur,  que  les  moines,  qui  vivent  mêlés  aux  autres  gens, 
leur  sont  d'une  grande  utilité,  à  cause  des  exemples  qu'ils 
leur  donnent.  Les  moines  cependant  ne  retirent  pas  eux- 
mêmes  grand  profit  de  ce  voisinage.  Car  leur  vie  tranquille  et 
parfaite  n'est  pas  compatible  avec  le  tracas  et  le  souci  des 
affaires,  au  milieu  desquels  ils  se  trouvent.  D'autre  part,  ceux 
qui  vivent  dans  la  solitude  sont  plus  unis  à  Dieu,  plus  fidèles 
à  leur  vie  parfaite,  mais  les  gens  du  monde  ne  retirent  au- 
cun avantage  de  la  perfection  des  religieux.  Basile  voulut 
réunir  ces  deux  genres  de  vie.  Il  fit  bâtir  lès  monastères  assez 
près  des  lieux  habités,  pour  que  les  moines  pussent  exercer 
la  charité  à  l'égard  des  hommes,  lorsque  cela  pourrait  être 
possible;  assez  loin  cependant  pour  que  la  tranquillité  du 
monastère  ne  fût  pas  troublée  par  le  bruit  et  le  tumulte.  Ainsi 
les  religieux  étaient  utiles  à  leurs  semblables,  et  ceux-ci  ap- 
prenaient des  moines  la  sagesse,  la  patience  et  les  autres  ver- 
tus. Ainsi  la  terre  et  la  mer  s'entr'aident  mutuellement  (2).  » 

(1)  Sanctus  Cassianus  illustratus,  par  Guesnay,  p.  150. 

(2)  Voici  le  texte  de  ce  passage  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  Orat. 
in  laude  Basilii  : 

«  Ut  autem  non  sol  uni  sibi  sed  aliis  proficeret,  p ri  mus  cœnobia  excogi- 
tavit,  ritumque  illum  monachorum  antiquum  et  agrestem  ad  ordinem 
quemdam  ac  formulam  religioni  propiorem  redegit.  Gum  enim  animad- 
vertisset  eos  cui  in  commuai  vita,  hoc  est,  aliis  mixti  aguut,  etiam 
si  monasticam  abstinentiam  servent,  aliis  quidem  utiles  esse,  non 
ila  sibi  ipsis,  cum  in  mullis  eos  malis  versari  necesse  sit,  quœ  vit  se 
quiebB  omnino  perfectse  contraria  videntur,  eos  vero  qui  in  solitudine 
procuJ  ab  aliis  degunt,  firmiores  sane  in  proposito  magisque  Deo  conjunc- 
tos,  attamen  sibi  tantum  utiles,  cum  rerum  experientiam  te  néant,  nec 
cum  aliis  comraercium  ullum  habeant.  Utrumque  genus  vitae  conjun- 
gere  conatus  est.  Quamobrem  monachorum  cœnobia  haud  procul  ab 
iis  qui  in  ho  mi  nu  m  societate  vivunt  aediflcari  jussit,  nec  omnino  sepa- 
tavit  ut  propinquitatis  cum  opus  charitatis  exposcerat  adesse  possent, 
(iissiti  propriis  terminis,  ne  quies  eorum  interrumpi  per  multitudinem 

13 


—  190  — 

Nous  avons  tenu  à  citer  tout  le  passage,  afin  de  bien  montrer 
qu'il  n'y  avait  dans  le  dire  du  saint  docteur  nulle  trace  de  ces 
préoccupations  matérielles  dont  parle  Ruffl. 

Qu'importe,  d'ailleurs,  ce  que  saint  Jean  Chrysostome  a 
pu  écrire  sur  remplacement  des  monastères  !  On  peut  bien 
dire  que  Cassien  ne  jugea  pas  à  propos  d'introduire  dans  les 
maisons  qu'il  fonda,  la  manière  de  vivre  qu'il  avait  vue  ail- 
leurs. Il  établissait  la  vie  religieuse  en  Provence  sur  d'au- 
tres bases  qu'en  Egypte,  en  Syrie  et  en  Palestine.  Là  elle 
était  toute  florissante,  les  déserts  étaient  remplis  d'ana- 
chorètes; des  villes  entières  étaient  peuplées  de  religieux.  Ici 
elle  était  à  peu  près  inconnue.  Force  lui  était  d'établir  des 
monastères  là  oii  l'emplacement  lui  était  concédé.  Il  n'a- 
vait pas  le  désert  devant  lui  ;  tout  autour  de  Marseille  régnaient 
des  cultures  et  s'élevaient  des  habitations.  Cassien,  d'ailleurs, 
n'a  guère  suivi  les  conseils  des  moines  plus  anciens  que  lui  (1). 
L'abbé  Abraham,  qu'il  avait  connu  en  Egypte,  lui  avait  re- 
commandé de  fuir  sa  patrie  et  le  voisinage  de  ses  parents. 
Précisément,  il  établit  son  ordre  près  de  sa  famille,  dans  sou 
son  pays  natal,  en  Provence  (2).  Il  suivit  en  tout  l'inspiration 

posset,  nec  ipsi  monachi  actionis  merito  quod  ex  impendcndâ  aliis 
charitate  existeret  privarentur,  neque  rursus  eorum  actio  per  tumultus 
inutilis  efficeretur,  et  alter  alterum  juvare  posset,  ut  monachorura  vita 
per  conversationem  eorum  qui  ia  commuai  agunt,  fructuosa  Ûeret  et 
ipsi  e  monachis  quietem,  sapientiam,  contemplationemque  discerent, 
quemadraodum  terra  et  mare  sese  invicem  complectuutur  et  juvant.  > 
Guesnay,  Cassianus  illustratus*  pp.  150,151. 

(1)  Il  est  certain  que  si  Cassien  a  voulu  de  propos  délibéré  choisir  la  soli- 
tude pour  y  placer  le  cœnobium  de  ses  filles,  il  ne  faisait  qu'imiter  ce  qui 
se  faisait  en  Orient.  On  lit  dans  la  Vie  des  Pères  du  désert,  par  le  Père 
Ange  Marin,  t.  II,  que  Théodore  le  Sanctifié,  voulant  bâtir  un  monastère 
de  religieuses,  l'établit  à  une  demi-lieue  de  celui  des  religieux  qu'il  diri- 
geait; p.  51  ;  —  saint  Pacôme,  voulant  fonder  un  couvent  de  religieuses 
dont  il  nomma  sa  sœur  abbesse,  rétablit  assez  loin  de  Tabenne,  où  il 
demeurait  avec  ses  religieux,  et  séparé  par  le  Nil  ;  p.  178;—  on  dit  de  ces 
religieuses,  que  «  non  seulement  séparées,  mais  encore  éloignées  des  mo- 
nastères de  leurs  frères  à  la  distance  qui  convenait »  p.  190. 

(2)  Il  nous  semble  plus  probable  que  Cassien  soit  né  en  Provence. 
Voir  :  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  par  M«f  de  Belsunce,  t.  I, 
p.  100  ;  de  Rey,  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  104;  Guesnay,  Cas- 
sianuz  illustratus,  1.  1,  c.  I.  Le  Propre  du  diocèse  de  Marseille  le  fait  origi- 


—  191  — 

que  la  Providence  lui  envoyait,  et  fut  ainsi  vraiment  fonda- 
teur de  la  vie  religieuse  en  Provence. 

D'ailleurs,  quand  il  se  retirait  à  l'ermitage  qui  a  gardé  son 
nom  près  de  la  Sainte-Baume  ;  que,  plein  de  vénération  pour 
cette  grotte  sanctifiée  et  illustrée  par  les  longues  années  de 
pénitence  de  Marie-Madeleine,  il  y  envoyait  de  ses  moines 
y  habiter;  lorsqu'il  leur  donna  la  garde  du  tombeau  de 
Marie-Madeleine  à  Saint-Maximin,  à  coup  sur  Cassien  oubliait 
l'avis  que  Ruffi  lui  fait  donner  par  saint  Jean  Chrysostome,  de 
placer  ses  religieux  près  des  endroits  habités. 

Enfin,  et  c'est  là  que  se  terminent  les  objections  de  Ruffi  : 
«  Une  des  principales  raisons  qui  obligea  ce  bon  Père  de  faire 
bâtir  le  monastère  en  cet  endroit  (  auprès  de  Saint-Victor  ), 
fut  afin  d'avoir  un  moyen  de  visiter  plus  souvent  ses  Filles, 
pour  les  instruire  et  les  consoler  dans  leurs  besoins  spiri- 
tuels (1).  »  Ce  n'est  pas  là  encore  une  raison  bien  forte.  Entre 
le  monastère  de  Saint- Victor  que  Cassien  habitait  et  celui  de 
ses  Filles,  aux  bords  de  l'Huveaune,  la  distance  n'était  pas  tel- 
lement grande,  qu'il  fût  impossible  au  bon  Père  d'effectuer  ce 
voyage.  En  traversant  les  bois  dont  les  revers  de  la  Garde 
étaient  couverts,  il  ne  devait  falloir  qu'une  très  petite  heure 
pour  venir  de  Saint-Victor  à  l'embouchure  de  l'Huveaune.  De 
nos  jours,  en  effectuant  un  immense  détour,  on  y  arrive  cer- 
tainement en  une  heure  et  demie. 

Nous  en  avonsfini  avec  Ruffi.  MM.  Lautard,  Daspres,  etc., 
qui  ont  quelque  peu  emprunté  les  idées  de  Ruffi,  sont  réfutés 
parle  fait  même. 

Daire  de  la  Scythie  :  «  Scythià  ortus  est.  »  (Office  de  la  fête  de  saint  Cas- 
sien,  23  juillet,  \n  leçon  du  2e  nocturne.) 
(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  57. 


CHAPITRE  VIII 

Origine  du  nom  «  deïs  Desnarrados  »  donné 
à  la  chapelle  des  bords  de  l'Huveaune. 


CE  QUE  DISENT  LES  AUTEURS  —  HISTORIQUE  DE  CES  RUINE8  «  DEIS 
DESNARRADOS  »  —  LES  DAMES  DE  SAiNT-SAUVEUR  ÉTAIENT  BÉNÉ- 
DICTINES, ET  NON  PAS  CASSIANITES.  —  ON  N*A  PAS  DONNÉ  CE  NOM 
a  DEIS  DESNARRADOS  •  AUX  BIENS  DE  SAINT-SAUVEUR  SITUÉS  EN 
DIVERS  POINTS  DU  TERROIR.  —  LA  OU  L'ON  PLACE  CE  FAIT,  LA  SE 
TROUVAIT  UN  MONASTÈRE. 


Inutile,  disent  quelques  auteurs  (1),  de  nous  appuyer  sur 
la  dénomination  de  chapelle  a  deïs  Desnarrados  »  que  le 
peuple  donne  aux  ruines  qui  se  trouvent  à  l'embouchure  de 
l'Huveaune,  pour  prouver  que  là  s'élevait  le  monastère 
cassianite,  parce  que  «  nous  trouvons  l'explication  de  cette 
tradition  dans  la  prise  de  possession  de  cette  chapelle  par  les 
religieuses  cassianites  de  Saint-Sauveur  au  XVI*  siècle.  La 
légende  populaire  put  facilement  attribuer  à  ce  lieu  ce  qui 
n'appartenait  qu'à  la  congrégation,  et,  en  effet,  partout  où  il 
y  a  eu  un  monastère  de  ces  religieuses,  on  place  aussi  ce 
glorieux  fait  (2).  »  Nous  avons  à  montrer  que  l'explication 
fournie  par  les  auteurs  ne  vaut  rien. 

Les  ruines  de  l'abbaye  de  Prémontrés,  sur  les  bords  de 
THiiveaune,  auxquelles  on  donne  le  nom  de  chapelle  a  deïs 
Desnarrados  »,  avaient  été  cédées,  vers  1405,  au  couvent  de 
Sainte-Paule  (3)  que  la  reine  Yolande,  femme  de  Louis  II,  roi 

(\)  Casimir  Bousquet,  La  Major  ;  —  Alfred  Saurel,  La  Banlieue  de 
Marseille  (Saint-Giniez)  ;  —  l'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez. 

(2)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  pp.  27,  28. 

(3)  L'abbé  Daspres  Notice  sur  Saint-Giniez,  pp.  24  et  29.  —  André, 
Histoire  des  religieuses   de  V abbaye  de  Saint-Sauveur,  pp.    117,119. 

—  De  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  III,  p    138,  etc. 

—  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  5G,   101.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  1. 1,  p.  362. 


—  193  — 

de  Sicile  et  comte  de  Provence,  avait  fondé,  de  concert  avec 
deux  riches  Marseillais.  Le  pape,  à  la  demande  de  Yolande, 
avait  consenti  à  l'union  de  cette  ancienne  abbaye  des  Pré- 
montrés  aux  biens  du  nouveau  couvent  de  Sainte-Paule.  Mais 
ce  monastère  de  Sainte-Paule  ayant  été  démoli  lors  du  siège 
de  Marseille  par  le  connétable  de  Bourbon,  les  religieuses  qui 
l'habitaient  se  réfugièrent  à  Saint-Sauveur,  et  en  1528,  le  28 
janvier,  avec  l'autorisation  du  pape,  unirent  leurs  biens  à 
ceux  de  Saint-Sauveur  .  a  C'est  de  cette  manière,  ajoutent  les 
auteurs,  que  Saint  Sauveur  vint  en  possession  de  ce  que  Ton 
appelle  la  chapelle  a  deïs  Desnarrados  ».  Et  comme  à  aucune 
époque  antérieure,  Saint-Sauveur  n'a  possédé  ces  ruines,  c'est 
à  partir  de  cette  époque,  vers  1528,  que  cette  dénomination 
de  chapelle  a  deïs  Desnarrados  »  leur  aurait  été  donnée  (1). 

Observons  d'abord  qu'à  cette  époque  de  1528  les  religieuses 
de  Saint-Sauveur  ne  sont  plus  des  Cassianites.  Depuis  déjà  bien 
des  siècles  ces  religieuses  avaient  quitté  la  règle  de  Cassien 
pour  suivre  celle  de  saint  Benoit.  Ce  changement  dut  s'effec- 
tuer vers  le  X-  siècle,  à  Saint-Sauveur,  en  môme  temps  qu'il 
s'effectuait  à  Saint-Victor  (2),  alors  que  les  évoques  de 
Marseille,  vu  le  manque  total  de  moines  cassianites,  dispersés 
ou  massacrés  à  l'époque  du  sac  de  l'abbaye,  y  introduisirent 


(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint  Sauveur ;p.  119.  — 
Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  29. 

(2)  Lorsque  Honoré  II,  évêque  de  Marseille,  rétablit  l'abbaye  de  Saint- 
Victor,  il  voulut  que  les  religieux  suivissent  la  régie  de  saint  Benoit  : 
«  Cum  clericis  meis  divini  accensum  amoris,  in  honore  Dei  omnipotentis 
sa dc tique  Victoris  martyris,  congregationem  monachorum  secundum 
regulam  sancti  Benedicti,  in  abbatia  ejusdem  Sancti  Victoris  constitui 
optamus.  »  Gartulaire  de  Saint-Victor,  ch.  23.  —  Belsunce,  Antiquité  de 
l'Eglise  de  Marseille,  p.  349,  suppose  que  bien  avant  966  la  régie  de 
saint  Benoit  était  suivie  à  Saint- Victor.  C'est  fort  probable.  Dés  l'an  534, 
un  disciple  de  saint  Benoit  l'établit  en  Sicile.  A  peu  près  à  la  même  époque, 
Maur,  un  autre  disciple,  la  fit  adopter  en  France.  Dès  l'an  676  le  concile 
de  Crécy  recommandait  aux  abbés  et  aux  moines  de  la  suivre.  Puis  les 
conciles  de  Germanie,  (742),  de  Liptines  (743),  d'Aix-la-Chapelle  (803),  de 
Reims,  de  Mayence,  de  Châlons-sur- Saône  (813),  ne  cessent  de  la  recom- 
mander et  de  l'imposer  aux  monastères.  (Histoire  chronologique  et 
historique    des  conciles,   par   Roisselet  de  Sauclières,  t.  III,  passim.) 


—  194  — 

les  bénédictins  (1).  Depuis  donc  trois  cents  ans,  quatre  cents, 
cinq  cents  ans,  les  dames  de  Saint-Sauveur,  en  1528,  ne  sont 
plus  des  Cassianites;  on  les  appelle:  a  moniales  de  Sancto 
Salvatore  »,  les  dames  de  Saint-Sauveur  (2). 

C'est  une  chose  que  l'on  sait  à  Marseille,  que  ce  sont  les 
religieuses  d'un  autre  ordre,  n'ayant  guère  de  commun  avec 
les  anciennes  Cassianites  que  le  privilège  et  l'honneur  de  leur 
avoir  succédé.  On  sait  aussi,  à  Marseille,  qu'Eusébie  et  ses 
compagnes  étaient  des  religieuses  cassianites  ;  qu'à  ce  titre 
leurs  corps  étaient  inhumés  à  Saint-Victor,  presque  à  côté  du 
tombeau  de  saint  Cassien,  le  fondateur  de  leur  monastère  ; 
qu'elles  sont  une  des  gloires  de  l'ordre  des  vierges  que  ce 
saint  avait  établi.  Voilà  ce  que  l'on  sait  en  1528,  et  ce  que  l'on 
a  toujours  su  à  Marseille,  avant  et  après  1528. 

Or,  en  1528,  les  dames,  les  «  moniales  »  de  Saint- 
Sauveur,  qui  ne  sont  pas  Cassianites,  arrivent  aux  bords 
de  l'Huveaune  et  le  peuple  donnera  à  l'oratoire  qu'elles 
acquièrent  la  dénomination  de  chapelle  «  dels  Desnar- 
rados  »  !  Cela  n'est  pas  possible.  Pour  que  le  peuple 
désignât  leur  chapelle  par  ce  titre,  il  serait  nécessaire 
que  cette  congrégation  de  Saint-Sauveur  ait  toujours 
été  désignée  comme  ayant  fourni  les  héroïnes  de  ce 
glorieux  fait.    Or,    jamais  auteur  sérieux   n'a  dit  que  les* 


(1)  A  quelle  époque  précise  la  règle  do  saint  Benoit  fut  adoptée  par  les 
religieuses  cassianites,  nous  ne  saurions  le  dire.  Les  conciles  de 
Germanie  en  742,  de  Liptines  en  743,  de  Mayence  en  813,  de  Pavie  en 
855  la  recommandent  et  l'imposent  aux  monastères.  Quant  aux  Cassia- 
nites de  Marseille,  aucun  document,  que  nous  sachions,  ne  nous  indique 
si  déjà  elles  la  suivaient.  Le  premier  titre  dans  lequel  il  serait  fait  men- 
tion de  ce  point  qui  nous  occupe  est  de  1216,  c'est  un  bulle  d'Honorius  III, 
qui  autorise  d'éiire  l'abbesse  de  Saint-Sauveur  selon  la  règle  de  saint 
Benoit:  «  Cum  au  te  m  in  monasterio  vestro,  abbatissae  fuerit  electio 
celebranda,  eam  vobis  in  abbatissam  statuimus  apostolica  auctoritate 
concedi  quam  vos  communi  consensu.  aut  major  pars  vestrum  consilii 
sanioris  cum  consilio  rcligiosorutn  virorum,  secundum  Deum  et  beati 
Benedicti  régula  m  provideritis  eligendam.  »  André,  Histoire  des 
religieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  32,  pièces  justificatives,  G,  p.  214. 

(2)  c  Alexander. . .  filiabus  sororibus  Sancti  Salvatoris  Massiliensis. . . 
monialibus  Sancti  Salvatoris.  »  André,  op.  cit.,  pièces  justif.,  passim. 


—  195  — 

religieuses  de  Saint-Sauveur  avaient  mutilé  leur  visage,  pour 
échapper  à  la  lubricité  des  Sarrasins.  Si  on  Ta  dit,  c'est  par 
pure  confusion  de  mots,  par  pure  ignorance  des  événements, 
en  affirmant  un  fait  impossible,  car  les  religieuses  de  Saint- 
Sauveur  datent  de  l'an  1004  ou  au  moins  de  Tan  1033,  et  les 
Sarrasins  ont  accompli  leurs  ravages  au  plus  tard  vers  923. 

De  plus,  si  cette  dénomination  de  chapelle  a  deïs  Desnarra- 
dos  r>  a  été  attribuée  à  ces  ruines  parce  quelles  devenaient  la 
propriété  de  Saint-Sauveur,  il  aurait  fallu  que  ce  titre  de 
gloire  ait  suivi  cet  ordre  religieux  dans  les  divers  endroits  où 
son  siège  a  été  établi,  où  il  a  possédé  des  biens.  Or,  a-t-on 
jamais  appelle  la  chapelle  de  leur  abbaye  de  Saint-Sauveur, 
à  la  place  de  Lenche,  la  chapelle  des  Accoules  qu'elles  occu- 
pèrent plus  tard:  chapelle  a  deïs  Desnarrados  »  ?  Dès  Tannée 
1032,  elle  possédaient  la  quatrième  partie  d'AUauch  que  le 
vicomte  Guillaume  leur  avait  cédée  (1),  des  droits  sur  le  bourg 
de  Laza  ( Roquevaire)  ;  en  1216,  des  terres  à  Saint-Loup,  à 
Saint-Marcel.  A-t-on  jamais  dit  que  c'étaient  là  les  terres 
«  deïs  Desnarrados  »?  Ni  Marchetti,  dans  les  Coutumes  des 
Marseillais,  ni  André,  ni  personne  n'ont  cité  un  texte  don- 
nant ce  titre  à  ces  chapelles.  Donc  le  peuple  n'a  pas  donné  en 
1528,  à  ces  ruines  de  THuveaune,  un  titre  qui  n'appartenait 
pas  en  réalité  à  la  congrégation  de  Saint-Sauveur. 

Si  donc  on  appelle  ces  ruines  de  ce  nom,  c'est  qu'il  y  a  un 
motif.  L'abbé  Daspres croyait  l'avoir  découvert:  a  Partout  où 
il  y  a  un  monastère  de  ces  religieuses,  on  place  aiissi  ce 
glorieux  fait  (2),  tant  il  est  accepté  dans  l'esprit  du  peuple 

(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  pp.  17, 32,  etc. 
Il  y  a,  à  Allauch,  un  quartier  appelle  Sant-Aouphemi,  que  Ton  croit 

être  le  même  point  du  terroir  désigné  dans  les  fragments  de  Polyptique 
sons  le  nom  de  <  habemus  pralum  Sanctae-Euphemiœ  ».  Or,  jamais, 
durant  notre  séjour  à  Allauch,  nous  n'avons  entendu  désigner  cet  endroit 
sous  le  no.n  de  «  deïs  Desnarrados  >  et  cependant,  en  supposant  qu'il 
soit  vrai  que  ce  coin  du  terroir  lût  bien  le  môme  que  celui  dont  parient 
ces  fragments,  il  s'agissait  bien  alors  des  Cassianites,  et  il  ne  s'était  pas 
écoulé  un  long  temps  depu*s  le  massacre  «  dels  Desnarrados  ».  Les  péni- 
tents bleus  d'AUauch  possédaient  jadis  une  statue  de  sainte  Euphémieetie 
culte  en  l'honneur  de  cette  sainte  était  une  dévotion  locale. 

(2)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  Sain t-Giniezy  p.  28. 


—  196  — 

que  ce  sont  les  Filles  de  Saint-Cassieh  qui  se  sont  montrées  si 
admirables  d'héroïsme.  »  Il  serait  plus  exact  de  dire  :  partout 
où  Ton  place  ce  fait,  il  y  a  eu  un  monastère  de  religieuses.  Et 
l'on  énoncerait  ainsi  une  vérité  historique.  Car,  à  ces  époques 
désastreuses,  cet  acte  de  courage  a  été  accompli  par  des 
légions  de  vierges  chrétiennes.  On  dit  qu'à  Ptolémaïde  ce  fait 
se  produisit  (  t).  Ruffl  cite  deux  couvents  qui  furent  le  théâtre 
de  ce  zèle  virginal  (2).  Dom  Bérengier  en  cite  un  autre  à 
Gastelmoron  (3).  De  sorte  que  Ton  peut  très  bien  dire,  en 
renversant  la  proposition,  que  lorsque  la  croyance  populaire 
place  ce  fait  à  un  endroit,  c'est  que  là  il  y  a  eu  un  monastère 
de  religieuses.  Or,  c'est  le  cas  pour  les  ruines  de  l'ancienne 
chapelle  des  Prémontrés.  Le  peuple  les  appelle  maison  «deïs 
Desnarrados  »,  donc  il  y  a  eu  en  cet  endroit  une  maison  de 
religieuses.  Toute  la  question  est  de  savoir  à  quel  moment 
on  a  commencé  à  appeller  cette  maison  en  ruine  :  la  chapelle 
«  deïs  Desnarrados  ».  Est-ce  depuis  1528  ou  avant  1528?  Nous 
le  verrons  plus  tard. 

Que,  dans  son  langage  ordinaire,  le  peuple,  de  nos  jours, 
appelle  les  religieuses  de  Saint- Sauveur:  a  celles  qui  se  sont 
coupé  le  nez  »,  et  l'emplacement  du  couvent  Saint-Sauveur, 
à  la  place  au  Lenche  :  les  ruines  du  couvent  «  deïs  Desnar- 
rados »,  nous  le  répétons,  c'est  par  ignorance  des  faits, 
ou  par  une  confusion  de  mots.  Nous-méme,  quand  nous 
employons  cette  expression  vulgaire,  ou  bien  nous  ou- 
blions l'histoire  de  Saint-Sauveur  ou  bien  nous  donnons 
à  cette  expression  une  signification  de  convention  bien  dif- 
férente de  celle  qui  lui  revient  en  réalité.  Nous  ne  pouvons 
vouloir  dire,  en  effet,  que  ce  sont  les  dames  de  Saint-Sauveur 
qui  ont  été  ainsi  martyrisées,  puisque  nous  savons  que  les 
héroïnes  de  ce  fait  c'étaient  des  Cassianites,  et  que  les  reli- 
gieuses de  Saint-Sauveur  n'étaient  pas  les  filles  de  Cassien. 

(1)  Scaramelli,  Guide  ascétique,  t.  III,  p.  319,  traduction  par  l'abbé 
Pascal.  x 

(2)  Ruffl,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58.  —  Histoire  des  Normands, 
par  Deppiez,  p.  153. 

(3)  Dom  Bérengier,   Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  t.  I,  p.  10, 
note  1. 


—  197  — 

Notre  manière  de  parler  signifie  donc  que  les  dames  de  Saint- 
Sauveur  sont  les  religieuses  qui  ont  remplacé  les  Cassianites, 
qui  jadis  se  mutilèrent  le  visage,  en  se  coupant  le  nez.  Voilà 
la  véritable  et  logique  signification  de  cette  expression  vul- 
gaire dont  nous  nous  servons  quelquefois.  Ce  n'est  donc  pas 
parce  que  les  dames  de  Saint-Sauveur  ont  possédé  en  1528  les 
ruines  de  la  chapelle  des  Prémontrés,  qu'on  a  appelé  ces 
ruines:  la  chapelle  «  deïs  Desnarrados  ».  C'est  pour  une 
autre  raison. 


CHAPITRE  IX 

L'abbaye  cassianite  placée  par  les  auteurs 
aux  Catalans  ou  au  bassin  du  Carénage 


TEXTE  DE  GROSSON.  —  PAS  DE  PREUVES.  —  INSCRIPTION  DU  CARÉNA- 
GE. —  IL  S'AGIT  DANS  CETTE  INSCRIPTION  D'UN  HOMME  MARIÉ.  — 
ELLE  EST  DU  V"  SIÈCLE  AU  PLUS  TARD.  —  M.  BOUSQUET  ET  8A  FU- 
REUR CONTRE  PAPON.  —  M.   SAUREL  ET  SES  INEXACTITUDES. 


Grosson,  dans  son  Almanach  historique,  de  Tan  1770,  sou- 
tient que  l'abbaye  cassianite  se  serait  trouvée  «  à  quelque 
distance  du  couvent  de  Saint-Victor  ».  a  II  y  a  lieu  de  croire 
que  c'était  vers  l'endroit  où  sont  aujourd'hui  les  Infirmeries 
Vieilles  (les  Catalans),  sous  la  citadelle  de  Saint-Nicolas,  et 
non  pas  à  l'embouchure  de  THuveaune  (1).  »  Grosson  est  un 
auteur  très  estimable.  Cependant  personne  n'est  obligé  à  le 
croire  sur  parole.  Aussi  une  petite  preuve  nous  aurait  causé 
un  sensible  plaisir.  Mais  il  nous  faut  nous  contenter  de  cette 
formule  bien  vague:  «  Il  y  a  lieu  de  croire  ».  On  avouera 
que  ce  n'est  pas  suffisant.  Aussi  nous  passons. 

Voici  une  objection  autrement  sérieuse,  quoique  assez 
facile  à  résoudre. 

L'abbaye  cassianite,  suivant  Guindon  et  Méry,  Saurel , 
Bousquet,  Magloire  Giraud,  Verlaque,  se  trouverait  à  l'em- 
placement qu'occupe  actuellement  le  bassin  du  Carénage,  en 
dessous  de  l'abbatiale  de  Saint- Victor  (2).  La  preuve  en  serait 
une  inscription  sur  marbre,  découverte  en  juillet  1833. 

Quelle  est  cette  inscription  ?  Sur  une  plaque  de  marbre  de 
moyenne  grandeur  est  sculptée  une  croix,    dont  les  bras, 

(1)  Grosson,  Almanach  historique  de  Marseille  pour  Tannée  1779, 
p.  74. 

(2)  Voir  le  chapitre  du  présent  ouvrage  où  ces  auteurs  sont  cités  in 
extenso. 


—  199  — 

plus  courts  que  le  montant,  s'adaptent  au  tiers  de  la  hauteur 
de  ce  montant,  ce  qui  la  fait  ressembler  à  une  croix  latine. 
Sur  cette  croix  môme  sont  gravés  ces  mots ,  partie  sur  le 
montant,  partie  sur  les  bras  :  «  Votum  fecit  cui  nomen  Me- 
nas. »  Puis,  de  chaque  côté  de  la  croix,  dans  les  angles 
que  forment  les  côtés,  cette  inscription,  que  M.  Edmond 
Leblant  a  ainsi  déchiffrée  :  a  fiono  requie  avia  in  die  futuro 
maritum  Eumenata  bene  vixerit,  et  mercede  superna  vocabit 
apud  Domino  hic  jacet  Gemula  cui  nomen.  »  Au-desssous  des 
deux  bras  de  la  croix  sont  gravés  à  gauche  Valpha,  à  droite 
Yomèga,  largement  ouverts,  renversés  et  reliés  par  un  fil  à 
la  branche  de  la  croix  (1). 

Pour  que  cette  inscription  fût  une  preuve  concluante  qu'à 
remplacement  du  bassin  du  Carénage  s'élevait  un  monaslère 
de  religieuses  à  une  époque  antérieure  au  IX*  siècle,  il  faudrait 
que  ce  fût  là  l'épitaphe  d'une  ou  de  plusieurs  religieuses,  vier- 
ges consacrées  à  Dieu  ;  de  plus,  que  cette  inscription  appar- 
tint  aux  V,  VI-,  VII*  siècles  ou  à  la  première  moitié  du 

(1)  Guindon  et  Méry,  op.  cit.,  p.  201.  —  Voici  de  quelle  manière 
M.  Edmond  Leblant  donne  le  fac-similé  de  cette  inscription  : 


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—  200  — 

VIII"  siècle  ;  et,  enfin,  qu'il  fût  impossible  à  des  religieuses 
habitant  par  supposition  les  bords  de  l'Huveaune  de  se  faire 
inhumer  auprès  de  Saint-Victor.  Si  cette  inscription  appar- 
tenait au  IX'  ou  au  X'  siècle,  elle  ne  prouverait  rien  contre 
nous,  puisque  nous  acceptons  qu'à  partir  de  la  deuxième 
moitié  du  VHP  siècle,  le  monastère  cassianite  se  trouvait 
auprès  de  Saint- Victor.  Si,  d'autre  part,  cette  inscription  da- 
tant du  V%  du  VI-,  du  VII-  siècle,  il  était  possible  de  supposer  que 
des  religieuses  habitant  non  loin  de  Saint-Victor,  sur  les  bords 
de  l'Huveaune  par  exemple,  aient  pu  se  faire  inhumer  au 
Carénage,  l'inscription  ne  prouverait  encore  rien  contre  nous; 
si,  enfin,  cette  inscription  était  l'épitaphe  de  toutes  autres 
personnes  que  de  religieuses,  ce  serait  bien  inutilement  qu'on 
1  alléguerait. 

Or,  en  premier  lieu,  cette  inscription  n'est  pas  l'épitaphe 
d'une  ou  de  plusieurs  religieuses.  Il  s'agit,  en  effet,  d'un  cer- 
tain Eumenas,  qui  est  le  mari  au  souvenir  de  qui  l'épouse, 
peut-être  cette  Gemula  indiquée  plus  bas,  a  fait  graver  cette 
inscription  :  «  Maritum  Eumenate  ».  On  le  voit,  si  la  ques- 
tion est  tranchée  de  quelque  manière,  elle  Test  contre  ceux 
qui  avancent  une  telle  preuve.  Dans  cette  inscription  il  ne 
s'agit  pas  de  religieuses. 

Ensuite,  de  quelle  époque  date  cette  inscription  ?  M.  Le- 
blanc qui  la  relate  dans  son  Recueil  d'inscriptions  chré- 
tiennes antérieures  au  VHP  siècle  %  n'indique  pas  de 
date  précise.  Mais  le  seul  fait  de  l'avoir  insérée  dans  son 
Recueil  indique  qu'elle  n'est  pas  postérieure  au  VIII-  siècle . 
Nous  prouverons  en  son  lieu  que  ce  marbre  appartient  à  la 
deuxième  moitié  du  V  siècle. 

D'ailleurs,  ce  marbre  parlât-il  de  religieuses  vivant  à 
cette  époque,  il  ne  pourrait  encore  fournir  une  preuve 
concluante  contre  nous.  Si  Ton  peut,  en  effet,  supposer  que 
des  religieuses  habitant  un  monastère  loin  de  Saint- Victor, 
par  exemple  sur  les  bords  de  l'Huveaune,  ont  été  inhumées 
dans  le  cimetière  qui  se  trouvait  au  bassin  du  Carénage,  toute 
la  force  de  l'argument  de  Guindon  tomberait.  Or,  cette  sup- 
position on  peut  la  faire.  Dans  un  chapitre  précédent  nous 


—  201  - 

l'avons  démontré  longuement  (1).  Donc  l'assertion  de  Guindon, 
Méry,  etc.,  ne  tient  pas. 

Gomme  Guindon  et  Méry,  M.  Bousquet,  auteur  de  la  Mono- 
graphie sur  la  Major,  a  soutenu  son  opinion  en  alléguant  la 
même  preuve  (2).  Ce  qui  a  été  dit  plus  haut  devrait  suffire. 
Mais  nous  ne  résistons  pas  au  plaisir  de  citer  cet  écrivain. 
Rien  n'est  curieux  comme  son  cas,  nous  voulons  dire  sa 
déconvenue. 

Il  avait,  dans  deux  passages  de  son  ouvrage,  soutenu  que 
c'était  bien  à  THuveaune  que  s'élevait  le  monastère  des 
vierges  cassianites.  C'est,  parait-il,  pour  s'être  fié  à  Papon 
qu'il  avait  accepté  cette  opinion.  Mais,  reconnaissant  plus 
tard  qu'il  n'y  avait  là  qu'un  ingénieux  système,  M.  Bousquet 
se  plaint  amèrement  de  sa  mésaventure.  Voulant' tancer  ver- 
tement l'écrivain,  il  dit  de  celui-ci  «  qu'il  n'aurait  pas  fallu 
qu'il  avouât,  dans  le  deuxième  volume  de  son  Histoire,  qu'il 
n  avait  pas  été  admis  à  consulter  les  archives  de  Saint- Victor. 
Cet  aveu  contient  sa  condamnation  (3).  »  C'est  bien  aussi 
quelque  peu  la  condamnation  de  M.  Bousquet,  car,  lorsqu'il 
écrivait  sa  monographie,  vers  1857,  il  pouvait  très  bien  lire 
l'aveu  naïf  de  Papon  et  agir  en  conséquence  (4). 

«  Si  Papon,  ajoute  l'irascible  auteur,  avait  eu  accès  aux 
archives  de  Saint- Victor,  il  aurait  vu  que  remplacement  du 
monastère  cassianite  est  parfaitement  désigné  dans  le  cartu- 
laire  de  Saint- Victor  :  a  Pater  Cassianus,  y  est-il  dit,  funda- 
«  vit  monasterium  monialium  non  longe  a  ripa  portus,  juxta 
«  viam  defGardia.»  Voilà  qui  est  clair,  et  Guesnay  est  inexcu- 
sable de  n'avoir  pas  lu  ce  texte,  lui  qui  jouissait  de  la  faveur 
qui  ne  fut  pas  accordée  à  Papon.  » 

Ce  que  c'est  que  de  vouloir  toujours  trouver  en  défaut  moi- 


Ci)  Voir  le  chapitre  du  présent  ouvrage  intitulé  :  Inscription  d'Eu- 
genia. 

(2)  Casimir  Bousquet,  La  Major,  cathédrale  de  Marseille,  pp.  67,  69, 
623. 

(3)  C.  Bousquet,  p.  625.  —  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  pp.  361, 
362. 

(4)  Papon  le  dit  tout  simplement  dans  t.  II,  page  4  de  la  préface  et 
p.  526. 


—  202  — 

nés  et  prêtres  !  !  Qui  est  bien  vengé,  en  effet,  c'est  Papon 
et  Guesnay.  Eussent-ils  joui  du  privilège  de  fouiller  les  archi- 
ves de  Saint-Victor,  il  leur  eût  été  bien  difficile  de  lire  ce  texte, 
puisqu'il  n'existe  pas.  Et  M.  Bousquet,  qui  a  vu  le  cartu- 
laire  (1),  l'a  très  mal  lu.  Papon  et  Guesnay  sont  donc  parfaite- 
ment excusables  de  n'avoir  pas  cité  ce  texte  si  clair  et  si  pré- 
cis. Ils  ont  lu  ce  texte,  seulement  ils  l'ont  compris,  voilà  pour- 
quoi ils  ne  s'en  servent  pas.  On  se  rappelle,  en  effet,  que  nous 
avons  expliqué  ce  texte  de  la  charte  40,  du  XI"  siècle  (2).  Il 
n'est  point  tel  que  M.  Bousquet  affirme  l'avoir  lu.  En  outre, 
il  a  un  sens  bien  différent  de  celui  que  M.  Bousquet  lui  donne. 
En  dépit  donc  de  cet  auteur,  il  est  entièrement  faux  que  le 
couvent  cassianite  ait  été  au  pied  de  la  Garde. 

M.  Bousquet  est  encore  dans  Terreur  au  sujet  de  la  dénomi- 
nation provençale  a  deïs  Desnarrados  ».  Nous  l'avons  prouvé 
plus  haut  en  réfutant  M.  l'abbé  Daspres.  Enfin,  il  se  trompe 
encore,  cet  excellent  M.  Bousquet,  quand  il  allègue  comme 
preuve  de  son  opinion  la  découverte  de  l'inscription  du  Caré- 
nage. Ce  marbre  ne  parle  pas  de  religieuses,  mais  d'une  per- 
sonne mariée.  Donc,  que  M.  Bousquet  se  calme,  et  qu'il  n'en 
ait  plus  contre  Papon.  11  a  perdu,  lui,  l'occasion  de  soutenir 
ce  qui  est  la  vérité  sur  cette  question. 

Nous  arrivons  à  Alfred  Saurel.  On  a  vu  plus  haut  ce  que  cet 
auteur  a  écrit  sur  le  sujet  qui  nous  occupe  (3).  Malgré  tout  son 
désir  d'être  exact,  A.  Saurel  a  réuni  dans  quelques  lignes  une 
jolie  collection  d'inexactitudes.  11  cite  les  auteurs  qui  sou- 
tiennent une  opinion  différente,  puis  il  ajoute  :  «  Lie  document 
que  nous  donnons  avec  d'autres  est  assez  précis  pour  arrêter 
toute  discussion  (4).  »  Certes,  la  preuve  péremptoire  que  nous 
cherchons  depuis  si  longtemps  a-t-elle  été  découverte  ?  La 


(1)  Le  cartulaire  de  Saint-Victor  a  été  imprimé  en  1857.  Si  M.  Bous- 
quet n'a  pas  vu  cet  ouvrage  imprimé,  il  a  pu  voir  aux  archives  le  car- 
tulaire manuscrit. 

(2)  Voir  le  chapitre  où  ce  texte  est  cité  et  interprété. 

(3)  Voir  le  chapitre  de  ce  présent  ouvrage  où  le  témoignage  de  cet 
auteur  est  cité. 

(4)  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  Saint-Ginies,  pp.  160 
154. 


—  203  - 

voici,  telle  que  la  donne  A.  Saurel:  «  Pater  Cassianus  fundavit 
monasterium  monialium  non  longe  a  ripa  portus,  juxta  viam 
de  Gardia  !  !  !  » 

Cette  phrase  que  cite  A.  Saurel  ressemble  fortement  à 
celle  que  M.  Bousquet  affirmait  avoir  lue  dans  le  Cartulaire. 
Elle  est  identique!  Aussi  un  terrible  soupçon  nous  tourmente. 
Il  est  peut-être  téméraire,  n'importe,  faisons-le  connaître. 
Nous  gagerions  que  Saurel  a  copié  Bousquet,  qu'il  ne  s'est 
pas  donné  la  peine,  ou  le  luxe  d'ouvrir  un  cartulaire  de  Saint- 
Victor,  et  d'y  lire  le  véritable  texte  de  la  charte  40,  du  XI*  siè- 
cle. Dans  tous  les  cas,  il  y  aurait  dans  l'assertion  de  Saurel 
une  première  inexactitude  ! 

Cet  auteur  ajoute  qu'  «  une  découverte  faite  en  juillet  1833, 
au  bassin  du  Carénage  est  du  reste  concluante.  C'est  une  ins- 
cription tumulaire  déposée  aujourd'hui  au  musée  Borrély,  et 
reproduite  dans  l'ouvrage  de  Guindon,  qui  n'est  autre  que 
l'épitaphe  d'Eusébie  et  ses  compagnes.  »  M.  Saurel  nous  met 
de  nouveau  martel  en  tête  !  Nous  avons  peur  qu'il  n'ait  jamais 
lu  cette  inscription  dans  Guindon  ;  qu'il  ne  Tait  jamais  vue 
au  musée  Borrély  ;  et  que,  de  plus,  il  n'ait  jamais  aperçu, 
au  même  musée,  l'épitaphe  d'Eusébie  que  l'on  trouve  dans 
Ruf fi,  Verlaque,  André,  le  Cata'ogue  raisonné  du  Musée 
archéologique  du  château  Borrély.  Dans  l'inscription  citée 
par  Guindon  et  Méry,  nous  l'avons  montré  plus  haut,  il  s'agit 
d'Eumenas,  homme  marié,  et  d'une  Gemula,  qui  parait  être 
sa  femme  ou  sa  fille,  et  dans  celle  d'Eusébie  il  s'agit  d'une 
religieuse  qui  vécut  cinquante  ans  «  in  monasterio  Sancti 
Cyrici  » .   Deuxième  inexactitude  ! 

A.  Saurel  termine  en  attribuant  la  dénomination  a  deïs 
Desnarrados  »  que  l'on  donne  aux  ruines  de  l'Huveaune  à 
l'entrée  en  possession  de  ces  ruines  parles  dames  de  Saint-Sau- 
veur, au  XVI*  siècle.  11  a  élé  démontré  que  cette  explication 
ne  valait  rien  ! 

Ainsi  donc  les  auteurs  qui  ont  placé  le  monastère  cassianite 
à  l'emplacement  du  bassin  du  Carénage  n'ont  pas  réussi  à 
établir  cette  assertion  sur  des  preuves  assez  solides. 


CHAPITRE  X 
L'abbaye  cassianite  au  quartier  du  Revest 

LES  CASSIANITES  ONT  POSSÉDÉ  DES  BIEN3  AU  TERROIR  DE  SAINT-GINIEZ, 
DURANT  LE  X*  SIÈCLE.  —LE  TEXTE  DE  LA  CHARTE  40  N'EST  D*AUCUN 
SECOURS.  —  LE  REVEST  SELON  LES  AUTEURS. 

C'est  l'opinion  de  l'auteur  des  Saints  de  V Eglise  de  Mar- 
seille el  les  arguments  à  l'appui  que  nous  devons  discuter 
maintenant.  Cet  aimable  historiographe  ayant  écrit  plus  lon- 
guement et  tout  récemment  sur  le  sujet  qui  nous  occupe,  nous 
devons  le  réfuter  avec  quelque  détail. 

«  Certains  historiens  ont  cru,  a  dit  M.  de  Rey,  que  ce  mo- 
nastère était  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  et  ils  se  sont  ap- 
puyés sur  une  tradition  locale  qui  met  en  ce  lieu  le  martyre 
de  sainte  Eusébie. . .  Mais  il  ne  parait  pas  que  les  religieuses 
de  Cassien  aient  rien  possédé  à  l'embouchure  de  l'Huveaune 
avant  le  XVI'siècle,  et  la  tradition  locale  ne  peut  pas  être  beau- 
coup plus  ancienne  (1) .» 

On  sait  que  les  Prémontrés  reconstruisirent,  en  1204, 
une  petite  chapelle,  à  cette  époque  en  ruine,  sur  ces 
bords  et  en  firent  l'abbaye  de  Notre-Dame-d'Huveaune  qui 
dura  deux  cents  ans.  Après  ce  laps  de  temps,  cette  abbaye  et 
ses  dépendances  furent  données  aux  Augustines  de  Sainte- 
Paule,  lesquelles  cent  ans  plus  tard,  en  1528,  s'unissant  aux 
dames  de  Saint-Sauveur,  leur  apportèrent  cette  propriété.  Il 
est  vrai  que  si  les  religieuses  de  Saint-Sauveur  n'ont  fait  leur 
apparition  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  qu'en  1528,  la  tra- 
dition locale  sur  sainte  Eusébie  pourrait  ne  pas  être  plus  an- 
cienne et  partant  on  ne  pourrait  guère  placer  en  ce  lieu  le 
martyre  de  cette  sainte.  Mais  les  religieuses  de  Saint-Cassien 
ont  possédé  des  terres  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  ou   non 

(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Ma rseiUe,  sainte  Eusébie,  p.  231. 


—  205  — 

loin  de  là,  bien  avant  le  XVI0  siècle.  Au  mois  d'avril  1077,  Gar- 
sende,  abbesse  de  Saint-Sauveur,  cède  ou  vend  à  Saint-Victor 
la  dlme  ou  la  part  qui  lui  revenait  sur  un  champ  dont  Pierre 
Saumade,  fils  de  la  vicomtesse  Stéphanie  et  de  Guillaume  le 
Gros,  était  propriétaire.  Et  ce  champ  était  situé  a  juxta  ortum 
Saocti  Victoris  ad  Vuelna  »,  sur  la  rive  droite  de  ce  fleuve,  à 
peu  près  vis-à-vis  de  Saint-Giniez  (1). 

La  charte 37  du  XI-  siècle  parle  d'un  jardin  des  religieuses, 
«ortum  monacharum  »,  situé  au  quartier  de  Ressac,  jardin 
qui  sert  de  limite  et  de  conf ront  à  deux  ou  trois  pièces  de  terre 
que  certains  particuliers  donnent  ou  vendent  à  Saint-Victor. 
Or,  les  lieux  environnant  ou  confrontant  ce  jardin  des  reli- 
gieuses s'appellent  a  ad  Resclausum  ».  D'après  M.  Mortreuil, 
c'est  l'endroit  du  terroir  appelé  l'Ecluse,  un  ancien  quartier 
de  Saint-Giniez,  à  la  jonction  du  Jarret  et  de  l'Huveaune  (2). 
Voilà  déjà  deux  propriétés  que  Saint-Sauveur  possède  sur  les 
bords  de  l'Huveaune  et  près  de  Saint-Giniez,  au  XI-  siècle.  Or, 
peut-on  dire  que  ce  soient  les  premiers  biens  que  Saint -Sau- 
veur ait  possédés  dans  ce  quartier  ?  Mais  les  fragments  trouvés 
par  Ruffl,  et  que  M.  Albanès  pense  être  des  portions  du  grand 
Polyptique  ou  des  parchemins  lui  faisant  suite,  ces  frag- 
ments (3),  dis- je,  indiquent  que  «  tempore  Gualdadi  »,  à  Tin- 
diction  XI,  c'est-à-dire  vers .814,  l'abbaye  possédait  des  escla- 
ves, des  serfs,  des  colons  «  in  agro  Columbario  ».  M.  Mortreuil 
place  ce  quartier  de  Colombier  près  du  Rouet  (4);  qu'au  temps 
de  Venator,  à  la  fin  du  IX"  siècle,  elle  avait  des  esclaves  «  in 
agro  Massiliensi  ».  Or,  T«ager  Massiliensis»  comprenait  Saint- 
Giniez  comme  d'autres  quartiers  (5). 

Pourrait-on  assurer  que  l'abbaye  cassianite  n'a  jamais  rien 
possédé  sur  les  bords  de  l'Huveaune  antérieurement  à  Valdalde, 


(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  88. 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  37.  —  Dictionnaire  topographi- 
que de  Marseille ,par  Mortreuil,  verbis  :  Ecluse,  p.  138  ;  Ressac,  p.  306. 

(3)  Armoriai  et  Sigillographie  des  êvêques  de  Marseille,  par  M.  le  cha- 
noine Albanès. 

(4)  Mortreuil,  op.  cit.,  p.  114,  verbo:  Colombier. 

(5)  Mortreuil,  op.  cit., p.  216,  verbo:  Marseille.—  Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  1. 1,  préface,  p.  LXI. 

14 


—  206  - 

Venator,  etc.,  etc.?  que  les  titres  de  ces  propriétés  n'ont  pas  pu 
disparaître  à  l'époque  des  invasions  ?  qu'ainsi  tels  et  tels  biens 
n'ont  pas  pu  tomber,  à  l'époque  de  la  destruction  de  l'abbaye 
cassianite,  à  quelque  date  qu'elle  ait  eu  lieu,  dans  le  domaine 
de  Saint-Victor  ou  de  la  cathédrale,  sans  qu'il  restât  de  cette 
opération  une  trace  quelconque?  Certes,  il  a  pu  en  être  ainsi. 
La  conclusion  de  M.  de  Rey  parait  donc  bien  hasardée.  Les 
preuves  que  nous  avons  déduites  des  chartes  37  et  88  et  des 
lragments  du  Polyptique  montrent,  au  contraire,  que  la  tra- 
dition locale  sur  sainte  Eusébie  pourrait  au  moins  remonter 
jusque-là. 

«  Il  est  inutile,  continue  le  même  historien,  de  nous  attarder 
à  combattre  ces  opinions  fantaisistes.  Nous  savons  que  le  mo- 
nastère des  religieuses  était  voisin  de  celui  des  moines,  sur  le 
port  même  de  Marseille  (1)  ».  Et  M.  de  Rey  cite  le  texte  de  la 
charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor  :  «  Terra  Sanclae  Ma- 
riae...  »,  etc.,  etc.  Nous  avons  vu  plus  haut,  en  réfutant  les 
objections  de  Ruffi,  le  cas  qu'il  fallait  faire  de  cette  preuve.  Ce 
texte  ne  va  pas  ad  rem. 

M.  de  Rey  veut  ensuite  indiquer  l'endroit  précis  oii  se  serait 
élevé  le  monastère  des  Gassianites  :  «  Le  cimetière  de  Paradis, 
si  vaste  qu'il  fût,  ne  descendait  pas  jusqu'à  la  mer.  Le  pla- 
teau occupé  par  l'abbaye  de  Saint-Victor  et  traversé  par  la 
rue  Sainte  actuelle  s'incline  brusquement  vers  le  port  par  une 
pente  rapide.  Là  existait,  à  l'époque  dont  nous  parlons,  une 
villa  ou  hameau  dont  le  nom  rappelle  la  disposition  du  terrain. 
G  était  le  Revest.  C'est  sur  ce  coteau  incliné  vers  la  mer  que 
s'élevait  le  monastère  de  Saint-Cyr.  On  ne  peut  lui  attribuer 
un  autre  emplacement  (2) .  »  Tout  serait  parfait,  si  l'auteur 
donnait  une  preuve  de  ce  qu'il  avance.  Mais  il  ne  dit  que  ce- 
ci :  o  Un  titre  de  l'an  1081  confirme  aux  moines  de  Saint-Vic- 
tor le  «  Revestum  juxta  portum  »,  le  Revest  sur  le  port.» 

11  nous  semble  d'abord  que  l'auteur  commet  une  inexacti- 
tude topographique  en  traduisant  les  mots  «juxta  portum» 
par  sur  le  port,  et  en  donnant  à  ces  mots  *  Revestum  juxta 


(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  232. 

(2)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  234. 


—  207  — 

portum  »  une  signification  qu'ils  n'ont  pas.  En  effet,  que  veut 
dire,  dans  le  style  des  chartes,  le  root  a  revest  »  ?  Le  versant 
d'une  montagne.  M.  l'abbé  Daspres,  dans  son  histoire  de  Saint- 
Giniez,  dit  :  «  que  tous  les  versants  de  la  Garde  sont  désignés 
par  le  nom  de  Revest.  Ainsi  le  bourg  de  Revest  est  au  nord  de 
la  Garde,  le  castel  de  Revest  sur  le  versant  occidental,  le  che- 
min des  Princes  et  des  bouches  de  l'Huveaune  ou  Revest  de  la 
Garde  à  Test,  et  le  quartier  de  Saint-Giniez  est  au  midi  (1).» 
M.  Mortreuil  donne  à  ce  mot  de  Revest  la  même  signification  : 
«  C'est  tout  le  côté  de  la  colline  de  Notre-Dame  de  la  Garde 
qui  avait  sa  pente  vers  l'ouest  jusqu'à  la  mer  (2).  »  C'est  dans 
ce  sens  qu'il  faut  prendre  ce  mot  de  Revest  dans  la  charte  de 
1097  :  «  Dne  pièce  de  terre  qui  est  près  du  chemin  qui  va  à 
Saint-Giniez  sur  le  Revest  (3).»  Aussi  dans  ce  sens  qu'il  faut 
prendre  les  mots  a  Revestum  juxta  portum  »  des  chartes  de 
1079,  de  1081,  de  1135  (4). 

Ce  n'est  donc  pas  «  le  Revest  sur  le  port  »  que  signifie  «  Re-a 
vestum  juxta  portum  »,mais  :  le  quartier,  le  versant  du  côté 
du  port.  Ce  n'est  donc  pas  un  bourg,  un  hameau,  un  point 
déterminé  dont  les  chartes  veulent  confirmer  la  possession  à 
Saint-Victor,  c'est  tout  le  versant  de  la  Garde  vers  le  port.  On 
se  rappelle  que  Honoré  II,  évéque  de  Marseille,  avait  donné 
ou  vendu  à  l'abbaye  de  Saint-Victor,  en  966,  tout  l'espace 
compris  entre  le  port,  la  mer,  la  Garde  et  le  chemin  de 
Paradis  (5);  en  1079,  1081,  1135,  cette  possession  fut  confir- 
mée à  Saint- Victor  par  les  papes. 

Plus  tard,  ce  nom  de  Revest  perdit  sa  signification  première. 
Il  s'était  bâti  en  cet  endroit  un  petit  bourg  qui  s'appela 
hameau  du  Revest,  c'est  le  nom  que  lui  donnent  les  chartes. 
Celle  de  1150  le  désigne  par  «  villa  quse  dicitur  Revestum  »  ; 
celle  du  27  mars    1228  :   «  villa  del  Revest  »  ;  celle    du 


(1)  M.  l'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  102. 

(2)  Mortreuil,  op.  cit.,  verbo  :  Revest,  p.  307. 

(S)  Charte  inédite  de  1097.  (Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  note  C, 
p.  Ut.) 

(4)  Chartes  843,  841,844. 

(5)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  23. 


—  208  — 

1"  avril  1228  :  «  villa  de  Rêves to  »  ;  celle  du  30  janvier  1230  : 
«  tenementum  de  Revesto  »  (1). 

Or,  à  cette  époque,  ce  centre  d'habitation,  ce  quartier,  n'avait 
pas  pour  limite  la  partie  du  terrain  incliné  vers  la  mer,  en 
contre-bas  de  la  rue  Sainte.  Il  formait  ce  que  Ton  appelait  le 
district  de  Saint-Victor  dont  la  charte  de  1228  indique  les 
limites  :  a  Le  hameau  de  Revest  et  tout  ce  qui  se  trouve  sur 
son  territoire  est  ainsi  limité  :  Il  va  du  monastère  de  Saint- 
Victor  de  Marseille  jusque  à  la  colonne  du  Podium  Formica- 
rium  ;  de  là  on  va  vers  le  Pontellar  ;  on  comprend  dans  l'espace 
circonscrit  le  petit  bourg  qui  était  autrefois  le  jardin  de  Pierre 
Lica,  puis  toutes  les  salines.  Puis  la  limite  se  dirige  vers 
l'église  de  Beaulieu  (Notre-Dame  des  Salines),  on  suit  le  chemin 
de  la  Garde,  on  arrive  au  pin  de  Raymond  Dalmas,  on  suit  le 
chemin  qui  va  vers  Gironde,  la  maison  de  Jacques  de  la  Salle 
jusqu'à  la  mer,  de  tous  côtés  (2).  »  Voilà  le  quartier  du  Revest, 
le  district  de  Saint- Victor  au  XIII*  siècle.  C'était,  en  résumé,  la 
donation  d'Honoré  II,  accrue  de  donations  postérieures. 

Mais  le  quartier  du  Revest  sur  le  port,  tel  que  le  dépeint  M. 
de  Rey, n'existait  pas  aux  VII6,  VI11\  IX',  X  siècles!  Existât-il, 
il  n'est  pas  prouvé  que  le  monastère  cassianite  s'y  élevât.  Et 
serait-il  prouvé  qu'il  s'élevait  en  cet  endroit  en  1081.  il  fau- 
drait établir  encore  qu'il  existait  à  l'époque  du  martyre  de 
sainte  Eusébie,  à  quelque  époque  qu'on  le  place,  du  VI?  au  X* 
siècle.  C'est  ce  qui  n'a  pas  été  fait.  Si  donc  le  monastère  s'est 
trouvé,  aune  époque,  au  Revest, c'a  été  postérieurement  au 
martyre  de  sainte  Eusébie.  C'est  là,  ou  du  moins  tout  auprès, 
nous  le  croyons,  qu'il  se  trouvait  lorsqu'il  fut  détruit,  en  923, 

(1)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  chartes  849,  899,  900,  917. 

(2)  t Villa  de  Revesto...  quod  clauditur  istis  terminis  videiicet:  monas- 
terio  Santi  Victoris  Massiliensis  usque  ad  columnam  de  Podio  Formicario» 
et  inde  itur  ad  Pontellar,  et  inde  colligitur  borguettus  qui  solebat  esse 
ortus  Pétri  Lica,  et  tote  saline,  et  postea  itur  ad  ecclesiam  de  Belloloco 
et  inde  sicut  vadit  via  quâ  itur  versus  Guardiam  et  ad  pinum  Raimundi 
Dalmacii,  et  sicut  itur  ad  Girundam  et  ad  domum  Jacobi  de  la  Sala,  et 
tote  consue  rémanent  indominio  monnsterii Sancti  Victoris.»  Cartulaire 
de  Saint-Victor,  chartes  899,  900.  Ruffl  (Ant.  de)  :  «  11  y  avait  entre  les 
salines  une  chapelle  appelée  Notre-Dame  de  Beaulieu  ou  des  Salines,  i 
{Histoire de  Marseille,  p.  421.) 


—  209  — 

par  les  Sarrasins.  Dans  ces  tombes  découvertes  aux  environs 
de  la  chapelle  de  Sainte -Catherine,  ont  reposé  les  dépouilles 
mortelles  ou  bien  des  religieuses  morte3  postérieurement  à 
Tan  904,  ou  bien  de  celles  qui  moururent  après  le  martyre  de 
sainte  Eusébie,  alors  que  l'abbaye  de  l'Huveaune  avait  été 
rééiiflée  auprès  de  Saint-Victor,  ou  de  celles  enfin  qui  décé- 
dèrent sur  les  bords  de  FHuveaune  et  que  Ton  transporta  au 
cimetière  de  Paradis. 


CHAPITRE  XI 


L'Abbaye  cassianite  à  Saint-Oyr  (Var) 


TEXTE  DE  M.  MAOLOIRB  GIRAUD.  —  UN  CŒNOBIUM  DE  VIBROB8  A 
SAINT-CYR  (VAR).  —  C'EST  A  TORT  QU'ON  L'AURAIT  CONFONDU  AVEC 
CELUI  DE  MARSEILLE.  —  AUCUNE  PREUVE  EN  FAVEUR  DE  L 'OPINION 
DE  M.  MA  GLOIRE  OIRAUD.  —  LA  CHAPELLE  DE  SAINT-CYR  (VAR) 
DATERAIT  DU  X*  OU  DU  XI*  SIECLE. 


On  a  lu  plus  haut  les  quelques  pages  que  M.  l'abbé.  Magloire 
Giraud,  curé  de  Saint-Cyr  (Var),  a  consacrées  à  ce  point  d'his- 
toire dans  sa  Notice  sur  l'église  de  Saint-Cyr.  Cet  auteur, 
après  avoir  protesté  qu'il  était  loin  de  sa  pensée  de  vouloir 
attaquer  une  des  traditions  de  l'Eglise  de  Marseille,  l'étudié, 
le  flambeau  de  la  critique  à  la  main.  Il  se  demande  si  ce  ne 
serait  pas  à  Saint-Cyr  même  que  s'élevait  jadis  le  a  monaste- 
rium  Sancti  Cyrici  »  dans  lequel  une  épitaphe  connue  nous 
apprend  que  sainte  Eusébie  a  vécu  cinquante  ans.  On  le  voit, 
c'est  de  M.  l'abbé  Magloire  Giraud  que  l'on  pourrait  dire  qu'il 
prêche  pour  sa  paroisse  1  Nous  ne  lui  en  faisons  pas  un  repro- 
che cependant.  C'est  un  honneur  qu'il  vaut  la  peine  de  reven- 
diquer pour  une  localité,  d'avoir  donné  asile  à  un  monastère 
célèbre,  comme  le  fut  celui  de  Saint-Cyr.  Seulement,  notre 
écrivain  décapite  la  tradition,  diminuant  d'autant  la  gloire 
qui  en  reviendrait  à  son  église.  Suivons,  en  effet,  son  argu- 
mentation (1). 

Disons  d'abord  que  M.  Magloire  Giraud  a  été  le  premier  à 
soutenir  que  le  monastère  de  Saint-Cyr  se  trouvait  dans  le 
Var.  Si  loin  de  Marseille  !  C'est  contre  lui  que  Ruffi,  Lautard 

(1)  Notice  historique  sur  V église  de  Saint-Cyr  (Var),  par  l'abbé 
Magloire  Giraud.  —  Nous  avons  eu  la  consolation  de  connaître  l'auteur 
de  cette  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint  Cyr.  C'était  un  prêtre 
d'une  éminente  vertu  et  d'une  grande  science.  L'âge  et  la  maladie  avait 
brisé  ses  forces,  mais  non  son  énergie.  Cn  mois  avant  sa  mort,  il  ne  par- 


—  211   - 

et  de  Rey  ont  beau  jeu.  Ces  écrivains  n'acceptent  pas  que  le 
monastère  cassianite  fût  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  parce 
que  c'eût  été  dans  un  terroir  exposé  aux  incursionsdes  pirates  ; 
loin  de  toute  église  pour  entendre  la  messe  le  dimanche  ;  loin 
de  toutes  les  commodités  de  la  vie  nécessaires  à  un  monas- 
tère. En  vain  M.  Giraud  eût  répondu  que  ce  monastère  était 
aux  environs  de  la  petite  ville  de  Taurœntum.  Cette  ville  ne 
devait  pas  être  une  forteresse  de  premier  ordre,  capable  d'offrir 
un  asile  bien  sûr  en  cas  d'invasion,  puisque  M.  Giraud  fait  se 
retirer  à  Marseille  les  religieuses  de  Saint-  Cyr,  à  l'époque  de 
l'envahissement  de  Taurœntum  par  les  Sarrasins.  Ce  ne  devait 
pas  être  non  plus  une  ville  offrant  beaucoup  de  ressources  ;  il 
y  avait  d'ailleurs  une  bonne  distance  entre  le  monastère 
supposé  et  Taurœntum  !  Mais  arrivons  à  la  discussion. 

t  On  a  confondu  le  a  monasterium  Sancti  Cyricii  »,  oh 
sainte  Eusébie  a  vécu  cinquante  ans,  avec  le  monastère  de 
femmes  fondé  par  Cassien  en  420,  habité  par  la  sœur  de  saint 
Césaire,  détruit  par  les  Normands  en  867,  saccagé  par  les 
Sarrasins  en  928.  Et  pour  faire  cette  identification  on  n'a  eu 
qu'une  preuve:  l'inscription  que  l'on  connaît  (1).  »  Il  y  a  là 
une  exagération.  Aucun  monument  historique  ne  prouve 
qu'il  faille  identifier  les  deux  monastères,  c'est  vrai.  Mais  ce 
qui  est  vrai  aussi,  c'est  que,  d'une  part,  aucun  monument, 
aucune  inscription  n'indique  que  de  410  à  923  il  y  ait  eu  à 
Marseille  un  monastère  de  femmes  autre  que  celui  des  Cassia- 
nites.  D'autre  part,  le  monastère  fondé  par  Cassien  était  à  Mar- 
seille, rien  n'est  plus  sur,  mille  preuves  existent.  La  vie  de 
saint  Césaire,  le  texte  de  Gennade,  la  charte  40  du  XI*  siècle, 
les  chartes  de  1066  relatives  à  Saint-Sauveur,  celles  de  1431 
et  1446,  etc.,  etc.  Enfin,  l'épitaphe  de  sainte  Eusébie  mention- 
nant un  a  monasterium  Sancti  Cyricii  »  a  été  trouvée  à  Mar- 
seille; la  tradition  et  l'unanimité  des  auteurs  disent  que  ce 

iait  que  de  nouvelles  monographies  à  écrire  et  d'une  grande  mission  à 
(aire  prêcher  à  Saint-Cyr.  Les  félicitations  venues  de  plusieurs  acadé- 
mies et  comités  historiques  de  Province  avaient  récompensé  ses  labeurs 
scientifiques.  Dieu  Ta  certainement  récompensé  de  ses  travaux  de  prêtre 
et  de  pasteur  des  âmes. 
(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  p.  14. 


i 


-  212  - 

monastère  de  Cassien  placé  sous  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge 
était  le  même  que  celui  qui  fut  plus  tard  «  in  honore  Sancti 
Cassiani  ».  On  conclut  tout  naturellement  que  le  titre  de  Saint- 
Cyr  a  été  un  vocable  nouveau  sous  lequel  l'abbaye  cassiani  te 
était  placée  au  VIF  ou  au  VIII*  siècle,  que  ce  monastère  cas- 
sianite  a  changé  souvent  de  nom  et  de  place,  mais  que,  malgré 
ces  changements,  il  n'y  a  jamais  eu  qu'un  seul  monastère. 
L'inscription  de  sainte  Eusébie  n'est  donc  pas  la  seule  raison 
pour  les  auteurs  de  commettre  ce  que  M.  Magloire  Giraud 
appelle  une  confusion. 

Cet  auteur  aura-t-il,  du  moins,  quelques  preuves  à  donner 
que  le  «  monasterium  Sancti  Cyricii»  de  l'inscription  de  sainte 
Eusébie  et  celui  fondé  par  Cassien  étaient  deux  monastères 
distincts?  Nous  le  verrons  bientôt. 

«  On  a  fait  u  ne  seule  personne  de  sainte  Eusébie,  qui 

a  vécu  cinquante  ans  «  in  monasterio  Sancti  Cyricii  »,  avec 
cette  Eusébie  que  la  tradition  dit  avoir  été  martyrisée  par  les 
Sarrasins.  Et  Ton  n'a  eu  que  des  preuves  inadmissibles.  On  en 
a  fait  une  abbesse,  et  cette  inscription  ne  contient  pas  les 
mots  de  «  abbatissa,  praefuit  ».  On  en  a  fait  une  martyre,  et 
cette  inscription  encore  ne  porte  aucun  signe  symbolique,  une 
palme  par  exemple,  qui  le  fasse  supposer.  On  a  dit  que  son 
corps  reposait  à  Saint-Victor  dans  un  tombeau,  et  ce  tombeau 
ne  fut  pas  fait  pour  elle,  il  lui  est  antérieur  de  deux  cents 
ans  (1).  »  C'est  le  résumé  des  pages  de  MM.  Magloire  Giraud. 

C'est  vrai,  l'inscription  dont  il  s'agit  n'indique  pas  que 
sainte  Eusébie  fût  martyre.  Moins  que  tout  autre,  M.  Magloire 
devrait  en  être  surpris.  Ce  fut,  en  effet,  selon  lui,  «  quelque 
lapicide  de  campagne  qui  grava  cette  inscription.  »  On 
l'avouera,  notre  lapicide  dut  être  bien  embarrassé  pour  dire 
dans  son  épitaphe,  en  un  style  passable,  que  sainte  Eusébie 
s'était  coupé  le  nez  !  Pour  trancher  la  difficulté,  le  lapicide 
n'a  rien  dit.  Mais  nous  donnons  la  réponse  ailleurs  à  cette 
objection. 

Cette  inscription  n'indique  pas  qu'elle  fut  abbesse!  Ceci  est 
peut-être  exagéré.  Car  ces  mots  :    a  religiosa  magna  »  ou 

(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  passim,  p.  14  et  suivantes. 


<-  213  — 

«  magna  ancilla  Domini  »,  rapprochés  de  a  magnus  Dei  sacer- 
dos  »,  qui  chez  saint  Grégoire  de  Tours  désignent  un  évêque, 
de  «  ancilla  Dei  »  donné  aux  simples  religieuses,  pourraient 
remplacer  très  avantageusement  les  mots  «  abbatissa,prsefuit  » 
que  Ton  se  plaint  de  ne  pas  y  lire. 

Le  tombeau  où  reposaient  ses  restes  à  Saint-Victor  n'avait 
pas  été  fait  pour  Eusébie.  Il  était  de  deux  cents  ans  plus 
ancien  qu'elle!  C'est  vrai,  nous  croyons  que  c'est  là  un  tom- 
beau païen,  alors  que  d'autres  y  voient  un  tombeau  chrétien. 
Mais  que  d'autres  corps  saints,  à  Saint-Victor,  ont  été  déposés 
dans  des  tombeaux  païens:  saint  Mauront,  saint  Victor,  etc.! 

«  D'autre  part,  vers  le  milieu  du  IX*  siècle  (1),  avant  la 
destruction  de  Taurœntum,  existait  près  du  village  de  Saint- 
Cyr,  au  quartier  rural  de  la  Mure  (villa  murata)  un  monas- 
tère de  femmes,  dont  on  désigne  l'emplacement,  et  dont  il 

reste  la  tour Ceci  semble  déterminer  à  Saint-Cyr  même 

remplacement  du  a  monasterium  Sancti  Cyricii  »  où  vécut 
durant  cinquante  ans  sainte  Eusébie.  Ce  monastère  dut  être 
abandonné  par  les  religieuses  lors  de  l'envahissement  de  Tau  - 
rœntum  par  les  Sarrasins.  Celles-ci  se  réfugiant  à  Marseille, 
les  restes  de  sainte  Eusébie  furent  portés  à  Saint-Victor,  mis  à 
la  hâte  dans  un  tombeau,  et  un  lapicide  de  campagne  grava 
l'épitaphe  en  termes  barbares.  » 

Nous  avouons  ne  plus  reconnaître  la  tradition  de  Marseille. 
Nous  eussions  préféré  voir  M .  Magloire  Giraud  revendiquer 
hautement  pour  sa  paroisse  de  Saint-Cyr  la  gloire  d'avoir  été 
le  théâtre  du  massacre.  Il  découronne  la  tradition  1  Mais,  s'il 
est  vrai,  comme  le  soutient  notre  écrrivain,  qu'autre  a  été 
le  «  monasterium  Sancti  Cyricii  »,  autre  celui  fondé  par 
Cassien;  s'il  est  vrai  que  ce  monastère  d'Eusébie  se  trouvait  à 
Saint-Cyr  dans  le  Var,  M.  Magloire  Giraud,  en  sa  qualité  de 
curé  de  Saint-Cyr,  doit  posséder  une  ample  provision  d'argu- 
ments à  l'appui  de  son  dire.  Hélas!  il  va  falloir  nous  contenter 
de  peu  : 

«  L'existence  d'un  monastère  de  femmes,  à  Saint-Cyr,  est 

(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  p.  15. 


—  214  — 

attestée,  dit- il,  par  la  tradition  locale  et  les  débris  qui  ont 
survécu  aux  ravages  des  hommes  (1).  »  Et  c'est  tout. 

Cela  est  vrai  peut-être.  Mais,  à  notre  tour,  sans  être  trop 
exigeant,  et  tout  en  étant  disposé  à  croire  M.  Giraud  sur  pa- 
role, une  preuve,  si  petite  fût -elle,  eût  bien  fait  notre  affaire  I 
Nous  avons  cherché  dans  les  divers  ouvrages  «de  cet  auteur, 
sur  Taurœntum,  sur  Saint-Damien,  sur  le  canton  du  Beausset, 
s'il  n'avait  pas  fait  la  preuve  de  son  assertion.  Impossible  de 
rien  trouver  de  précis.  Dans  son  livre  de  Taurœntum,  après 
avoir  parlé  de   cet  édifice   appelé   la   Mure,  il   se   contente 
d'ajouter  :  «  On  croit  généralement,  dans   le   pays,  que   cet 
ancien  édifice  était  autrefois  un  monastère.  J'ignore  jusqu'à 
guel  point  cette  conjecture  est  fondée  (2).  »  Or,  cet  ouvrage 
sur  Taurœntum  est  de  1853,  celui  sur  Saint-Cyr  est  de  1855. 
Si  M.  Magloire  Giraud  n'avait  pas  de  preuve  lorsqu'il  écrivait 
de  Taurœntum,  il  devait  en  avoir  lorsque,  écrivant  de  Saint- 
Cyr  sa  paroisse,  il  abordait  cette  question.  Il  avait  à  démontrer 
que  ces  ruines  de   la   Mure  étaient  bien  celles  d'un  ancien 
monastère,  et  que  ce  monastère  était  le  même  que  le  «  monas- 
terium  Sancti  Cyricii  ».  C'est  ce  qu'il  n'a  pas  fait!  Nous  som- 
mes donc  en  droit  de  l'affirmer:  c'est  un  simple  rappro- 
chement que  M.  le  curé  de  Saint-Cyr  se  permettait  de  faire 
par  suite  de  la  similitude  des  noms  que  portaient  et  sa  pa- 
roisse et  cet  ancien  monastère.  Mais  une  pure  supposition  I 
Car,  nous  le  répétons,  aucune  raison  sérieuse  ne  prouve  qu'il 
y  ait  eu  à  Saint-Cyr  un  monastère. 

Inutile  aussi  d'affirmer  qu'il  y  a  eu  là  un  monastère  de 
Saint-Cyr,  parce  que  pi  as  tard  les  moines  de  Saint-Victor  ont 
donné  ce  vocable  aune  chapelle  du  terroir,  l'église  du  Saint- 
Cyr  actuel.  Quoique  la  fondation  d'une  chapelle  à  Saint-Cyr 
(Var),  en  l'honneur  du  jeune  saint  martyr,  remonte  à  une 
époque  fort  ancienne,  cependant,  on  ne  peut  pas  dire  «  qu'elle 
se  perde  dans  la  nuit  des  temps  (3).  »  On  peut  trouver  l'époque 


(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  p.  16. 

(2)  Magloire  Giraud,  Mémoire  sur  l'ancien  Taurœntum,  pp.  43,  44. 

(3)  Magloire  Giraud,  Histoire  du  prieuré  de  Saint-Damient  pp.  4,  7. 
—  Notice  sur  l'église  de  Saint-Cyr  (Var)%  par  le  même.  p.  S. 


—  215  — 

» 

approximative  de  cette  fondation.  Ce  n'est  qu'en  966  que  les 
religieux  de  Saint-Victor  viennent  dans  cette  contrée  (1). 
L'évoque  de  Marseille,  Honoré  II,  leur  donne,  aux  termes  de 
la  charte  :  a  ecclesiam  Sancti  Damiani  cum  appendiciis  suis  ». 
Par  ces  mots  sont  désignées  les  terres  qui  dépendent  de  Saint- 
Dam  ien,  dont  la  même  charte  donne  les  limites  (2). 

Si  déjà  la  chapelle  de  Saint -Cyr  existait,  si  surtout  il  y  avait 
eu,  dans  les  environs  de  Saint-Damien,  uu  monastère  de  Saint- 
Cyr,  Honoré  II  en  aurait  fait  mention  en  parlant  des  dépen- 
dances. S'il  ne  dit  rien,  c'est  qu'à  cette  époque,  sur  ce  terroir, 
il  n'y  a  que  l'église  de  Saint-Damien.  Plus  loin,  il  y  a  la 
Cadière.  Ce  village  à  son  tour  est  cédé  en  grande  partie  à 
Saint- Victor  par  Guillaume  I",  comte  de  Provence,  vers  967. 
Or,  a  à  ce  moment,  la  paix  qui  succède  aux  invasions  porte 
tous  les  habitants  à  se  remettre  aux  travaux  des  champs.  La 
population,  qui  s'était  abritée  jusqu'ici  dans  les  villages  for- 
tifiés, se  répand  dans  la  campagne.  Les  moines  alors  font 
élever  dans  la  circonscription  territoriale  des  chapelles  rurales 
pour  alimenter  la  piété  des  fidèles  et  leur  faciliter  l'accom- 
plissement des  devoirs  religieux  (3).  Telles  furent  celles  de 
Saint-Jean,  du  côté  du  levant  de  Saint-Damien  ;  et  celle  de 
Saint-Cyr,  dans  la  partie  du  territoire  la  plus  voisine  de 
Taurœntum.  »  Nous  citons  M.  Magloire  Giraud  lui-même  et  ce 
n'est  que  dans  les  chartes  de  1113  et  1135,  que  ces  chapelles 
sont  indiquées  comme  annexes  de  l'église  de  la  Cadière  :  «  pa- 
rochialem  ecclesiam  de  Cadeira  cum  capellis  suis.  »  Jusqu'à 
cette  époque,  on  n'en  trouve  aucune  trace.  En  1079,  il  n'y  a 
d'indiqués  que  Saint-Damien,  la  Cadière,  son  église  et  les 
églises  des  villages  voisins  (4;.  Si  les  chapelles  ne  sont  point 
nommées,  c'est  la  preuve  qu'elles  n'existent  pas  encore. 


(1)  Magloire  Giraud,  Mémoire  sur  Taurœntum,  p.  152;  Histoire  du 
prieuré  de  Saint-Damien,  pp.  4,  7  ;  Notice  sur  V église  de  Saint- 
Cyr,  p.  8. 

(2)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  23. 

(3)  Magloire  Giraud,  Histoire  du  prieuré  de  Saint-Damien,  p.  15. 

(4)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  843,  de  107»  :  c  cellam  Sancti 
Damiani...  castella  quœ  subscripta  sunt,  villas  cum  ecclesiis,  prœdiis  et 
pertinentiis,  videlicet  catedram,  Citharistam  »',  etc.— Charte  848,  de  1133  : 


—  216  — 

Pourquoi,  maintenant,  les  moines  donnent-ils  à  cette  cha- 
pelle rurale  le  vocable  de  Saint-Cyr  plutôt  qu'un  autre  ?  Il  est 
difficile,  à  huit  cents  ans  de  distance,  d'indiquer  le  motif  qui 
détermine  ce  choix.  Quel  qu'il  ait  pu  être,  on  avouera  qu'étant 
donnée  la  pénurie,  l'absence  de  preuves  indiquant  l'existence 
d'un  monastère  à  cet  endroit,  on  ne  saurait  sérieusement 
prétendre  que  si  les  moines,  vers  1113,  ont  appelé  cette  cha 
pelle  du  nom  de  Saint-Cyr,  c'est  qu'il  y  avait  là  ou  aux  envi- 
rons un  monastère  de  femmes  portant  ce  vocable.  Ce  ne  serait 
qu'une  affirmation  en  l'air. 

Donc,  la  supposition  de  M.  Magloire  Giraud  :  qu'il  y  a  eu,  à 
Saint-Cyr  (Var),  un  monastère  de  femmes  ou  de  filles,  est 
sinon  fausse,  du  moins  très  hasardée.  Partant,  l'objection 
qu'il  énonce  contre  notre  thèse  est  sans  force  et  n'est  pas 
prouvée.  Il  nous  est  donc  permis  de  ne  pas  en  tenir  compte. 


c  parochialem  ecclesiam  de  Gadeira  cum  capellis  suis  ».  —  Charte  844, 
de  1135  :  c  parochialem  ecclesiam  de  Gadeira  cum  capellis  suis  ». 


CHAPITRE  XII 
L'Abbaye  cassianite  à  Saint-Loup 

AFFIRMATIONS  DE  M.  MEYNIER  ET  OB  M.  L'ABBE  GAYOL  —  PAS  DE 
PREUVES  A  L'APPUI.—  EN  1240  «  ORTUM  MONIALIUM  DE  CARVILLIANO.— 
LE8  RUINES  QUI  EXI8TENT  SONT  CELLES  D'UNE  MAISON  DE  CAMPAGNE 
APPARTENANT  A  SAINT-SAUVEUR.—  ASSERTIONS  GRATUITES  DE  M. 
ANDRÉ. 

On  a  lu  plus  haut  ce  que  Meynier  a  écrit  au  sujet  de  Saint- 
Loup  et  de  Saint-Cyr,  emplacements  supposés  d'un  couvent 
cassianite  de  femmes.  Ce  monastère  aurait  été  situé  à  quelque 
distance  de  la  route  de  Saint-Loup  et,  suivant  la  tradition  du 
pays,  il  aurait  été  détruit  par  les  Sarrasins  (1).  C'est  bien  d'in- 
voquer la  tradition  du  pays,  mais  encore  faudrait-il  fournir 
quelque  preuve.  Et  M.  Meynier  n'en  donne  aucune.  Il  n'y  a 
donc  pas  lieu  de  s  arrêter  à  cette  assertion.  D'ailleurs,  ce  que 
nous  allons  dire  va  servir  à  la  réfuter. 

L'abbé  Cayol,  auteur  de  la  Monographie  sur  le  village  de 
Saint-Loup,  à  Marseille  (2),  n'a  fait  qu'une  supposition,  ne 
reposant  sur  aucune  base  sérieuse,  lorsque,  après  avoir 
dit  que  Ton  avait*  fondé  un  monastère  de  religieuses  au 
quartier  de  Saint- Tronc,  il  ajoute  que  c'était  «  peut-être  là 
qu'habitaient  les  Desnarrados.n  C'est  un  a  peut-être  »  absolu- 
ment en  l'air  ! 

Il  est  certain  que  les  religieux  de  Saint-Victor  acquirent 
en  840  une  portion  du  terroir  appelé  Carvillan  (3),  terre  dont 
M.  l'abbé  Arnaud  a  donné  les  limites  bien  exactes  (4).  Ce 

(1)  Meynier,  Anciens  Chemins   de  Marseille,  p.  21. 

(2)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  J.-J.  Cayol, 
pp.  13,  26.  ' 

(3)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  28. 

(4)  L'abbé  Arnaud,  Notice  historique  et  topographique  sur  Sainte- 
Marguerite,  chap.  2,  p.  26,  etc.—  L'abbé  Cayol,  op.  cit.,  pp.  21,  22,  donne 
les  limites  de  Carvillan. 


-  218  — 

tellement,  quelle  qu'en  soit  l'étendue,  est  situé  entre  Sainte- 
Marguerite  et  Saint-Loup  ;  et  si  le  quartier  actuel  de  Saint- 
Tronc  ne  faisait  pas  partie  jadis  de  Carvillan,  du  moins  il  en 
était  voisin.  Il  est  certain  encore  que  les  religieuses  de  Saint- 
Sauveur  possédèrent  en  1216  d63  terres  au  quartier  de  la 
Moutte,  entre  Saint-Loup  et  Saint-Marcel  (1)  ;  qu'en  1216 
encore  elles  avaient  des  prés,  des  terres,  des  vignes,  des  mou- 
lins au  quartier  de  Sanctis,  proche  la  rivièrede  l'Huveaune  (2). 
Ce  quartier  de  Sanctis  c'est  Saint-Thyrse,  Saint-Loup.  Or,  ces 
terres  étaient  forcément  voisines  de  Saint-Tronc,  de  Car- 
villan. 

Certain  encore  qu'en  1240  le  comte  de  Provence,  Raymond 
Bérenger,  prit  sous  sa  protection  ces  terres  que  la  charte 
désigne  sous  le  nom  de  jardin,  propriété  des  religieuses 
à  Carvillan  (3).  Mais  y  avait-il  en  cet  endroit,  en  1240,  un  cou- 
vent de  religieuses?  Le  Père  Saint-Alban,  en  parlant  de  Saint- 
Tronc,  dans  le  Calendrier  perpétuel  et  spirituel  de  la  ville  de 
Marseille,  affirme  o  qu'il  y  avait  autrefois  en  cet  endroit 
(à  Saint-Tronc)  un  couvent  de  religieuses  de  Saint-Benoit.  On 
y  voit  des  masures  de  cette  église  (4).  »  L'abbé  Cayol  fait  la 
description  de  ces  ruines,  en  ajoutant  que  l'on  fonda  en  cet 
endroit  (à  Saint- Tronc;  un  couvent  de  religieuses  qui  exis- 

(1)  C'est  ce  que  nous  apprend  une  bulle  d'Innocent  III,  datée  de  Todi 
et  du  29  avril  1216  :  a  Innocentius  episcopus...  dllectis  filiabus  abbatisse 
et  monialibus  sub  B.  Pétri  et  nostrâ  protectione  suscepimus,  spécial i ter 
autem  ecclesiam  Sanctœ  Maria  de  Accuis...  jus  quoque  quod  h  abêti  s  in 
castris  de  Allaucho,  et  Rocaveira,  etc..  Motta  juxta  fluvium  Velnœ...» 
De  Belsunce,  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  II,  p.  62.  — André, 
op.  cit.,  p.  62. 

(2)  André,  op.  cit.,  pp.  33,  214  :  c  Et  in  villa  quœ  dicitur  Sanctis  et 
circa  flumen  quod  vocatur  I veina,  prata,  terras,  vineas  et  molendinas.» 

(3)  t  . . .  insuper  affldamus,  eodem  modo,  ut  supra,  vil  la  m  de  Revesto 
domos  Sancti  Genesii,  ortum  monialium  de  Garvilliano,  de  Sala  et 
Sancti  Justi,  cum  omnibus  famulis,  possessionibus  ac  rébus  omnibus 
praedictorum  locorum,  et  generaliter  quidquid  ad  dictum  monasterium 
(Sancti  Victoris)  pertinet  in  tota  villa  Massiliae  et  ejus  territorio  seu 
tenemenlo.  »  Gartulaire  de  Saint- Victor,  t.  II,  charte  1027,  de  1240. 

(4)  Calendrier  spirituel  et  perpétuel  pour  la  ville  de  Marseille,  p. 
176,  imprimé  en  1713;  par  le  Père  Saint-Alban.  —  Histoire  du  gttartiev 
de  Saint-Loup,  ut  supra,  p.  14. 


-  219  — 

tait  en  1240,  et  qu'il  va  établir  que  ce9  religieuses  de  Car- 
villan  ne  sont  autres  que  celles  de  Saint-Tronc,  donl  parle  le 
Père  S^int-Alban.  Mais,  ces  preuves,  nous  les  attendons 
encore  I 

Il  est  visible  cependant  que  Terreur  commise  par  Saint- 
Alban  et  l'abbé  Cayol  provient  de  ce  qu'ils  ont  mal  traduit  les 
termes  de  la  charte  de  1240  :  «  ortum  monialium  de  Carvil- 
liana  ».  Ce  que  le  comte  de  Provence  prend  sous  sa  protec- 
tion, c'est  ce  dont  Honorius  III  confirmait  la  possession  à 
l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  en  1217.  Or,  dans  cette  bulle  d'Uo- 
norius,  il  s'agit  de  terres,  de  prés,  de  vignes,  de  moulins  que 
les  religieuses  de  Saint-Sauveur  de  Marseille  possédaient  à. 
Sanctis,  Saint-Thyrse,  Saint-Loup,  mais  nullement  d'un 
nouveau  monastère.  Le  comte  de  Provence,  en  1240,  pre- 
nait sous  sa  protection  de  suzerain  temporel  ces  terres,  que 
les  religieuses  possédaient  à  Carvillan,  a  ortum  monialium  de 
Carvilliana  ».  Ce  ne  sont  pas  les  religieuses  qui  sont  à  Car- 
villan, ce  sont  les  terres,  Ta  ortum»,  la  propriété.  Voilà  ce 
qu'il  y  a  dans  ces  chartes  (lj. 

Que,  dans  la  suite,  les  religieuses  de  Saint-Sauveur  aient  eu 
une  maison  de  campagne  voisine  de  Carvillan,  on  l'acceptera, 
si  l'on  veut.  Mais,  qu'il  y  ait  eu,  en  1240,  un  monastère 
différent  de  celui  de  Sain t- Sauveur,  c'est  une  erreur.  Les 
ruines  dont  l'abbé  Cayol  fait  la  description,  M.  Saurel  en  a 
raconté  l'histoire  (2).  Nous  la  croyons  exacte.  Mais  ce  ne  sont 
pas  les  ruines  d'un  monastère  datant  de  1240!  C'est  donc  en 
vain  que  a  quelques  antiquaires  croient  que  le  couvent  de 

(1)  C'est  tellement  le  sens  de  ces  mots  c  ortum  monialium  »,  que  la 
même  charte  disant  c  ortum  monialium  de  Carvilliana,  de  Sala,  et  Sancti 
Jusii  »,  il  faudrait  dire  qu'il  y  avait  des  religieuses  non  seulement  à 
Carvillan,  mais  encore  à  la  Salle  (près  de  Saint-Marcel)  et  à  Saint-Just. 
Or,  en  1214,  il  n'y  avait  que  quinze  religieuses  à  Saint-Sauveur,  et  en 
1252  on  n'en  compte  que  treize.  Comment  supposer  qu'il  y  ait  eu  à  la 
même  époque  plusieurs  communautés  de  religieuses  de  Saint-Benoit  à 
plusieurs  endroits  hors  de  Marseille  ? 

(2)  D'après  M.  Saurel,  la  chapelle  serait  postérieure  à  l'an  1645.  Quant 
au  monastère  ou  à  la  terre,  c  ce  n'est  qu'à  titre  de  propriété  rurale,  de 
maison  de  campagne,  de  maison  de  santé  peut-être,  que  les  Bénédictines 
l'ont  possédée  ».  Saurel,  Banlieue  de  Marseille,  Saint-Tronc,  p.  195,  etc. 


-  220  — 

Saint-Tronc  était  une  annexe  de  celui  de  Saint-Sauveur  (1)  »  ; 
en  vain,  M.André  lui-même,  écrivant  à  l'auteur  de  Y  Histoire 
de  Saint-Loup,  dit  qu'il  a  serait  tenté  de  croire  que  l'abbaye 
cassianite  de  Saint-Sauveur  fondée  par  Cassïen  avait  des 
annexes  aux  environs  de  Marseille,  que  Saint-Tronc  pouvait 
bien  en  être  une...  Car  les  chartes  nous  apprennent  que 
Cassien  eut  jusqu'à  cinq  mille  moines  sous  sa  conduite.  Les 
vierges,  dans  ce  siècle  de  foi,  durent  s'enrôler  en  grand  nombre 
et  renoncer  aux  vanités  des  choses  de  la  terre  (2j  .* 

Que  saint  Cassien  ait  compté,  'de  son  vivant,  jusqu'à  cinq 
mille  moines  sous  sa  direction,  c'est  un  fait  certain  (3;.  Mais 
qu'il  y  ait  eu  un  nombre  très  grand  de  religieuses,  '  rien  ne 
l'indique.  Sainte  Eusébie  n'avait  que  quarante  compagnes, 
dit  la  tradition.  Lors  de  la  restauration  du  monastère,  en  1004, 
par  Elgarde,  il  n'y  a  que  quatre  ou  cinq  religieuses.  Cela 
n'indique  pas  un  grand  zèle  de  la  part  des  femmes  pour  la 
vie  religieuse,  que  cela  provienne  de  la  difficulté  des  temps 
ou  de  toute  autre  cause. 

a  De  là  insuffisance  de  local,  ajoute  M.  André,  et  néces- 
sité d'établir  des  succursales  où  la  maison  mère  envoyait 
celles  qui  étaient  le  plus  affermies  dans  l'état  religieux  (4).  » 
Ceci  est  encore  une  douce  exagération  qui  nous  étonne  de 
part  de  M.  André.  L'abbaye  de  Saint -Sauveur  n'a  jamais  dû 
créer  des  succursales;  encore  moins  au  XIII"  siècle.  M.  André, 
en  effet,  dit  en  propres  termes  qu'au  XIII"  siècle  la  commu- 
nauté de  Saint-Sauveur  n'était  pas  nombreuse.  De  fait,  en 
1214,  elle  ne  se  composait  que  de  quinze  religieuses;  en  1257, 
de  treize  ;  en  1266,  de  vingt-sept  (5). 

Il  est  donc  bien  peu  probable  qu'en  1240  il  y  eût  un  monas- 
tère annexe  à  Saint-Tronc.  D'ailleurs,  elles  étaient  loin  d'être 

(1)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  26. 

(2)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  27. 

(3)  €.  Cœnobium  Massiliense,  priscorum  temporibus,  sic  sub  régula  ri 
dominatione  viguit  Deo  volente,  ut  quinque  millium  monacborum  nu- 
méros ibi  reperiretur,  in  sancti  Cassiani  tempore. .  »  Cartulaire  de  Saint  - 
Victor,  charte  532. 

(4)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  27. 

(5)  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  par   M.   André,  pp 
41,32,45. 


—  221  — 

exemplaires  en  tout,  puisque  l'évoque  de  Marseille  dut  procéder 
canoniquement  contre  elles,  en  1278(1).  Non,  l'opinion  de 
M.  André,  pas  plus  que  celle  de  l'abbé  Cayol,  n'est  fondée  en 
raison. 

Quant  à  la  chapelle  de  Saint-Cyr,  bâtie  sur  le  sommet  d'une 
montagne  aux  environs  de  Saint-Loup,  M.  Cayol  dit  :  «  qu'elle 
a  du  être  bâtie  par  la  maison  de  Saint- Victor  ou  les  religieuses 
de  Saint-Tronc  (î).»  C'est  fort  probable.  Mais  à  quelle  époque, 
on  n'en  sait  rien.  M.  Cayol  ne  citant  aucun  texte  et  ne  donnant 
aucune  raison,  nous  n'avons  pas  à  nous  en  préoccuper  da- 
vantage. 

D'ailleurs,  que  nous  importerait  qu'il  y  ait  eu,  en  1240,  un 
monastère  de  religieuses  à  Saint-Tronc,  que  ce  fût  une 
annexe  de  Saint-Sauveur?  Notre  thèse  n'en  subsisterait  pas 
moins  :  qu'antérieurement  au  milieu  du  VIII-  siècle  le 
monastère  cassianite  s'élevait  aux  bords  de  l'Huveaune.  L'abbé 
Cayol  devrait,  en  effet,  prouver  que  ce  monastère  de  Saint- 
Tronc,  en  1240,  remonte  au  VII-  ou  au  VIII-  siècle;  que  déjà 
à  cette  époque  il  existait  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr;  qu'il 
n'y  en  avait  pas  d'autre  à  Marseille  ;  que  c'est  là  enfin  que 
sainte  Eusébie  est  morte  !  Autant  de  points  que  cet  écrivain 
aurait  dû  élucider  ;  ce  qu'il  n'a  pas  fait.  Nous  sommes  donc 
en  droit  de  le  dire  :  le  monastère  cassianite  n'était  pas  à 
Saint-Tronc. 


(1)  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur*  par  André, 
p.  46,  etc. 

(2)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  32. — 
D'ailleurs,  quel  fut  le  vocable  primitif  de  cette  chapelle  et  de  la  montagne 
sur  laquelle  on  la  voyait  ?  Mortreuil  incline  à  croire  que  c'était  Saint- 
Thyrse,  dont  le  langage  du  peuple  a  fait  Saint-Cyr.  Inutile,  par  consé- 
quent, de  prétexter  la  similitude  des  noms,  pour  affirmer  la  présence  au 
quartier  de  Saint-Cyr  d'un  monastère  de  Saint-Cyr.  —  Voir  Mortreuil, 
Dictionnaire  topographique  :  Saint-Cyr. 


15 


CHAPITRE  XIII 

Assertions  diverses  de  la  «  Gallia  christiana  », 
de  M.  André,  de  l'abbé  Verlaque,  etc.,  etc. 


A  GALLIA  CHRISTIANA  ».  —  lf.  ANDRÉ.  —  L'ABBÉ  VERLAQUE.  —  QUEL- 
QUES AUTEURS  DÉSIGNENT  SAINT-MARCEL.  —  M.  LE  DOCTEUR  COUR  ET. 
—  PAS  AILLEURS. 


La  Gallia  christiana  (1).  —  Nous  croyions  découvrir  dans 
c^t  ouvrage  une  mine  de  renseignements  sur  le  sujet  qui 
npus  occupe^  Le  Père  Denis  de  Sainte-Marthe  n'a  su  que  copier 
Ruffi  et  ses  erreurs.  On  n'y  accepte  pas  l'opinion  de  Guesnay, 
qui  place  le  monastère  aux  bords  de  l'Huveaune.  On  préfère, 
avec  Ruffi,  le  placer  aux  pieds  de  la  montagne  de  la  Garde. 
Et  les  preuves  sont  celles  de  Ruffi  :  la  charte  40  d'abord,  la 
découverte  des  tombeaux  faite  en  1685,  à  remplacement  de  la 
chapelle  Sainte-Catherine,  les  deux  chartes  de  1431  et  1446. 
Or,  de  toutes  ces  assertions,  aucune  n'a  de  valeur  probante. 
Nous  l'avons  démontré  plus  haut. 

M.  André  (2).  —  Il  semble  que  c'est  avec  cet  auteur  surtout 
que  nous  devrions  ou  marcher  d'accord,  ou  bien  avoir  maille 
à  partir  1  II  n'en  est  rien  cependant.  M.  André  est  très  paci- 
fique. Il  n'est  pas  de  notre  opinion,  puisqu'il  préfère  celle  de 
Ruffi.  Mais  il  se  contente  de  citer  le  dire  des  auteurs,  et  il 
n'allègue  aucune  preuve  nouvelle.  Pour  lui  l'abbaye  cassianite 
est  près  du  port  ;  son  argument  le  plus  convaincant  c'est  le 
texte  de  la  charte  40.  Nous  l'avons  vu,  ce  texte  ne  signifie  rien 
contre  nous.  Ainsi  nous  nous  quittons  bons  amis  avec  M. 
André. 


(1)  Gallia  christiana,  t.    I,  Eccleata  Massiliensis,  Abbatia  Sancti 
Salvatoris,  col.  695,  etc. 

(2)  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,   p.  2   et 
suivantes. 


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—  223  — 


• 


L'abbé  Verlaque  (1)  a  écrit,  sur  notre  sainte;  or,  il  soutient 
que  l'opinion  la  plus  accréditée  est  que  l'abbaye  fut  bâtie  au 
pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  à  l'endroit  où  se  trouve  le 
bassin  du  Carénage!  Nous  ne  pardonnons  que  difficilement  à 
l'abbé  Verlaque  de  n'avoir  pas.  dans  sa  Notice  sur  sainte 
Eusèbie,  discuté  cette  assertion  pour  la  contredire  ou  la 
prouver.  Nous  avons  dû  le  faire  plus  haut,  et  il  résulte  de  cet 
examen  que  l'opinion,  loin  d'être  accréditée,  n'est  pas  fondée 
du  tout. 

Cet  auteur  mentionne  l'opinion  de  ceux  qui  placent 
l'abbaye  caesianite  à  la  Major,  sous  prétexte  qu'il  existait,  dit- 
on,  jadis  un  passage  souterrain  entre  Saint- Victor  et  la  Major. 
C'est  un  pur  cancan  sur  les  communications  souterraines  que 
les  romanciers  affectent  de  faire  exister  entre  les  monastères 
de  moines  et  les  monastères  de  religieuses,  a  Ce  souterrain, 
dit  M.  l'abbé  Verlaque,  citant  Grosson(2),  n'a  jamais  existé.»  En 
effet,  le  creusement  du  bassin  du  Carénage  n'a  rien  révélé  de 
semblable.  Eùt-il  existé  d'ailleurs,  ce  ne  serait  pas  une 
preuve  qu'à  la  Major  il  y  avait  un  monastère  de  religieuses. 
Il  aurait  pu  être  à  l'usage  des  prêtres  et  des  prêtresses  de 
Diane,  dont  le  temple  était,  dit-on,  à  la  Major  actuelle.  Mais 
le  texte  indiquant  qu'il  y  a  eu  là  un  monastère  de  religieuses, 
ce  texte  est  encore  à  trouver  ! 

S'il  faut  en  croire  Ruffi,  André,  etc,  (3),  quelques  auteurs 
auraient  placé  le  cœnobium  cassianite  à  Saint-Marcel.  Qui 
sont  ces  auteurs,  en  quels  ouvrages  cette  assertion  est-elle 
émise?  Nous  ne  savons.  Sur  quel  document  ont-ils  pu 
appuyer  une  telle  opinion  ?  Nous  ne  savons  encore.  Serai U- ce 
la  bulle  d'Honorius  III,  datée  du  12  octobre  1216,  dans 
laquelle  le  pape  confirme  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  tels  et 


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(1)  Notice  sur  sainte  Eusébie,  abbesse  et  martyre  du  diocèse  de 
Marseille,  par  l'abbé  V.  Verlaque,  p.  8. . 

(2)  Grosuon  (Recueil  des  antiquités  et  des  monuments  marseillais, 
p.  229)  détruit  cette  fable.  Guindon  et  Mèry  (Actes  et  délibérations  du 
conseil  de  Marseille,  t.  V,  p.  170,  note)  ont  fait  de  même. 

(3)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56.  —  André,  Histoire  de 
l'abbaye  de  Saint -Sauveur,  p.  2.  —  M.  de  Rey.  Les  Saints  de  l'Eglise  de 
Marseille,  p.  230. 


—  224  — 

tels  biens  ou  revenus,  entre  autres  c  les  tasques  de  Porpo- 
rières  (1)  »  ?  «  Porporières  ou  Corporières,  Carpourière,  est  un 
torrent  qui  prend  naissance  dans  les  vallons  de  la  Treille, 
traverse  le  territoire  des  Gamoins  et  va  se  perdre  dans  l'Hu- 
veaune,  aux  environs  de  Saint-Marcel  (2).  »  Ces  tasques  que 
percevait  l'abbaye  de  Saint-Sauvenr  étaient-elles  attachées  à 
quelque  fonds  de  terre,  près  de  Saint-Marcel?  C'est  possible. 
Dans  tous  les  cas,  la  charte  de  1216  parle  de  taxes,  de  rede- 
vances et  non  pas  de  cœnobium  ni  d'abbaye.  S'il  s'agit  d'une 
abbaye,  c'est  de  celle  de  Saint-Sauveur  de  Marseille  qui  avait 
la  directe,  la  possession  de  ces  biens-fonds.  Et  puis  nous 
sommes  au  XIII*  siècle,  et  non  pas  à  l'époque  dont  nous  nous 
occupons,  du  Y*  au  X*  siècle.  Donc,  inutile  de  parler  de  Saint  - 
Marcel,  l'abbaye  cassianite  ne  s'y  trouvait  pas. 

Nous  nous  souvenons  avoir  lu  dans  un  article  de  journal 
qu'un  historien  d'Aubagne,  le  docteur  Couret,  plaçait  le 
cœnobium  cassianite,  théâtre  du  martyre  des  héroïques 
compagnes  d'Eusébie,  à  Aubagne  même,  son  pays  natal.  Et  à 
l'appui  de  celte  assertion,  nous  avons  entendu  quelquefois 
nommer  la  rue  Dels  Moungeos,  qui  existerait,  par  ait-il,  à 
Aubagne. 

Il  faut  rendre  justice  à  qui  elle  est  due.  M.  le  docteur  Cou- 
ret n'a  point  revendiqué  cette  gloire  pour  sa  patrie.  On  a  mal 
lu  ou  mal  compris  son  texte.  Voici  ce  qu'il  a  écrit  :  «  Vers 
l'an  736,  les  Maures  rentrent  en  Provence,  s'emparent  de  nou- 
veau de  Marseille,  d'Aubagne  et  des  villes  environnantes,  qua- 
rante religieuses  se  coupent  le  nez  pour  éviter  le  déshonneur  ; 
lej  hommes  et  les  femmes  sont  exilés  sur  les  vaisseaux,  les 
enfants  et  les  vieillards  sont  égorgés  (3).  »  On  le  voit,  il  ne 
s'agit  pas  d'Aubagne,  mais  de  Marseille.  Quant  à  la  rue  Deis 
Moungeos,  si  elle  existe  à  Aubagne,  cette  dénomination  s'ex- 
plique facilement.  «  En  1647  les  consuls  d'Aubagne  cédèrent 

(1)  Bulle  du  12  octobre  1216,  Ho d or i us  III,  fonds  de  Saint-Sauveur  H, 
II.  (André,  pièces  justificatives,  appendix:  Tasquas  de  Porporières, 
p.  214.) 

(2)  Mortreuil,  Dictionnaire  topographique  de  Marseille  ;  vox  :  Car- 
pourière* (Camoins). 

(3)  Histoire  d'Aubagne,  par  César  Couret,  p.  1 1 . 


-  225 


■•* 


provisoirement  la  chapelle  de  Saint-Roch  à  trois  religieuses  et 
à  une  novice  du  monastère  du  Petit-Puits,  pour  fonder  à 
Aubagne  un  couvent  et  une  église.  En  arrivant  elles  furent 
logées  dans  une  maison  du  quartier  de  TAfferage.  Deux  ans 
après,  elles  achetèrent,  de  Blanche  Férié,  leur  prétendante, 
une  maison  au  quartier  de  Saint- François  et,  sur  le  rapport 
de  messire  Pierre  de  Seigneuret,  l'évôquè  de  Marseille  leur 
accorda  la  permission  de  bâtir  le  monastère  et  l'église.  Vers 
1640,  les  religieuses  Ursulines,  venues  à  Aubagne  en  1632, 
devinrent  adjudicataires  des  moulins.. .  Il  y  avait  autrefois  à 
Aubagne  un  couvent  de  Bernardines,  il  fut  supprimé  par 
l'évoque  (1)..»  Ces  détails,  puisés  dans  l'ouvrage  du  docteur 
Couret,  nous  expliquent  la  dénomination  donnée  à  une  rue 
d'Aubagne.  Probablement  il  y  avait  là,  jadis,  soit  une  église, 
soit  un  monastère,  soit  une  propriété  de  ces  diverses  reli- 
gieuses. Le  peuple  en  a  gardé  le  souvenir  en  appelant  cette 
rue:  la  rue  Deis  Moungeos. 

Faudrait-il  accepter  encore  ce  que,  dans  un  factura,  les 
Servites  de  la  Ciotat  écrivaient,  au  XVIII*  siècle,  à  savoir  que 
l'antique  chapelle  de  Font-Sainte,  située  sur  le  bord  de  la  mer, 
aurait  été  le  théâtre  du  glorieux  martyre  de  sainte  Eusébie! 
Non,  ce  n'est  là  qu'une  simple  légende.  L'abbé  Vidal,  un 
enfant  de  la  Ciotat,  de  douce  mémoire,  l'a  racontée  en  deux 
pages  délicieuses  de  poésie  et  de  fraîcheur  ;  Monseigneur 
Ricard  Ta  insérée  dans  ses  Récits  de  veillées  ciotadennes, 
sans  nommer  cependant  notre  sainte  Eusébie  (2).  Mais  ce 
n'est  toujours  qu'une  gracieuse  légende.  Marin,  lui  aussi  de  la 
Ciotat,  a  écrit  a  qu'il  n'a  jamais  découvert  aucune  preuve  que 
Font-Sainte  ait  été  un  couvent  de  religieuses  (3).  »  Il  y  a 
mieux  et  plus  sûr  et  plus  péremptoire  que  Marin,  c'est  la 
charte  de  donation  de  Font-Sainte.  En  1521,  le  cardinal  Jules 
de  Médicis,  #abbé  de  Saint- Victor,  donna  aux  Servites  l'ora- 


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(1)  Histoire  d'Aubagne,  par  César  Couret,  pp.  25,  29,  29.  —  Rien 
d'ailleurs,  dans  l'Histoire  d'Aubagne  que  feu  M.  le  docteur  Barthélémy 
avait  publiée,  ne  vient  à  l'appui  de  cette  opinion  que  Ton  prête  au  doc- 
teur Couret. 

(2)  Monseigneur  Ricard,  Récits  de  veillées  ciotadennes,  p.  15J  et  suiv 
(3j  Marin,  Histoire  delà  Ciotat,  pp.  130,  156. 


—  226  — 

toire  appelé  Notre-Dame  de  Font-Saintev  situé  entre  Ceyreste 
et  la  Ciotat  et  construit  par  les  fidèles  de  ces  deux  localités,  et 
qu'habitait  à  ce  moment  un  ermite  de  l'ordre  des  Servîtes  (1). 
Mais  pas  un  mot,  dans  cette  charte,  qui  fasse  allusion  à  un  si 
glorieux  passé.  0r(  s'il  y  avait  eu  la  moindre  tradition  atta- 
chée à  cet  oratoire,  à  cette  fontaine  réputée  sainte,  à  tout  le 
moins  assez  curieuse,  l'abbé  de  Saint- Victor  en  aurait  parlé, 
et,  mieux  encore,  il  n'aurait  pas  cédé  à  d'autres  ce  lieu 
vénéré.  Non,  ce  n'est  pas  à  Font-Sainte,  de  la  Ciotat,  qu'Eusé- 
bie  et  ses  compagnes  ont  été  martyrisées  11 

Inutile  d'espérer  retrouver  le  cœnobium  cassianite  dans 
l'espace  compris  entre  le  Hevest  et  la  ville.  «  Non,  sûrement, 
parce  que  cet  espace  était  occupé  par  des  salines  que  Louis 
l'Aveugle  céda  à  Saint-Victor  en  904  et  que  les  vicomtes 
détinrent  ensuite  jusque  en  1044(2).  »  En  effet,  ils  donnèrent 
à  l'abbaye,  pour  doter  la  nouvelle  chapelle  de  Saint-Pierre  de 
Paradis,  qu'ils  avaient  fait  reconstruire,  plusieurs  pièces  de 
terrain  et  de  plus  toute  la  partie  des  salines  qui  leur  apparte- 
nait depuis  la  chapelle  de  Saint-Pierre  jusqu'à  Podium  Formi- 
carium.  Incontestablement,  si  le  cœnobium  eût  été  quelque 
part  de  ce  terrain,  les  vicomtes  eu  auraient  parlé  dans  les 
chartes  des  donations. 

Se  trouvait-elle  à  un  autre  endroit  de  la  ville?  Non.  Car  il 
n'y  a  aucune  habitation  qui  l'indique.  Aucun  auteur,  que 
nous  sachions,  n'a  désigné  d'autres  endroits  avec  des  argu- 
ments à  l'appui. 

Notre  tâche  est  déjà  bien  avancée.  Quelques  auteurs  ont 
soutenu  par  des  raisons  positives  et  des  objections  que  le 
mouastère  cassianite  n'a  pu  s'élever  sur  les  bords  de  l'Hu veaune. 
Puis  ils  ont  essayé  d'établir  que  ce  monastère  se  trouvait  en 
réalité,  suivant  les  uns,  à  l'emplacement  de  la  chapelle  de 
Sainte-Catherine,  suivant  les  autres  aux  Catalans,  au  bassin 


(1)  «  Dictura  oratorium  Sa  net  se  Mariœ  de  Fonte  Sancto.  situm  inter 
villara  Ce  reste  m  et  Civitatem  . .  in  quo  ad  prœsens  certus  ère  mi  ta  v  es  tri 
ordinis  existit.. .  largimur. ..  »  Archives  départementales,  H  641,  reg.  9, 
p.  159,  Saint-Victor. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  Sainte  Eusébie. 


—  227  - 

du  Carénage,  au  Revest,  à  Saint-Loup,  à  Saint-Cyr  du  Var  et  à 
la  Major,  etc.,  etc. 

Or,  nous  avons  réfuté  premièrement  les  raisons  qu'ils 
alléguaient  contre  l'existence  possible  d'un  monastère  à  l'Hu- 
veaune,  ensuite  celles  qu'ils  apportaient  pour  établir  que  ce 
monastère  se  trouvait  aux  Catalans,  au  Revest,  au  Carénage, 
à  Saint-Loup,  à  Saint-Cyr  (Var),  à  la  Major,  etc.  Le  terrain  est 
ainsi  déblayé.  Nous  allons  pouvoir  placer  les  premières 
assises  du  monument  que  nous  rêvons  en  l'honneur  de  sainte 
Eusébie. 


DEUXIEME  PAETIE 


PREUVES  EN  FAVEUR  DE  NOTRE  THÈSE 


PREMIÈRE  SECTION 


PREUVES    NEGATIVES 


CHAPITRE  PREMIER 


cassianite  n'a  pu  se  trouver 
à  remplacement  du  bassin  actuel  du  Carénage 


LB  BASSIN  ACTUEL  OU  CARÉNAGE,  AUX  PREMIERS  SIÈCLES.  DESCRIP- 
TION TOPOGRAPHIQUE.  —  ESPACE  TROP  ETROIT  POUR  UN  MONAS- 
TÈRE. —  LB8  FOUILLES  OPÉRÉES  EN  CET  ENDROIT  N'ONT  DONNÉ 
AUCUNE  PREUVE  EN  FAVEUR  DE  L'EXISTENCE  D'UN  CŒNOBIUM.  — 
C'ÉTAIT  UN  CIMETIÈRE.  —  POURQUOI  AURAIT-ON  CHANGÉ  D'EMPLACB- 
MXNT.  —    C'EUT  ÉTÉ  TROP    PRÈS  DE  L'ABBAYE  DE  SAINT-VICTOR. 


Les  objections  des  auteurs  sont  réfutées,  à  nous  maintenant 
de  développer  les  preuves  à  l'appui  de  notre  thèse. 

Nous  en  avons  de  négatives  et  de  positives.  A  l'aide  des  pre- 
mières nous  allons  détruire  et  saper  jusqu'à  la  base  les  affir- 
mations contraires  des  auteurs  ;  à  l'aide  des  secondes  nous 
étayerons  notre  propre  affirmation. 

Jusqu'ici  il  s'est  agi  de  démontrer  que  toutes  les  raisons 
données  par  les  auteurs  à  l'appui  de  leur  dire  n'avaient  aucune 
valeur.  Ils  ne  parvenaient  pas  à  prouver  que  le  monastère 
cassianite  s'était  trouvé  au  Carénage,  aux  Catalans,  ou  ailleurs. 


—  230  - 

Nous  avançons  d'un  pas,  et  nous  disons  qu'il  est  historique- 
ment impossible  qu'il  se  soit  trouvé  à  aucun  de  ces  endroits,  de 
Tan  de  sa  fondation  à  l'époque  du  martyre  de  sainte  Eusébie 
(415-738). 

D'abord,  le  monastère  cassianite  ne  se  trouvait  pas  et  n'a 
pu  se  trouver  à  l'emplacement  du  bassin  actuel  du  Carénage. 

Il  y  avait  là  un  cimetière  antique  qui  s'étendait  de  la  rive 
du  port  jusqu'en  deçà  de  Saint- Victor  (1).  M.  Kothen  dit  que 
«  plusieurs  cimetières  successifs  et  superposés  avaient  été  éta- 
blis à  cet  endroit  par  les  colons  phocéens  d'abord,  et  par  les  Ro- 
mains en  suite.  Une  carrière  avait  même  été  exploitée  dans  ces 
temps  reculés  (2).  »  Les  chrétiens,  lorsque  celle-ci  fut  aban- 
donnée, vinrent  creuser  des  ramifications  et  des  galeries  nou- 
velles, dans  lesquelles  ils  placèrent  les  corps  de  leurs  martyrs 
et  de  leurs  frères.  Bien  antérieurement  à  l'arrivée  de  Gassien 
à  Marseille,  une  chapelle  et  un  autel  étaient  dédiés  à  Notre- 
Dame  de  Confession  (3),  dans  un  endroit  de  ces  catacombes. 

Or  cet  oratoire  primitif  était  en  telle  vénération  que  bien  de 
fervents  chrétiens  demandaient  la  faveur  de  faire  déposer  leur 
dépouille  mortelle  dans  le  voisinage  des  corps  saints  qui  y 
reposaient,  ou  dans  les  champs  d'alentour.  Aussi  ce  fut  sur 
l'emplacement,  sur  les  voûtes  de  ces  cryptes  de  Notre-Dame 
de  Confession  que  le  bienheureux  Cassien  bâtit  le  monastère 
des  moines,  pour  en  faire  les  gardiens  de  ce  sanctuaire  et  de 
ses  reliques  précieuses. 

Quant  à  l'abbaye  cassianite  des  femmes  et  des  filles,  on  ne  voit 
pas  où  il  aurait  pu  la  placer  au  milieu  des  sépultures  et  des  tom- 
beaux. En  effet,  l'état  actuel  des  lieux  nous  permet  de  sup- 
poser avec  vraisemblance  qu'à  la  sortie  de  cette  carrière,  ou, 
suivant  l'expression  pittoresque  de  Ruffi,  «  à  l'embouchure  de  la 


(1)  Grosson,  Recueil  des  antiquités  et  des  monuments  marseillais, 
p.  98.  —  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  saint  Lazare,  p.  161. 

(2)  Notice  sur  les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille, 
par  Kothen,  p.  11 

(3)  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II.  p.  115.  —  Mgr  de  Belsunce, 
Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t  I,  p.  387.  —  Grinda,  Monographie 
de  Vabbaye  de  Saint-  Victor-lez-Marseillet  publiée  par  Y  Echo  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  n°  328,  p.  267  ;  n#  330,  p.  307. 


—  231  — 


grotte  de  Sainte-Magdeleine  s'ouvrait  une  petite  vallée,  bordée 
de  rochers  abruptes,  au  milieu  desquels  s'élevaient  quelques 
arbres  (1).  •  Or,  au  début  du  V*  siècle,  l'état  de  ces  lieux 
n'avait  guère  changé.  A  notre  époque  encore  on  distingue  le 
creux  de  cette  vallée  primitive  qui  aboutissait  à  la  rive  :  d'un 
côté, les  pentes  sur  lesquelles  est  assis  le  fort  Saint-Nicolas  ;  de 
l'autre,  les  hauteurs  de  la  rue  Saint-Catherine  (2).  Or,  ce  n'est 
pas  dans  cet  étroit  couloir  que  saint  Cassien  a  pu  bâtir  l'ab- 
baye cassianite.  Quelque  restreint  que  fût  le  nombre  des  reli- 
gieuses au  début,  il  faut  cependant  à  un  monastère  un  espace 
convenable.  Or,  cet  espace  il  ne  pouvait  l'avoir  au  fond  de 
cette  petite  vallée,  qni  dans  toute  sa  largeur  n'avait  guère 
plus  de  100  à  200  mètres.  D'autre  part,  ce  n'est  pas  sur  les 
hauteurs  du  fort  actuel  de  Saint-Nicolas  qu'il  bâtit  le  monas- 
tère. On  admettra  facilement  que  ce  n'était  pas  la  place  d'un 
cœnobium  de  filles  et  de  femmes.  Donc  il  ne  s'élevait  pas  au 
bassin  actuel  du  Carénage. 

D'ailleurs,  si  lo  monastère  s'était  élevé  en  cet  endroit,  d'où 
vient  que  dans  les  diverses  fouilles  qui  ont  modifié  par  deux 
fois,  surtout  en  1836  et  en  1875,  l'état  de  ces  lieux,  on  n'ait 
trouvé  ni  inscriptions,  ni  monuments  qui  fassent  supposer 
l'existence  d'un  monastère  ?  En  1836,  on  a  découvert  l'inscrip- 
tion d' Eumenas  dont  parlent  Bousquet,  Guindon,  Saurel.  Et 
dans  cette  inscription,  il  s'agit  d'un  homme  marié.  En  1875,  on 
a  mis  au  jour  les  inscriptions  de  Spanilia,  de  Cypriana.  Or, 
rien  ne  marque  qu'il  s'agisse  dans  celles-ci  de  religieuses  (3). 

D'ailleurs,  ces  inscriptions  fussent  elles  les  épitaphes  de 
Cassianites,  en  l'absence  de  monument  indiquant  que  là  s'éle- 


(1)  Kothen,  op.  cit.,  p.  15. 

(2)  Grinda  :  c  Avant  le  creusement  du  bassin  du  Carénage,  opéré  en 
1830,  le  sol  formait  une  pente  assez  régulière,  sauf  quelques  escarpe- 
ments, depuis  l'abbaye  jusqu'au  rivage  de  la  mer,  alors  en  prolonge- 
ment avec  le  quai  de  Rive- Neuve.  Cette  plaine  inclinée  vers  le  nord 
était  dominée  au  couchant  par  les  hauteurs  du  fort  Saint-Nicolas,  et,  au 
levant,  par  le  quartier  qui  s'étend  de  la  rue  Sainte  au  quai  de  Rive- 
Neuve;  elle  formait  donc  un  large  vallon  dirigé  du  nord  au  midi.  » 
Monographie  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille,  publiée  par 
VEcho  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  n°  324,  p.  183. 

(3)  Voici  ces  inscriptions  telles  que  les  donne  le  Catalogue  des  ob- 


—  232  — 

vait  l'abbaye,  on  pourra  toujours  dire  que,  si  c'est  en  cet  en- 
droit qu'elles  furent  inhumées,  c'était  pour  satisfaire  ce  pieux 
désir  que  tant  de  chrétiens  éprouvaient,  de  reposer  auprès 
des  restes  des  saints  martyrs.  Mais  on  ne  pourra  pas  assurer 
que  ces  religieuses  avaient  vécu  en  cet  endroit. 

M.  Grinda(l),  citant  le  rapport  rédigé  sur  les  fouilles  du 
bassin  du  Carénage  opérées  en  1831,  nous  montre  a  les  sépul- 
tures pratiquées  dans  cet  immense  remblais  formant  trois 
grandes  assises  s'étageant  en  gradins  depuis  le  port  jusque 
sous  les  murs  de  la  place  Saint-Victor.  La  première  assise  ren- 
fermait un  grand  nombre  de  tombeaux  et  de  débris  attribués 
à  la  période  grecque.  La  seconde  a  fourni  de  nombreux  tom- 
beaux et  des  monnaies  impériales  romaines,les  plus  anciennes, 
d'Auguste,  et  les  plus  récentes,  de  Gordien,  ce  qui  comprend 
un  peu  plus  de  deux  siècles.  La  troisième  a  servi  de  lieu  de 
sépulture  pendant  sept  siècles,  d'après  les  tombeaux  et  les 
monnaies  trouvés  à  cette  hauteur.  Cette  période  s'étend  de- 
puis Aurélien  (270-275)  jusqu'à  Jean  Zimiscès  qui  régnait  à 
Constantinople,  de  969  à  976.  Des  inscriptions  païennes  et 
chrétiennes  ont  été  découvertes  dans  cette  dernière  assise. .. 
Tout  ce  vallon  était  donc  une  vaste  nécropole  où  des  généra- 
tions païennes  et  chrétiennes  ont  trouvé  conjointement  leur 
dernier  asile.  On  a  constaté  dans  les  fouilles  un  nombre  si 
considérable  de  tombeaux,  qu'on  est  fondé  à  croire  que  pen- 
dant plusietirs  siècles  ce  lieu  a  été  réservé  pour  la  sépulture 
de  la  population  environnante.  » 


jets  contenus  dans  le  Musée  d'archéologie  de  Marseille  par  M .  Penon, 
p.  33f  n°  133,  et  p.  41,  n-161. 

f  HIC  BBQU1ESCET 

IN    PACE    SPANILIA 

QUI  VIX1T  ANNOS 

QUIKQUAOBNTA   ET 

SEPTE     BECESSIT     DIE 

SEPTIMV  IDUS 

+  MAIAS  f 

(1)  Grinda,  Monographie  de  V abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille, 
publiée  par  Y  Echo  de  Notre-Dame  dfi  la  Garde,  n*324. 


HIC    REQUIESCIT 

CYPBIANA 

IN  PACB 

QUI    VIXIT 

.    .    .    .   MN  ANNS 

XXXIII 

—  233  — 

Durant  les  dix  premiers  siècles  du  christianisme  donc  on  a 
inhumé  dans  cet  étroit  vallon,  et  Ton  veut  y  placer  un  monas- 
tère vers  le  V.  Il  y  a  sur  ce  point  le  va-et-vient  continuel  de 
ceux  qui  accompagnent  à  sa  dernière  demeure  la  dépouille 
mortelle  d'un  ami.  De  plus,  païens  et  chrétiens  se  coudoient 
dans  cette  enceinte,  accomplissant  des  rites  funéraires  bien 
divers,  et  les  saintes  filles  deCassien  devront  être  chaque  jour, 
et  plusieurs  fois  le  jour,  les  témoins  de  ces  scènes  !  Puis,  c'est 
dans  un  bas-fond,  l'atmosphère  y  est  viciée  par  les  mias- 
mes délétères  qui  se  dégagent  de  toute  vaste  nécropole  (1). 
Le  monastère  de  Saint-Victor,  du  moins,  est  sur  la  hauteur, 
exposé  aux  brises  du  large.  Il  se  trouve  à  Textrémilé  de  celui 
de  Paradis.  11  a  de  l'espace  devant  lui,  il  peut  à  son  gré, 
reculer  ses  murailles.  Tout  autant  d'avantages  que  n'aurait 
pas  eu  l'abbaye  cassianite.  Aussi  il  n'est  pas  probable  qu'elle 
fût  là. 

Si  le  cœnobium  se  fût  élevé  au  Carénage,  toujours  il  y  fût 
resté.  On  ne  voit  guère  pour  quelle  raison,  en  effet,  on  aurait 
changé  de  place.  Or,  nous  croyons  qu'il  faut  admettre  que  le 
monastère  s'est  trouvé  aux  environs  de  la  chapelle  de  Sainte- 
Cal  herine,  vers  923.  Mais  pourquoi  laisser  l'emplacement  du 
Carénage  pour  venir  à  Sainte-Catherine?  Si  l'on  a  quitté  les 
bords  de  THuveaune  pour  venir  auprès  de  Saint-Victor,  si 
plus  ta  d  on  quitte  le  voisinage  de  Saint-Victor  pour  venir  en 
ville,  c'est  afin  d'échapper  aux  incursionsdes  pirates.  Mais  quelle 
raison  a-t-on  d'aller  du  Carénage  à  Sainte-Catherine,  à  cent 
pas  de  distance  ?  Etait-ce  pour  échapper  au  milieu  peu  hygié- 
nique des  tombeaux  et  des  sépultures  du  cimetière  antique  ? 
Mais  l'emplacement  de  la  chapelle  de  Sainte-Catherine  se 
trouve  précisément  sur  la  limite  de  Paradis,  le  carnarium 
dont  parle  la  charte  de  904  (2).  Si,  au  lieu  de  venir  à  Sainte- 
Ci)  Dans  la  lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand  à  Pabbesse  Respecta  de 
Marseille,  il  est  dit  que  Oynamius  donne  aux  Cassianites  une  de  ses 
maisons  voisines  de  l'abbaye.  A  quel  endroit  était  donc  placée  cette 
maison  ?  Dans  le  cimetière  ?  On  ne  devrait  pas  s'étonner  qu'il  ait  eu 
l'idée  de  s'en  débarrasser  ! 

(2)  c  ...  Una  cum  terra  comitali  quae  ante  portam  castri  fore  vide- 
tur  usque  ad  carnarium. .  »  Charte  10  du  21  avril  904,  Gartul.  de  Saint- 
Victor,  1. 1. 


—  234  — 

Catherine,  on  est  venu  au  Revest,  celui-ci  est  au  bord  des 
salines  et  en  contre-bas  de  Paradis,  tout  à  fait  au  nord.  Etait* 
ce  pour  se  rapprocher  de  la  ville  afin  d'en  avoir  les  avantages 
et  les  commodités  ?  Ce  n'était  pas  à  Sainte-Catherine,  ni  au  Re- 
vest qu'il  fallait  se  fixer  alors,  c'était  auprès  des  murs  de  la  cité. 
Etait-ce  pour  placer  entre  l'abbaye  de  Saint- Victor  et  l'abbaye 
des  religieuses  une  distance  respectueuse?  On  s'y  prenait 
bien  tard.  Et  puis  quelle  était  cette  distance?  Tout  au  plus 
cent  ou  cent  cinquante  pas.  Non,  on  ne  s'explique  pas  ce 
changement.  A  une  certaine  époque  le  monastère  s'est  élevé 
ailleurs  qu'au  bassin  du  Carénage,  donc  primitivement  il  ne  se 
trouvait  pas  en  cet  endroit. 

One  raison  de  convenance,  que  nous  effleurions  tantôt,  s'y 
opposait.  Placer  le  monastère  des  religieuses  au  Carénage,  c'est 
le  placer  trop  près  de  l'abbaye  des  religieux  à  Saint-Victor. 
Quelques  auteurs  ont  cru  que  Cassien,  voulant  imiter  ce  qu'il 
avait  vu  en  Orient,  où  les  monastères  de  femmes  n'étaient  pas 
éloignés  des  monastères  d'hommes,  avait  fait  élever  l'abbaye 
cassianite  non  loin  de  celle  de  Saint- Victor.  Nous  croyons, 
pour  noire  part,que  ces  auteurs  se  sont  complètement  trompés. 
Il  est  faux  d'ériger  en  principe  qu'en  Orient  on  ait  élevé  les 
monastères  d'hommes  et  de  femmes  non  loin  les  uns  des 
autres.  Qu'au  sein  d'une  petite  ville  il  n'y  eût  pas  une  grande 
distance  entre  les  monastères,  il  n'y  a  rien  d'étonnant.  Forcé- 
ment ils  devaient  être  rapprochés,  puisque  l'enceinte  des  villes 
à  cette  époque  n'était  guère  développée.  Mais  croire  que  là  où 
iï  y  avait  de  l'espace  on  n'en  ait  pas  profité  peur  placer  entre  les 
monastères  des  deux  sexes  une  distance  proportionnée,  c'est 
une  erreur  que  les  faits  démontrent  amplement.  Nous  l'avons 
dit,  saint  Pacôme  avait  une  sœur  religieuse.  Il  lui  fit  bâtir 
par  ses  religieux  un  monastère  bien  éloigné  du  sien,  puisque 
le  Nil  les  séparait  (1).  A  Bethléem,  du  temps  de  saint  Jérôme, 
le  monastère  des  hommes  était  bâti  à  mi-côte,  celui  des  fem- 
mes se  trouvait  dans  la  plaine  (2).  A  Jérusalem,  à  la  même 


(1)  Fleury,  Histoire  de  l'Eglise,  liv.  XV,  n°  50.  —  Notice  sur  la  Croix 
de  Saint  André,  par  l'abbé  Magnaa,  p.  16. 

(2)  Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  p.  363. 


—  235  — 

époque,  il  y  avait  un  monastère  d'hommes  sur  le  mont  des 
Oliviers,  et  celui  des  femmes  était  au  pied  de  la  montagne. 

Inutile  de  s'appuyer  sur  ce  qu'on  appelait  les  monastères 
doubles,  coutume  qui  régnait  en  Orient. 

Cette  coutume  a  été  réprouvée  par  l'Eglise,  les  conciles  se 
sont  prononcés  contre  elle,  et  les  papes  l'ont  prohibée. 
Le  concile  d'Agde  en  506,  dans  son  canon  19,  recommande 
d'éloigner  les  monastères  de  filles  des  monastères  d'hommes, 
non  seulement  pour  éloigner  les  tentations  du  démon,  mais 
aussi  pour  éviter  les  calomnies  des  méchants(l).  Nous  savons 
que  le  pape  Saint-Grégoire  le  Grand  improuvait  cette  habitude 
que  l'on  avait  contractée.  Bien  plus,  il  ne  voulait  pas  que  les  en- 
virons des  monastères  fussent  trop  fréquentés  et  habités. Ayant 
appris  que  des  nombreuses  familles,  chassées  par  les  Lom- 
bards, s'étaient  réfugiées  dans  de  petites  lies  de  la  Méditer- 
ranée et  de  l'Adriatique,  il  ordonna  au  sous-diacre  Anthé- 
mius  d'en  chasser  toutes  les  femmes.  Si  ces  familles  sont 
riches,  disait-il,  elles  choisiront  facilement  d'autres  retraites; 
si  elles  sont  pauvres,  qu'elles  viennent  à  Rome,  leurs  frères 
leur  apprendront  le  chemin  du  Latran,  où  est  le  trésor  de 
l'Eglise  devenu  le  leur  (2)'. 

(1)  Concile  d'Agde,  en  506,  canon  19  :  c  Monasteria  puellarum  collo 
centur  longiùs  a  monasteri  s  roonachoruin  propter  insidias  diaboli  et 
propter  oblocutiones  hominuin.  (Summa  conciliorum,  par  F.  Carra- 
zam,  p.  255.  Histoire  des  conciles  de  la  chrétienté,  par  Roisselet  de 
Sauclières,  t.  II,  p.  371.  —  Le  VII*  concile  général,  de  Nicée  II*,  canon 
20,  dit  :  c  Statuimus  non  fieri  duplex  monasteriûm,  quoniam  hoc  sit 
multis  scandalum  et  ofiensio.  »  Summa  conciliorum,  op.  cit.,  p.  552. 
Histoire  des  conciles,  op .  cit.,  t.  III,  p.  251.)  —  Voici,  d'ailleurs,  ce 
que  Ton  lit  dans  Christian  us  Lupus,  Synodorum  Generalium  Canones, 
t.  III,  p .  208  :  <  Privatae  potins  illae  domus,  quain  cœnobia  fuerunt. 
Daplicium,  cœnobiorum  originem  sancto  Bxsilio  maie  adscribunt.  Nain 
et  qusedam  Pachomiana  fuisse,  Nilo  ta  m  en  flumine  divisa...  semper 
dure  oluerunt.  »  —  Le  pape  Gélase  les  défendit  :  «  Discreta  sui  habita- 
tionibus  virorum  atque  feminarum,  sicut  sanctum  propositum  decet 
ezerceatur  circumspecta  devotio.»  Le  pape  Pascal  II  fit  de  même  :c  IUud 
omnino  incongruum  est,  quod  per  regionem  veslram  monachos  cum 
sanctimonialibus  habitare  didicimus.  Ad  quod  resecandum  experientia 
▼estra  immineat,  ut  qui  in  praesentiarum  simul  sunt,  divisis  longe  habi- 
taculis  separentur,  neque  in  posterum  consuetudo  hujusmodi  prœsu- 
matur.  » 

(l)  Saint  Grégoire  le  Grand,  par  l'abbé  Clausier,pp.  247,248. 


ï 


—  236  — 

Or,  croiUon  qu'en  504  l'Eglise  dans  ses  conciles,  et  en  590  le 
pape  Saint-Grégoire  inauguraient  un  nouvel  ordre  de  choses  ? 
L'Eglise  et  le  pape  réglementaient  définitivement  ce  qui  était 
en  usage  chez  les  saints  religieux  ;  on  remédiait  aux  abus  qui 
pouvaient  encore  exister.  Pour  s'obstiner  à  soutenir  pareille 
coutume,  il  faudrait  oublier  à  quelle  perfection  les  solitaires 
de  l'Orient  de  l'époque  de  Cassien  avaient  élevé  la  pratique  de 
la  vie  religieuse.  Or,  rien  ne  lui  était  contraire  comme  un  pa- 
reil voisinage.  Cassien  n?a  pas  parcouru  de  si  longues  années 
les  solitudes  de  la  Thébaïde  ;  il  n'a  pas  mené  la  vie  de  soli- 
taire d'aussi  longues  années,  avant  d'établir  ses  monastères, 
sans  voir  la  nécessité  de  suivre  les  exemples  des  maîtres  de  la 
vie  érémitique  et  de  fuir  les  abus  que  deçà  et  delà  il  avait 
pu  rencontrer. 

Non,  le  monastère  cassianite  au  Carénage  eût  été  trop  rap- 
proché de  celui  de  Saint- Victor.  Donc  il  n'y  était  pas.  Saint 
Cassien  ne  l'y  a  pas  fait  bâtir.  A  aucun  moment  de  son  exis- 
tence, jusqu'à  l'époque,  tout  au  moins,  du  martyre  de  sainte 
Eusébie,  il  ne  s'est  élevé  en  cet  endroit. 


CHAPITRE  II 

L'Abbaye  cassianite  n'a  pu  se  trouver  ni  à  Paradis 

ni  au  Revest. 


le  cœnobium  n'était  pas  a  paradis.— les  chartes  l'auraient  dit. 
-  on  l'aurait  indiqué  a  saint  ysarne,  alors  qu'il  visitait  les 
cryptes  de  saint- victor.—  le  quartier  du  revest,  description 
topographique.— k6p ace  trop  restreint.— plateau  au-de8sus 
ou  revest.— terre  des  religieuses  de  sainte-marie  —le  mo- 
NASTERE n'était  point  en  cet  endroit  encore,  cette  terre  ne 

LEUR  APPARTENAIT  PAS  AU  V"  SIÈCLE.—  ENCLAVES  DE  CETTE  TERRE. 
—  AUCUN  AUTEUR  NE  LE  DIT.— PA8  LA  MOINDRE  TRADITION  —ON  NE 
FOURNIT  AUCUNE  PREUVE  EN  PAVEUR  DU  REVEST.  —  SAINT  YSARNE 
Y  AURAIT  RELEVÉ  L 'ORATOIRE  DE  SAINT-CASSIEN. 


Du  V*  au  VIIIe  siècle,  le  monastère  cassianite  n'était  pas 
dans  l'enceinte  du  cimetière  de  Paradis. 

M.  de  Rey,  qui  a  cherché  à  préciser  remplacement  du  mo- 
nastère cassianite,  â  dit  a  qu'évidemment  il  ne  fallait  pas  le 
chercher  dans  Paradis  même  (1).  »  C'est  bien  la  vérité.  Les 
Chartes,  notamment  les  32,  33,  34  du  Oartulaire,  qui  parlent 
du  cimetière  de  Paradis,  auraient  certainement  fait  mention 
de  l'existence  d'un  monastère  de  femmes,  s'il  s'y  fût  trouvé» 
La  définition  qu'elles  donnent  de  Paradis,  à  elle  seule  le 
prouve.  «  Cette  église  de  Saint-Pierre,  et  ce  lieu  (le  cime- 
tière), dit  la  charte  32,  ont  été  appelés  Paradis  depuis  les 
temps  les  plus  reculés.  Cet  endroit,  situé  à  la  porte  du  monas- 
tère (de  Saint-Victor),  porte  ce  nom  parce  que  les  corps  de 
beaucoup  de  saints  martyrs,  de  confesseurs  et  de  vierges  qui 
y  reposent  attirent  les  bénédictions  et  les  grâces  du  ciel.  Bien 
plus,  il  est  appelé  Paradis  ou  la  porte  du  Paradis,  parce  que 
du  temps  de  Cassien,  le  père  très  saint,  le  docteur  remar. 
quable,  le  fondateur  du  cœnobium  de  Saint-Victor,  il  y  régna 

(1)  Le*  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  233. 

16 


—  238  — 

dans  les  âmes  une  grande  sainteté,  une  grande  noblesse,  et  que 
Ton  y  vit  fleurir  dans  toute  sa  splendeur  la  discipline  monas- 
tique, source  réelle  de  toutes  joies  pour  les  âmes  pieuses  (IJ.d 
C'est  toujours  du  monastère  de  Saint-Victor  qu'il  s'agit  dans 
cette  charte  et,  si  l'abbaye  cassianite  des  femmes  s'était 
trouvée  en  cet  endroit,  ce  document  n'aurait  pas  eu  uu  mot 
pour  dire  que  cette  dernière  abbaye  avait,  en  même  temps 
que  celle  de  Saint-Victor,  honoré  ce  lieu  de  Paradis  par  les 
exemples,  les  vertus  et  la  sainteté  des  religieuses  qui  l'habi- 
taient! C'est  difficile  à  croire. 

On  a  lu  plus  haut  qu'un  historien  du  XI*  siècle,  écrivant 
la  vie  de  saint  Ysarne,  abbé  de  Saint-Victor,  rapporte  (2)  que 
tout  jeune  encore  ce  saint  vint  à  l'abbaye  Saint-Victor,  en 
compagnie  du  moine  Gaucelin.  Tandis  que  celui-ci  visitait 
parents  et  amis,  Ysarné  n'eut  d'autre  désir  que  de  parcourir  les 
cryptes.  Les  religieux,  pleins  de  charité,  heureux  de  satisfaire 
les  pieux  désirs  du  voyageur,  le  conduisirent  dans  tous  les  sanc- 
tuaires de  l'abbaye,  lui  nommant  les  riches  trésors  de  bé- 
nédictions et  de  grâces  qu'ils  contenaient,  «  £n  ce  lieu,  lui 
disaient-ils,  repose  l'innombrable  armée  des  martyrs  dont  on 
n'invoque  jamais  en  vain  l'assistance,  restes  vénérables  qu'en- 
toure dans  les  vastes  champs  voisins  la  foule  des  confesseurs, 


(1)  f  ...  Quae  ecclesia  (Sancti  Pétri )vel  locus,  multis retroactis tem- 
poribus  vocatus  est  Paradisus.  Idcirco  vero  isdem  locus,  ad  portam 
monasterii  situs,  vocatus  est  Paradisus,  sicut  et  nos  comperimus,  quia 
multorum  corporum,  videlicet  sanctorum  martyrum,  confessorum  ac 
virginum  eodem  loco  quiescentiura,  decoratur  auxiliis  et  suffragatur 
meritis.  Imo  etiam  vocabatur  Paradisus  et  porta  Paradisi,  quia  in  die- 
bus  Cassiani,  sanctissimi  patris  et  doctoris  exiinii,  institutoris  hujus- 
modi  Sancti  Victoria  cœnobii,  tantà  nobîlitate  viguit  et  sancti tate 
floruit  apostolicœ  et  regularis  disciplina?,  ab  his  sanctis  patribus  traditse, 
ut  merito  et  actu  et  nomine,  vocaretur  Paradisus,  roris  supernse  gratis 
iilustratus  virtutibus.  •  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  32.— L'auteur  de 
la  Vie  des  Saints  de  V Eglise  de  Marseille  dit  lui-même  en  traduisant 
cette  charte  32  :  •  Le  monastère  s'appelait  Paradis,  parce  que  là  repo- 
saient les  vierges,  les  martyrs  et  les  confesseurs,  gloire  de  l'Eglise  de 
Marseille,  et  aussi  parce  qu'il  renfermait  le  monastère  de  Cassien,  séjour 
inondé  de  grâce  divine...  »  Page 233. 

(2)  Voir  le  texte  de  ce  passage  et  son  explication  dans  les  chapitres 
quatrième  et  cinquième  de  V Introduction. 


—  239  — 


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autrefois  religieux  de  ce  monastère.  Là,  dans  un  endroit  à  part, 
dort  la  foule  des  vierges  consacrées  à  Dieu;  ici,  dans  le 
sanctuaire  taillé  au  vif  du  rocher,  tu  vois  les  restes  des  saints 
Innocents.  »  Qu'il  s'agisse,  dans  ce  passage  de  la  vie  de  saint 
Ysarne,  des  divers*  endroits  des  cryptes,  ou  qu'il  s'agisse  d'un 
coin  de  Paradis,  toujours  est-il  que  s'il  y  avait  eu  dans  le 
cimetière  de  Paradis,  à  deux  pas  de  l'abbaye,  un  monastère 
fondé  par  le  bienheureux  Cassien,  incontestablement  les  re- 
ligieux qui  mettent  saint  Ysarne  au  courant,  le  lui  auraient 
fait  savoir,  et  l'auteur  de  cette  vie  aurait  fait  mention  de  ce 
détail.  Il  ne  dit  rien  cependant,  c'est  que  le  monastère  cassia- 
nite  ne  se  trouve  pas  dans  Paradis.  A  aucun  moment,  tout  au 
moins  du  V*  au  Vlli'  siècle,  il  ne  s'est  élevé  à  cet  endroit  (1). 

De  420  â  750,  il  n'a  pu  se  trouver  encore  à  l'endroit  que  l'on 
appelle  le  Revest,  c'est-à-dire  sur  le  versant  qui  de  la  rue 
Sainte  s'incline  vers  le  port. 

Quelle  est  bien  la  topographie  de  ce  point  du  terroir?  Nous 
l'avons  dit  plus  haut  en  expliquant  la  charte  40  du  XI*  siècle. 
Le  chemin  qui  va  à  la  Garde  part  du  Podium  Formicarium, 
près  de  l'église  actuelle  de  Saint-Ferréol,  longe  la  rive  est 
du  port,  à  la  hauteur  de  la  rue  Beauvau,  tourne  à  l'ouest 
à  la  hauteur  de  la  rue  de  la  Darse,  passe  en  contre-bas  de  la 
rue  Sainte,  toujours  en  tirant  vers  l'occident  jusqu'à  la  rue 
Fort-Notre-Dame.  A  ce  point  il  fait  un  second  coude  et  re- 
monte vers  le  sud.  Or,  depuis  le  Podium  Formicarium  jusqu'à 
ce  second  coude,  ce  chemin  de  la  Garde  d'un  côté  borde  des 
salines  établies  sur  la  rive  du  port  (2);  de  l'autre  côté,  du 
premier  tournant  au  second,  il  sert  de  limite  aux  quelques 
terres  situées  sur  le  plateau  et  appartenant  à  des  particu- 


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(1)  <  Le  cimetière  de  Paradis,  si  vaste  qu'il  fût,  ne  descendait  pas  jus- 
qu'à la  mer.  Le  plateau  occupé  par  la  rue  Sainte  actuelle  s'incline  brus- 
quement vers  le  port  par  une  pente  rapide. . .;  c'est  sur  ce  coteau  incliné 
vers  la  mer  que  se  trouvait  le  monastère.  »  (Les  Saints  de  V Eglise  de 
Marseille,  pp.  234,  235.) 

(2)  <  Cum  salinis  et  piscatfonibus  et  portu  navium  et  omnibus  juste 
et  legaliter  ad  eumdem  ûscum  pertinentibus,  conjacentem  in  comitatu 
'Massiliensi  qui  vulgo  Paradisus  nominatur,  sicut  est  via  quso  descendit 

a (iuardia usque  in  Poium  Formicarium.  »    Cartulaire   de  Saint-Victor, 
charte  10. 


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—  240  — 

liers  (1).  Ainsi  ce  poiut  du  terroir  que  M.  de  lley  appelle 
le  Revest  n'est  en  réalité  qu'un  espace  fort  restreint.  «  Sur 
ce  coteau  incliné  vers  la  mer  »,  le  chemin  de  la  Garde  et  les 
salines  occupent  jusqu'à  la  moindre  parcelle  de  terrain.  11  est 
donc  difficile  d'y  trouver  la  place  pour  un  monastère. 

Mais  en  deçà  du  chemin  de  la  Garde,  au-dessus  de  cette  brus- 
que  inclinaison  île  terrain,  le  plateau  s'élargit,  et  l'on  pour- 
rait peut-être  comprendre  cet  espace  de  terrain  sous  la 
dénomination  de  quartier  de  Revest.  Il  y  a  sur  ce  point  des 
terres  appartenant  à  des  particuliers,  et  même  il  y  en  a  une 
qui  est  la  possession  des  religieuses,  au  XI*  siècle.  Nous  avons 
désigné  plus  haut  remplacement  exact  de  cette  terre.  C'est  là 
qu'à  la  rigueur  les -auteurs  qui  veulent  l'abbaye  cassianite  au 
Revest,  pourraient  la  placer. 

Et  cependant  l'abbaye  n'a  pas  été  sur  cette  terre  des  reli- 
gieuses, de  420  à  750. 

Celte  terre,  d'abord,  ne  leur  appartenait  pas  à  cette  époque 
primitive.  Il  n'y  a  pas  de  titre,  croyons-nous,  qui  indique 
que  c'était  là  une  possession  de  l'abbaye  au  V°  ou  au  VI-  siècle. 
En  supposant  qu'elle  fût  ce  qu'un  des  fragments  d'inventaire, 
découvert  jadis  par  Ruffi,  appelait  1'  «  ager  Massiliensis  » , 
comme  cet  inventaire  fut  dressé  sous  Venator,  évêquede  Mar- 
seille, c'est-à-dire  après  886  (2),  ce  titre  ne  prouverait  pas  que 
l'abbaye  possédât  ce  domaine  au  début  de  sa  fondation.  Le 
titre  serait  bien  trop  postérieur. 

Ensuite,  celte  terre  est  d'une  assez  vaste  étendue.  Telle  que 
la  charte  40  du  XI"  siècle  nous  lu  dépeint,  elle  renferme  plu- 
sieurs enclaves  appartenant  soit  à  des  particuliers,  soit  à 
l'abbaye  de  Saint- Victor.  Or,  ce  n'est  pas  au  début  de  sa  fon- 
dation, et  au  lendemain  de  celle  de  Saint- Victor,  que  l'abbaye 
cassianite  des  filles  a  pu  posséder  un  si  vaste  domaine. 

(1)  «  Vineadft  Blanca  Lancei  ..  ab  occidenle  terminât  via  de  Guar- 
dia.  .  vinea  Algilini,aboccidenteviadeGuardia.  »Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  charte  40. 

(2)  «  Descriplio  mancipiorum  de  agro  Massiliensi,  factum  tempore 
Venatoris  episcopi,  decimo  anno  episcopafùs  ejus.  —  Venator  gouverna 
l'Eglise  de  Marseille,  vers  la  un  du  IXe  siècle.  »  Armoriai  et  Sigillogra 
phie  des  b'véques  de  Marseille,  par  M.  le  chanoine  Albânès,  p.  30  et 
article  XXIV. 


~  241  — 

De  plus,  ces  différentes  enclaves  nous  sont  une  preuve  que 
ce  n'est  point  là  une  possession  si  ancienne  de  l'abbaye.  Au 
début  du  V*  siècle,  quel  était  l'aspect  de  ce  plateau,  au-dessus 
duRevest,  touchant  d'un  côté  le  cimetière  de  Paradis,  qu'il 
bornait  à  l'occident  (1),  de  l'autre  aboutissant  par  une  pente 
insensible  au  marais  de  la  Palud  ?  Ce  ne  devait  être  que  des 
terrains  incultes,  des  marécages,  des  garrigues  comme  l'était 
d'ailleurs  Paradis  et  le  terrain  au-delà  de  Saint-Victor  (2).  Qui 
en  était  le  maître?  Le  souverain  de  l'époque,  les  comtes  de  Pro- 
vence, peut-être  aussi  l'évéque  de  Marseille.  Or,  quel  qu'en  fût 
le  propriétaire,  celui  qui  l'avait  cédé  à  l'abbaye  cassianite, 
nouvellement  fondée,  l'aurait  donné  tel  qu'il  était,  inculte, 
désert,  marécageux;  à  l'abbaye  cassianite  de  le  faire  cultiver. 
D'autre  part,  celle-ci  n'aurait  jamais  distrait  de  ce  domaine 
certaines  portions,  pour  les  céder  en  toute  propriété  à  des  parti- 
culiers. L'abbaye  étant  sur  cette  terre,  le  voisinage  de  ces  parti- 
culiers aurait  été  une  gène.  On  ne  peut  pas  dire  que  les  gens  qui 
sont  nommés  dans  la  charte  40  étaient  les  fermiers  de  ces  biens 
pour  le  compte  du  monastère,  puisque  la  charte  les  cite  comme 
les  maîtres  de  ces  terres  enclavées  ou  voisines  (3).  Non  plus, 
que  ces  maîtres  du  XI'  siècle  étaient  les  successeurs  des  fer- 
miers, qui  à  la  suite  des  invasions  se  seraient  emparés  des 
biens  de  l'abbaye,  puisqu'il  y  a  sept  ou  huit  enclaves,  et  la 
terre  des  religieuses  n'est  pas  tellement  grande  qu'elle  ait  con- 
tenu sept  ou  huit  fermes  et  autant  de  fermiers.  D  ailleurs,  il 
y  a  des  enclaves  appartenant  à  Saint- Victor  (4).  A  la  suite  des 

(1)  Ce  plateau  du- Rêves t  était  séparé  de  Paradis  par  le  chemin  de  la 
Garde  qui  passait  devant  la  chapelle  de  Saint-Pierre  située  à  l'entrée  du 
cimetière. 

(2)  Le  terrain  au  delà  de  Saint-Victor  était  «  terra  culta  et  inculta,  pra- 
tis,  pascuis,  garricis,  aquis  aquarum,  ductibus  vel  reductibus.fi  Charte 
'$,  de  965.Gartulairede  Saint-Victor.  1. 1.—  Paradis,  étant  un  cimetière, 
n'était  pas  cultivé.  Le  reste  du  plateau,  en  ces  temps  reculés,  ne  devait 
guère  l'être  davantage. 

(3)  c  Vinea  quam  Petrus  Algitinus  solttus  erat  facere...  quam  Boni- 
facios dédit...  quam  Pontius  dédit Sancto  Viclori....  quœ  fuit  Alma- 
rici.. .  quse  facit  Gisfredus. . .»  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40. 

(i)  «  Continetur  ibidem  una  quartairada  vineae,  quam  Pontius,  pres- 

byter  Sanctt  Tirsi,    dédit  Sancto  Victori Vinea  Sancti  Victoris  de 

<tomi.  i  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40. 


-  242  — 

invasions,  cette  abbaye,  du  moins,  aurait  fait  restitution. Or,  ces 
enclaves  dans  cette  propriété,  ce  n'est  pas  l'abbaye  cassianite 
qui  accepta  de  les  créer.  Donc  elles  existaient  quand  ce  domai- 
ne lui  a  élé  donné.  Donc  ce  n'est  pas  au  début  de  sa  fondation 
que  l'abbaye  la  possédé.  C'est  plus  tard,  peut-être  au  IX*  siècle. 
Alors,  à  un  bien  qu'on  lui  donne  elle  en  ajoute  plusieurs  autres 
par  achat,  par  échange  ou  par  donation.  Restaient  d'autres 
enclaves,  qu'elle  n'avait  point  encore  pu  réunir  à  sa  propriété, 
en  1038-1048.  Donc  l'abbaye  ne  pouvait  pas  être  en  cet  endroit, 
lors  de  sa  fondation. 

Mais  qu'importe,  dira-t-on,  que  cette  terre  n'ait  pas  appar- 
tenu aux  Cassianites  à  cette  époque  reculée  ?  L'abbaye  pouvait 
cependant  s'élever  en  cet  endroit,  le  terrain,  l'emplacement 
appartenant  par  supposition  ou  à  Saint-Victor,  ou  à  l'évoque, 
ou  aux  comtes  de  Provence. 

Non  encore,  l'abbaye,  même  dans  ces  conditions  n'était  pas 
là,  au  début  du  V  siècle. 

Aucun  des  auteurs  qui  ont  parlé  de  cette  terre  des  reli- 
gieuses suivant  les  indications  de  la  charte  40,  n'a  entendu 
y  placer  l'abbaye  cassianite.  Quel  est  le  sens  véritable  de 
cette  phrase  de  la  charte  40  :  «  Terra  Sanctœ  Mari»  »,  etc.?  On 
Ta  dit  plus  haut.  Mais  tous  les  auteurs  n'y  ont  vu  qu'une 
chose  :  que  l'abbaye  était  sur  le  bord  de  la  mer,  non  loin  du 
port.  Aucun  qui  l'ait  placée  à  l'endroit  même  où  la  terre  se 
trouvait.  M.  de  lley  lui-même,  qui  loge  l'abMye  à  deux  pas 
de  cette  terre,  au  Revest,  et  qui  peut-être  a  l'intention  de  com- 
prendre ce  plateau  dont  nous  parlons  dans  le  périmètre  du 
quartier  du  Revest,  n'a  pas  du  tout  l'intention  d'y  placer  le 
cœnobium.  «  C'est  sur  le  coteau  incliné  vers  la  mer  que  s'éle- 
vait le  monastère  de  Saint-Cyr ,  on  ne  peut  lui  attribuer  un 

* 

autre  emplacement  (1).» 

Autre  preuve.  11  n'y  a  pas,  que  nous  sachions,  de  tradition, 
si  vague  soit-elle,  que  le  monastère  cassianite  ait  été  en  cet 
endroit  sur  le  plateau  en  dessus  du  Revest,  au  V  siècle.  D'au- 
cuns l'ont  placé  aux  Catalans,  au  Carénage,  à  Paradis,  ï  Sainte- 
Catherine,  au  Revest,  afin  de  se  conformer  à  une  faible  tradi- 

(1)  Les  Saints  de  VÉfjlise  de  Marseille,  p.  235. 


—  243  — 

tion,  et  ils  ont  donné  à  l'appui  quelques  raisons,  bien  faibles 
il  est  vrai,  mais  des  raisons.  Or,  pour  cet  endroit  aucun  vestige 
de  tradition.  Donc  le  monastère  ne  se  trouvait  pas  sur  ce  point, 
au  début  de  sa  fondation. 

Et  si  Ton  voulait  arguer  de  ce  que  le  plateau,  au-dessus  du 
Revest,  est  voisin  du  quartier  le  Revest  lui-môme,  pour  établir 
que  la  tradition,  qui  placerait  le  monastère  au  Revest,  pourrait 
servir  à  le  placer  sur  les  terres  environnantes,  nous  de- 
viendrions alors  plus  exigeant.  Nous  demanderions  que  Ton 
nous  donnât  une  preuve  solide  de  la  tradition  en  faveur  du 
Revest.  Et,  cette  preuve,  on  ne  Ta  pas  fournie.  Or.  qui  expli- 
quera l'absence  de  tradition  en  faveur  du  plateau,  au-dessus 
du  Revest,  si  le  monastère  a  été  là,  au  V  siècle?  Cassien  au- 
rait fondé  là  sur  cette  terre,  qui  en  1047  appartenait  aux  reli- 
gieuses, l'abbaye  des  filles  ;  en  597,  elle  s'y  élevait  encore  • 
à  l'époque  des  invasions,  de  même.  Là  auraient  été  martyri* 
sées  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes.  Là  encore  les  pirates  en 
838,  seraient  venus  enlever  les  religieuses.  Peut-être  l'ab- 
baye s'y  élevait  encore  en  923,  car  rien  ne  prouve  sûremeut 
qu'elle  se  trouvait  à  cette  époque  à  Sainte-Catherine.  Cette 
terre  des  religieuses,  aussi  voisine  relativement  de  Saint-Victor 
que  pouvait  l'être  le  quartier  de  Sainte  Catherine,  présentait 
les  mêmes  avantages  comme  les  mêmes  inconvénients.  Et  ni 
les  chartes,  ni  la  tradition  même  la  plus  vague  n'auraient 
gardé  le  souvenir  de  l'existence  durant  cinq  siècles,  du  pre- 
mier cœnobium  de  religieuses,  à  Marseille  1  C'est  à  peine 
croyable. 

Aatre  preuve.  Durant  cinq  siècles  il  y  aurait  eu  là  un  mo- 
nastère embaumé  des  parfums  des  vertus  les  plus  belles.  Eu- 
sébie y  aurait  vécu  avec  ses  compagnes  ;  au  lendemain  de  leur 
mort  héroïque,  on  a  inhumé  dans  un  endroit  a  part,  dans  les 
cryptes,  leurs  glorieuses  dépouilles.  Ysarne  en  a  visité  les 
tombeaux.  Bien  plus,  la  chapelle  de  ce  monastère  avait  été 
dédiée  à  la  Vierge,  disent  à  peu  près  tous  les  auteurs,  ce  qui 
faisait  de  cet  oratoire  un  des  plus  anciens  avec  la  Major  et 
Notre-Dame  de  Confession,  consacrés  à  l'honneur  de  Marie,  à 
Marseille.  Cent  ans  après  la  mortde  Cassien,  et  peut-être  plus 
tôt,  afin  de  perpétuer  le  souvenir  des  vertus  du  saint  fonda- 


—  244  — 

teur  des  deux  abbayes,  cet  oratoire  lui  a  été  dédié.  Tout  cela  se 
passait  à  deux  pas  de  Saint-Victor.  Et  au  XI*  siècle,  alors  que  les 
Viffred  (1)  et  les  Ysarne  sont  à  l'œuvre  pour  rééditier  les  saints 
lieux  dévastés  par  les  Sarrasins;  que  Fulco  et  Odile,  son  épouse 
sur  le  conseil  des  moines  et  le  désir  de  saint  Ysarne  (2),  font 
rebâtir  la  chapelle  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  un  peu  plus  tard 
font  construire  celle  de  Sainte-Croix,  près  de  Saint-Pierre  (3), 
il  ne  viendra  à  la  pensée  de  personne,  ni  de  l'abbé,  ni  du  vicomte, 
ni  des  moines,  de  faire  revivre  le  souvenir  de  l'antique 
abbaye  cassianite!  Ysarne  n'aura  pas  à  cœur  de  faire  re- 
construire la  première  chapelle  dédiée  à  l'honneur  du  saint 
fondateur  Cassienl  Toutes  les  chartes  de  l'époque  parlent 
en  termes  élogieux  du  saint  abbé,  du  Père  très  saint,  de  l'ex- 
cellent docteur  Cassien  ;  les  ruines  du  premier  oratoire  qui  lui 
est  dédié  sont  là  à  deux  pas,  près  du  monastère  de  Saint- Vic- 
tor et  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  et  on  ne  s'occupera  pas  de 
les  relever  !  C'est  incroyable  de  la  part  d'Ysarne,  de  Fulco  et 
d'Odile. 

Donc,  l'abbaye  cassianite  ne  se  trouvait  pas,  de  420  à  750, 
sur  le  plateau  du  Rêves  t. 


(1)  «  Claruit  sacrîs  virtutibus  Viffredus  abbas...  Hicergo  has  aedes  con- 
tiens.. .  velle  nec  De  posse  vicecomitum  seu  egregii  praesulis  Massiliensis.» 
Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  40. 

(2)  c  Quare  disposuimus  œdificare  ecclesiam,  consiliis,  atque  jussu  Do* 
mini  Isarni  abbatis,  feiicis  mémorise,  atque  omnium  fratrum  in  eodem 
cœnobio  manentium  voluntate. . .  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  32. 

(3)  c  Ego  Guillelmus.vicecomes  Massiliensis,  feci  aediflcare  ecclesiam, 
quœ  est  sita  juxta  ecclesiam  Sancti  Pétri,  Massiliensis  monasteri  ad 
sinistram  partem  ;  et  in  honore  Dei  et  Sanctœ  Cruels  rogavi  eam  conse- 
crari...  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  25. 


CHAPITRE  III 


L'Abbaye  cassianite  n'a  pu  se  trouver  à 
remplacement  de  l'ancienne  chapelle  S^-Oatherine, 

ni  aux  Catalans 


PAfi  A  SAINTE-CATHERINE.  —  TROP  PRES  DE  SAINT-VICTOR.  —  AU 
MILIEU  DES  BRUITS  DU  PORT.  —  UNE  CHARTE  DE  904  EN  AURAIT  FAIT 
MENTION.  —  PAS  AUX  CATALANS  —  GROSSON  NE  DONNE  PAS  DE 
PREUVE.  —  IL  N'Y  A  PAS  DE  TRADITION.  —  C'EUT  ÉTÉ  SUR  UNE  TERRE 
DE  SAINT-VICTOR,  ET  LA  CHARTE  DE  966  EN  AURAIT  PAIT  MENTION. 


L'abbaye  cassianite  ne  se  trouvait  pas,  de  420  à  750,  à  rem- 
placement que  la  chapelle  de  Sainte- Catherine  occupa  plus 
tard. 

De  l'endroit  où  le  chemin  de  la  Garde  tournait  vers  le  sud, 
jusque  vers  le  bassin  du  Carénage  s'étendait  une  vaste  terre 
relevant  du  comte  de  Provence  (1)  et  allant  de  la  rive  du  port 
jusqu'à  la  limite  du  cimetière  Paradis.  Le  long  du  rivage  qui 
bordait  cette  terre  comtale,  il  y  avait  des  pêcheries,  des  salines, 
un  ancrage,  un  petit  port  qui  devint  le  port  de  l'abbaye  de 
Saint-Victor  (2).  C'était  sur  cette  terre  comtale  que  s'éleva  à 

(1)  «  Dna  cum  terra  comitali  quse  ante  portarn  castri  fore  videtur, 
usque  ad  carnarium. . .  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t  I,  charte  10. 

(2)  «  Concedimus...  cum  salinis  et  piscationibus  et  portu  navium... 
conjacentem  in  comitatu  Massiliensi  qui  vocatur  vulgo  Paradisus,  sicut 
est  via  quae  descendit  a  Guardia  usque  ad  Podium  Formicarium.  »  Cartu- 
laire de  Saint- Victor,  charte  10. 

c  ..  in  quâ  continebntur  insertum,  qualiter  ecclesiœ  Sancti  Victoris 
znartyris,  uhi  sacratissimum  corpus  umatum  est,  concessisset  Thelo- 
nœum  de  villa  quœ  dicitur  Leonio. . .  nec  non  et  Theionœum  de  navibus 
ab  Italia  venieutibus,  quse  ad  eamdem  ecclesiam  arripare  videntur...  » 
Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  11. 

c...  omnem.  partent  nostram...  de  salinis  quœ  in  portu  civitatis 
Massiliœ  esse  videntur,  ab  ipsa  ecclesia  Sancti  Pétri,  cum  piscatione  et 
portu  navium  quse  in  supradicto  termino  arripaverint.  »  Charte  23  du 
cartulaire  de  Saint- Victor. 


—  24G  — 

une  certaine  époque  la  chapelle  de  Sainte-Catherine.  Or,  nous 
disons  que  l'abbaye  cassianite  ne  se  trouvait  pas  en  cet  endroit. 
C'était  d'abord  très  proche  de  l'abbaye  de  Saint-Victor. 
11  y  avait  à  peine  une  distance  de  cent  cinquante  à  deux 
cents  pas. 

Puis,  il  y  avait  là  des  salines,  nous  l'avons  dit,  des  pêche- 
ries, un  petit  port,  et  il  est  assez  difficile  de  vouloir  y  placer 
un  monastère  de  religieuses.  Cassien  a  recherché  pour  elles 
le  calme,  la  tranquillité  et  la  solitude.  Or,  c'était  là  un  en- 
droit très  fréquenté,  très  bruyant,  quoique  il  y  eût  certai- 
nement moins  d'agitation  et  de  tumulte  qu'il  n'y  en  a  de 
nos  jours  à  la  place  aux  Huiles.  Il  est  donc  difficile  de  suppo- 
ser le  monastère  des  filles  à  ce  point  du  terroir. 

D'autant  plus  que,  le  plateau  se  relevant  assez  brusque- 
ment vers  Paradis,  il  n'y  avait  pas  entre  les  salines  et  le 
cimetière  un  assez  grand  espace  de  terrain  qui  entourât  de 
paix,  de  calme  un  monastère. 

Ensuite,  si  l'abbaye  cassianite  s'est  trouvée  en  cet  endroit 
de  420  à  750,  elle  y  a  toujours  été  jusqu'en  923.  On  ne  voit 
pas  pourquoi,  en  effet,  elle  aurait  quitté  le  voisinage  de  Saint- 
Victor  pour  aller  ailleurs,  à  moins  de  venir  en  ville. 

Et  encore,  cette  terre  comtale  fut  donnée  à  Saint-Victor 
en  904.  Si  avant  cette  époque  l'abbaye  s'y  était  trouvée,  la 
charte  l'aurait  indiqué  de  quelque  manière.  L'empereur 
Louis,  cédant  ce  domaine,  aurait  dit  qu'il  le  cédait  en  com- 
prenant ou  en  ne  comprenant  pas  remplacement  de  l'abbaye 
des  filles.  Or,  il  n'y  a  rien  à  ce  sujet  dans  cette  charte  ;  donc 
l'abbaye  n'était  pas  là  au  début  de  sa  fondation. 

Elle  n'était  pas  non  plus  aux  Catalans,  de  Tan  420  à  750. 

Rappelons  d'abord  que  Grosson,  qui  le  premier,  croyons- 
nous,  a  indiqué  ce  point  du  terroir  comme  emplacement  de 
l'abbaye  cassianite,  n'a  fourni  aucune  preuve  de  son  asser- 
tion (1).  M.  de  Rey,  qui  a  étudié  à  quel  endroit  on  pouvait 
placer  l'abbaye  cassianite,  a  reconnu  que  pas  plus  aux 
Catalans  qu'au  Carénage  il  n'y  a  de  place  pour  elle  (2). 

(1)  Grosson,  Almanach  historique  de  Marse  Me,  de  1770,  p.  74. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  S32.  Sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes. 


—  247  — 

Ensuite,  il  n'y  a,  sur  le  fait  de  l'existence  de  ce  monastère  à 
cet  endroit,  aucune  tradition,  si  vague  eoit-elle.  Pour  le 
Carénage  on  a  allégué  la  nécessité  de  placer  le  monastère  des 
filles  à  côté  de  Saint-Victor;  pour  sainte  Catherine,  on  a 
allégué  les  tombeaux  et  les  inscriptions  que  Ton  a  découverts 
aux  environs  ;  pour  Paradis,  les  sépultures  des  vierges  sacrées; 
pour  le  Revest,  le  texte  de  la  charte  40  ;  pour  THuveaune,  la 
tradition  sur  la  chapelle  a  deïs  Desnarrados  ».  Mais  pour  les 
Catalans,  aucun  fait,  aucun  document,  n'est  allégué,  ni  par 
Grosson,  ni  par  un  autre.  Or,  l'absence  de  toute  tradition  ne 
s'expliquerait  pas,  si  le  monastère  avait  été  en  cet  endroit 
de  420  à  750. 

Une  preuve,  d'ailleurs,  qu'il  ne  s'élevait  pas  aux  Catalans. 
La  charte  28,  de  966,  rappelle  que  Tévêque  de  Marseille, 
Honoré  II,  donna  au  monastère  de  Saint-Victor  (1)  une  terre 
qui  entourait  Tabbaye  et  dont  les  limites  étaient  :  de  deux 
côtés  la  mer,  de  l'autre  la  fontaine,  la  montagne  de  la  Garde, 
et  un  chemin  le  long  de  Paradis.  »  C'est  l'espace  de  terrain  qui 
est  borné  au  couchant  et  au  nord  par  la  mer,  au  levant  par 
une  ligue  qui  partirait  du  rivage  du  port  à  l'entrée  de  l'abbaye 
et  de  celle-ci  aux  premières  pentes  de  la  Garde  ;  au  sud  cette 
montagne  elle-même  jusqu'à  la  mer  ;  dans  cet  espace  les 
Catalans  sont  compris. 

Or,  celte  terre  que  l'évêque  donnait  à  Saint- Victor  n'avait  pas 
toujours  été  possession  épiscopale.  Depuis  l'époque  des 
premières  invasions  sarrasines  et  de  la  ruine  de  l'abbaye,  les 
évéques  de  Marseille,  afin  d  arracher  à  la  cupidité  des  laïques 
puissants  les  biens  des  églises  et  des  monastères,  les  avaient 
réunis  à  leur  mense  et  en  avaient  gardé  l'administration. 
C'était  à  ce  titre  que  les  évéques  de  Marseille,  et  probablement 
Honoré  II,  avaient  détenu  ce  domaine  durant  un  certain  nombre 
d'années.  Mais  à  cette  époque  de  966,  l'abbaye  de  Saint- Victor 


(1)  «  Et  est  ipsa  terra,  in  comitatu  Massiliensi,  in  giro  ejusdem 
ecclesiae  beati  Victoris:  consortes  de  duos  latus,  litus  maris,  de  alio  latus 
fontem  et  montem  quem  nuncupant  Guardiam  et  viam  juxta  locum  de 
Paradiso.  »  Charte  23  du  cartulaire  de  Saint-Victor. 


-  248  - 

se  relève  de  ses  ruines  ;  l'évéque,  pour  concourir  à  celle 
résurrection,  rétrocédait  cetle  terre  (1). 

D'autre  part,  il  est  facile  de  se  convaincre  que  ce  domaine 
était  une  possession  très  ancienne  de  l'abbaye.  C'était  une 
terre  aux  alentours  de  Saint-Victor;  on  peut  bien  croire  donc 
que  c'a  été  un  des  premiers  biens  qui  lui  ont  été  concédés  par 
la  piété  des  fidèles  et  des  grands.  Ce  n'est  pas  d'ailleurs  de 
924  à  966  que  l'abbaye  a  pu  la  recevoir,  car  à  cette  époque 
elle  était  en  ruine,  elle  n'existait  plus.  Ce  ne  fut  pas  non 
plus  de  840  à  924,  car  à  cette  date  les  évoques  avaient  déjà 
pris  l'administration  des  biens  de  Saint-Victor  (2).  Loin  de 
donner  à  l'abbaye,  on  cherchait  à  lui  ravir.  Les  évéques 
avaient  fort  à  faire  pour  défendre  ces  biens.  La  possession 
par  l'abbaye  de  Saint-Victor,  de  ce  domaine,  serait  donc  anté- 
rieure aux  premières  invasions. 

Si  donc  l'abbaye  cassianite  s'était  trouvée  sur  ce  point  aux 
Catalans,  elle  eût  élé  sur  une  terre  de  Saint- Victor.  Or,  n'est - 
il  pas  étonnant  que  dans  la  charte  de  966,  en  remettant  ce 
domaine  à  l'abbé  de  Saint- Victor,  l'évoque  ne  rappelle  pas  aux 
moines  qu'il  y  a  sur  une  portion  de  leur  domaine  un  lieu 
sanctifié  et  béni,  arrosé  par  le  sang  de  vierges  héroïques, 
embaumé  par  le  parfum  des  vertus  des  premières  filles  de 
Cassien,  et  que  là  fut  le  premier  oratoire  élevé  en  l'honneur 
de  leur  saint  fondateur  ? 

(1)  «  Et  ut  tbl  utiliùs  posslnt  regulariter  vivere,  ex  terra  quae  ad 
eamdem  abbatiamfSaucti  Victoria;  pertinere  dignoscitur,  aliquid  conce- 
dimus'.hocest  terra  culta  et  inculta,  pratis,  pascuis,  garricis,  aquis, 
aqunrum  duc ti bus,  earum  vel  reductibus,  et  est  ipsa  terra  in  comitatu...i 
Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  23. 

«  ...  Igitur  ego,  jam  dictus  Honoratus  episcopus,  cum  clcricis 
meis,  divini  accensus  amoris,  atque  gloriam  retributionis  orani  affectu 
desiderans. . .  »  Charte  23,  ut  supra. 

«la  honore  Dei  omnipotentis  Sanctique Victoria  martyris,  congrega- 
tionem  monachorum  secundum  regulam  Sancli  Bencdicti  in  abbatia 
ejusdem  beati  Victoris  constitul  optamus.  »  Charte  23  du  cartulaire  de 
Saint- Victor. 

(2)  Dès  l'an  780,  sous  l'épi scopat  de  saint  Mauront,  jusque  vers  le 
milieu  du  Xe  siècle,  l'administration  des  biens  de  l'abbaye  a  été  entre  les 
mains  des  évéques.  (In v>asions  des  Sarrasins  en  Provence ,  par  M.  de 
Rey,  passirn.) 


—  249  — 

JJira-t-onque  le  point  où  s'élevait  l'abbaye  cassianite  des 
tilles  avait  été  la  possession  de  cette  même  abbaye,  lors  de  sa 
fondation?  Mais  en  738  ou  plus  tard,  à  l'époque  de  sa  destruc- 
tion, levêque  aurait  pris  l'administration  de  ce  domaine.  Et 
toujours  en  966,  alors  qu'il  restituait  à  l'abbaye  de  Saint-Vic- 
tor ce  qui  lui  appartenait,  il  aurait  fait  exception  de  ce  bien 
de  l'antique  monastère,  bien  qu'il  aurait  conservé,  uni  à  sa 
mense  épiscopale,  ou  qu'il  aurait  cédé  à  Saint-Victor.  Mais 
forcément  il  aurait  mentionné  ce  fait  ;  or,  la  charte  de  966  ne  dit 
rien  de  cela.  Donc  l'abbaye  n'est  pas  aux  Catalans,  de  420  à 
750. 

S'élevait- elle  à  Saint-Loup?  C'est  postérieurement  à  840, 
suivant  l'abbé  Cayol  que  les  Cassianites  auraient  habité  ce 
quartier.  De  420  à  750  elles  n'y  étaient  donc  pas. 

L'abbaye  pouvait-elle  se  trouver  à  Saint-Cyr  (Var)?  Non 
encore.  Il  y  a  dans  le  cartulaire  de  Saint-Victor,  et  en  appen- 
dice aux  différents  écrits  de  M.  Magloire  Giraud,  sur  Saint-Cyr, 
laCadière,  Saint-Damien  et  Taurœntum  (1),  un  bon  nombre 
de  chartes  dans  lesquelles  on  ne  s'explique  pas,  qu'il  ne  soit 
fait  aucune  mention  de  l'existence  de  l'abbaye  cassianite,  a 
Saint-Cyr,  si  celle-ci  s'y  est  trouvée  réellement.  Notamment 
la  charte  de  906  d'Honoré  II,  dans  laquelle  celui-ci  cède  à  Sainte- 
Victor  îe  terroir  de  la  Cadière.  Comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  Honoré  II  aurait  rappelé  aux  moines  l'existence  de  ce 
cœnobium  primitif  des  allés  de  Cassien.  La  charte  de  967-993, 
quiiacontele  voyage  de  Guillaume,  comte  de  Provence,  à 
la  Cadière,  pour  aider  les  religieux  à  se  mettre  en  possession  de 

(1}  «  Goncedimtis  eis  ecclesiara  Sancti  Damiani  eu  m  appendicite 
suis...  »  Suivent  les  limites.  (Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  23.— 
Charte  77,  de  Tan  967-993.-  Charte  75.  de  l'an  1019.) 

La  donation  de  la  Cadière  étant  laite  et  les  limites  étant  fixées,  le 
comte  de  Provence  ajoutait  :  «  Omnia  quœ  istis  terminis  continentur, 
quantum  ad  me  pertinent,  Sancto  Victori  ex  integro  dono.  Sane  si  quis, 
quod  evenire  minime  credo,  contra  hanc  donationem  venlre  ant  obsiâ- 
tere  voluerit,  obtinere  istud  non  vaieat. . .  »—  «  Omnia  quae  istis  termi- 
nal ion  i  bus  continentur,  ex  integro  dono  Sancto  Victori,  exceptis  pinis.» 
—  (Charte  76,  de  1019,  cartulaire  de  Salut  Victor.—  Histoire  du  prieuré 
de  Saint-Damien,  par  l'abbé  Magloire  Giraud,  appendice,  chartes  1,  2, 
3, 4,  5.) 


—  250  — 

leurs  biens,  l'aurait  insinué  encore.  Celle  de  1019,  qui  relate 
la  donation  à  Saint-Victor  d'une  terre  à  la  Cadière  par  Fulco 
et  Odile,  et  dans  laquelle  les  limites  de  la  Cadière  sont  préci- 
sées, aurait  encore  indiqué  l'endroit  où  se  trouvait  ce  mo- 
nastère. Et  tant  d'autres  chartes  qui  gardent  sur  ce  sujet  le 
silence  le  plus  complet.  Donc  on  peut  en  conclure  que  l'abbaye 
cassianite  n'était  pas  à  Saint-Cyr  à  cette  époque  primitive. 

Pouvait-elle  se  trouver  à  cette  époque  aux  salines,  à  Saint- 
Marcel,  à  Aubagne,  à  la  Ciotat,  etc.,  etc.?  On  n'attend  pas  de 
nous  que  nous  passions  en  revue  toutes  les  localités  de  la  Pro- 
vence où  il  plaira  au  premier  venu  de  placer  l'abbaye  cassia- 
nite. En  citant  un  point  quelconque  du  terroir,  que  Ton 
prouve  l'existence  d'une  tradition  sérieuse  en  faveur  de  cet 
endroit,  alors  il  sera  possible  d'établir  sur  des  bases  solides 
une  discussion  utile.  Or,  c'est  le  cas  pour  Saint-Marcel,  Auba- 
gne, etc.,  etc.  Nous  passons. 

L'abbaye  cassianite  donc  n'a  pu  se  trouver  à  l'époque  de  sa 
fondation  aux  Catalans,  ou  au  Carénage,  à  Sainte-Catherine, 
au  Revest,  sur  le  plateau  du  Revest,  à  la  Major,  etc.,  etc.  A 
quel  endroit  se  trouvait-elle  alors,  puisqu'il  faut  admettre 
qu'elle  était  quelque  part  ?  Nous  l'insinuons  dans  la  conclu- 
sion suivante. 

Aux  auteurs  qui  plaçaient  le  cœnobium  à  tel  ou  tel  endroit, 
aux  environs  de  Marseille,  nous  avons  prouvé  qu'ils  étaient 
dans  Terreur.  Restent  donc  les  bords  de  l'Huveaune  ;  or,  à  ceux 
qui  soutenaient  que  jamais  cœnobium  ne  s'est  élevé  en  ce 
point  du  terroir,  nous  avons  démontré  que  leurs  objections  ne 
tenaient  pas.  D'autre  part,  un  certain  nombre  d'historiens 
désignent  les  parages  de  l'Huveaune  comme  l'endroit  où 
pouvait  se  trouver  l'abbaye.  Donc,  le  cœnobium  a  pu  être  là. 
Ceci  n'est  point  une  preuve  péremptoire,  nous  le  reconnais- 
sons; mais  on  ne  saurait  le  nier,  cela  peut  suffire  à  faire 
pencher  quelque  peu  la  balance  en  faveur  de  notre  opinion. 
Voici,  d'ailleurs,  les  preuves  positives. 


— ■*^vv\A/VAAAAAA/wv**«— 


DEUXIÈME  SECTION 


PREUVES     POSITIVES 


CHAPITRE  PREMIER 

Les  Auteurs  favorables  à  notre  opinion 
et  discussion  de  leurs  assertions 


MàBILLON.  —  CHIPFLBT  J.-J.  —  ANDBÉ  DU  8AUSSAY.  —    GUE8NAY  J.-B. 

—  ABTHUB  DE   MONE8TIEB.  —  LE   P.  LECOINTE.—  LE    PKBB    POIBEY. 

—  L' €  ATLAS     MABIANUS   ».    —     H.    BOUCHE.     —     M.    LE    CHANOINE 
MAGNAN. 

Il  est  juste  de  citer  en  premier  lieu  les  auteurs  qui  ont  sou- 
tenu notre  opinion.  D'ailleurs  nous  connaîtrons  ainsi  sur  quels 
arguments  ils  s'appuient  et  ils  rendront  plus  évidente  l'au- 
torité que  nous  apporteront  leurs  témoignages. 

D'abord,  Mabillon.  Dans  son  ouvrage  monumental,  inti-r 
tulè  :  Annales  ordinis  Sancti  Benedicti ,  et  les  Acta 
sanctorumO.  S.  B.y  Mabillon  écrit:  «  C'est  à  cette  époque 
que  l'on  place  ce  fait  mémorable  concernant  les  quarante 
religieuses  du  monastère  de  Saint-Cyr,  situé  près  de  Mar- 
seille et  fondé  par  Gassien.  Sur  les  exhortations  d'Eusébie, 
leur  abbesse,  elles  se  mutilèrent  le  visage  en  se  coupant  le  nez, 
afin  d'échapper  à  la  lubricité  des  Sarrasins  (1)  ».    L'auteur 

(l)«Huc  re vocant  f actum  sanctimoDialium  quadraginta  coenobii  sancti 
Cyricii,  prope  Massiliam  a  B.  Joanne  Cassiano  erecti,  quae  hortante 
Eusebiâ  matre  et  abba tissa,  ne  suse  pudicitise  vis  a  Sarracenis  infer- 
retur,  oasuin  sibi  praeciderunt.  »  Mabillon,  Annales  ordin.  S.  Bene- 


—  252  — 

ne  désigne  pas  l'emplacement  exact  du  «  cœnobium  sancti 
Gyricii  »  ;  c'est  a  prope  Massiliam  »  qu'il  le  loge.  Mais  il 
faut  remarquer  qu'en  écrivant  ces  lignes,  il  ne  cherchait 
point  à  élucider  une  Question  qui  pour  lui  n'était  qu'un  sim- 
ple détail  à  ce  moment,  quoique  pour  nous  elle  soit  une  ques- 
tion importante.  Il  racontait,  il  affirmait  que  sainte  Eusébie 
et  ses  compagnes  avaient  été  martyrisées  par  les  Sarrasins; 
que  le  monastère  théâtre  de  ce  massacre  s'élevât  en  cet  endroit 
ou  à  un  autre,  peu  lui  importait.  Ce  n'était,  encore  une  fois, 
qu'un  détail. 

Cette  seule  expression  cependant  semble  indiquer  que 
Mabillon  admettait  plutôt  notre  opinion  que  l'opinion  con- 
traire (1).  A  l'époque  ou  il  écrivait,  en  1668,  il  n'aurait  pas 
employé  cette  expression  :  «  prope  Massiliam  »,  si,  à  son  avis, 
le  monastère  cassianite  avait  été  jadis  sur  la  rive  du  port  ,au 
Carénage,  aux  Catalans,  ou  au  Revest.  En  1668,  ces  divers 
endroits,  se  trouvaient  englobés  dans  l'enceinte  de  Marseille, 
et,  Mabillon  voulant  désigner  un  de  ces  points  pour  l'empla- 
cement du  monastère  cassianite,  aurait  dit  simplement,  ou 
bien  que  celui-ci  était  à  Marseille,  ou  bien  qu'il  s'élevait  à 
tel  endroit,  hors  de  Marseille  à  cette  époque.  Si  donc  cette  ex- 
pression «  prope  Massiliam  o  se  trouve  sous  sa  plume,  c'est 
l'indice  que  pour  lui  le  monastère  s'élevait  aux  bords  de  l'Hu- 
veaune.  Ce  qui  suit,  d'ailleurs,  va  corroborer  cette  interpré- 
tation et  nous  montrer  que  Mabillon  est  bien  de  notre  avis. 

Si  le  savant  Bénédictin  se  tient  dans  la  généralité  lorsqu'il 
raconte  l'histoire  de  sainte  Eusébie,  il  précise  davantage  lors- 
qu'il parle  du  monastère  lui-même.  Dans  la  vie  de  saint 
Césaire  d'Arles,  au  sujet  de  sainte  Césarie,  la  sœur  ou  la  cou- 
sine de  l'évêque,  que  celui-ci  avait  placée  dans  uil  cœnobium 
de  vierges  a  pour  y  apprendre  d'abord  cette  piété,  cette  vertu 
qu'elle  devait  plus  tard  apprendre  aux  autres  »,  Mabillon  veut 
indiquer  quel  est  ce  monastère  de  vierges  où  vécut  sainte 

dictitt.  ir,  p.  90,  ad  ann.73$.  —  Acta  sanctorum  ordinis  S.  Béné- 
dicte t.  IV,  p.  487,  ad  ann.  734. 

(1)  Dans  les  Annales  ordinis  S.  #.,  Mabillon  se  sert  de  l'expressiori 
t  prope  Massiliam  »  et,  dans  les  Acta  SS.  ordinis  S.  Bénédictin  il  em- 
ploie l'expression  de  «  prope  urbem  ». 


—  253  — 


rn; 


Eusébie,  et  il  dit  :  c  Dans  le  monastère  que  Jean  Gassien 
construisit  pour  les  religieuses  dans  le  terroir  suburbain  de 
Marseille,  auprès  du  fleuve  de  THiiveaune,  d'où  lui  vint  le 
nom  de  monastère  de  THuveaune  (1)  ».  C'est  précis  et  clair. 
Objectera-t-on  que  c'est  dans  une  note  que  ces  paroles  se 
lisent?  Soit;  mais  la  note  est  de  Mabillon  lui-même, 
comme  le  sont  d'ailleurs  toutes  celles  de  cet  ouvrage  Car  en 
tête  il  est  dit:  «  Universum  opus,  nolis,  observationibus indi- 
cibusque  necessariis  illustravit  (2).  »  Plus  de  doute  donc, 
Mabillon  croit,  avec  nous,  que  le  monastère  oii  sainte  Césarie 
fut  élevée  et  dans  lequel  vécut  plus  tard  et  fut  martyrisée 
sainte  Eusébie  était  sur  les  bords  de  rHuveaune,  «  ad  Yvelinum 
amnem  ». 

Où  Mabillon  a-t-il  puisé  ce  renseignement  ?  Qu'importe  ! 
Le  savant  Bénédictin  était  un  esprit  assez  éclairé,  d'une  critique 
assez  sûre  pour  que  nous  puissions  être  sans  inquiétude  à  ce 
sujet.  Car,  ou  bien  il  a  eu  à  son  service  des  documents  anciens 
que  nous  n'avons  plus.  Puisqu'il  s'est  fié  à  ces  documents, 
nous  pouvons  à  notre  tour  nous  y  fier.  Ou  bien  il  a  accepté 
le  dire  de  certains  auteurs  qui  citaient  cette  tradition,  tels 
que  Chifflet,  qui  écrivait  en  1618,  de  Saussay  dans  son  Marty- 
rologium  gallicanum  de  1638,  Arthur  de  Monestier  dans  le 
Sacrum  Ch/nœceum  de  1657,  Guesnay  dans  le  Cassianus 
illustratus  de  1652  et  dans  le  Provinciœ  Annales  de  1657, 
Lecointe  dans  les  Annales  ecclesiaslici  Francorum  de  1667. 
Or,  3i  Mabillon  a  suivi  ces  auteurs,  c'est  qu'il  croyait  leur 
opinion  fondée.  Il  les  eût  cerlainement  laissés  de  côté,  s'il 
avait  pu  soupçonner  que  leurs  conclusions  étaient  exagérées. 

Après  Mabillon,  Chifflet,  Jean-Jacques  (3),  qui  écrivait  en 


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(1)  «  Evocat  e  moaasterio  venerabilem  sua  m  Caesariam,  quam  inibi 
Ideo  direxerat  ut  disceret  quod  doceret.  »  Kn  note  :  «  Nempe  in  parthe- 
oooe  a  Joanne  Gassiano  sanctimonlalibus  erecto,  in  agro  Massiliensi 
suburbanoad  Yvelinum  amnem  unde  nomen  cœnobio...  »  Acta  sanc- 
torum  0.  S.  £.,  Mabillon,  1. 1,  p.  612  ;  vie  de  saint  Césaire. 

(I)  En  tête  de  son  ouvrage  on  lit,  en,  effet,  ces  mots. 

(3)  « Eam  vero  crucem  Paradinus,  De  Antiq.  Statu  Burgundiœ 

ad  annum  âOI,  dicit  a  Stephano  rege  in  Sancti  Victoris  massiliensem 
basUicam  illatam  ..  nos  vero  ex  certioribus  monumentis  collocatam 
censé  mus  in  agri  Massiliensis  cœnobio  sanctimonialium  de  Uveaune  ad 

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-  254  - 

1618  son  ouvrage  intitulé  :  Vesuntio  civitas  imperialis.  Il 
raconte  t  qu'un  certain  roi  de  Bourgogne,  du  nom  d'Etienne, 
avait  placé  sur  les  étendards  de  son  armée  l'image  de  la  croix 
de  saint  André,  en  souvenir  du  bois  de  la  croix  sur  laquelle 
cet  Apôtre  de  Jésus-Christ  était  mort,  croix  qu'il  avait  rapportée 
d'Achaïe  et  qu'il  avait  déposée  à  Marseille. . . . 

«  Cette  croix  de  saint  André,  un  historien  du  royaume  de 
Bourgogne,  Paradin  affirme  qu'elle  fut  placée  par  ce  roi 
Etienne  dans  le  monastère  de  Saint- Victor,  où  elle  se  trouve 
encore  à  l'heure  présente  ;  mais,  à  notre  avis  et  sur  la  foi  de 
preuves  et  d'écrits  plus  certains,  nous  disons  qu  elle  a  été 
placée  dans  un  monastère  du  terroir  de  Marseille,  sur  les  bords 
de  l'Huveaune,  aux  bord3  de  la  mer,  à  un  ou  deux  milles  de 
cette  ville.  De  quelle  manière  cette  insigne  relique  est  venue 
du  monastère  des  religieuses  de  l'Huveaune  à  Saint-Victor, 
voici  ce  que  les  annales  de  Marseille  nous  racontent. 

«  Lorsque  les  Sarrasins,  arrivant  de  l'Aquitaine,  dévastèrent 
la  Provence,  les  religieuses  du  monastère  de  THuveaune, 
pour  dérober  au  pillage,  au  feu,  à  la  profanation,  la  croix  de 
l'Apôtre  du  Sauveur,  l'ensevelirent  profondément  dans  la 
terre.  Les  barbares  firent  irruption  dans  le  monastère  ;  les 
religieuses,  pour  sauvegarder  leur  pudeur,  se  mutilèrent  le 
visage,  en  se  coupant  le  nez,  les  oreilles  et  les  lèvres.  Les  sau- 
vages envahisseurs  les  massacrèrent,et  les  corps  de  ces  héroïnes 
furent  peu  après  transportés  dans  une  chapelle  de  l'église 
inférieure,  dont  l'entrée  était  interdite  aux  femmes  sous  peine 
d'excommunication  portée  par  l'évoque.» 

André  du  Saussay ,  dans  le  Martyrologe  gallican  (1),  composé 

littus  maris,  altero  circiter  a   Massiliâ   miliario. ...    »     J.-J.   Chifflet 
Vesuntio,  p.  199. 

(1)  «  Crux  Sancti  Andrese  asportata  a  Stephano  rege  Burgundi®  ex 
Achaià,  in  Galliam  deportata,  apud  Veaunenses  virgine8t  in  agro  Mas- 
siliensi  deposita,  inde  paulo  ante  anno  salutis  1250  ad  Sancti  Victoris 
famosum  cœnobium  translata  est,  ubi  nunc  asservatur.  »  Martyrolo- 
gium  Gallicanum,  pridie  kal.  decembris,  natalis  Sancti  Andreese.  De 
Saussay.  —  «  Hanc  (crucem)  ex  Achaiâ,  in  Galliam  delatam  Stephanus 
Burgundiœ  rex,  apud  Veaunenees  virgines  in  agro  Massiliensi  depo- 
suit.  »  Supplem.  Martyrol.  Gallic,  sexto  idus  novembris,  Sancti 
Hugonis  de  Glazinis.  De  Saussay. 


—  255  — 

en  1638,  sur  Tordre  de  Loua  XIII,  raconte,  à  la  fête  de  saint 
André,  Apôtre,  que  la  croix  sur  laquelle  ce  disciple  de  Jésus 
souffrit  et  mourut  fut  rapportée  d'Achaïe  en  Gaule  par 
Etienne,  roi  des  Bourguignons,  et  déposée  chez  les  religieuses 
de  rHuveaune,  près  de  Marseille  et  de  là,  un  peu  avant  1250, 
transportée  au  monastère  de  Saint-Victor. 

Au  supplément  de  son  Martyrologe,  à  la  fête  de  Hugues  de 
de  Glasinis,  il  raconte  la  vision  que  ce  saint  religieux  eut  pen- 
dant la  messe,  vision  lui  marquant  l'endroit  où  se  trouvait 
cachée  la  croix  de  TApôtre  au  cœnobium  de  rHuveaune. 

Guesnay,  Jean-Baptiste,  jésuite,  né  en  Provence,  a  inséré 
la  même  tradition  à  plusieurs  endroits  de  son  Casaianus 
illustraiuSi  imprimé  en  1652.  Il  dit  que  «  le  monastère  de 
THuveaune  fut  fondé  par  quelques  pieuses  femmes  de  Mar- 
seille, sur  un  terrain  appartenant  à  Saint- Victor,  là  où  le 
petit  cours  d'eau  THuveaune  se  jette  dans  la  mer.  Les  débuts 
du  monastère  furent  pénibles  et  difficiles,  mais  la  vertu  y  fit 
de  grands  progrès,  ce  qui  détermina  plusieurs  personnes  de 
distinction  et  de  piété  à  agrandir  le  monastère  et  à  lui  ména- 
ger de  plus  abondantes  ressources.  Bien  plus,  les  habitants 
du  voisinage  accourant  en  foule  à  l'oratoire  de  ce  monastère, 
on  construisit  une  église  plus  vaste,  laquelle  fut  dédiée  à  la 
Vierge  et  fit  donner  au  cœnobium,  contre  lequel  elle  était 
adossée,  le  nom  de  Notre-Dame  d'Huveaune,  à  raison  du  fleuve 
de  THuveaune  sur  les  bords  duquel  il  était  bâti  (1).  » 

Racontant  le  martyre  de  sainte  Eusébie,  Guesnay  s'exprime 
en  ces  termes  :  «  Sainte  Eusébie,  vierge  et  martyre,  vécut 
dans  le  monastère  des  tilles  fondé  jadis  par  Cassien  sur  les  bords 
de  THuveaune,  partie  du  terroir  suburbain  de  Marseille,  et  le 

(1)  #  Monasterium  Yvelinse  aquae  ut  dicitur,  a  piis  quibusdam  mu- 
lieribus  Massiliensibus  inchoatum,  in  agro  suburbano  et  in  ea  Rotundi 
Montis  regione  ubi  Yvelinus  amnis  Méditerranée  immiscetur. . .  Tenue 
quidem  principium  babuit. . .  sed  nonnuUi  eximia  tam  sanctse  familiœ 
opinione  ac  benevolentiâ  excitati,  angustas  xdes  amplificaverunt  et  am- 
plifie* tas  uberiobus  fructibus  stabilierunt,  temploque  laxiori  ad  populi 
coramoditatem  et  frequentiam  exornarunt,  quod  Virgini  Deipara  dica- 
tum  cœnobio  per  amœnae  Yvelini  fluminis  ripae  adjacenti,  Nostrae  Domi- 
na de  Yvelino  proprium  accertum  nomen  imposuit.  »  Casaianus  illus- 
tratus,  Guesnay,  p.  409. 


—  256  — 

gouverna  un  certain  nombre  d'années  en  qualité  d'abbesse. 
A  l'époque  où  la  Provence,  les  bords  de  la  Méditerranée  et  sur- 
tout le  terroir  de  Marseille  furent  si  souvent  visités  par  les 
pirates  et  les  barbares,  il  sévit  contre  les  fidèles  une  telle 
persécution,  que  Ton  pourrait  dire  que  la  fureur  et  la  rage 
de  ces  sauvages  avaient  fait  couler  de  sang  les  rivières  de  ces 
contrées,  au  point  d'en  inonder  les  champs  et  les  villes  qui 
les  avoisinaient.  Or,  le  monastère  de  THuveaune,  à  l'abri 
duquel  sainte  Ensébie  vivait  avec  trente-neuf  compagnes, 
religieuses  comme  elle,  fut  occupé  par  les  barbares.  Pris  de 
rage  et  de  fureur  contre  ces  saintes  filles,  ils  les  massacrèrent . 
Les  dépouilles  sacrées  de  ces  martyres  furent  peu  après  trans- 
portées à  Saint-Victor  par  quelques  pieux  chrétiens,  et  dépo- 
sées dans  la  primitive  église  des  religieux  de  Saint-Cassien(l).  » 
A  un  autre  endroit  de  son  ouvrage,  Guesnay  veut  raconter 
le  massacre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  et  c'est 
toujours  sur  les  bords  de  PHuveaune  qu'il  place  le  monastère 
théâtre  de  ce  glorieux  martyre,  fondé  par  Cassien  dans  le 
terroir  de  Marseille,  à  peu  près  à  la  même  époque  que  celui 
de  Saint-Victor,  et  appelé  du  nom  de  Notre-Dame  d'Huveaune. 
«  Or,  les  barbares  ayant  attaqué  Marseille,  mais  la  trouvant 
garnie  de  troupes,  les  portes  fermées,  ils  durent  s'en  éloigner. 
Ils  se  répandirent  de  tous  côtés  dans  la  campagne,  arrivèrent 
sur  les  bords  et  à  l'embouchure  de  l'Huveaune.  Là  se  trou- 

(1)  «  Sancta  Eusebia  virgo  et  martyr  cœnobium  parthenium  Nostrse 
Dominse  de  Yvelino,  vulgo  de  Veaune,  a  Cassiano  fundatum  in  oppidano 
Massiliœ  terri torio  per  aliquot  annos,  et  fructus  auctoritatis  cepit  ex- 
tremos. . .  Quo  tempore  Provincia  maritimaeque  regiones  ac  praesertim 
Massilia)  suburbanae  piratis,  proedonibusque  patefacta,  tam  atrocem  in 
fidèles  persecutionem  passa  sunt,  ut  ex  eorum  laniena  cruoris  afflu- 
antes rivi  vicos  et  agros  miserandà  strage  inundarunt.  Yvelino  monas- 
terio  a  barbaris  occupato,  cum  sancta  Eusebia,  Deo  sacrât»  virgines 
novem  supra  triginta  sub  ejus  regimine  vitara  profltentes  monasticam, 
altis  praxoniis  Ghristi  nomen  efferent,  illico  in  odium  pise  confessionis 
et  glorificationis  trucidatœ,  receptis  repentinœ  Victoria?  pal  mis,  militia? 
cœlestis  cuneos  suû  accessione  ampliarunt.  Sacrae  martyrum  exuviaepostea 
a  Massiliensibus  Ghristi  nomen  ac  Yvelini  cœnobii  vindicantibus,  in  ur- 
bem  translatas  apud  Sancti  Victoris  cassianitarum  monachorum  pri- 
înariam  basilicam  collocatœ  sunt.  »  CassianUs  illustratus,  Guesnay, 
p.  724. 


—  Tôt  — 

vait  le  monastère  de  filles  que  gouvernait,  en  qualité  d'abbesse, 
sainte  Eusébie  (1).  »  Suit  le  récit  du  massacre. 

Quand  il  énumère  les  reliques  conservées  dans  les  cryptes 
de  Saint- Victor,  Guesnay  n'oublie  pas  celles  de  sainte  Eusébie 
et  de  ses  compagnes,  et  il  dit  à  ce  sujet  :  a  A  la  droite  de  cette 
chapelle  se  voit  un  tombeau  en  marbre.  C'est  là  que  reposent 
les  dépouilles  de  sainte  Eusébie,  jadis  abbesse  de  trente-neuf 
religieuses.  Elles  vivaient  dans  un  monastère  fondé  par  le 
bienheureux  Gassien,  à  deux  ou  trois  milles  de  Marseille,  et 
que  l'on  appelle  encore  Noire-Dame  d'Hu  veaune.  Exposées 
aux  fureurs  des  Sarrasins,  ces  vierges  préférèrent  la  mort  à  la 
perte  de  leur  virginité  (2).  » 

Dans  un  autre  ouvrage  intitulé:  Promnciœ  Massiliemis 
Annales,  imprimé  en  1657,  Guesnay  fixe  à  Tan  477  la  date 
du  martyre  de  sainte  Eusébie,  et  il  dit  :  «  Durant  la  persécu- 
tion que  Genséric  et  son  fils  Hunéric  suscitèrent  contre  les 
catholiques,  les  Vandales,  qui  couraient  les  mers  en  pirates, 
abordèrent  le  point  de  nos  rivages  où  l'Huveaune  se  jette 
dans  la  mer,  et  attaquèrent  le  monastère  des  filles  que  Cassien 
y  avait  fondé  et  qui  était  très  florissant.  Le  monastère  em- 
porté, les  barbares  n'ayant  pu  faire  apostasier  sainte  Eusébie, 


(1)  «  Nec  omittendum  hoc  loco  parthenium  cœnobium  Nostne  Domi- 
na de  Yvelino,  vulgo  de  Veaune,  a  Gassiano  fundatum  in  oppidano 
Massiliae  territorio,  cui  iidem  natales  fuerunt  qui  ipsi  monasterio  Sancti 
Victoris...  Descensione  factà  urbem  aggrediuntur.  Ingens  eo  loco 
vis  erat  populi,  portse  oppidi  clausae,  disposita  prœsidia,  tan  toque  ad 
repellendos  hostiles  conatus  labore,  assiduitate,  dimicatione  certatum 
est,  ut  ab  incolis  exclusi  barbari  et  ad  vicinos  circumquaque  agros  depo- 
pulabundos  diffusi,  Yvelini  fluminis  ostium  aditumque  subierint.  Ibi 
parthenium  cœnobium  in  quo  sancta  Ëusebia  novem  super  triginta 
monialium  religiosissimis  prseerat  antistita...  »  Cassianus  illustratus, 
p.  509. 

(2;  «  Ad  hujus  sacelli  dexteram  marmoreumque  sepulcrum  constitu- 
tum  est.  in  eoque  sancta)  Eusebiœ,  earumdem  novem  supra  triginta 
monialium  quondam  abbatissae  ossa  condita,  hœ  autem  omnes  cum  vitam 
agerent,  in  monasterio  ad  mare  olim  a  beato  Gassiano  excitato  duobus 
tantum  tribusve  milliaribus  Massilia  dissito,  quod  etiamnum  vulgari 
appellatione  B.  Virginis  de  Veaune  dicitur,  ne  a  Sarracenis  violarentur, 
mortem  oppetere  quam  virginitatem  Deo  dicatam  sibi  deperire  malue- 
runt.  »  Casëianus  Mu  stratus,  p.  475. 


—  258  - 

abbesse  du  cœnobium  et  ses  trente-neuf  compagnes,  ils  les 
massacrèrent  sans  pitié...  fl).  » 

A  un  autre  endroit  du  môme  ouvrage  Guesnay  parle  de 
sainte  Eusébie,  de  ses  trente-neuf  compagnes  et  c'est  tou- 
jours du  monastère  situé  sur  les  bords  de  THuveaune  qu'il 
s'agit  (2). 

Arthur  de  Monestier,  dans  le  Sacrum  Gynœceum,  imprimé 
en  1657,  place  au  30  décembre  la  fête  de  sainte  Eusébie  et  de 
ses  compagnes,  «  qui  vivaient  dans  un  monastère  situé  aux 
bords  de  l'Huveaune,  non  loin  de  Marseille  ».  Cet  auteur  cite 
à  la  fois  le  Cassianus  illustrât  us,  le  Martyrologium  galli- 
canum  et  Chifflet,  en  relatant  les  termes  de  ces  auteurs  (3). 

Le  Père  Lecointe,  dans  les  Annales  ecclesiastici  Francorum, 
imprimées  en  1667,  dit  a  qu'il  y  avait  à  Marseille  quatre 
monastères  fameux  :  celui  de  Saint- Victor. . .  celui  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune,  celui  de  Saint-Sauveur  et  celui  de  Saint- 
Cassien.  Guesnay  en  a  parlé  longuement  dans  son  Cassianus 
illustratus.  Le  premier  était  un  monastère  d'hommes,  le 
second  de  femmes  et  de  filles,  tous  deux  fondés  par  Cassien 
lui-même. . .  Celui  de  Notre-Dame  d'Huveaune  est  situé  dans 

(1)  «  Anuo  477.  Circa  excitatum  a  Genserico,  sive  Hunerico  filio  suo, 
catholicorum  persecutionem,  cum  Vandali  piraticam  agerent,  (orte  in 
eam  Provincial  Massiliensem  oram  appulsi,  in  quà  Yvelinus  fluvius  mare 
inflult,  parthenonem  quam  olim  Cassianus  ibi  florentissimam  cons- 
truxerat,  adoriuntar.  Capto  monasterio,  cumsanctamEusebiam  abbatis- 
sam,  Deoque  sacratas  virgines  novem  supra  triginta  sub  ejus  regimine 
vitam  profitentes  monasticam,  nullo  modo  potuissent  adduci  barbari, 
ut  Christum  negarent,  illico  trucidatae...  »  Guesnay,  Provenciœ  Afas- 
siliensis  Annales,  p.  186. 

(2)  t  Anno  450.  SanctaEusebia  virgo  et  martyr.— Cœnobium  parthenium 
Domina*  Nostrae  de  Yvelino,  vulgo  de  Veaune,  a  Cassiano  fundatum  in 
oppidano  Massiliae  territorio,  rexit  sancta  Eusebia...  quo  tempore  Provin- 
cia,  maritimae  regiones,  etc.  »  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Anna- 
les, p.  600. 

(3)  c  Apud  Veaunense  monasterium,  diœcesis  Massiliensis,  passio  sanc- 
tarum  Eusebise  et  sociarum  sanctimonialium  virginum,  quœ  mira  cons- 
tantiâ  pro  tuitione  castitatis  et  fidei  decertantes,  martyrii  palmam  repor- 
tarunt  ».  Sacrum  Gynœceum,  par  Arthur  de  Monestier;  30  déc.  Il  cite 
en  note  le  passage  de  Chifflet:  «  Cum  Sarraceni...  »,  le  passage  de 
Guesnay  :  «  ad  h  jus  sacelli  dexteram...»,  et  le  sens  de  ce  que  de 
Saussay  a  écrit  au  sujet  de  la  croix  de  saint  André,  ut  suprà. 


—  259  — 

le  terroir,  derrière  la  montagne  gui  est  à  l'opposé  du  monas- 
tère de  Saint- Victor,  là  où  l'Huveaune  se  jette  dans  la 
mer.  Il  a  passé  par  mille  épreuves  fâcheuses,  souvent  dé- 
truit, incendié. . .  C'est  à  la  suite  de  sa  dévastation  qui  remonte 
à  une  époque  antérieure  à  la  domination  des  Francs  dans  la 
Provence,  que  les  religieuses  bâtirent  celui  de  Saint-Sauveur, 
situé  dans  la  ville  elle-même  (1)  *. 

Avant  de  passer  à  d'autres  auteurs,  demandons-nous  ce  que 
vaut  le  témoignage  des  quatre  que  nous  venons  de  citer.  Ne 
nous  le  dissimulons  pas.  Leur  autorité,  parait- il,  est  fort 
contestable.  Feller,  dans  son  Dictionnaire  historique,  les 
accuse  tous  d'accepter  sans  trop  de  critiques  les  légendes  (2). 
Cependant,  puisqu'ils  sont  des  témoins  de  nos  traditions,  ne 
passons  pas  entièrement  sous  silence  leur  opinion.  Quel  fond 
est-il  donc  permis  de  faire  sur  leur  témoignage? 

Disons  d'abord  qu'ils  ne  sont  nullement  intéressés  à  donner 
à  la  question  qui  nous  occupe  une  solution  de  parti  pris.  A 
l'exception  de  Guesnay  qui,  lui,  est  Provençal,  le  martyre  de 
sainte Eusébie,  la  découverte  de  la  croix  de  saint  Andréa 
Marseille  ne  les  intéressent  qu'à  titre  de  chrétiens,  de  prêtres, 
de  religieux.  Ce  n'est  pas  une  question  où  l'amour  du  clocher 

(1)  «  Ad  Massiliam  enim  vel  in  ipsâ  civttate  tune  conspicièbantur 
quatuor  illustria  monasteria  :  Sancti  Victoria,  Nostrœ  Dominée  de 
Yvelino,  Sancti  Salvatoris,  et  Sancti  Cassiani,  de  quibus  Guesnay  (lib.  IL 
cap.  17,  25)  in  Cassiano  illustrato  prolixe  disserit.Primum  erat  virorum, 
alterum  puellarum;  cœnobia  Sancti  Victoria  etN.  D.  de  Yvelino  condita 
suut  ab  ipsomet Cassiano...  Prope  muros  stat  etiamnum  monasterium 
Sancti  Victoris...;  cœnobii  de  Yvelino,  siti  in  agro  suburbano  et  in  ea 
Rotundi  Montis  parte  quae  monasterio  Sancti  Victoris  aversa  in  occur- 
sum  patet,  ubi  Yvelinus  amnis  mari  Mediterraneo  immisceatur  sors  fuit 
longe  infelicior.  »  Père  Lecointe,  Annales  ecclesiastici  Francorumt 
t.  I,  n*  43,  ad  ann.  536. 

(2)  Chifflet  J.-J.  c  Si  Ton  retranchait  (dans  cette  histoire  de  Besançon) 
de  la  partie  civile  l'érudition  étrangère  et  de  la  partie  ecclésiastique 
les  fables  et  les  légendes,  son  in  4°  serait  bien  diminué.»  (Feïler,  Dic- 
tionnaire historique.)—  André  du  Saussay,  Afartyrologiumgallicanum^ 
«  dans  lequel  on  remarque  beaucoup  d'érudition,  mais  pas  assez  de  criti- 
que et  d'exactitude.»  (Feller,  op.  cit.).—  Guesnay,  J.-B.,  Annales  Pro- 
vincial Massiliensis  :  «  Ce  n'est  qu'une  compilation  mal  digérée  et  sans 
critique.»  —  Feller  se  borne  à  indiquer  le  S.  Joannes  Cassianus*  sans 
l'apprécier. 


—  260  — 

puisse  les  faire  abonder  dans  un  sens  plutôt  que  dans  un 
autre.  Pour  Guesnay  lui-même  la  solution  que  nous  préconi- 
sons,de  mettre  lecœnobium  cassianite  aux  bords  de  l'Huvea une, 
est  une  question  de  détail.  Si  ces  auteurs  donc  le  fixent  à  cet 
endroit,  c'est  qu'ils  le  savent  de  quelque  manière.  Et  où  ont- 
ils  puisé  ces  renseignements?  Incontestablement  dans  des 
documents  anciens  que  nous  n'avons  plus.  Guesnay  parle  de 
t  monumentis  publias  et  tabulis  veteribus  Massilise  reperies 
editi  instrumenti  anno  710  (1)  ».  Les  autres  auteurs  citent  des 
ouvrages  antiques.  Faut-il  supposer  que,  pour  le  plaisir  d'agré- 
menter leur  narration,  ils  ont  forgé  des  documents  ou  vu  dans 
ces  documents  autre  chose  que  ce  qu'il  y  avait.  Gela  n  est 
guère  possible. 

Les  fiollandistes,  qui  sont  venus  après  eux,  se  contentent  de 
les  citer  quand  il  s'agit  d'écrire  sur  sainte  Eusébie.  Et  nous 
irons,  nous,  les  accuser  de  faux  (2)  ?  D'ailleurs,  Mabillon  a 
traité  le  même  sujet  (ne  parlons  que  du  martyre  de  sainte 
Eusébie).  Or,  ou  bien  Mabillon  a  connu  les  écrits  de  ces 
auteurs  et  s'est  appuyé  sur  leurs  assertions,  alors  elles  sont 
exactes,  car  Mabillon  les  aurait  rejetées,  s'il  avait  eu  le 
moindre  soupçon  d'une  erreur  historique  ;  ou  bien  il  ne  les  a 
pas  connus,  et  n'a  pas  pu  se  servir  de  ce  qu'ils  contenaient. 
Dans  ce  cas,  puisque  Mabillon  et  ces  auteurs  arrivent  aux 
mêmes  conclusions,  puisque  pour  les  uns  et  les  autres  le 
monastère  cassianite  est  situé  aux  bords  de  l'Huveaune,  nous 
ne  voyons  pas  pourquoi  on  n'en  croirait  pas  ces  auteurs.  Ils 
ont  dit  la  vérité,  nous  en  avons  pour  garant  le  docte  Ma- 
billon (3). 

(1)  S.  Joannes  Cassianus  illustrât  us,  y.  409.  Nous  ne  savons  pas  à 
quel  document  Guesnay  fait  allusion,  à  moins  que  ce  ne  soit  à  la  charte 
10  du  cartulairu  de  Saint-Victor,  qui  date  non  pas  de  710,  mais  de  904. 

(2)  Dans  les  Acta  Sanctorum,  à  la  fête  de  sainte  Eusébie,  t.  V,  d'octo- 
bre, p.  292,  les  Bollandistes  rappellent  ce  que  ces  divers  auteurs  ont  écrit, 
sans  donner  aucune  appréciation  de  l'autorité  dont  ces  auteurs  jouis- 
sent. 

(3)  Nous  pourrions  ajouter  &  ces  auteurs  qui  sont  pour  nous  :  Antoine 
de  Ruffl,  le  père  de  M.  de  Ruffl.  Si  ce  dernier  est  contre  nous,  il  n'en  est 
pas  de  môme  du  père.  Nous  avons  cité  son  témoignage.  Or,  il  semble  que 
le  père  veuille   réfuter  à  l'avance  ce  que  son  fils  écrira  plus   tard  de 


>    . 


—  261  — 

Le  Père  Poirey  (François),  dans  la  Triple  Couronne  de  la 
Vierge  Marie  y  a  écrit  :  «  A  la  descente  de  cette  colline  de 
Notre-Dame  de  la  Garde,  Ton  trouve  Notre-Dame  de  la  Veaune, 
jadis  monastère  de  filles,  où  arriva  ce  fait  mémorable  des 
religieuses  qui,  à  l'abord  d'une  rage  barbaresque,  se  coupèrent 
le  nez  d'un  commun  accord,  pour  conserver  leurpudicité  (1).* 

L'Atlas  Marianus,  parlant  de  la  statue  miraculeuse  de 
Notre-Dame  de  la  Veaune,  s'exprime  en  ces  termes  (2)  :  a  Cette 


contraire  à  notre  opinion  :  t  Cette  tradition  (que  le  monastère  était  à 
l'Huveaune;  n'est  appuyée  sur  aucun  instrument,  ni  vieille  écriture,  mais 
se  trouve  fortifiée  par  plusieurs  conjectures  !...»  C'est  une  tradition 
d'abord,  et  elle  n'est  pas  dénuée  de  fondements. 

(1)  Triple  Couronne  de  Marie,  par  P.  Poirey,  nouvelle  édition  parles 
Pères  Bénédictins  deSolesmes,  traité  I,  ch.  12,  article  de  N.-D.  de  la  Se. 
t  Cet  ouvrage  fut  imprimé  à  Paris  en  1630,  puis  en  1633  et  1643  ;  il  eut 
beaucoup  de  succès.  Le  Père  Poirey  était  un  homme  pieux  et  instruit.» 
(Michaud,  Biographie  universelle,  Poirey.) 

(2)  tTemplum  hoc  extra  urbem  est,  et  vel  hodiè,si  pietas  adsit,beneflciis 
Virginis  clam  m.  Olim  miraculosam  fuisse  statuam  Virginis  inde  certum 
est.  Quod  ad  miraculum  pios  eflecerit,  rem  intellige,  lector,  quam  si 
semel  atque  iterum  alibi  factam  legisti,  frustra  in  libris  post  hâc  et 
initolabore  simile  exemplum  quaeres. 

c  Cœnobium  hic  sacratarum  Deo  virginum  fuit,  loco,  quum  nulla 
vicinorum  potentia  contra  malos  defendere  poterat.  lrruentibus  Barbaris, 
virginibus  cura  fuit,  quae  in  periculis  solis  fugae  nec  te  m  pus,  nec  locus 
amplius  erat,  sed  et  nemo,  qui  inermes  et  feminas  defenderet  ;  itaque 
ipsae  ad  gladios  plusquam  virili  fortitudine  respexerunt  ;  et  quia  gladium 
nec  unum  habebat  cœnobium,  brèves  cultros  singulœ  arripuerunt,  sua- 
dente  antistità  in  praeclarum  factum  suffecturos.  Illa,  postquam  ita  arma- 
Us  silentium  induxit  :  «  Vultus,  inquit,  nostri  suot,  quorum  décore  vir- 
c  gineo  periclitamur  :  hos  si  decoro  vulnere  devenustamus,  periculo 
t  defunctse  sumus,  aliud  enim  non  petunt,  qui  nobis  jam  imminent, 
«  hostes.  Audea rausl  Fluet  pulchro  de  vulnere  sanguis  virgineo  rubore, 
<  Virginis  placiturus  cui  non  jamdudum  devovimur.  Si  placet,  incipiam 
«  et  meo  exemplo  nutitantes  animabo.  » 

«  Simul  cum  dictofet  illœ  omnes  idem  se  facturas  clamarunt.  Et  illa, 
neqxiam  promissi  pœniteret,  nasum  sibi  prsecidit.  Quam  caetera;  om- 
nes tan  ta  promptitudine  secutae  sunt  ut  dubium  inter  multas  esse 
exstiterit,  quae  inter  omnes  primos  lanti  facti  honorem  meruerit.  Ita 
felici  hostium  contemptu  securse  periculo  se  capedierunt- 

«  I  nunc,  et  hoc  sine  Deiparae  miraculo  fie  ri  posse  puta. 

«  Caetera,  quae  ad  hanc  sanctam  iconem  (quae  forte  hodiè  non  supe- 
rest)  contigerunt  ad  me  non  pervenire,  atque  etiam  si  ad   me  pervenis- 


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—  262  - 

église  de  Notre-Dame  d'Huveaune  se  trouve  hors  de  Marseille 
et  aujourd'hui  encore  la  Sainte  Vierge  aime  à  récompenser  la 
piété  de  ceux  qui  viennent  l'y  vénérer.  Il  est  certain  que  la 
statue  de  cette  Vierge  peut  être  appelée  miraculeuse.  Voici  qui 
va  le  prouver  ;  on  trouvera  ce  fait  raconté  en  bien  des  livres, 
mais,  quant  à  savoir  s'il  a  été  accompli  une  seconde  fois,  c'est 
en  vain  qu'on  le  rechercherait. 

a  Là  s'élevait  jadis  un  monastère  de  vierges  consacrées  à 
Dieu,  Dans  le  voisinage  de  ce  cœnobium  personne  d'assez 
puissant  pour  protéger  contre  les  méchants  les  saintes  âmes 
qui  y  vivaient.  Or,  les  barbares  vinrent  un  jour  sur  cette  plage 
déserte.  Les  religieuses  ne  pouvaient  ni  fuir,  ni  se  défendre  ; 
mais,  avec  un  courage  plus  que  viril,  elles  essayèrent  cepen- 
dant de  lutter  à  leur  manière.  Il  n'y  avait  point  de  glaives,  ni 
d'armes  au  monastère.  Elles  saisissent  des  couteaux  et  se  pré- 
parent, sur  les  exhortations  de  leur  abbesse,  à  combattre  vail- 
lamment. A  ce  moment  terrible,  l'abbesse,  en  effet,  impose  le 
silence  et  s'écrie  :  «  Mes  ailes,  c'est  la  beauté  de  notre  visage 
a  qui  nous  met  en  péril.  Nos  ennemis  n'en  veulent  qu'à  elle. 
«  Défigurons-nous  et  nous  échapperons  au  danger  1  Courage  !  ! 
«  Nous  nous  sommes  consacrées  à  la  Vierge  Marie  !  Pour  lui 
a  plaire,  donnons- lui  notre  sang.  La  première,  je  vais  lui 
«  offrir  ce  sacrifice.  Suivez  mon  exemple.  » 

a  D'une  voix  unanime  elles  acceptent.  Et  pendant  que  l'hé- 
roïque abbesse  mutile  son  visage,  les  autres  l'imitent,  et  cela 
avec  une  joie,  un  enthousiasme  sans  pareils  et  une  telle  promp- 
titude, qu'on  ne  saurait  dire  qu'elle  fut  celle  de  ces  saintes 
victimes  qui  eut  plus  tôt  achevé  son  sacrifice.  Un  tel  mépris 
des  ennemis  de  leur  chasteté  les  mit  à  l'abri  du  péril  de 
succomber  au  mal. 

«  Jugez,  maintenant,  si  un  tel  acte  a  pu  s'accomplir  sans 
que  la  Vierge  Marie  y  soit  intervenue. 

a  Quant  à  ce  qui  a  trait  à  la  sainte  image  elle-même  (qui, 

sent,  hic  non  apponerem,  qualiacumque  demtim  essent,  quia  hoc  raritate 
suà  suffîcit  ut  credatur  Deiparse statua miraculosa.  »  Père  Poirey,  Triplex 
Corona,  tract.  I,  cap.  lî.  —  Allas  Marianus,  édit.  1672,  t.  II,  p.  3017, 
u.  1687-1137,  Imago  miraculosa  de  la  Veaune  Massiliœ  in  Gallia;  mo- 
nogramme :  Gaudeamus,  amici,  en  pura  Mater  in  alto. 


—  263  — 

peut-être  à  l'heure  actuelle  n'existe  plus(l)  je  ne  sais  rien. 
J'en  saurais  davantage  que  je  ne  l'écrirai  pas.  Le  fait  que  j'ai 
cité  suffit  pour  établir  que  la  Vierge  de  l'Huveaune  peut  être 
appelée  miraculeuse.» 

Nous  lisons  dans  Honoré  Bouche,  Histoire  de  Provence, 
qu'il  y  avait  à  Saint-Victor  «  les  ossements  de  quelques 
saintes  religieuses  du  monastère  d'Uveaulne  qui  souffrirent  le 
martyre  par  les  infidèles  ».  Autre  part  :  «  Le  monastère  des 
religieuses  d'Uveaune,  proche  de  Marseille,  fut  entièrement 
détruit  par  ces  barbares  (2).  » 

M.  le  chanoine  Magnan,  qui  a  écrit  jadis  une  Notice  sur  la 
Croix  de  saint  André ,  a  soutenu  notre  opinion.  Après  avoir 
cité  le  dire  de  Grosson,  de  Lefournier  et  de  quelques  autres 
auteurs  plus  récents,  lesquels  plaçaient  le  monastère  de  sainte 
Eusébie  au  bassin  du  Carénage  ou  sur  le  quai  de  Rive-Neuve,* 
il  ajoute  :  «  D'où  vient  que  les  auteurs  les  plus  dignes  de  foi 
assurent  que  ce  monastère  était  aux  environs  de  Marseille 
et  à  la  campagne:  «  in  agro  Massiliensi»  ?...  Mais  notre 
but  n'est  pas  de  prouver  ici  que  le  monastère  de  sainte 
Eusébie  était  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Une  question  si 
importante  et  si  difficile  demanderait  des  développements 
plus  étendus.  Nous  voulons  montrer  seulement  que  cette 
opinion  peut  être  encore  soutenue  (3).  »  Dans  sa  Notice  sur 
sainte  Eusébie,  le  même  écrivain  dit  catégoriquement  que 
ce  fut  sur  les  bords  de  l'Huveaune  que  saint  Cassien  fonda  le 
monastère  des  filles  et  que  vécut  et  mourut  sainte  Eusébie  (4). 

Enfin,  dans  V Histoire  d'Urbain  V,  le  même  auteur  écrit 
encore  :  «  Cassien  fonda  à  Marseille  deux  monastères,  l'un 
pour  les  hommes  sur  le  tombeau  de  saint  Victor,  l'autre  pour 
les  femmes  sur  les  rives  de  l'Huveaune  (5).  » 


(1)  Nous  dirons,  dans  un  chapitre  suivant,   que  la   sainte  image  de 
N.-D,  d'Huveaune  existe  encore. 

(2)  H.  Bouche,   Chorographie  et  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp. 
332,  565. 

(3)  L'abbé  Magnan,  Notice  sur  la  Croix  de  saint  André,  p.  16. 

(4)  Notice  sur  sainte  Eusébie,  publiée  dans   la  Semaine  liturgique, 
1—  année,  p.  732,  et  dans  le  Conseiller  catholique,  en  1851. 

(5)  Vie  du  pape  Urbain  V,  p.  252. 


CHAPITRE  II 

Le  Propre  de  Marseille 
Leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie 

LEÇONS    DU    PROPRE    DE    MARSEILLE.  —    AUTEUR    DE    CBS    LEÇONS.  — 

MONSEIGNEUR  DE  BBLSUNCE    SE  TIENT  DANS  UNE  SAGE  RÉSERVE;  

MAIS,  N'ACCEPTANT  PAS  CATÉGORIQUEMENT  L'OPINION  DE  RUFFI,  IL 
EST  POUR  NOUS.  —  LES  TERMES  DONT  IL  SB  SERT  SE  LISENT  DANS 
LES  AUTEURS  QUI  NOUS  SONT  FAVORABLES.  —  DANS  «  L' ANTIQUITÉ 
DK  L'ÉGLISE  DE  MARSEILLE  »,  IL  N'EST  PAS  CONTRE  NOUS. 

On  connaît  le  texte  des  leçons  du  II0  nocturne  de  l'office  de 
sainte  Eusébie.  Nous  le  trouvons  dans  le  Propre  de  Marseille, 
à  la  date  du  11  octobre  (1).  En  voici  la  traduction  que  nous 
empruntons  à  l'ouvrage  de  M.  Rey  :  Les  Saints  de  V Eglise 
de  Marseille  (2)  :    • 

«  La  vierge  Eusébie,  d'une  grande  piété,  gouvernait  le  mo- 
nastère de  religieuses  que   le   bienheureux  Cassien   fonda 

(1)  «  Lectio  IV.  —  Eusebia,  virgo,  insigni  pietate  illustris,  sacrarum 
virginum  monasterio  praef uit,  quod  olira  beatus  Gassianus ,  in  agro 
Massiliensi,  non  procul  a  Sancti  Victoris  templo,  exstruxerat.  Irruenti- 
bus  in  monasterium  infidelibus,  sacras  virgines,  de  vità  retinendà,  uni- 
nusquam  de  pudore  servando  sollicitas,  hortatur  Eusebia  nasum  sibi 
praecidant,  ut  cruento  spectaculo  barbarorum  accendatur  feritas,  libido- 
que  exstinguatur.  Quod  cum  incredibili  animi  alacritate  et  ipsa  et  csete- 
rse  omnes  prœstitissent,  barbari  p  ri  mu  m  rei  novitate  attoniti,  tune 
furore  percitt,  eas  numéro  quadraginta  Christum  mira  constantià  confi- 
tentes  immaniter  trucidarunt. 

«  Lectio  V.  —  Earum  ossa  in  subterraneo  Sancti  Victoris  templo  con- 
dila,  veneratione  religiosa  coluntur.  Certissimà  constat  traditione,  in 
earumdem  monasterio  quod  intra  Massiliœ  muros  translatum,  sub 
Sancti  Salvatoris  nomine  diu  floruit,  olim  moris  fuisse  ut  quotiescum- 
que  virgo  aliqua,  vel  ad  ponendum  vit»  cœnobiticae  tirocinium,  vel  ad 
vota  emitlenda  admitterentur,  abbatissse  Eusebia?  sociarumque  marty- 
rium  il l i  sacerdos  velut  maximun  constantiae  incitamentum  in  memoriam 
revocaret.  » 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  227. 


—  265  — 

autrefois  dans  le  terroir  de  Marseille  non  loin  de  l'église  de 
Saint-Victor.  Les  infidèles  faisant  irruption  dans  le  monastère, 
et  les  vierges  sacrées  ayant  plus  à  souci  la  conservation 
de  leur  pureté  que  de  leur  vie,  Eusébie  les  exhorta  à  se 
couper  le  nez,  afin  d'irriter  par  ce  spectacle  sanglant  la  fureur 
des  barbares  et  d'éteindre  leurs  passions.  Avec  une  incroya- 
ble ardeur,  elle-même  et  toutes  ses  compagnes  accomplirent 
cet  acte  ;  les  barbares,  étonnés  d'abord  par  la  nouveauté, 
mais  remplis  de  fureur,  les  massacrèrent  impitoyablement 
au  nombre  de  quarante,  tandis  qu'elles  confessaient  le  Christ  * 
avec  une  admirable  constance. 

a  Leurs  ossements,  déposés  dans  l'église  souterraine  de  Saint- 
Victor,  y  sont  honorés  religieusement.  Il  est  de  tradition 
dans  leur  monastère,  qui,  transféré  dans  les  murs  de  la  ville, 
y  a  fleuri  longtemps  sous  le  titre  de  Saint-Sauveur,  qu'au- 
trefois, quand  une  vierge  était  admise  à  entrer  au  noviciat  ou 
à  faire  ses  vœux,  ce  prêtre  lui  rappelait  le  martyre  de  l'ab- 
besse  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  comme  un  grand  exem- 
ple de  fermeté.  » 

Peut-on,  ce  contexte  à  la  main,  condamner  notre  thèse,  et 
partant  avons-nous  à  craindre  d'être  en  contradiction  avec  le 
croyance  et  la  tradition  de  l'Eglise  de  Marseille  en  la  formu- 
lant ?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Les  leçons  du  Propre  de  Mar- 
seille, dans  l'office  de  sainte  Eusébie,  ne  sont  pas  contre  notre 
opinion.  Au  contraire  elles  lui  sont  plus  que  favorables.  Voici 
la  partie  du  texte  latin  sur  lequel  nous  argumentons  :  «  Euse- 
bia  virgo,  insigni  pietate  illustris,  sacrarum  virginum  monas - 
terio  praefuit,  quod  olim  beatus  Cassianus,  in  agro  Massiliensl 
non  procul  a  Sancti  Victoris  templo,  exstruxerat » 

Quel  est  le  sens  précis  de  ces  mots  :  «  in  agro  Massiliensi, 
non  procul  a  Sancti  Victoris  templo  »  ?  Pour  le  savoir,  lâchons 
de  connaître  l'opinion,  sur  ce  point,  du  rédacteur  de  ces 
leçons  ? 

C'est  M,r  de  Belsunce  qui  a  composé  cette  partie  de  l'office. 
Il  l'avoue  dans  une  lettre,  adressée  à  son  chapitre,  le  9  juillet 
1733  :  «  Moi- même,  dit-il,  n'ai- je  pas  donné  la  leçon  de 
sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes  (1)  ?  »  A  aucune  époque 

(1)  Dom  Berengier,  Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  X.  II;  p.  149; 


—  266  - 

avant  lui,  pas  plus  dans  le  Propre  de  Marseille  que  dans  celui 
de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  il  n'est  fait  mention  de  notre 
sainte  martyre  (1).  Ces  leçons,  composées  en  1733,  devinrent 
obligatoires  dans  la  récitation  de  l'office  divin  dès  la  fin  de  la 
même  année,  en  vertu  d'un  décret  de  l'Ordinaire,  en  date  du 
27  mai  1733  (2),  puis  insérées  dans  l'édition  nouvelle  du  Pro- 
pre que  fit  imprimer  le  même  prélat,  probablement  celle  de 
1735(3). 

Or,  M*r  de  Belsunce  a-t-il,  dans  ces  leçons,  donné  une  opi- 
nion très  précise,  bien  arrêtée  sur  l'endroit  où  se  trouvait  le 
cœnobium  qu'babitait  sainte  Eusébie,  et  partant  est-il  opposé 
à  notre  thèse  ?  Nullement.  Ce  prélat,  en  efiet,  n'ignorait 
pas  que  cette  question  était  bien  discutée  parmi  les  auteurs. 
S'il  lisait  de  Ruffl  dans  l'édition  que  cet  auteur  donnait,  en 
1695,  de  Y  Histoire  de  Marseille,  il  y  voyait  soutenir  que  le 
monastère  des  filles  cassianites  s'élevait  auprès  de  Saint- Vic- 
tor (4).  Dans  le  Cassianus  il  lustrât  us ,  et  les  Provinciœ 
Massiliensis  Annales  de  Guesnay,  il  trouvait  l'opinion 
contraire  :  que  ce  cœnobium  était  sur  les  bords  de  l'Huveau- 
ne(5).  Bien  plus,  en  étudiant  davantage  cette  question,  il 
voyait  que  lorsqu'il  s'agissait  de  savoir  quels  étaient  les 
auteurs  du  massacre  de  ces  saintes  vierges,  pendant  que 
Ruffi  désignait  les  Normands,  il  lisait  encore  dans  Guesnay 
que  c'étaient  les  Vandales  à  un  endroit  de  cet  ouvrage,  et  les 


(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  238.  —  Les  Invasions  des 
Sarrasins  en  Provence,  par  G.  de  Rey,  p.  401.  —  Les  éditions  des  Offi- 
cia propria  Sanctorum  MassiHensis  Ecclesiœ  de  1662,  1692,  1732,  ne 
contiennent  rien  au  sujet  de  sainte  Eusébie.  Les  Officia  propria  venera- 
bilis  Monasterii  Sancti  Victoria  Mossiliœ,  de  1672,  n'ont  rien  non 
plus. 

(2)  Acta  Sanctowm  Bolland.,  sainte  Eusébie,  8  octobre,  t.  IV,  d'oc- 
tobre, p.  292.  —  Ex  decreto  die  XXVII  maii  1733. 

(3)  Un  exemplaire  des  Officia  propria  Ecclesiœ  Massiliensis,  posté- 
rieur à  1732  et  édité  chez  veuve  Brébion,  conservé  à  la  bibliothèque  de 
Marseille,  contient  ces  leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie. 

(4)  Voir  le  chapitre  :  Les  auteurs  contraires  à  notre  opinion,  de  ce 
présent  ouvrage. 

(5)  Voir  le  chapitre  :  Les  auteurs  favorables  à  notre  thèse,  de  ce  pré- 
sent ouvrage. 


•    t 


(1)  Et  les  deux  Ruffl  disaient  cependant  qu'il  était  de  tradition  que 
c'étaient  les  Sarrasins.  Guesnay,  dans  le  môme  paragraphe,  nommait 
les  Sarrasins  et  les  Vandales. 

(2)  Monographie  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille,  par  M. 
Grinda,  dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  année  1888,  n°  345. 

(3)  Voir  les  leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie. 

(4)  V  «  ager  Massiliensis  »  comprenait  :  Arcoulens,  Saint-Tronc, 
Plombières,  Sarturanum,  Saint-Giniez.  (Cartulaire  de  Saint- Victor,  pré- 
face, p.  LXI.)  —  Mortreuil,  Dictionnaire  topographique,  au  mot  Mar- 
seille, p.  216. 


*$ 


—  267  — 

Sarrasins  à  un  autre  (1),  et  dans  Chifflet,  duSaussay,  le  Père 
Lecointe  que  c'étaient  les  Sarrasins.  La  divergence  la  plus 
grande,  en  un  mot,  parmi  les  auteurs. 

Tous  étaient  d'accord  sur  le  fond  de  la  question,  à  savoir  : 
que  sainte  Eusébie  avait  été  martyrisée  avec  ses  compagnes  ; 
mais,  quant  aux  détails,  chacun  avait  une  idée  différente. 
Que  devait  faire  M"  de  Belsunce  ?  Ne  prendre  parti  ni  pour 
une  opinion,  ni  pour  une  autre,  afin  de  ne  pas  exposer  la 
liturgie  sacrée  aux  attaques  de  la  critique.  Conservant  donc 
le  fond  de  cette  tradition  locale,  il  se  tint,  par  rapport  aux 
détails,  dans  un  juste  milieu.  Pour  indiquer  les  auteurs  du 
massacre,  il  se  servit  des  termes  d'  «  infidelibus,  barbaroruin, 
barbari  »,  expressions  qui,  à  la  rigueur,  peuvent  s'appliquer 
aussi  bien  aux  Vandales  qu'aux  Sarrasins  et  aux  Nor- 
mands (2).  Pour  désigner  l'endroit  où  se  trouvait  le  cœno- 
bium,  il  choisit  une  locution  d'une  acception  très  large  et 
que  les  partisans  de  Tune  et  de  l'autre  opinion  pourraient 
tirer  à  eux  :  «  in  agro  Massiliensi,  non  procul  a  Sancti  Victo- 
ris  templo  (3).  » 

En  effet,  de  quelque  opinion  que  Ton  soit,  on  peut  inter- 
préter dans  son  propre  sens  ces  termes  de  la  leçon.  Si  l'on 
soutient  que  le  monastère  est  à  l'Huveaune,  on  se  trouve  dans 
Y  «  ager  Massiliensis  (4)  »  et  a  non  procul  a  Sancti  Victoris 
templo  »,  car  il  y  a  à  peine  une  heure  de  marche  entre  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune  et  l'abbaye  de  Saint-Victor,  et 
1  «  ager  Massiliensis  »  comprenait  ce  que  nous  appellerions 
la  banlieue  de  Marseille .  Si  l'on  préfère  placer  le  monastère 
près  du  port,  on  se  trouve  encore  non  loin  de  Saint- Victor, 


-y 


•  •  »i 


—  268  — 

et  dans  P  «  ager  Massiliensis  »,  puisque  le  quartier  de 
Saint- Victor  ne  se  trouvait  pas,  au  *V"  siècle,  dans  l'en- 
ceinte de  la  ville.  On  le  voit,  en  s'exprimant  de  la  sorte, 
l'écrivain  se  tenait  dans  une  réserve  sage  et  prudente.  Il  ne 
contredisait  pas  son  ami  de  Rufû,  qui  ne  voulait  pas  entendre 
parler  d'un  monastère  aux  bords  de  l'Huveaune  et  surtout  il 
n'exposait  pas  une  partie  de  l'office  divin  aux  critiques  sacri- 
lèges des  dénicheurs  de  saints,  Launoy  et  ses  successeurs. 

Mais  cependant  il  est  facile  de  s'apercevoir  que  M,r  de  Bel- 
sunce embrasse  plutôt  l'opinion  contraire,  la  nôtre.  S'il  avait 
été  de  l'opinion  de  Ruffi,  il  l'aurait  dit  en  propres  termes,  sans 
avoir  à  craindre  de  le  contrarier.  En  admettant  qu'il  n'ait  pas 
voulu  se  prononcer  catégoriquement  en  faveur  de  cette  opinion 
de  Ruffi,  il  aurait  du  moins  fait  entendre  qu'il  penchait  de  ce 
côlé.  Or,  les  termes  qu'il  a  employés  ne  sauraient  indiquer 
ni  qu'il  accepte  l'opinion  de  Ruffi,  ni  même  faire  supposer 
qu'il  la  croit  acceptable.  Pour  désigner  clairement  que  le 
monastère  était  près  du  port,  il  y  avait  des  termes  tout  trou- 
vés :  ceux  de  la  charte  40  du  XI*  siècle  :  a  non  longe  a  ripa 
porti  »,  ceux  des  chartes  de  1431  et  1446  :  «  o'iim  sibi  vici- 
num  (1)  »  ;  et  tant  d'autres  que  le  cartulaire  aurait  suggérés. 
Mais  jamais,  il  ne  serait  venu  à  l'esprit  de  l'évéque  écrivain 
de  se  servir  des  mots  «  in  agro  Massiliensi  »  pour  désigner  la 
rive  du  port.  Les  termes  employés  sont  trop  vagues,  pas  assez 
précis.  Donc,  Mgr  de  Belsunce  n'accepte  pas  l'opinion  de 
Ruffi. 

Ces  termes  ne  font  pas  môme  pressentir  qu'il  croit  accep- 
table l'opinion  de  Ruffi.  S'il  n'avait  écrit  que  a  non  procul  a 
Sancti  Victoris  templo  »,  on  aurait  pu  y  découvrir  une  insi- 
nuation, en  faveur  de  Popinion  de  cet  historien  ;  et,  comme 
ce  terme  était  encore  bien  vague,  on  aurait  pu  le  faire  accep*- 
ter  par  les  tenants  de  l'opinion  adverse.  Mais,  à  côté  de  ces 
mots,  il  y  a  «  in  agro  Massiliensi  »  ;  et,  comme  nous  le 
disions  il  y  a  un  instant,  qui  jamais  a  désigné  la  rive  du  port 
par  ces  mots  :  «  in  agro  Massiliensi  »  ?  M'r  de  Belsunce  donc 


(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40.—  Chartes  de  1431,  1446.  — 
Voir  plus  haut  le  chapitre  :  Les  chartes  de  W34  et  ihfà. 


"  .•'  Vf 


-  269  - 

ne  patronne  pas  l'opinion  de  Ruffi.  Au  contraire.  Les  termes 
dont  il  se  sert  étant  favorables  à  notre  opinion,  on  peut  dire 
qu'il  penche  de  notre  côté. 

La  source  à  laquelle  puise  l'écrivain  l'indique  amplement 
encore.  Dans  son  ouvrage  V Antiquité  de  VEgtise  de  Mar- 
seille, à  l'endroit  où  il  parle  du  martyre  de  sainte  Eusébie, 
quel  est  l'auteur  que  M"  de  Belsunce  cite,  qu'il  traduit,  qu'il 
suit?  Mabillon(l).  Or,  celui-ci,  on  le  sait,  place  le  monas- 
tère à  l'Huveaune  et  il  se  sert  du  mot  a  propre  Massiliam  », 
pour  désigner  cet  emplacement.  Mgr  de  Belsunce,  lui,  emploie 
dans  la  leçon  l'expression  :  «  in  agro  Massiliensi  »,  qui  dit  la 
même  chose.  De  plus,  cette  locution  a  in  agro  Massiliensi  » 
se  lit  à  la  fois  dans  Chifflet.  dans  de  Saussay,  dans  Arthur  de 
Monestier,  dans  le  Père  Lecointe  et  dans  Guesnay  (2)  Or,  ces 
auteurs  placent  le  cœnobium  à  l'Huveaune.  Gomme  Mgr  de 
Belsunce  avait  ces  ouvrages  sous  la  main  et  que  les  expres- 
sions de  ces  ouvrages  se  retrouvent  dans  la  leçon  qu'il  a  com- 
posée, on  peut  en  insérer  qu'il  a  puisé  à  ces  ouvrages.  Seule, 
la  locution  «  non  procul  a  Sancti  Victoris  templo  »  ne  se  lit 
pas  chez  ces  auteurs,  mais  il  y  a  l'expression  toute  synonyme  : 
éloigné  d'à  peine  deux  ou  trois  milles  de  Marseille  (3).  Donc 
c'est  là  encore  que  M8r  de  Belsunce  a  puisé.  Donc  il  accepte 
plutôt  notre  opinion  qu'il  ne  la  rejette. 

Qu'il  en  soit  encore  ainsi,  l'ouvrage  même  de  M|r  de  Bel- 
sunce, cité  tantôt,  Y  Antiquité  de  V  Eglise  de  Marseille,  le 
démontre.  A  vrai  dire,  on  s'attendrait  à  trouver  dans  cet  écrit 
postérieur  aux  leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie,  car  les  deux 
premiers  volumes  parurent  en  1747  (4),  une  affirmation  caté- 


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(1)  V Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille  par  Mgr  de  Belsuuce,  t.  I, 
p.  290. 

(2)  Chifflet  :  c  Crucem  sancti  Andrœae  collocataih  censemus  in  agri 
Massiliensis  monasterio  de  Uveaune  ».  —  Arthur  de  Monestier:  «  In 
agri  Massiliensis  prœfato  sanctimonialium  monasterio  de  Uveaune  ». 
De  Saussay  :  «  In  agro  Massiliensi  deposita  apud  Veaunenses  virgines  ». 
Père  Lecointe  :  «  Siti  in  agro  suburbano  Massilise  ». 

(3)  «  Ad  mare  olim  a  B.  Cassiano  excitato  duobus  vel  tribus  tantum  a 
Massilia  miliaribus  dissito.  »  Arthur  de  Monestier,  Chifflet. 

(4)  Dom  Bérengier,  Vie  de  Monseigneur  ore  Belsunce,  t.  II,  p.  182; 

18 


—  270  — 

gorique  sur  la  question  qui  nous  occupe.  Or,  voici  cependant 
en  quels  termes  le  prélat  consigne  dans  cet  ouvrage  son  opi- 
nion sur  ce  point  :  a  Cassien,  dit-il,  établit  dans  une  forêt 
qui  aboutissait  au  port  de  Marseille  deux  monastères.  Le  pre- 
mier fut  la  fameuse  abbaye  de  Saint- Victor.  Le  second  monas- 
tère, qui  fut  habité  par  des  religieuses,  n'était  pas  éloigné  du 
premier.  »  —  a  Le  monastère  de  filles  établi  par  saint  Cas- 
Bien,  auprès  de  celui  de  Saint-Victor. . .  »  —  a  Le  monastère 
de  sainte  Eusébie,  qui  portait  alors  le  nom  de  Sanctus  Cyri- 
ctus  ou  Ceris,  était  hors  de  la  ville  et  assez  peu  éloigné  du 
port.  »  —  a  Le  monastère  des  religieuses  fondé  par  saint  Cas- 
sien,  près  de  Marseille  (1).  »  On  le  voit,  c'est  assez  sobre  d'in- 
dications topographiques. 

Or,  pourquoi  révoque-écrivain,  composant  un  ouvrage  pu- 
rement historique,  et  partant  tenu  à  moins  de  réserve  que 
lorsqu'il  rédigeait  les  leçons  de  l'office,  n'a-t-il  pas  fait 
connaître  davantage  sa  pensée  ?  A  notre  avis,  c'a  été  de  la 
part  de  M"  de  Belsunce  un  acte  d'admirable  délicatesse  et  de 
prudence  consommée.  Il  ne  voulait  pas  d'abord,  après  s'être 
tenu  dans  un  juste  milieu  dans  la  rédaction  des  leçons  du 
Propre,  avoir  Pair  de  reprendre  ses  franches  coudées  dans  un 
ouvrage  de  science  purement  humaine.  Un  tel  procédé  aurait 
certainement  attiré  sur  son  opinion  des  attaques  qui  forcé- 
ment auraient  atteint  les  leçons  de  l'office.  On  lui  aurait  repro- 
ché de  ne  donner  aux  fidèles  qu'une  vérité  diminuée,  des 
assertions  timides,  et  de  réserver  à  un  écrit  profane  toute  son 
érudition.  Il  y  avait  une  autre  raison,  nous  semble-t-il.  On 
sait  que  Ruffi  est  catégoriquement  opposé  à  l'existence  d'un 
monastère  cassianite  à  PHuveaune.  Il  n'en  veut  à  aucun  prix. 
Or,  émettre  une  opinion  diamétralement  opposée  et  la  prou- 
ver, c'était  attaquer  à  fond  M.  de  Ruffi.  Or,  M«r  de  Belsunce 
entretenait  avec  cet  auteur  des  relations  épistolaires  assez 
agréables.  De  plus,  il  s'était  aidé,  dans  son  travail,  d'un  ma- 
nuscrit de  M.  de  Ruffi  lui-même  sur  les  évoques  de  Mar- 
seille (2).  Enfin,  comme  à  une  époque  il  avait  appris  que 

(1)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  pp.  101,  258,  290,  410. 

(2)  Dans  le  mandement  par  lequel  Mgr  de  Belsunce  annonçait  à  son 
peuple  la  prochaine  publication  de  son  ouvrage,  il  écrivait  :  «  Un  ma- 


-  271  — 

M.  de  Ruffi  allait  écrire  une  critique  de  la  Chronologie  de 
des  Evêque8  de  Marseille  donnée  par  le  Père  de  Saint  Alban 
en  1713,  dans  son  Calendrier  spirituel;  le  digne  évêque 
essaya  de  l'en  dissuader,  et  le  pria  de  n'être  point  trop  sévère. 
M.  de  Ruffi  s'empressa  de  rassurer  son  évêque  (1).  Eùt-t-il 
été  délicat  de  la  part  de  Mgr  de  Belsunce  de  venir,  quelques 
années  plus  tard,  alors  que  M.  de  Ruffi  n'était  plus,  attaquer 
à  fond  les  assertions  de  cet  historien  ?  Il  se  contenta  donc 
encore  d'une  sage  réserve  et  d'un  juste  milieu.  Mais  la  preuve 
en  notre  faveur,  c'est  qu'il  ne  se  range  pas  à  l'avis  de  Ruffi 
d'une  manière  catégorique ,  puisque  les  locutions  «  près  de 
Marseille  ;  hors  de  la  ville  ;  assez  peu  éloigné  du  port  ;  n'était 
pas  éloigné  du  premier  (de  celui  de  Saint-Victor)  n  sont  d'une 
signification  très  large,  pouvant  être  acceptées  aussi  bien  par 
les  tenants  d'une  opinion  que  par  les  tenants  de  l'autre. 

Ainsi  Mgr  de  Belsunce  n'est  pas  contre  nous  dans  Y  Anti- 
quité de  V Eglise  de  Marseille.  Il  l'est  bien  moins  encore 
dans  les  leçons  qu'il  a  rédigées  pour  l'office  de  sainte  Eusébie. 
Donc,  nous  ne  nous  heurtons  pas  de  front  à  la  tradition  de 
l'Eglise  de  Marseille.  Que  dis-je?  elle  nous  est  plutôt  favo- 
rable. Et  c'est  déjà  quelque  chose  !  ! 

• 

nuscrît  de  feu  M.  de  Rufti  le  fils,  que  M.  d'Artigues,  son  gendre,  a  bien 
voulu  nous  communiquer,  nous  a  été  aussi  d'un  grand  secours.  »  Man- 
dement du  15  août  1741.  (Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  par  Dom 
Bérengier,  t.  II,  p.  181.) 

(1)  Dom  Bérengier,   Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  t.  I,  p.  139  et 
suiv. 


CHAPITRE  III 

La  Oroix  de  saint  André  cachée  à  l'Abbaye 

cassianite  de  l'Huveaune 

TEXTES  DE  CHIPPLET,  DE  DU  SAUSSAY,  D'ARTHUR  DE  MONESTIER.  —  LÀ, 
CROIX  DE  SAINT  ANDRÉ  TROUVEE  A  MARSEILLE,  A  NOTRE  ÉPOQUE;  ELLE 
Y  ÉTAIT  DEJA  EN  1494.  —  ELLE  Y  ÉTAIT  AU  XIII*  SIÈCLE.  BAS-RELIEF 
DE  HUGUES  DE  GLASINJS.—  ELLE  N*EST  PAS  ARRIVÉE  A  MARSEILLE 
SEULEMENT  A  L'ÉPOQUE  DES  CROISADES,  LORS  DE  LA  PRISE  DE 
CONSTANT1NOPLE,  EN  1198.—  CETTE  CROIX  N'ÉTAIT  A  CONSTANTI- 
NOPLE,  NI  AU  VIe,  NI  AU  IV°  SIÈCLE.  —  NI  MÊME  A  PATRAS  AU  IVe 
SIÈCLE.  —  SAINT  RÉGULFUS. 

Nous  trouvons  dans  Chifflet,  du  Saussay  et  Arthur  de  Mo- 
nestier  une  preuve  nouvelle  de  l'existence  sur  les  bords  de 
l'Huveaune  du  monastère  cassianite  de  vierges  dans  lequel 
vécut  et  mourut  sainte  Eusébie  (1). 
Voici  ce  qu'on  lit  dans  Jean-Jacques  Chifflet  (2)  : 
a  Les  Burgundes  devenus  chrétiens  placèrent  surleursensei- 
gnes  militaires  une  croix  au  lieu  d'un  dragon.  Un  grand  nom- 
Ci)  On  trouvera  peut-être  que  c'est  beaucoup  de  trois  chapitres  pour 
traiter  la  question  de  la  croix  de  saint  André  à  Marseille,  par  rapport  au 
sujet  qui  nous  occupe,  l'endroit  où  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée.  C'est 
vrai.  Nous  avons  cru  cependant  bien  faire  en  donnant  quelque  dévelop- 
pement à  ce  point  de  notre,  histoire  religieuse  locale.  Il  nous  a  semblé 
que  notre  travail  y  gagnerait  en  utilité  pratique.  Ajoutons  encore  cepen-» 
dant  que  cette  étude  est  forcément  incomplète.  Il  est  bien  d'autres  argu- 
ments, en  effet,  que  l'on  pourrait  produire  si  l'on  voulait  établir  d'une 
manière  plus  précise  que  l'Eglise  de  Marseille  possède  vraiment  la  croix 
de  saint  André. 

(2)  Vesuntio  vivitas  imperiali8t  libéra  Sequanoi'um  metropolis,  par 
J.-J.  Chifflet,  p.  199,  etc.: 

t  Christian»  fidei  lumine  illustrât!  Burgundiones  ex  draconnariis  facti 
sunt  cru  ci  fer  i.  Ëxstantenim  permulti  apud  nostrates  rerum  Burgundiaca- 
rum  commentarii  galliéè  conscripli,  in  quibus  Stephanus  quidem  Bur- 
gundiae  rex  dicitur,  crucem  saucti  Andrseœ  pro  vexillo  militari  sibi  ar 


—  273  — 

bve  d'auteurs  qui  ont  écrit  de  notre  temps  sur  les  faits  et  ges- 
tes des  Burgundes  rapportent  qu'un  certain  Etienne,  roi  de 
Burgundie,  avait  le  premier  fait  représenter  une  croix  de  saint 
André  sur  ses  drapeaux.  Cette  croix  il  l'avait  apportée  d'Achaïe 
et  déposée  à  Marseille.  Cet  Etienne,  aucun  roi  de  Bourgogne 
ne  s'appelant  de  ce  nom,  n'est  pas  autre,  à  notre  avis,  que 
Gundioc,  roi  des  Bourguignons,  qui,  devenu  catholique,  prit  ce 

suisprimus  accepisse,eamque  ex  Achalà  déporta  ta  m,  Massiliao  collpcasse. 
Stephanum  hune  (quia  nullus  hujus  nominis  exstatin  probatis  Burgundiœ 
chronicis)  non  alium  esse  suspicor  a  Gundioco  Burgundiarum  rege,  qui 
quondam  cecidisse  in  pugnâdicitur,cum  jam  catholicus  adversus  Attilam 
pro  romano  imperatore  dimicaret,  opinor  eum  Stephanum  in  baptismo 
vocatum,  qui  tamen  ab  illius  sévi  scriptoribus  Gundiocus  semper  dictas 

fuit 

c Eara  vero  crucem,  Paradinus  (De  Aniiq.  Statu  Buvfjond.,ad 

ann.  éW)  dicit  a  Stephano  rege  in  Sancti  Victoria  massiliensem  basili- 
cam  (in  qu&  nunc  habetur)  illatam  ;  nos  ex  certioribus  monumentîs  collo- 
catam  censemus  in  agri  Massiliensis  cœnobio  sanctirnonialium  de  Uveau- 
ne  ad  littus  maris,  altero  circiter  a  Massilia  milliario,  quâ  vero  parte  ad 
Sanctum  Victorem  devenerit,  habesic  ex  Massiliensium  commentariis. 

€  Cum  Sarraceni  Catalauniae  incolœ  Provinciam  devastarent,  moniales 
dicti  monasteriide  Uveaune,  B.  Andraese  cruci,  quam  religiose  servabant 
a  flammis  aliàve  injuria  cautum  esse  voluerunt.  Igitur  excavata  humo, 
crucem  sepeliunt,  rata)  ni  mi  ru  m  ita  barbarorum  oculos,  manusque  eva- 
suram.  Barbaris  deinde  in  monasterio  irrumpentibus,  veritae  ne  pudori  suu 
vim  inferrent,  nares  sibi,  aures  et  labia  hic  crudolitate  praeciderunt,  ut 
déformes  apparerent  et  sane  omnes  interfectœ  sunt.Quarum  corpora  ali- 
quo  post  tempore  disquisita,  in  monasterium  Sancti  Victoris  translata 
sunt,  et  in  sacello  ecclesi»  reposita  sunt  eu  jus  ingressu  pontifleià  aucto- 
ritate  sub  pœnâ  excommunicationis  mulieribus  interdictum  est. 

c  Sollicité  deinde  disquisita  est  a  monach's  Sancti  Victoris  crux 
Andreana,  cumque  nusquam  occurreret  crédita  est  aut  sublata  a  Sarra- 
cenis,  aut  concremata.  Hugoni  postmodum  cuidam,  ex  eodem  monaste- 
rio, inter  missarum  solemnia  Angélus  tertio  apparuit,  crucemque  in  terra 
abditam  in  monasterio  de  Uveaune  revelavit.  Quod  cum  super iori  mani- 
festasse t,  ad  eum  locum  a  monachis  piè  processum  est,  quà  crucem  ini- 
bi  effossam  in  Sancti  Victoris  (ubi  nunc  cernitur)  monasterium  irapor- 
tarunt. 

«  Bono  huic  Hugoni,  qui  sanctus  vulgo  habebatur,  positus  estpraeter 
morem  tumulus  e  marmore  candido  vermiculato,  in  quo  expressus  est, 
quasi  sacris  operans  ad  altare,  e  quo  B  Andrœae  crux  sese  il!i  offerat.at- 
que  hoc  epitaphiuoi  adscriptum.  (Suit  Vépitaphe  que  Ruffl,  donne  dans 
V Histoire  de  Marseille,  t.  //,  p.  /2£.J  Hinc  vides  non  multo  ante  annum 
1250  illatam    in  Sancti  Victoris  monasterium  B.  Andraeae  crucem.  » 


-  274  - 

nom  d'Etienne.  Il  combattit  dans  les  armées  romaines  contre 
Attila  et  mourut  dans  une  bataille  livrée  à  ce  barbare  (t). 

a  Au  sujet  de  la  croix  de  saint  André,  Paradin  écrit  qu'elle 
fut  portée  en  401  à  Saint  -Victor  par  ce  roi  Etienne,  et  c'est  là, 
dans  cette  église,  qu'elle  se  trouve.  Mais,  sur  la  foi  de  docu- 
ments plus  certains  et  plus  autorisés,  nous  croyons  qu'elle  fui 
placée  dans  un  monastère  de  vierges  situé  sur  les  bords  de 
VHuveaune,  près  de  la  mery  à  peu  près  à  deux  ou  trois  milles 
de  Marseille.  Comment  de  ce  monastère  de  THuveaune  vint- 
elle  à  Saint-Victor?  Le  voici  : 

«  Lorsque  les  Sarrasins  qui  habitaient  l'Espagne  eurent  en- 
vahi la  Provence,  ils  attaquèrent  le  monastère  de  l'Huveaune 
et  massacrèrent  les  religieuses  qui  l'habitaient.  Les  dignes 
filles  deCassien,  voulant  mettre  à  l'abri  la  précieuse  relique 
qu'on  leur  avait  confiée,  creusèrent  la  terre,  y  enfouirent  la 
la  croix,  pensant  ainsi  la  dérober  à  la  vue  et  à  la  rapacité  des 
barbares.  Plus  tard,  le  calme  étant  revenu,  les  religieux  de 
Saint-Victor  cherchèrent  longtemps  cette  croix  de  saint  André, 
et,  ne  la  retrouvant  pas,  ils  crurent  qu'elle  avait  été  ou  enlevée 
ou  brûlée  par  les  Sarrasins.  Or,  un  certain  Hugues,  religieux 
du  môme  monastère  célébrait  un  jour  la  messe,  lorsque  un 
ange  lui  apparut  et  lui  indiqua  l'endroit  du  monastère  de  THu- 
veaune  où  la  croix  de  l'Apôtre  était  cachée. 

«  Tout  heureux  de  cette  communication,  Hugues  la  fit  con- 
naître à  l'abbé  du  monastère.  On  chercha  la  relique  à  l'endroit 
indiqué,  on  la  retrouva  et  on  la  rapporta  à  Saint- Victor.  C'est 
là  qu'on  la  vénère  maintenant. 

«  Le  religieux  du  nom  d'Hugues,  qui  est  appelé  saint,  fut 
déposé  après  sa  mort,  et  cela  contrairement  à  l'usage  qui  n'ac- 
corde pas  de  tels  honneurs  à  un  simple  moine,  dans  unmagni- 
que  tombeau  de  marbre  blanc,  couvert  de  sculptures.  Et  sur 
la  pierre  fut  gravée  cette  inscription  : 

«  Hugues,  sacristain,  dont  cette  petite  pierre  recouvre  la 
a  dépouille  mortelle,  se  réjouit  au  ciel  en  compagnie  des 
«  saints  et  de  l'archange  Michel.  Il  fut  en  cette  abbaye  l'hon- 


(1)  L'histoire  mentionne  une  bataille  livrée  par  les  Bourguignons  à  Atti- 
la. —  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  165. 


—  275  — 

a  rieur,  la  gloire  de  tous  les  religieux.  Il  avait  un  culte  pour 
«  les  saints  de  nos  cryptes.  Aussi  c'est  à  bon  droit  qu'il  repose 
«  dans  ce  temple,  qu'il  a  restauré  de  fond  en  comble.  On  le 
«  déposa  dans  ce  tombeau  le  8  novembre,  Joignez  à  mille, 
*  deux  fois  cent  et  cinquante  et  vous  aurez  l'année  qu'il  est 
a  monté  au  ciel.» 

«  De  plus  le  bienheureux  Hugues  est  représenté  sur  cette 
pierre  tombale  disant  la  messe;  au-dessus  de  l'autel  sur 
lequel  il  célèbre,  la  croix  de  saint  André  lui  apparaît.  Il  mourut 
vers  1250.  On  voit  que  ce  n'est  guère  avant  cette  année  que  la 
croix  de  saint  André  fut  portée  à  Saint-Victor.  » 

Arthur  de  Monestier  a  écrit,  dans  son  Sacrum  Gynœceum, 
à  la  date  du  30  décembre  :  «  Le  monastère  actuel  de  Saint- 
Victor  est  très  célèbre  à.  cause  de  la  translation  que  l'on  fit  de 
la  croix  de  saint  André,  Apôtre.  Ce  fut  un  roi  de  Bourgogne  qui 
l'y  fit  apporter.  Mais  des  documents  plus  certains  et  d'une  plus 
grande  autorité  nous  disent,  et  c'est  là  notre  opinion,  que 
cette  croix  fut  placée  dans  le  monastère  des  vierges  situé  sur 
les  bords  de  l'Huveaune,  près  du  rivage  de  la  mer,  à  deux  ou 
trois  milles  de  Marseille.  »  Et  cet  auteur  emprunte  à  Chifflet 
la  page  de  son  ouvrage  où  il  raconte  que  les  vierges  de  l'Hu- 
veaune cachent  dans  la  terre  la  pieuse  relique.  (1). 

André  du  Saussay  a  traité  le  même  sujet  dans  son  Marty- 
rologium  gallicanum,b.  la  fête  de  saint  André,  «pridiè  kalen- 
das  decembris  »,  30  novembre,  a  La  croix  de  saint  André,  dit-il, 
apportée  d'Achaïe  par  Etienne,  roi  de  Burgundie,  fut  déposée 
en  France  dans  le  monastère  des  religieuses  de  l'Huveaune, 
situé  dans  le  terroir  de  Marseille,  et  transférée  à  Saint- Victor 
un  peu  avant  l'année  1250  (2).» 


(1)  «  Célèbre  ac  notissimum  exstabit  praesens  monasterium  ob  trans- 
lationem  crucis  sancti  Andraeae  Apostoli  in  ipsum  factam  opéra  régis 
Burgondino  ;  ex  certioribus  siquidem  monumentis  collocatam  censemus 
in  agri  Massiliensis  prsefato  sanctimonialium  de  Uveaune  monasterio  ad 
littus  maris  imo  vel  altero  circiter  a  Massilià  milliario.  Cum  autem  Sar- 
raceni  Catalauoiœ  incolœ  . . . .  (Ut  supra  apud  Chiflletium.)  »  —  Arthur 
de  Monestier,  Sacrum  Gynœcceum,  30  déc.  Apud  Uveaunense  monas- 
terium passio  sanctœ  Eusebiœ,  notes. 

(2)  «  Pridie  kalendas  decembris,  Natalis  sancti  Andraeae.. .  Crux  sancti 


—  276  — 

k\xsuwlémmtAuMartyvologiu?ngallicanum,\e  <*  sexto  idus 
novembris»,  il  ajoute  (1):  «  Au  monastère  de  Saint- Victor,  à 
Marseille,  la  fête  de  saint  Hugues,  confesseur  à  qui  il  fut  révélé 
pendant  qu'il  célébrait  le  saint  sacrifice,  à  quel  endroit  se 
trouvait  la  croix  de  saint  André,  qui  avait  été  égarée  et  perdue. 
Cette  croix,  rapportée  d'Achaïe  en  France  par  Etienne,  roi  des 
Bourguignons,  fut  placée  dans  le  monastère  des  religieuses 
situé  sur  le3  bords  de  l'Huveaune,  dans  le  terroir  de  Marseille. 
Mais,  pour  éviter  qu'un  si  riche  trésor  devint  la  proie  de  quel- 
que ravisseur,  il  fut  porté  à  Saint-Victor  et  mis  en  lieu  sur. 
C'est  là  qu'elle  est  encore  honorée.» 

En  résumé  donc,  d'après  ces  auteurs,  la  croix  de  saint  André 
aurait  été,  à  une  certaine  époque,  cachée  dans  un  monastère 
de  religieuses  situé  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Or,  ce  fait 
est-il  vrai  ?  Nous  ne  nous  occupons  pas  pour  le  moment  de  la 
valeur  intrinsèque  du  témoignage  que  nous  apportent  ces  au- 
teurs. Nous  l'avons  jugée  tantôt,  en  constatant  qu'ils  s'étaient 
rencontrés  de  la  même  opinion  avec  le  docte  Mabillon,  sur 
ce  point  de  notre  travail  :  qu'il  y  avait  un  monastère  de  filles, 
fondé  par  Gassien  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Nous  ne  vou- 
lons qu'étudier  au  point  de  vue  historique  le  fait  relatif  à  la 
croix  de  saint  André.  A-t-elle  été  cachée,  ou  non,  dans  un  mo- 
nastère aux  bords  de  l'Huveaune  ? 

Si  oui,  nous  avons  une  preuve  de  plus  qu'il  y  a  eu  un 
cœnobium  cassianite  sur  les  bords  de  l'Huveaune. 

Que  Ton  ait  la  patience  de  nous  suivre  dans  nos  déductions, 
et  l'on  verra  la  lumière  se  faire  quelque  peu  sur  ce  point. 

Andraeae  a  Stephano  rege  Burgondiœ  ex  Âchaià  in  Gallia  deportata,  apud 
Veauuenses  virgines  (nam  virgo  et  Andrœas  luit  et  perstitit)  in  agro 
Massiliensi  deposita,  indepaulo  ante  annum  salu  is  1250  ad  Sancti  Vic- 
toria famosum  cœnobium  translata  est.»  Martyrologium  Gallicanum, 
par  André  de  Saussay. 

(1)  «  Massiliœ  ad  Sanctum  Victorem,  sancti  Hugonis  coniessoris, 
cui  divinam  rem  facienti  revelatum  est  ubinam  esset  crux  sancti  Andraese 
apostoli,  quœ  amissa  fuerat.  Hanc  ex  Achaià  in  Galliam  delatam  Stepha- 
nus  Burgondiœ  rex  apud  Veaunenses  virgines,  in  agro  Massiliensi  de- 
posuerat,  ac  ne  tam  nobile  pignus  raptui  pateret,  Massiliam  ad  securio- 
rem  situm  deportata,  in  Sancti  Victoris  templo  monastico  perpetuo  cul- 
tu  conservenda  deposita  fuerat.»  Du  Saussay,  Supplementum  ad  Marty- 
rologium Gallicanum,  sexto  idus  novembris. 


—  277  — 

D'abord,  il  est  certain  disons-nous  avec  l'abbé Magnan,  qui  a 
écrit  sur  ce  sujet,  que  la  croix  de  saint  André  se  trouve  à  Mar- 
seille. La  tradition  qui  nous  la  fait  honorer  dans  les  souterrains 
de  Saint-Victor  repose  sur  des  bases  qu'il  est  difficile  de  con- 
tester (1).  Tillemont  avoue  que  Ton  prétend  «  que  la  croix  qui 
a  servi  d'instrument  de  supplice  à  saint  André  se  conserve 
encore  à  Saint-Victor  de  Marseille  (2).»  Un  savant  Dominicain, 
Yepes,  dit  a  que  l'on  montre  cette  croix  de  saint  Andréa  Saint- 
Victor,  et  personne  ne  révoque  en  doute  que  ce  monastère  de 
Marseille  ne  possède  ce  précieux  dépAt  et  qu'Etienne,  roi  de 
Bourgogne,  lui  en  fit  présent  (3).»  Jean  Féraud,  l'auteur  de  la 
Disquisiiio  reliquiaria,  dit  qu'il  a  «  vu  de  ses  propres  yeux 
cette  croix  de  saint  André  à  Saint- Victor  (4).»  Le  Martyrologe 
bénédictin  (5)  affirme  «  qu'une  partie  de  cette  croix  se  trouve 
en  l'église  de  Saint-Maurice,  à  Cologne  ;  quant  au  reste  de  la 
croix,  elle  est  à  Marseille.»  À  ces  autorités  joignez  que  nul 
auteur  n'indique  où  peut  se  trouver  cette  précieuse  relique,  et 
jamais  ni  ville  ni  contrée  n'ont  réclamé  l'honneur  de  la  pos- 
séder (6) .  Ce  que  nous  honorons  est  donc  sûrement  la  croix  de 
saint  André. 

Depuis  quelle  époque  cette  relique  se  trouve- t-elle  à  Mar- 
seille ? 

Sûrement  elle  y  était  en  1494,  puisque  un  religieux  prieur 
de  Saint- Victor,  Lazare  Barbani,  en  enleva  une  partie  et  ne  fit 
connaître  son  larcin  qu'au  moment  de  sa  mort.  On  a  le  procès- 
verbal  de  cette  déclaration,  Ruffi  le  cite  en  entier  (7). 


(1)  Notice  sur  la  croix  de  saint  André,  par  l'Abbé  Magnan,  passim. 

(2)  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  V histoire  ecclésiastique  de 
France ,  t.  I,  p.  337. 

(3)  Cité  par  M.  l'abbé  Magnan  dans  la  Notice  sur  la  croix  de  saint  An- 
drê,  p.  5. 

(4)  t  Tum  nos  ipsis  oculis  ad  Sancti  Victoris  Massiliœ  templum 

in  illo  enim  cœnobio  sancti  Andrœae   crux  ad  angulos  rectos  compacta 

ferreisque  obtuta  laminis »  Disquisitio  reliquiaria,  par  Jean  Féraud, 

p.  167. 

(5)  c  Pars  de  cruce  ejus  in  sancti  Mauritii,  Colonise;  reliqua  crux  tota 
in  Sancti  Victoris  Massiliœ.»  Festum  sancti  Andrœœ. 

(6)  Magnan,  op.  cit.,  p.  4. 

(7)  Magnan,  op.  cit.,  p.  7.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  121 . 


-  278  ^ 

Avant  1494,  cette  relique  se  trouvait-elle  à  Marseille? 

Oui,  elle  se  trouvait  à  Marseille  vers  le  milieu  du  XIIP  siècle. 
Nous  avons  entendu  du  Saussay  et  Chifflet  nous  dire  que  le 
bienheureux  Hugues  de  Glasinis,  sacristain  de  Saint- Victor, 
avait  connu  par  révélation,  pendant  qu'il  disait  la  messe,  Ten- 
droit  où  cette  relique  avait  été  enfouie  (1).  Cette  tradition  de 
Marseille  que  ces  auteurs  nous  ont  transmise  est  appuyée  sur 
un  monument  lapidaire,  la  pierre  tombale  qui  a  recouvert  la 
dépouille  mortelle  de  ce  saint  religieux.  Il  est  représenté,  nous 
lavons  dit,  célébrant  la  messe,  revêtu  des  ornements  sacerdo- 
taux, devant  un  autel  antique,  une  large  dalle  reposant  sur  un 
fût  de  colonne,  et  au-dessus  de  l'autel  une  croix  à  branches 
égales  de  petite  dimension.  Mais,  tout  à  côté  de  cette  figure, 
il  y  a  une  grande  croix  de  Malte  supportée  par  un  pied,  accom- 
pagnée de  deux  chandeliers,  et  surmontée  d'une  étoile  à  six 
rayons  et  d'un  croissant  (2).  Ruffl  ne  fait  pas  de  difficulté 
d'admettre,  à  la  suite  des  auteurs  cités  plus  haut,  que  les  fi- 
gures de  ce  bas-relief  autorisent  la  tradition  (3).  Et  M.  labbô 
Magnan  assure  «  que  ce  bas-relief  serait  une  énigme  inexpli- 
cable sans  l'histoire  racontée  par  Chifflet  (4).  » 

Nous  le  croyons  aussi.  Ce  bas-relief,  en  effet,  n'est  pas  autre 
chose  qu'une  explication  en  image  de  l'inscription  gravée  en 
l'honneur  de  ce  religieux,  «  II  était,  dit  celle-ci,  le  sacristain 
de  l'abbaye  et  il  avait  par  ses  soins  et  sa  diligence  rebâti  ou  res- 
tauré de  fond  en  comble  le   temple  des  saints,  l'abbaye  : 


(1)  a Hugonis  cui  divinam  rem  facienti  revelatum  est  ubinam 

esset  crux  sancti  Andraeœ.  »  Du  Saussay,  Suppl.  ad  Martyr.  GaU.—*  Hu- 
goni  cuidam  iuter  missarum  solemnia  Angélus  tertio  apparuit. »  Chif- 
flet, Vesuntio. 

(2)  Kothen,  Notice  sur  la  crypte  de  l'abbaye  Saint-Victor ,  planche  II, 
p.  58.  —  Ruffi,  t.  II,  p.  128. 

(3)  La  croix  de  saint  André  demeure  ainsi  cachée  jusqu'à  ce  qu'un 
ange  révèle  l'endroit  où  elle  était,  à  Hugues,  sacristain  du  monastère  de 
Saint-Victor,  qui  disait  la  messe,  ce  qui  semble  être  autorisé  par  la 
représentation  de  quelques  figures  qui  sont  sur  le  tombeau  du  saint.  . 
Rufll,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  120.  —  C'est  aussi  l'opinion  de 
Guesnay  :  «  ...  Quod  miraculum  eu  m  epitaphio  inscriptum  est.»  Sanc~ 
tus  Joannes  Cassianus  illustratus^  p.   475. 

(4)  L'abbé  Magnan,  op.  cit.,  p.  7. 


—  279  — 

<*  Hugo  sacrista. . .  sepelitur  sanctoram  eorum  templo  quod 
primo  quasi  totum  fecit  ab  imo.  »  Aussi  on  représente  sur  la 
pierre  du  sépulcre  l'abbaye  que  Hugues  a  restaurée.  Il  était  la 
gloire,  l'honneur  des  religieux,  «  flos  etdecus  monachorum  ». 
Il  avait  en  grande  vénération  les  saints  qui  reposaient  dans  les 
cryptes,  «  cultor  sanctorum  ».  fit  on  le  représente  célébrant 
la  messe  sur  un  autel  antique  des  cryptes,  peut  être  celui  de 
Notre-Dame  de  Confession . 

Que  signifie  maintenant  cette  grande  croix  gravée  dans  le 
compartiment  du  milieu  de  la  pierre  tombale  ?  Admettez  le 
récit  de  Gbifflet  et  des  autres  auteurs,  et  vous  aurez  une  expli- 
cation toute  naturelle  de  cette  partie  du  bas-relif .  Que  ce  soit 
par  révélation,  que  ce  soit  à  la  suite  de  longues  recherches, 
que  le  saint  religieux  ait  pu  découvrir  la  croix  de  saint  André, 
peu  importe.  On  ne  peut  le  nier,  ce  monument  lapidaire  est 
une  preuve  certaine  de  la  croyance  que  Ton  avait  à  cette  épo- 
que, à  Marseille,  de  l'existence  de  la  croix  de  saint  André  dans 
les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint- Victor. 

Pour  nous,  nous  croyons  sans  peine  à  cette  révélation  ou  à 
ces  recherches  suivies  d'un  si  heureux  résultat.  Toutes  les 
précieuses  reliques  de  notre  Provence,  enfouies  et  cachées  à 
l'époque  des  invasions  des  Sarrasins,  ont  été  découvertes  à  peu 
près  de  la  même  manière  :  le  corps  de  sainte  Anne,  à  Apt,  à  la 
suite,  dit  la  tradition,  de  la  guéiïson  d'un  aveugle  sourd  et 
muet  qui  indiqua  l'endroit  où  la  relique  se  trouvait  (1);  le 
corps  de  sainte  Marthe,  à  Tarascon  ;  celui  de  sainte  Marie- 
Nagdeleine,  à  SaintMaximin  ;  ceux  des  saintes  Maries,  à 
l'église  de  Notre-Dame  de  la  Mer,  à  la  suite  de  grandes  fouilles 
exécutées  pour  rechercher  ces  trésors  insignes  de  notre  foi. 
Pourquoi  n'en  aurait-il  pas  été  de  même  pour  la  croix  de 
saint  André?  C'est  en  1187  que  le  corps  de  sainte  Marthe  est 
découvert  à  Tarascon  ;  en  1279  que  le  fut  celui  de  sainte 
Marie- Magdeleine  à  Saint-Maximin  (2).  Pourquoi  n'aurait-on 

(\)  Histoire  de  VEglise  d'Apt,  par  l'abbé  Boze,  p.  69  et  suiv. 

(2)  Légendes  et  traditions  provençales  par  de  Virieu:  Saintes  Maries, 
p.  98;  leurs  reliques  furent  découvertes,  en  1448,  sous  le  roi  René,  qui 
ordonna  les  fouilles  ;  —  Sainte  Marthe*  p.  117;  ses  reliques  furent 
découvertes  en  1187  ;  —  Sainte  Marie-Madeleine,  p.  144;  ses  reliques 


—  280  — 

pas  fait  à  la  même  époque  des  recherches,  à  Marseille,  pour 
retrouver  cette  croix  de  saint  André  qu'une  ancienne  tradition 
disait  y  être  cachée  ? 

Depuis  combien  d'années  cette  relique  se  trouvait  à  Mar- 
seille, lorsque  Hugues  de  Glasinis  la  retrouva? 

Guesnay  raconte,  dans  son  ouvrage  intitulé  Magdalena 
Massiliensis  advena,  a  qu'un  certain  roi  de  Bourgogne,  du 
nom  d'Etienne,  parti  pour  la  croisade  avec  plusieurs  princes 
chrétiens,  avait  pris  à  Patras,  ville  d'Achaïe,  la  croix  de  saint 
André,  relique  insigne  qu'il  appréciait  grandement  et  qu'il  fit 
placer  dans  le  monastère  de  Saint-Victor,  à  Marseille  (1).  » 

Le  môme  écrivain,  dans  l'ouvrage  intitulé  Sanctus  Joannes 
Cassianus  illustratus,  a  écrit  :  «  La  croix  de  saint  André  a  été 
apporté  d'Achaïe,  h  Marseille,  par  un  roi  de  Bourgogne 
appelé  Etienne.  C'est  ce  que  nos  aïeux  nous  ont  appris  (2)  ». 

Ce  serait  donc  à  l'époque  des  croisades,  que  la  croix  de  saint 
André  aurait  été  apportée  en  notre  ville  (3). 

Darras,  de  son  côté,  écrit  dans  Y  Histoire  de  V  Eglise,  au 
sujet  de  la  prise  de  Constantinople  par  les  croisés  en  1198, 
a  La  croix  où  l'apôtre  saint  André  avait  consommé  son 
martyre  fut  recueillie  et  pieusement  conservée  par  ses  disci- 
ples. Les  croisés  latins  la  retrouvèrent  en  Achaïe,  d'où  elle 
fut  transportée  à  la  fameuse  abbaye  de  Saint-Victor  k  Mar- 
seille (4).  » 

furent  retrouvées  à  Saint-Maximin  en  1279.  —  Les  Saints  de  l'Eglise  de 
Marseille,  p.  49,  128.  —  Faillon,  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de 
Marie-Madeleine,  1. 1,  pp.  1217,  1321,  869. 

(1)  «  Constat  equidem  Burgundise  regem  nomine  Stephanura,  dum  in 
Orientem  unà  cum  principibus  christianis,  tesserarià  crucc  decoratus 
contendit  D.  Andraeae  crucem,  quam  si n gui ari  honore  prosequebatur, 
ex  Patraco,  urbe  Achaiae  ereptam,  istud  in  monasteriuro,  non  modo 
jam  fundatum,  sed  etiam  toto  orbe  terra  ru  m  celeberrimum  atque  notissi- 
mum,  et  ab  ipso  maxime  religioni  habitum  transtulisse.  »  Magdalena 
Massiliensis  advena,  par  Guesnay,  p.  107. 

(2)  «  (Grux  Sancti  Andraeae)  ex  A  chai  à  ad  nos  Rtephani  Burgundionum 
régis  beneficio  allata  est,  ut  majorum  traditionibus  accepimus.  »  Cas- 
sianus illusiratuSy  p.  475. 

(3)  On  lit  dans  VAlmanach  des  Saints  de  Provence  pour  l'année  1890, 
au  30  novembre  :  «  Lacroix  de  saint  André  était  vénérée  à  Saint- Victor 
de  Marseille  depuis  le  XIII  '  siècle.  » 

(4)  Histoire  générale  de  l'Eglise,  par  l'abbé  Darras,  t.  VI,  p.  464. 


—  281  — 

L'assertion  de  Guesnay  est  aussi  inexacte  que  celle  de  Darras. 

En  effet,  quel  est  ce  roi  de  Bourgogne,  du  nom  d'Etienne,  qui, 
d'après  Guesnay,  prit  à  Patras  la  croix  de  saint  André,  à 
Fépoqiie  des  croisades,  et  la  donna  à  Saint-Victor  ?  De  quelle 
croisade  veut-il  parler?  Quel  est  ce  duc  de  Bourgogne  mon- 
trant une  telle  générosité  à  l'endroit  du  monastère  de  Saint- 
Victor?  Si  un  roi  de  Bourgogne  avait  eu  pour  sa  part  de  butin 
une  telle  relique,  il  l'aurait  gardée  pour  ses  Etats  et  ne 
l'aurait  pas  laissée  à  Saint- Victor.  Nous  verrons  tantôt  que  le 
cardinal  Pierre  de  Capoue  lit  présent  du  corps  de  saint  André 
à  sa  ville  natale  d'Amalfî.  Or,  quelle  relation  y  avait-il  entre 
un  roi  de  Bourgogne  et  l'abbaye  de  Saint- Victor  de  Marseille, 
à  cette  époque  ? 

-  Vers  1240,  il  est  vrai,  un  duc  de  Bourgogne  (1)  vint  s'em- 
barquer à  Marseille  pour  la  Terre-Sainte,  en  compagnie 
d'autres  princes  chrétiens.  L'abbaye  de  Saint-Victor  lui 
prêta-t-elle  quelques  subsides,  en  reconnaissance  desquels 
ce  duc  de  Bourgogne  lui  donna  plus  tard  la  croix  de  l'Apôtre  ? 
Mais  rappelons-nous  que  Hugues  de  Glasinis  a  découvert 
cette  relique,  à  Marseille,  à  peu  près  vers  cette  époque*  Si  c'est 
un  roi  de  Bourgogne  qui,  vers  1240  a  donné  la  croix  de  saint 
André,  on  n'a  pu  la  perdre  en  aussi  peu  de  temps.  Le  fait  donc 
de  sa  découverte  par  Hugues  de  Glasinis  serait  faux.  Et  cepen- 
dant il  existe  une  tradition  à  ce  sujet,  appuyée  sur  le  monu- 
ment lapidaire  dont  on  a  parlé  plus  haut.  La  croix  était  donc 
à  Marseille  avant  1240. 

Ajoutons  que  ce  môme  auteur,  Guesnay,  dans  le  Sanctus 
Joannes  Cassianus  illustratus,  enlève  toute  valeur  à  sa 
propre  assertion.  Parlant  de  Hugues  de  Glasinis  il  écrit  :  «  Ce 
religieux  (2)  vécut  jadis  dans  ce  monastère  de  Saint- Victor. 


(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  129.  —  Antiquité  de  V Eglise 
de  Marseille,   par  Mgr  de  Bel  su  n  ce,  t.  II,  p.  155. 

(2)  «  Is  (Hugo  de  Glasinis)  in  hoc  monasterio  œditui  quondam  obiit 
mu  nus,  eoque  inscio,  crux  Sancti  Andraeœ  non  procul  ab  eodem  virgi- 
num  monasterio  ab  aliis  quibusdam  religiosis  de  la  ta  est,  ibique  defossa, 
ne  a  Vandalis  aliisque  barbaris  Massiliam  tum  occupant! bus,  alio 
subduceretur.  Nec  ita  multo  post  cum  ejusdem  monasterii  religiosi 
convenissent  ut  sacras  reliquias  suis  locis  ac  sedibus  restituèrent,  jam 


Or,  un  jour,  à  son  insu,  des  religieux  prirent  la  croix  de  saint 
André,  la  portèrent  au  monastère  des  vierges  de  l'Huveaune 
et  l'y  enfouirent,  de  peur  qu'elle  ne  fût  enlevée  par  les 
Vandales  et  autres  barbares  qui  ravageaient  et  occupaient 
Marseille,  à  cette  époque.  Quelque  temps  après,  les  religieux 
revenus  au  monastère,  désirant  remettre  en  sa  place  cette 
relique,  ne  la  trouvant  plus,  s'en  prirent  au  bienheureux  et 
le  menaçaient  de  châtiment  pour  une  telle  insouciance  à 
l'endroit  du  trésor  dont  il  avait  la  garde.  Mais  celui-ci,  divine- 
ment inspiré  d'avoir  recours  à  Dieu,  apprit  par  révélation  du 
ciel  que  la  croix  de  l'Apôtre  avait  été  enfouie  non  loin  du 
monastère  des  vierges  de  l'Huveaune.  » 

Ceci  n'est  qu'un  joli  petit  roman  bâti  par  Guesnay  sur  le 
récit  de  Chifflet.  Avouons  d'abord  que  ces  religieux  s'y  sont 
pris  bien  maladroitement.  Quand  on  fait  une  opération  de  ce 
genre,  on  s'entoure  de  précautions  capables  de  guider  les 
recherches  futures.  Puis  ce  n'est  pas  au  bout  d'un  aussi  court 
laps  de  temps  que  l'on  perd  toute  trace  de  ce  que  Ton  a 
caché. 

Quel  est  ensuite  ce  monastère  de  filles,  établi  sur  le  bord  de 
l'Huveaune,  auprès  duquel,  du  vivant  de  Hugues  de  Glasinis, 
on  vint  enfouir  et  cacher  la  croix  de  saint  André  ?  Il  n'y  avait 
pas  de  monastère  de  filles  à  cette  époque,  en  cet  endroit  du 
terroir.  Dès  l'an  1004,  le  monastère  se  trouvait  à  Saint-Sauveur, 
au  sein  de  la  ville.  Dès  l'an  1204,  les  Prémontrés  vinrent  se 
fixer  à  l'Huveaune,  et  en  l'année  1405  les  biens  de  ce  monas- 
tère des  Prémontrés  furent  réunis  au  couvent  de  Sainte-Paule. 

Qui  sont,  enfin,  ces  Vandales  et  ces  barbares  qui  du  vivant 
de  Hugues  occupaient  Marseille  ?  D'environ  1180  à  1250,  Mar- 
seille n'a  pas  eu  d'invasion  à  subir.  Elle  a  été  occupée  à  se 
défendre  tantôt  contre  les  comtes  de  Provence,  tantôt  contre 


que  viro  illi  secreto  pœnam  aliquam  imponere  decrevissent,  quod  eo 
sacrarium  procurante  crux  Ma  sacra  autdeperditaautaliotraductaesset, 
divino  afllatus  spiritu  vir  sanctissimus  impetrata  divinam  opem  implo- 
randi  gralia,  divinitus  accepit  crucem  illam  non  procul  a  monasterio 
B.  Virginis  de  Veaune  fuisse  defossam.  Quod  miraculum  cum  sequenti 
epitaphio  marmoreo  ejusdem  sepulcro  inscriptum  est.  >  Cassianus 
illustraluB,  p.  475. 


-  283  - 


les  évoques,  qui  voulaient  y  asseoir  ou  développer  davantage 
leur  autorité.  Mais,  à  aucun  moment  de  ces  luttes,  en  résumé 
toutes  pacifiques,  il  n'y  a  eu  pillage  et  vol,  au  point  de  forcer 
les  religieux  de  Saint-Victor  à  cacher  la  croix  de  saint- André 
qu'ils  gardaient  dans  les  cryptes. 

A  un  seul  moment  cela  aurait  pu  se' faire,  c'est  vers  1236 
ou  1240.  A  cette  époque,  le  comte  de  Provence,  fatigué  des 
obstacles  que  Marseille  mettait  à  reconnaître  son  autorité,  vint 
mettre  le  siège  devant  la  ville.  Mais  le  comte  de  Provence 
pouvait  en  vouloir  à  la  ville,  sans  en  vouloir  à  l'abbaye  de 
Saint-Victor  dont  le  terroir,  on  le  sait,  échappait  à  la  juri- 
diction de  l'évêque  et  de  la  cité.  De  plus,  rien  dans  les  annales 
de  Marseille,  ne  rappelle  une  telle  mesure,  qui,  le  cas  échéant, 
se  serait  étendue  à  toutes  les  reliques  de  l'abbaye  (1).  Non, 
Guesnay  a  fait  erreur.  Ce  n'est  pas  vers  1240  que  la  croix  de 
Saint- André  est  arrivée  à  Marseille. 

Ce  que  dit  Darras  n'a  pas  plus  de  valeur.  En  effet,  lors  de  la 
prise  de  Constantinople  en  1198,  par  les  croisés  latins,  les  reli- 
ques insignes  que  cette  capitale  de  l'Orient  possédait  dans  ses 
églises  furent  enlevées,  c'est  vrai,  par  les  vainqueurs.  Mais  la 
croix  de  saint  André  ne  faisait  pas  partie  du  butin.  Les  chro- 
niqueurs qui  racontent  ce  fait  d'armes  parlent  de  l'enlèvement 
de  la  croix  du  Sauveur,  des  corps  de  divers  saints  qui  échu- 
rent en  partage  à  tel  ou  tel  seigneur,  à  tel  ou  tel  évêque.  Chez 
aucun  de  ces  historiens,  cependant,  il  n'est  fait  mention  delà 
croix  de  l'Apôtre.  Si  on  parle  de  saint  André,  c'est  pour  dire 
que  le  corps  de  cet  Apôtre  fut  donné  au  légat  de  la  croisade, 
le  cardinal  Pierre  de  Capoue,  originaire  d'Amalfi,  qui  le  fit 
porter  dans  sa  ville  natale  et  placer  dans  la  cathédrale  que  l'on 
dédia  à  saint  André,  à  cette  occasion  (2). 


*r 


(t)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille ',  1. 1,  p.  125. 

(2)  «  Petrus  Capuanus  cardinalis,  ci  vis  Amalphitanus,  confesslonem 
propno  aère  sediflcavlt  sub  quâ  corpus  B.  Andrœae  Apostoli  quod  e  Cons- 
tantinopoli  ubi  apostolicae  sedis  legatum  egerat  et  quod  patriam 
A  mal  phi  m  detulerat,  reposuit,  1208.  » 

Ce  corps  de  l'Apôtre  se  trouve  dans  la  cathédrale  ;  il  s'agit  toujours  de 
«  illa  sac  rata  ossa,  corpus  B.  Andraeœ  ».  Cette  translation  eut  lieu  le 
8  mai   1208,   durant  l'épiscopat  de  Mathieu.  —  Ughelli,  Jtalia  sacra, 


—  284  - 

Or,  peut-on  croire  que  le  cardinal  de  Capoue  n'aurait  pas 
apporté  avec  lui  la  croix  de  l'Apôtre  en  môme  temps  que  son 
corps,  si  on  l'avait  trouvée  à  Gonstantinople?  S'il  l'avait  appor- 
tée à  Amalfi  en  même  temps  que  les  autres  reliques,  est -il 
croyable  que  les  documents  qui  relatent  la  translation  du 
corps  de  l'Apôtre  n'auraient  fait  aucune  mention  de  sa  croix  ? 
Si  le  cardinal  avait  cédé  la  croix  à  une  autre  église,  ces  docu- 
ments encore  se  tairaient  sur  ce  sujet?  Et  en  supposant 
qu'elle  eût  été  le  lot  d'un  autre  évoque  ou  d'un  autre  seigneur, 
et  qu'elle  ait  été  ainsi  portée  ailleurs,  cette  chronique  qui 
parle  du  corps  de  saint  André  n'aurait  encore  rien  dit  de  sa 
croix?  Et  si  un  roi  de  Bourgogne,  à  cette  époque,  l'eût  cédée 
à  Saint  Victor,  comme  on  le  disait  tantôt,  il  ne  resterait  rien 
d'écrit  à  ce  sujet  ?  De  plus  on  aurait  perdu  cette  relique,  dès 
le  lendemain  de  son  arrivée  à  Marseille,  au  point  qu'il  aurait 
fallu,  quelques  années  plus  tard,  une  révélation  spéciale  ou 
des  fouilles  et  des  recherches  compliquées,  pour  que  Hugues 
deGlasinis  retrouvât  ce  trésor?  Et  si  on  avait  dû  l'enfouir,  à 
cette  époque,  on  ne  saurait  pas  à  quelle  occasion  ce  recel 
aurait  eu  lieu  ? 

Non,  Darras  s'est  trompé.  La  croix  n'a  pas  été  apportée  de 
Constantinople  à  Marseille,  en  1198. 

A  cette  date,  d'ailleurs,  cette  croix  n'était  pas  à  Constantino* 
pie.  Et,  non  seulement  elle  n'était  pas  à  Constantinople  en 
1198,  un  fait  nous  prouve  qu'elle  n'y  était  pas  au  VI*  siècle. 

Baronius  raconte,  dans  ses  A  nnalee,  à  l'année  586,  qu'au 
départ  de  l'apocrisiaire  Grégoire,  plus  tard  le  pape  Grégoire  le 
Grand,  de  Gonstantinople,  où  il  représentait  le  pape  alors 
régnant,  Pelage  (l\  l'empereur  Tibère  lui  fit  présent  du  chef 
de  saint  André  et  de  quelques  ossements  de  saint  Luc.  N'est* 
il  pas  croyable  que  l'on  eût  remis  à  Grégoire  quelques  par- 
celles de  la  croix  de  l'Apôtre,  si  elle  avait  été  en  vénération 
à  Gonstantinople  à  cette  époque?  Est-ce  que  Grégoire  lie 
l'aurait  pas  sollicité  et  pour  doter  son  monastère  et  pour  en 

histoire  des  évoques  d'Amalfi,  t.  VII,  col.  241,  272.  —  Darras»  Histoire 
de  V Eglise,  t.  VI,  p.  464. 

(I)  Saint  Grégoire  le  Grand,  par  l'abbô  Clauzier,  p.  68.  Baronius,  ad 
annum  686,  n°  XXV. 


—  285  — 

enrichir  la  ville  de  Home  ?  L'histoire  cependant  se  tait  sur  ce 
point,  preuve  que  la  croix  n'était  pas  dans  la  ville  de  Constan- 
tinople  en  586. 

Nous  allons  plus  loin  ;  jamais,  k  aucune  époque,  cette  ville 
n'a  possédé  cette  précieuse  relique. 

L'empereur  Constantin  le  Grand  avait  fait  édifier  à  Cons- 
f  antinople  une  magnifique  basilique  dédiée  aux  saints  Apôtres 
et  destinée  à  lui  servir  de  lieu  de  sépulture  (i).  Or,  le  fils  de 
Constantin,  Constance,  afin  d'enrichir  cet  te  église  de  précieuses 
reliques,  y  déposa  entre  autres  les  corps  de  saint  Timothée,  de 
l'évangéliste  saint  Luc  et  de  l'Apôtre  saint  André.  Ce  fut 
Tévéque  de  Patras  qui  fit  connaître  à  l'empereur  Constance, 
que  ces  précieuses  reliques  de  l'Apôtre  reposaient  dans  une 
église  de  cette  ville.  Un  seigneur  de  la  cour  de  Constance, 
Artemius,  plus  tard  un  martyr,  assista  à  l'exhumation  du 
corps  de  l'Apôtre,  l'accompagna  à  Constantinople  et,  sous  ses 
yeux,  il  fit  déposer  6e  trésor  auprès  du  sépulcre  de  Constantin 
le  Grand.  Ceci  se  passait  en  Tannée  357,  au  témoignage  de 
Théodore  le  Lecteur  et  d'Idace  le  Chroniqueur  (2).  Or,  si  la 
croix  de  saint  André  eût  été  à  Patras,  en  357,  l'empereur 
Constance  l'aurait  fait  prendre  pour  en  orner  quelque  église 
de  Constantinople,  et  l'histoire  eût  rapporté  ce  fait. 

Nous  en  trouvons  une  autre  preuve  dans  la  vie  de  saint 
Régulfus  (3).  Ce  moine,  d'une  grande  sainteté,  s'était  rendu 

(l)Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  IX,  p.  336;  t.  X,  p.  118. —  Acte 
Sancii  Arlemii,  Bollandistes,  10  oct.,  pp.  861,  862.  —  Hergenroether, 
Histoire  de  V Eglise,  t.  II,  p.  545. 

(2)  «  Goostantius,  ûlius  Constantini  Magni,imperavit  24  annos,  dies  5. 
Hujus  temporibus  allât»  sunt  Constantinopolim  reliquiœ  sanctorum 
apostolorum  Timothsei  ante  diem  octavam  kalendas  julias,  Andraeœ 
Apostoli  et  Lucse,  ante  diem  quartam  nonas  murtias  et  depositœ  sunt 
in  magna  ecclesia  sanctorum  Apostolorum  ab  ipso  dedicata.  »  Historia 
ecclesiastica  Theodori  Lectoris,  lib.  II,  col.  214. 

«  Gonstantio  nonum  et  Juliano  Csesare  iterum  consulibus,  his  consu- 
Jibus  introierunt  Gonstantinopolim  reliqui»  sanctorum  Apostolorum 
Andrsese  et  Lucse,  die  V  nonas  martias.  »  Chronique  d'Idace,  annota- 
tiones,  col.  213. 

c  Anno  357,  imp.  Flavius  Constantius  AugustuslX,  Flavius  Claudius 
Julianus  Ccesar  II.  »  Dictionnaire  de  Larousse,  verbo:  Fastes. 

(3)  Acta  Sanctorum,  Bolland.,  Vita  sancti  Hegulfi,  17  oct.,  t.  VIII, 
d'oct.,p.  163. 

19 


—  286  — 

en  pèlerinage  à  Patras,  et,  y  ayant  vénéré  les  reliques  de 
l'Apôtre  saint  André,  il  s'en  constitua  le  gardien.  Or,  à  un 
moment,  un  ange  lui  apparut,  lui  ordonna  de  prendre  une 
partie  des  reliques  du  saint  Apôtre  et  de  les  porter  dans  les 
contrées  lointaines  de  l'Occident  Ce  religieux  obéit,  il  s'en 
vint  en  Ecosse,  portant  avec  lui  ce  précieux  trésor.  11  était 
accompagné  d'un  autre  moine  du  nom  d'Eusébius.  Tous  deux 
déposèrent  ces  reliques  dans  la  ville  de  Eileure,  laquelle 
prit  plus  tard  le  nom  d'Andreanopolis. 

Ce  fait,  la  tradition  ecclésiastique  l'accepte,  puisqu'on  lit 
dans  l'office  de  saint  Regulf us  l'oraison  suivante  :  a  Seigneur, 
qui  par  les  mérites  de  votre  très  doux  serviteur  le  bienheu- 
reux Regulf  us  avez  fait  parvenir  jusqu'à  nous  les  reliques  de 
votre  Apôtre  saint  André,  etc.  » 

Ce  fait  se  passait,  disent  les  Actes  de  saint  Regulf  us,  en  359. 
Il  est  certain  qu'il  y  a  une  erreur  de  date  ;  ce  fait  ne  pouvant 
être  postérieur  à  la  translation  des  reliques  de  saint  André  à 
Constantinople  par  l'ordre  de  Constance,  en  357.  Il  a  dû  se 
passer  quelques  années  auparavant,  soit  que  Dieu  ne  voulût 
pas  que  tous  ces  glorieux  restes  demeurassent  entre  les  mains 
de  cet  empereur  arien,  schismatique  et  persécuteur,  soit  qu'il 
voulût  que  l'Occident  joignit  ses  hommages  et  sa  vénération 
à  ceux  que  l'Orient  décernait  à  cet  Apôtre.  Mais,  quelle  que  soit 
la  date  de  la  mission  et  du  voyage  de  saint  Regulf  us,  il  est 
incontestable  que  la  croix  de  l'Apôtre  n'était  déjà  plus  à 
Patras,  au  IV0  siècle.  Certainement  Regulfus  aurait  pris 
avec  les  reliques  du  corps  de  saint  André  une  partie  de  sa 
croix.  C'eût  été  un  moyen  bien  efficace  de  prédication,  auprès 
des  peuples  barbares,  que  de  leur  montrer,  en  racontant  la 
vie  et  la  mort  de  saint  André,  l'instrument  de  son  martyre.  Et 
s'il  avait  pris  une  partie  de  cette  croix,  les  Actes  de  sa  vie  en 
eussent  fait  mention. 

Sûrement  donc,  au  IV*  siècle,  la  croix  de  saint  André  n'était 
pas  à  Patras,  et  partant  elle  n'a  pu  être  portée  à  Constantino- 
ple, au  IV'  siècle  ou  plus  tard. 


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CHAPITRE  IV 


La  Oroix  de  saint  André 


(Suite) 


OU  ÉTAIT-ELLE  1  —  RÉCIT  DE  CHIPPLET.  —  CINQ  AS8ERTION8.  —  SONT- 
ELLES  VRAISEMBLABLES?  —  LA  PREMIÈRE.  —  MIGRATION  DES  PEUPLES 
BARBARES.  LES  BURGUNDE8.  —  AU  DÉBUT  DU  V*  SIÈCLE,  ILS  SONT 
CATHOLIQUES.  —  COMMENT  LA  FOI  CHRÉTIENNE  S'INTRODUISAIT  CHEZ 
LES  PEUPLES  BARBARES.— LA  CROIX  DE  SAINT  ANDRÉ  A  PU  ARRIVER 
JUSQU'A  EUX.  —  LA  DEUXIÈME.  —  LES  BURGUNDB8  NE  SONT  VENUS  A 
MARSEILLE  QUE  DE  480  A  517.—  LA  TROISIÈME.—  ILS  ONT  PU  PLACER 
LA  CROIX  A  SAINT-VICTOR.  —  LES  MOINES  PLUTÔT  LA  LEUR  ONT 
RACHETÉE,  PARCE  QUE  VERS  490  LES  BURGUNDBS  ÉTAIENT  ARIENS.  — 
LA  QUATRIÈME  ET  LA  CINQUIÈME.  —  ON  A  PU  CACHER  CETTE  RELIQUE 
A  8AINT-VICTOR,  OU  A  L'HUVEAUNE. 


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Où  se  trouvait  cette  croix  de  saint  André,  si  au  IV*  siècle 
elle  n'était  pas  à  Patras  ?  Nul  historien  ne  donne  une  réponse 
à  cette  question.  Seul  Chifflet,  appuyé  sur  Paradin  et  le  com- 
plétant, fait  le  récit  que  nous  connaissons.  La  croix  de  saint 
André  était  à  Marseille  dès  le  début  du  V*  siècle.  Est-ce  pos- 
sible ?  Parfaitement. 

Prenons  le  récit  de  Chifflet,  étudions-le  dans  le  détail,  et 
nous  pourrons  nous  convaincre  que  toutes  les  assertions  de  cet 
auteur,  sauf  de  légères  invraisemblances  qui  n'entament  point 
la  véracité  du  fait  lui-môme,  que  toutes  les  assertions,  dis-je, 
de  cet  auteur  concordent  avec  les  traditions,  les  événements 
de  Marseille  dans  ces  temps  reculés  et  sont  la  plus  plausible 
explication  de  faits  et  de  traditions  entourés  d'obscurités. 

Il  y  a  cinq  assertions  dans  le  récit  de  Chifflet  :  1#  c'est  un 
roi  burgunde,  du  nom  d'Etienne,  qui  a  porté  la  croix  de  saint 
André  à  Marseille  ;  2*  c'est  en  401  que  cette  précieuse  relique 
arriva  dans  notre  ville  ;  3*  on  la  plaça  à  Saint- Victor  ; 
4#  on  l'enfouit  auprès  du  monastère  des  vierges  de  l'Hu- 


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—  288  — 

veaune  (1);  5'  cette  croix  ayant  été  perdue,  Hugues  de 
Giasinis  apprit  par  révélation  l'endroit  précis  où  cette  relique 
était  cachée  et  la  rapporta  à  Saint* Victor. 

C'est  d'abord  un  roi  burgunde,  du  nom  d'Etienne,  qui  a 
porté  cette  croix  de  saint  André  à  Marseille.  Or,  rien  ne  s'op- 
pose à  ce  qu'un  roi  burgunde  ait  agi  ainsi. 

A  la  suite  de  migrations  successives  qu'avaient  opérées  dans 
le  nord  de  l'Europe  différentes  peuplades  de  la  Germanie,  les 
Golhs,  qui  descendaient  de  la  Scandinavie,  s'établirent  sur  les 
deux  rives  du  Dniester  ;  les  Longobards,  sur  les  bords  de 
l'Oder;  les  Marcomans,  en  Bohème;  les  Vandales,  en  Mora- 
vie (2).  Une  tribu,  d'origine  vandale,  quittant  ses  foyers,  vint 
fixer  son  séjour  dans  les  vallées  de  la  Saale  et  du  Mein,  c'était 
la  tribu  des  Burgundes,  appelés  plus  tard  Bourguignons. 
Ceux-ci,  avides  de  guerre  et  d'aventures,  en  257  sous  Gallien, 
en  277  sous  Probus,  en  287  sous  Dioclétien  et  Maximin,  atta- 
quèrent et  pillèrent  les  provinces  voisines  relevant  de  l'empire 
romain  (3).  Vers  370  cependant,  sous  l'empereur  Valentinien, 
ils  se  firent  ses  auxiliaires  (4).  Mais  bientôt,  chassés  de  leurs 
cantonnements  par  les  Huns  qui  montaient  le  long  du  Da- 
nube, les  Burgundes  franchissent  le  Rhin  dans  la  nuit  du  31 
décembre  406  au  1"  janvier  407,  en  compagnie  des  Suèves,  des 
Alains,  des  Vandales,  etc.,  etc.  (5).  Pendant  que  ces  diverses 
tribus  ravagent  la  Gaule  et  se  dirigent  vers  l'Espagne,  les 
Burgundes,  d'un  caractère  plus  paisible,  moins  féroces,  pro- 
fitant des  dissensions  qui  régnent  entre  les  généraux  romains 


(1)  Nous  suivrons  pour  le  moment  le  dire  de  Paradin,  car  Ghifflet  croit 
pour  sa  part  qu'elle  a  été  placée  au  cœnobium  de  l'Huveaune.  Nous  le 
verrons  tantôt. 

(2)  Histoire  des  Romains,  par  Du  ru  y,  t.  VI  p.  353  —  Précis  d'his- 
toire de  France,  par  Todiére,  t.  I,  p.  51.  —  Darras,  Histoire  de  l Eglise \ 
t.  XIII,  p.  445   —  Histoire  des  Vandales,  par  Marcus,  p.  24. 

(3)  Histoire  des  Vandales,  par  Marcus,  p.  1.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II, p.  41.  —  Duruy,  op.  cit.,  t.  VI,  p.  353.  —  André  Du- 
chesne.  Histoire  des  rois  et  ducs  de  Bourgogne,  p.  4.  —  Alphonse 
d'Elbene,  De  regno  Burgundiœ,  p.  29. 

(4)  Marcus,  op.  cit.,  p.  33.  —  Ducuy,  op.  [cit.,  t.  VI,  pp.  411,  511» 
534. 

(5)  Duruy,  op.  cit.  t.  VI,  p.  411. 


—  289  - 


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chargés  de  les  battre  et  de  les  refouler,  s'établissent  dans  la 
Séquanaise  entre  la  Saône  et  le  Rhône  (1),  province  que  leur 
cède  l'usurpateur  Jovin  et  dont,  en  419,  Honorius  leur  con- 
firme la  possession  (2). 

Or,  de  bonne  heure,  la  tribu  des  Burgundes  a  connu  les 
lumières  de  la  foi  catholique.  Sozomène  atteste  que  sous  Cons- 
tantin le  Grand  l'Evangile  commença  à  leur  être  prêché  (3)  ; 
Orose  atteste  que  dès  417  le  gros  de  la  nation  avait  des  prêtres 
catholiques  ;  en  530,  toute  la  nation  professait  la  religion 
de  Jésus  Christ  (4).  Sous  leurs  rois  Gondioch  et  Chilpéric,  ils 
demeurèrent  fidèles,et  ce  ne  fut  que  pour  quelques  années,sous 
Gondebaud,  vers  490,  qu'ils  inclinèrent  vers  Tarianisme.  Dès 
517,  cependant,  à  la  mort  de  Gondebaud,  Sigismond  son  fils 
rétablit  dans  ses  Etats  le  catholicisme  (5). 

Comment  la  foi  chrétienne  avait-elle  pénétré  chez  eux? 
Nous  avons  ditque  ce  peuple  vivait  sur  les  bords  de  la  Saale 
et  du  Mein.  Or,  à  deux  pas  de  leurs  cantonnements,  il  y  avait 
des  fidèles,  des  prêtres,  des  évêques  catholiques  (6).  Depuis 
plus  d'un  siècle,  en  effet,  la  religion  était  florissante  dans  les 
provinces  de  la  rive  gauche  du  Rhin  :  à  Cologne,  à  Trêves,  à 
Toogres,  à  Laybach,à  Pettau,  il  y  avait  des  évêques,et  non  des 
moins  illustres,  dont  les  enseignements  ont  pu  arriver  jus- 
qu'aux Burgundes  (7). 


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(1)  Marcus,  op.  cit  ,  p.  58.  —  Todière,  op.  cit.,  p.  62.  —  Papou,  op. 
cit.,  t.  II,  p.  42. 

(2)  Todière,  op.  cit.,  p.  62. 

(3)  Sozomène,  cité  par  M.  l'abbé  Magnan,  op.  cit.,  p.  14. 

(4)  Orose,  livre  VII,  cap.  32. 

(5)  Socrate,  Histoire  ecclésiastique,  VII,  30.  —  Darras,  Histoire  de 
l'Eglise,  t.  XIII,  p.  416.  —  Ozanara,  t.  IV,  Etudes  germaniques, 
p.  50. 

(6)  Darras,  op.  cit.,  t.  XIII,  p.  44G. 

(7)  Les  contrées  avoisinant  le  Rhin  ont  été  évangélisées  de  très 
bonne  heure.  Mayence,  Metz,  Toul  ont  eu  pour  premier  évêques  des 
disciples  des  Apôtres.  (Ozanam,  t.  IV,  Etudes  germaniques,  p.  18.)  — 
Un  texte  de  saint  Irénée  ferait  remonter  la  prédication  de  la  foi  dans  la 
Germanie  antérieurement  à  l'an  200.  (Ozanam,  op.  cit.,  p.  3.)— Sous 
Marc-Aurèle,  sous  Maximilienil  y  eut  des  martyrs.  (Ozanam,  op.  cit., 
p.  5  )  —  Constantin  appelle  à  un  concile  à  Rome  Tévêque  de  Cologne. 
Au  concile  d'Arles,  en  314,  il  y  avait  des  évêques  de  Germanie.  (Ozanam, 
op.  cit.  pp.  8, 17.) 


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—  290  — 

L'historien  Sozomène,  racontant  de  quelle  manière  le  chris- 
tianisme s'était  introduit  chez  les Goths, écrit  :  «C'est  aux  cap- 
tifs que  la  guerre  faisait  tomber  entre  leurs  mains  qu'ils  doi- 
vent la  vérité.  Ils  ramenaient  de  leurs  excursions  des  évoques, 
des  prêtres,  des  fidèles  dont  ils  faisaient  quelquefois  leurs  es- 
claves ;  or,  en  voyant  leur  vie  et  leurs  mœurs  douces  et  pures, 
les  miracles  qu'ils  accomplissaient  dans  l'intérêt  même  de 
leurs  persécuteurs,  ceux-ci  étaient  touchés  (1).  »  Il  a  dû  en 
être  de  même  pour  les  Burgundes.Que  de  fois,  alliés  à  d'autres 
peuplades,  ou  livrés  à  leurs  seules  forces,  ils  ont  envahi  les 
contrées  voisines,  ramenant  sur  leurs  chariots  un  butin  abon- 
dant, et  traînant  après  eux  de  nombreux  esclaves,  qui  peu  à 
peu  les  rendaient  chrétiens  ! 

Il  y  a  quelque  chose  de  plus  particulier  à  rappeler  au  sujet 
des  Burgundes.  I/Apôtre  saint  André  a  été  martyrisé  à  Patras, 
en  Achaïe.  Mais  bien  habile  serait  celui  qui  pourrait  préciser 
les  villes  et  les  nations  qu'il  a  évangélisées  (2). 

Les  Apôtres  allaient  devant  eux,  là  où  le  Saint-Esprit  les 
unissait.  Quand  on  dit  d'une  contrée  qu'elle  a  été  évangélisée 

(1)  Ozanan,   t.  IV,  Etudes  germaniques,  p.  4;  il  cite  Sozomène 
Histoire  ecclésiastique,  t.  II,  chap.  6. 

(2)  Après  l'ascension  de  Notre-Seigneur  et  la  descente  du  Saint- 
Esprit,  saint  André,  suivant  Origène,  prêcha  l'Evangile  dans  la  Scylhie. 
Sophrone,  qui  écrivait  peu  de  temps  après  saint  Jérôme  et  qui  a  traduit 
en  grec  le  Catalogué  des  hommes  illustres  et  quelques  autres  ouvrages 
de  ce  Père,  le  fait  aussi  apôtre  de  la  Colchide  et  de  la  Sogdiane.  Théo- 
doret  dit  qu'il  passa  dans  la  Grèce.  On  lit  dans  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze  qu'il  prêcha  particulièrement  en  Epire;  dans  saint  Jérôme,  qu'il 
porta  le  flambeau  de  la  foi  en  Àchaïe  ;  dans  saint  Paulin,  que  sa  parole 
réduisit  au  silence  les  philosophes  d'Argos  ;  dans  saint  Philastre,  qu'il 
vint  du  Pont  dans  la  Grèce,  et  dans  la  ville  de  Sinope. ..  Les  Moscovites 
sont  persuadés  que  saint  André  a  prêché  dans  leur  pays  jusqu'à  l'em- 
bouchure du  Borysthène,  jusqu'aux  montagnes  où  est  aujourd'hui  la 
ville  de  Kiew,  et  jusqu'aux  frontières  de  Pologne.  Si  les  anciens  qui 
font  de  laScythie  le  théâtre  des  travaux  du  saint  Apôtre  ont  voulu  par- 
ler de  la  Scythie  européenne,  leur  témoignage  sera  favorable  aux  Mos- 
covites. Suivant  les  Grecs,  s'il  s'agit  de  la  Scythie  dans  la  Colchide,  il 
pourrait  être  aussi  question  de  la  Scythie  européenne,  puisque,  selon  ces 
Grecs  encore,  saint  André  prêcha  en  Thrace  et  Byzance.  {Vie  des  Saints, 
par  le  Père  Giry,  p.  942.)  —  30  nov.,  Martyrologe  romain  annoté  par 
Baronius. 


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—  291  — 

par  un  Apôtre,  il  ne  faut  pas  croire  que  celui-ci  s'est  borné 
à  parcourir  cette  contrée  seulement.  Non,  il  est  allé  deçà  et  t 

delà,  répandant  partout  la  bonne  nouvelle  de  l'Evangile.  La 
région  que  Ton  désigne  est  tout  au  plus  celle  où  il  a  davan- 
tage travaillé  pour  Jésus-Christ. 

Or,  il  est  dit,  dans  l'office  de  saint  André,  qu'il  a  prêché 
l'Evangile  dans  la  «  Scythiam  Europae  (1  )  »,  c'est-à-dire  dans 
les  contrées  que  le  Danube  borne  à  l'occident,  le  Volga  ou  le 
Borysthène  à  l'orient.  Le  Martyrologe  ajoute  qu'il  a  prêché 
dans  la  Thrace  et  la  Scythie  (2). On  sait  que  les  Russes  ont  une 
grande  dévotion  à  saint  André  et  ils  sont  persuadés  que  l'Apô- 
tre a  porté  la  foi  dans  leur  pays,  et  jusqu'aux  frontières  de 
Pologne.  Ainsi  l'Apôtre  aurait  parcouru  la  Grèce,  le  Pont,  tout 
le  nord  de  l'Europe. 

Or,  qui  sait  si  dans  le  temps  où  les  Goths,  les  Marcomans, 
les  Longobards,  les  Vandales,  les  Burgundes  erraient  dans  les 
steppes  de  la  Germanie  et  de  la  Scythie,  à  la  recherche  d'un 
campement  fixe,  qui  sait  si  les  Burgundes  n'avaient  pas  vu, 
pas  entendu  cet  Apôtre*?  C'était  bien  suivant  un  dessein  de  la 
Providence  que  s'accomplissaient  les  migrations  des  peuples. 
De  même  que  les  flots  glacés  des  océans  du  pôle  descendent 
par  des  courants  immenses  vers  les  chaudes  régions  de  l'équa- 
teur,  afin  de  s'y  attiédir  et  de  rapporter  aux  rivages  d'où  ils 
viennent  un  peu  de  vie  et  éloigner  la  congélation  complète  au 
sein  de  leurs  abîmes,  ainsi  les  peuples  sauvages  quittent  suc- 
cessivement leurs  foyers,  assis  au  sein  des  ténèbres  du  paga- 
nisme et  de  la  barbarie,pour  se  rapprocher  des  contrées  où  la 
vérité  et  la  foi  brillent  déjà  d'un  vif  éclat,  et  rapporter,  en  re- 
gagnant leurs  forêts  et  leurs  steppes  lointains,  un  peu  de  foi, 
un  peu  de  religion. 

Pour  les  Burgundes,  leurs  migrations  et  leurs  courses  ont 

(1)  «...  Andréas,  cum  in  Scythiam  Europae,  quae  ei  provincia  ad 
Chrisli  fidem  disseminandam  obtigerat,  venisset  deinde  Epirum  ac 
Thraciam  peragrasset.  »  Officium  Sancti  Andrœœ,  30  nov.,  Breviarium 
Romanum. 

(2)  htartyrologium  Romanum,  30  nov.  :  c  Apud  Pat  ras  A  chaise,  na- 
talis  sancti  Andrseae  Apostoli,  qui  in  Thracia  et  Scythia  Christi  evange- 
Hum  prœdicavit.  » 


—  292  — 

pu  leur  apporter  ce  bienfait.  Admettons  qu'au  début  ils  n'aient 
pas  accepté  d'embrasser  cette  vérité  que  leur  prêchait  l'Apô- 
tre. Mais  on  en  a  conservé  un  vague,  un  persistant  souvenir, 
qui  se  transmettait  de  famille  en  famille,  de  village  en  vil- 
lage, de  tribu  en  tribu.  C'était  le  germe  d'une  semence  qui 
devait  lever  plus  tard,  à  la  première  occasion  favorable. 

Or,  qui  sait  encore  si,  dans  leurs  courses,  ils  n'ont  pas  ren- 
contré cette  occasion  favorable  !  Nous  trouvons  les  Burgundes 
occupés  au  pillage,  à  la  guerre,  en  I  11  y  rie,  en  Macédoine,  en 
Grèce,  à  plusieurs  reprises  durant  le  III*  siècle  (1).  Les  Goths, 
peuplades  alliées  et  voisines,  désolent  pendant  vingt  ans,  au 
IIP  siècle  encore,  la  Mésie,  la  Grèce,  la  Troade,  l'Illyrie,  la 
Cappadoce,  brûlant  et  saccageant  Ephèse,  Nicée,  Athènes,Tré- 
bizonde,  etc.,  etc.  (2j.  Quand  ils  reviennent  dans  leurs  cam- 
pements, ce  sont  des  longs  convois  de  prisonniers,  de  lourds 
charriots  de  butin  qu'ils  ramènent  avec  eux  dans  le  Nord.  Or, 
Patras,  lieu  du  supplice  et  de  l'ensevelissement  de  saint  André, 
a  dû  être  visité  par  les  Goths;  qui  assurera  que  la  croix  de 
l'Apôtre  n'a  pas  été  prise  avec  d'autres  reliques,  qu'elle  n'a  pas 
été  portée  dans  le  Nord  comme  un  vil  butin,  qu'elle  n'a  pu  être 
troquée  contre  quelque  vile  marchandise,  et  que  de  peuple 
en  peuple,  de  vente  en  vente,  elle  n'est  pas  arrivée  aux 
mains  de  quelque  soldat,  de  quelque  chef  burgunde  ?  Qui  as- 
surera que,  au  souvenir  de  l'Apôtre  qui  avait  jadis  prêché 
leurs  pères,  ces  Burgundes  n'ont  pas  reconnu  cette  relique  et 
ne  l'ont  pas  eue  en  vénération  ?  Qui  assurera  que  pour  la  croix 
de  l'Apôtre,  comme  pour  celle  de  Notre-Seigneur,  il  n'y  a  pas 
eu  quelque  fidèle,  quelque  prêtre,  quelque  évoque  qui  se  soit 
dévoué  pour  la  suivre  et  la  garder  dans  les  pérégrinations 
lointaines,  et  qu'arrivé  à  la  suite  de  cette  relique  chez  les 
Burgundes,  il  n'en  ait  fait  connaître  le  prix  en  leur  préchant 
la  foi  que  l'Apôtre  leur  avait  annoncée  ?  Qui  assurera  qu'il 
n'y  avait  pas  au  milieu  des  Goths,  durant  ces  courses,  quelque 
chef  burgunde  qui,  se  rappelant  l'Apôtre  de  ses  aïeux,  se  soit 
fait  attribuer,  de  préférence  à  tout  autre  butin,  la  croix,  l'ins- 

(1)  Duruy,  op.  cit.,  t   VI,  pp.  411,  511. 

(2)  Ozanam,  t.  IV,  Etudes  germaniques,  p.  22.   — .  Duruy,  op.  cit  , 
t.  VI,  pp.  411,  435,  etc. 


—  293  — 

trament  de  son  supplice,  et  ne  Tait  rapportée  au  milieu  de  sa 
tribu  ?  Et  pourquoi  cette  relique  ainsi  en  honneur  n'aurait- 
elle  pas  vu  son  image  remplacer,  sur  les  drapeaux  guerriers, 
le  dragon  qui  les  ornait  auparavant  ? 

On  le  voit,  il  n'y  a  rien  d'impossible  dans  Ja  première  asser- 
tion de  Chifflet  et  de  Paradin  :  que  c'est  un  roi  burgunde 
qui  a  donné  cette  relique  à  Marseille.  Car,  bien  antérieure* 
ment  à  401,  un  roi  burgunde  a  pu  posséder  la  croix  de  saint 
André.  Si  en  417  les  Burgundes  étaient  chrétiens,  ils  pou- 
vaient l'être  dès  401,  et  à  cette  môme  date  il  pouvait  bien  y 
avoir  un  chef,  un  roi  de  cette  nation  qui  fût  baptisé,  qui 
s'appelât  Etienne,  quoique  l'histoire  ne  le  connaisse  pas  sous 
ce  nom  (1)  ! 

Poursuivons.  C'est  en  401  que  le  roi  bourguignon  Etienne 
apporte  cette  relique  à  Marseille,  dit  Chifflet.  Nous  croyons 
que  sur  ce  point  la  tradition  est  fautive.   Ce  n'est  pas  en  401 . 

En  effet,  en  405-406  les  Burgundes  franchissent  le  Rhin  et 
viennent  en  foule  à  la  suite  des  Suèves,  des  Alains,  des  Van- 
dales, etc.  Pendant  que  les  Vandales  se  dirigent  vers  l'Espagne, 
les  Burgundes  s'établissent,  sous  leur  roi  Gondebaud,  entre 
la  Saône  et  le  Rhône.  L'usurpateur  Jovin  en  411,.  Honorius 
en  413  les  confirment  dans  la  possession  de  cette  province. 

A  cette  époque  donc  ils  ne  sont  pas  venus  jusqu'à  Marseille. 
Ataulfe  et  ses  Visigoths,  chargés  par  Honorius,  en  412,  de  bat- 
tre les  usurpateurs  de  J'empire,  Jovin  et  Sébastien,  leur 
auraient  barré  le  passage.  Et  il  n'y  a  pas  de  trace  dans  l'histoire 
qu' Ataulfe  ait  eu  à  lutter  contre  eux. 

Vers  413  et  plus  tard,  c'est  encore  moins  probable,  Marseille 
et  Arles  sont  garnies  de  troupes.  Boni  face  gouverne  Marseille 
et  repousse  Ataulfe  et  les  Visigoths  qui  voulaient  s'en  emparer. 
Il  aurait  repoussé  aussi  les  Burgundes. 

Vers  425  Àetius,  vers  430  son  lieutenant  Littorius,  vers  43 i 
Aefius  encore  battent  et  repoussent  les  Visigoths.  Pareille- 
Ci)  Raymond  des  Soliers,  dans  les  Antiquités  de  Marseille,  p.  167, 
estime  que  c'est  bien  à  tort  que  l'on  a  compté  cet  Etienne  au  nombre 
des  rois  de  Bourgogne.  Mais  ce  u'est  qu'une  supposition  encore  qui  est 
bien  contrebalancée  par  le  dire  de  certains  auteurs  que  ce  nom  d'Etienne 
a  pu  être  le  nom  de  baptême  donné  à  un  de  ces  rois. 


-294  - 

ment  ils  auraient  repoussé  les  Burgundes  s'ils  avaient  tenté 
de  prendre  Marseille. 

Vers  453  cependant,  profitant  de  l'absence  d'Aetius,  occupé 
avec  les  Francs,  et  de  Littorius,  occupé  avec  les  Visigoths, 
les  Burgundes  s'ébranlent.  Mais  Aetius  les  atteint,  les  bat, 
leur  tue  20,000  hommes,  et,  pour  faire  la  paix,  il  leur  cède  la 
Savoie.  En  supposant  qu'à  cette  date  ils  sont  arrivés  jusqu'à 
Marseille,  comme  ils  venaient  pour  piller,  enlever  des  reli- 
ques, ce  n'est  pas  en  cette  circonstance  qu'ils  en  ont  laissé,  sur- 
tout une  aussi  précieuse  que  la  croix  de  saint  André. 

Ils  reviennent  en  456, 457,  458,  459.  Mais  toujours  repous- 
sés, ils  ne  peuvent  se  fixer  dans  notre  vHle  (1).  Vers  480, 
Euric,  roi  des  Visigoths,  prend  Marseille,  qu'il  convoitait  de- 
puis longtemps.  Certainement,  durant  son  règne,  il  aurait 
chassé  les  Burgundes,  s'ils  s'étaient  présentés.  Mais  en  484  la 
situation  change.  Les  Bourguignons  viennent  à  Marseille.  Euric 
est  mort.  Alaric  II,  son  fils,  fait  alliance  avec  le  roi  des  Bour- 
guignons, Gondebaud,  et  lui  cède  Marseille  et  la  Provence  (2), 
eu  489  ou  500.  En  506  elle  lui  appartenait  encore  (3).  Mais, 
reçusse  du  siège  d'Arles,  en  508,  par  Théodoric,  roi  des  Ostro- 
goths,  accouru  d'Italie  pour  défendre  l'héritage  de  son  neveu, 
il  dut  à  son  tour  rétrocéder  à  ce  roi  vainqueur  la  Provence  et 
Marseille  (4)-.  Depuis  cette  époque  notre  ville  devint  successi- 
vement la  possession  des  Ostrogoths  jusqu'en  536,  des  enfants 
de  Clovis,  puis  de  Clotaire,  roi  de  Soissons,  de  Sigebert,  de 
Childebert,  de  Gontran,  pour  la  moitié  de  la  ville,  de  Chiide- 
bert  encore,  et  ne  fit  plus  partie  du  royaume  de  Bourgogne. 

(1)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  244  et  suiv.  —  Fouque, 
Fastes  de  Provence,  t. 1,  p.  213,  etc.  —  Papon,  t.  II,  p.  42  et  suiv.  — 
Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  1. 1,  pp.  36,  37. 

(2)  Fabre,  A.,  op.  cit.,  p.  255.  —  Statistique  des  Bouches- du-Rhône, 
t.  II,  p.  88.  —  Ruffl,  t.  I,  p.  36. 

(3)  Statistique,  op.  cit.,  t.  II,  p.  92.  —  Fabre,  A.,  op.  ciï.,t.  I, 
p.  260. 

(4)  Pour  l'année  489,  l'inscription  de  Nymphidius  de  Marseille,  datée 
par  les  consuls,  le  prouve  ;  pour  500,  c'est  la  présence  de  l'évèque  de 
Marseille  ati  colloque  de  Lyon;  et  pour  506,  c'est  l'absence  de  ce  même 
évêque  ou  de  son  représentant  au  concile  d'Agde.  —  V.  Longnon,  Gaule 
au  VI*  siècle,  pp.  47,  49. 


—  295  — 

Il  y  a  donc  un  moment,  de  484  à  500-506,  où  les  Bourgui- 
gnons sont  les  maîtres  de  Marseille.  Si,  comme  on  Ta  vu  plus 
haut,  la  croix  de  saint  André  est  en  leur  possesssion  anté- 
rieurement à  401,  de  484  à  508  ils  ont  pu  la  donner  à  Mar- 
seille. On  le  voit,  l'assertion  deChifflet  et  Paradin  nous  relatant 
la  tradition  devient  de  plus  en  plus  probable  ! 

Poursuivons  encore.  La  croix  de  saint  André  a  été  placée 
dans  l'abbaye  de  Saint-Victor,  disent  Chif flet  et  Paradin .  Y  a- 
t-il  sur  ce  point  quelque  invraisemblance?  Aucune. 

Dom  Lefournier,  pour  réfuter  Paradin  affirmant  qu'en  401 
un  roi  burgunde  déposa  cette  relique  dans  le  monastère  de 
Saint-Victor,  répond  que  l'église  de  Saint- Victor  n'existait  pas, 
puisque  Cassien  ne  l'a  bâtie  que  vers  415  (1).  Cette  réponse  n'a 
aucune  valeur.  Saint  Victor,  disent  les  Actes  de  son  martyre, 
avait  été  enseveli  dans  une  grotte  et  sur  cette  grotte  les  fidèles 
construisirent  une  petite  église,  puisque  Benoit  IX,  dans  sa 
bulle  de  1040,  dit  qu'un  petit  monastère  y  avait  été  fondé  du 
temps  de  l'empereur  Antonin  (2).  Ce  terme  de  monastère  signi- 
fie église,  lieu  de  réunion.  Donc,  à  la  rigueur,  si  les  Bur- 
gundes  avaient  pu  venir  à  Marseille  en  401,  il  leur  aurait  été 
possible  de  déposer  la  croix  de  saint  André  dans  cette  église 
primitive. 

Mais,  si  cette  relique  n'a  été  portée  à  Marseille  que  vers  484, 
toute  difficulté  s'évanouit.  En  484,  ou  un  peu  plus  tard,  il  y  a 
un  monastère,  une  église.  Gennade  atteste  que  de  son  temps 
ce  monastère  existait.  Donc,  en  484,  un  roi  burgunde  a  pu 
y  placer  la  croix  du  saint  Apôtre. 

Mais,  dira-t-on,  comment  peut-il  se  faire  qu'un  roi  bur- 
gunde cède  à  l'abbaye  de  Saint -Victor  un  trésor  si  précieux? 
Effectivement  il  est  difficile  de  croire  que  les  Bourguignons 
aient  accepté  de  s'en  dessaisir.  Il  a  fallu  nécessairement  qu'à 
un  moment  donné  ils  n'eussent  plus  pour  cette  relique 
cette  vénération   que   leurs   aïeux   avaient  professée  pour 

(1)  Dom  Lefournier,  cité  par  M.  l'abbé  Magnan,  Notice  sur  la  Croix  de 
saint  André,  p.  12. 

(2)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  14,  de  1040  :  «  Monasterium  apud 
urbem  Massiliensium  tempore  Antonini  fundatum.  • 


—  296  — 

elle.  Cette  circonstance  s'est-elle  présentée  ?  Oui.  Rappelons- 
nous  que  les  Bourguignons  étaient  passés  à  l'arianisme  sous 
leur  roi  Gondebaud,  de  480  à  517  (1).  Quand  ils  viennent 
à  Marseille  de  484  à  508,  ils  étaient  donc  ariens.  Et  Ton  com- 
prend que  les  moines  de  Saint- Victor,  voyant  cette  relique 
insigne  entre  les  mains  des  Ariens,  aient  sollicité  de  l'avoir 
dans  leur  église,  peut-être  môme  l'ont-ils  achetée  au  poids  de 
l'or.  Voilà  comment  s'explique  tout  naturellement  que  ce  roi 
burgunde  du  nom  d'Etienne,  ou  de  quelque  nom  que  ce  soit, 
ait  placé  la  relique  de  la  croix  de  saint  André  dans  l'abbaye  de 
Saint-Victor.  Paradin  et  Chifflet  ont-ils  avancé  une  chose 
invraisemblable  ? 

Voyons  la  quatrième  et  la  cinquième  assertions.  A  une  épo- 
que, cette  relique  fut  enfouie  dans  le  monastère  des  vierges  de 
l'Huveaune,  et  retrouvée  plus  tard  par  le  bienheureux  Hugues 
de  Glasinis,  sacristain  de  l'abbaye  de  Saint-Victor. 

Qu'à  un  moment  donné  la  croix  ait  été  cachée,  rien  de  plus 
vraisemblable,  11  fut  un  temps  où,  les  Sarrasins  menaçant  la 
Provence,  on  prit,  à  l'endroit  des  plus  précieuses  reliques,  la 
môme  précaution  (2).  En  716,  à  Saint-Maximin,  on  déroba  sous 
un  amas  de  terre  la  crypte  qui  abritait  les  restes  de  sainte 
Marie-Madeleine.  On  fit  de  même  à  Tarascon,  pour  le  corps 
de  sainte  Marthe  ;  à  Notre-Dame  de  la  Mer,  pour  les  corps  des 
saintes  Maries;  à  Marseille,  pour  le  corps  de  saint  Lazare  (3)  ; 
à  l'abbaye  elle-même  de  Saint-Victor,  pour  les  corps  des  saints 
martyrs  que  l'on  y  vénérait.  A-t-on  gardé  à  découvert  la  croix 
de  saint  André  dans  l'abbaye  ?  Ce  n'est  pas  croyable. 

Ensuite,  que  plus  tard  Hugues  de  Glasinis  ait  découvert  cette 

(1)  Gennade,  De  illustribus  Ecclesiœ  Scriptoribus  :  c  Casstanus. .. 
duo  monasteria,  id  est  virorum  et  mulierum,  quœ  usque  hodie  exstant, 
condidit.  »  Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  LVIII,  Gennade,  DeïUustr. 
Script. t  cap.  61. 

(2)  M.  l'abbé  Magnan,  Notice  sur  la  Croix  de  saint  André,  p.  14.  — 
Ozanara,  op.  cit.,  t.  IV,  p.  50.— Darras,  op.  cit.  t.  XIII,  p.  446. 

(3)  C'est  ce  que  l'on  flt  en  Espagne,  au  rapport  d'un  historien  de  ce 
pays:  c  Hoc  DCGXV,  in  summà  rerum  inopiâ...  sanctorum.  corpora 
veneranda  trans  Pyrsenœum  et  in  editissima  castella  arcentur.  »  —  On 
S'î  rappelle  Tordre  donné  par  un  ange  à  saint  Porcaire,  de  Lérins. . .  — 
Faillon,  Monuments  inédits,  1. 1,  col.  681. 


—  297  - 

relique,  c'est  fort  possible,  puisque,  à  l'appui  de  la  tradition 
et  du  dire  des  auteurs,  il  y  a  un  monument  lapidaire  «  qui 
est  inexplicable  sans  le  récit  de  Chifflet  (l)» .  On  le  voit,  c'est 
une  tradition  ancienne  de  Marseille  que  Chifflet  et  Paradin 
nous  rappellent.  Et  les  faits,  les  événements  de  notre  Provence 
et  de  notre  cité  à  cette  époque,  bien  loin  de  lui  être  contraires, 
lui  sont   favorables. 


(1)  Faillon,  op  cit.,  t.  I,  col.  £81. 


CHAPITRE  V 


La  Oroix  de  saint  André 


(Suite) 


LA  CROIX  DB  SAINT  ANDRÉ  N*A  PU  BTRB  CACHÉE  A  SAINT-VICTOR  AU 
VIII*  SIECLE.  —  ON  NE  L'AURAIT  PA8  PERDUE.  —  PA8  AU  IX*  OU  X* 
SIÈCLE,  CAR  AU  X*  SIÈCLB  ON  L'A  PERDUE.  '—  BLLB  N*A  PAS  ÉTÉ 
CACHÉE  HORS  DB  SAINT-VICTOR  AU  X*  SIÈCLE.  ON  L' AURAIT  VITE  RE- 
TROUVÉE. —  BLLB  A  ÉTÉ  CACHÉS  HORS  DE  SAINT-VICTOR  AU  VIII* 
SIÈCLE.—  AU  CŒNOBIUM  DBS  VIERGE8 C A8SIANITES,  A  L'HUVBAUNB. 
C'EST  LA  PEUT-ÊTRE  QU'ELLE  A  TOUJOURS  ÉTÉ  AVANT  LB  XIII*  SIÈ- 
CLE. —  LBS  PRÉMONTRÉS  N'ONT  PU  LA  RÉCLAMER.  —  IL  N'Y  A  PAS 
BU  DB  PROCÈS-VERBAL. 


La  question  importante  pour  nous  est  celle-ci  :  Cette  croix 
de  saint  André  a-t-elle  été  cachée  dans  un  monastère  de 
vierges  aux  bords  de  l'Huveaune  et  Hugues  de  Glasinis  l'y 
a-t-il  découverte  ?  Ou  bien  le  recel  et  l'invention  de  cette 
relique  se  sont-ils  faits  à  Saint-Victor  ? 

Le  recel  et  l'invention  de  cette  relique  n'ont  pas  été  accom- 
plis à  Saint-Victor.  Ce  n'est  pas  dans  cette  abbaye  qu'elle  a  été 
cachée,  perdue  et  retrouvée. 

Si  le  recel  de  la  relique  avait  eu  lieu  à  Saint- Victor,  il  n'y 
a  que  deux  époques  où  il  aurait  pu  être  fait  avec  quelque 
vraisemblance  et  quelque  nécessité.  Au  début  du  VHP  siècle, 
alors  que  les  Sarrasins  menaçaient  la  Provence,  vers  716,  730, 
ou  plus  tard  au  IX*  siècle,  entre  838  et  924,  époque  de  tribula- 
tions pour  nos  contrées,  à  cause  des  incursions  des  Sarrasins 
établis  au  Frazinet,  vers  886. 

Or,  cette  opération  ne  s'est  pas  faite  au  début  du  VHP  siècle. 
La  conquête  de  l'Espagne  avait  été  si  prompte,  que  la  frayeur 
la  plus  grande  s'empara  de  tous  les  cœurs,  en  Provence.  Par- 
tout dans  la  contrée  on  cache  les  reliques.  A  Saint-Victor  on 
dut  faire  de  même  et  enfouir  ce  que  l'on  avait  de  plus  pré- 


—  299  — 

deux.  Mais  rien  ne  sortit  de  l'abbaye.  Le  corps  de  saint  Victor 
y  demeura.  Les  moines  ne  quittèrent  pas  le  monastère.  Où 
seraient-ils  allés  ?  A  qui  auraient-ils  demandé  secours  et  pro- 
tection? On  n'ignorait  pas,  à  Marseille,  que  Mauronte,  par 
ambition,  avait  appelé  les  Sarrasins  (1)  ;  on  se  confia  aux 
épaisses  murailles  de  l'abbaye  et,  de  fait,  elle  ne  fut  pas  dé- 
truite, quoique  Marseille  ait  été  prise  et  saccagée  en  737  (2). 
Mais,  l'orage  passé  et  les  ennemis  en  fuite,  toutes  les  reliques 
durent  être  remises  à  leurs  places  dans  l'abbaye.  On  ne  con- 
naissait pas  les  ennemis  à  qui  on  avait  affaire  et  Ton  crut  que 
tout  était  uni.  Si  donc,  vers  716  ou  738,  la  croix  de  saint 
André  a  été  cachée  à  Saint-Victor,  ce  ne  fut  que  momentané- 
ment. Le  calme  revenu,  elle  a  dû  sortir  de  sa  cachette.  Et  il 
est  impossible  de  supposer  qu'elle  a  pu  être  perdue  en  un 
aussi  court  laps  de  temps,  les  moines  n'ayant  pas  quitté  l'ab- 
baye, et  la  relique  étant  par  supposition  cachée  dans  cette  ab- 
baye. Donc  elle  n'a  pas  été  perdue  au  VIII*  siècle. 

Elle  ne  l'a  pas  été  au  IX*  siècle.  Les  bandes  sarrasines,  arré  - 
tées  par  Charlemagne  durant  son  règne,  reprennent  dès  814 
leur  marche  en  avant.  En  813  elles  avaient  brûlé  Nice,  et 
enlevé  à  Marseille,  en  838,  les  religieuses  qui  y  vivaient  ;  en 
842,  elles  pillent  la  ville  d'Arles  et  brisent  le  tombeau  de 
saint  Césaire.  Bientôt  ce  sont  de  nouveaux  ennemis  qui  se  joi- 
gnent aux  Sarrasins,  les  Normands.  Ceux-ci,  en  867  s'emparent 
de  Marseille,  en  869  tuent  l'archevêque  d'Arles,  Rotland,  sacca- 
gent la  Camargue  et  désolent  les  deux  rives  du  Rhône.  En  885, 
les  Sarrasins  s'établissent  au  Fraxinet,  en  890  ils  brûlent  Fré- 
jus.  Toulon,  Taurœntum,  etc.  subissent  le  même  sort  (3). 

An  milieu  de  tels  périls,  on  devine  la  préoccupation  des 
moines,  des  prêtres  et  des  évêques  en  Provence.  Une  seconde 
fois  on  met  à  l'abri  ce  que  l'on  possède  de  plus  précieux.  En 


(1)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  310.  —  Guesnay,  Annales 
Provinciœ  Massiliensis,  à  l'année  730,  n*  9,  pp.  236,  237.  —  Ruffl,  His- 
toire de  Marseille,  t.  I,  p.  49. 

(2)  Fabre,  op.  cit.,  t.  I,  p.  312.  —  Faillon,  op.  cit.  t.  I,  col.  684.  — 
De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  179. 

(3)  De  Rey,  op.  cit.,  pp.  263,  265,  266,  288.  Faillon,  op.  cit.,  col.  682. 
Fabre,  op.  cit.,  pp.  342.  366. 


—  300  — 

870,  on  donne  à  Gérard  de  Roussillon  le  corps  de  saint  Lazare, 
à  l'exception  du  chef  que  deux  prêtres  de  Marseille  conservent 
à  leur  cité  natale  (1).  Dans  l'intervalle  des  années  841  et  904, 
les  moines  de  Saint- Victor  transportent  dans  la  ville  le  corps 
du  saint  martyr  protecteur  de  leur  abbaye  (2).  On  fait  de 
même  pour  les  autres  reliques.  Ou  bien  on  les  enfouit  dans  les 
cryptes,  ou  bien  on  les  transporte  hors  de  l'abbaye. 

La  croix  de  saint  André,  qui  a  déjà  subi  une  fois  cette  opé- 
ration du  recel,  demeura-t-elle  à  Saint-Victor  ?  Si  on  la  cacha 
dans  les  cryptes,  on  ne  dut  pas  le  faire  sans  témoins,  carr  la 
crise  passée,  il  fallait  pouvoir  exhumer  cette  relique  et  l'offrir 
de  nouveau  à  la  piété  des  fidèle. 

Or,  l'abbaye  de  Saint-Victor  est  détruite  vers  925.  Mais, 
lorsquelle  sort  de  ses  ruines,  vers  965,  les  diverses  reliques 
qu'elle  possédait,  celles  de  saint  Victor  entre  autres,  re- 
viennent au  monastère.  11  aurait  dû  en  être  de  même  pour 
la  croix  de  saint  André.  On  n'aura  pas  attendu  Tannée  965  pour 
la  retirer  de  sa  cachette  ou  faire  connaître  à  d'autres  religieux 
l'abri  qui  la  gardait.  Que  l'abbaye  ait  eu  une  fin  violente  ou 
qu'elle  ait  péri  par  l'excès  de  la  misère  et  de  ia  dureté  des 
temps,  il  sera  bien  resté  quelque  vieux  moine,  pour  guider 
les  fouilles  et  retrouver  la  relique. 

Et  cependant,  lorsque  tout  se  relève,  que  de  nouveaux 
moines  viennent  habiter  ces  lieux  purifiés,  que  les  autels  re- 
voient les  trésors  précieux  qui  les  ornaient  jadis,  seule  la 
relique  de  la  croix  de  saint  André  ne  reparaît  pas  I  Ou  a  réédi- 
fié la  chapelle  de  saint  André  dans  les  cryptes,  on  élève  du- 
rant leXI#  siècle  des  celles,  des  ermitages,  des  oratoires,  des 

(1)  DeRey,  op.  cit.,  p.  267.—  Faillon,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  722,  728,  etc. 
—  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  164. 

(2)  La  charte  12  suppose  que  les  reliques  de  saint  Victor  sont  encore  à 
Saint-Victor,  puisque  les  moines  y  habitent  encore  :  «  Liceat  servis  Dei 
ibidem  consistentibus. . .  »,  qu'il  est  dit  dans  cet  acte  que  :  «  Teutpertus 
est  episcopus  Massiliensis  ecclesise  quae  in  honore  Maria?  semper  Virgi- 
nis  constructa  ubi  sanctus  Victor  corpore  requiescit  »  et  qu'il  s'agit  de 
l'abbaye  :  c  invenimus  insertum  qualiter  ipsa  casa  Dei...»  Gartulaire  de 
Saiot-Victor. 

La  charte  10,  de  904,  dit  au  contraire  :«  Ecclesise  Dei  Genitricis  Maris 
et  gloriosi  martyris  Victoris,  eu  jus  corpus  in  Massilift  urbe  requiescit..  » 


-   301  — 

chapelles  en  l'honneur  du  saint  Apôtre,  et  cela  non  loin  de 
l'abbaye  de  Saint- Victor  (  1),  et  jamais  un  mot,  dans  les  chartes, 
qui  ait  trait  à  cette  précieuse  relique  1  On  ne  se  sera  pas  con- 
tenté, vers  965,  de  faire  quelques  recherches  sommaires.  Pré- 
cisément parce  que  la  dévotion  à  saint  André  est  très  vive  à 
Marseille  et  à  l'abbaye,  on  a  dû  exécuter  des  fouilles  nom- 
breuses à  Saint- Victor  pour  retrouver  cette  croix.  On  n'en 
parle  pas.  Donc  elle  n'a  pas  été  cachée  à  Saint -Victor  au 
IX"  siècle. 

Elle  n'a  pas  été  transportée  non  plus,  au  IX*  siècle,  hors  de 
l'abbaye . 

Où  l'aurait- on  déposée  dans  ce  cas,  vers  840,  au  retour 
des  Sarrasins  ?  Dans  la  ville  de  Marseille  ?  Mais  à  qui  Paurait- 
on  confiée  ?  Pas  au  premier  venu.  Il  faut  des  mains  sûres  et 
des  personnes  pieuses  pour  recevoir  la  garde  d'un  tel  trésor  ? 
Et  pas  une  de  ces  personnes  pieuses  n'aurait  survécu  à  ces  tri- 
bulations ?  C'est  un  peu  difficile  à  croire. 

L'a-t-on  placée  au  monastère  des  filles  cassianites  ?  Mais  à 
cette  époque  il  est  désert.  En  838,  les  religieuses  qui  l'habi- 
taient ont  été  enlevées  par  les  pirates  (2),  et  ce  n'est  pas  au 
lendemain  de  cette  catastrophe  que  de  nouvelles  religieuses 
se  sont  présentées  pour  habiter  ces  lieux  dévastés. 

L'a-t-on  enfouie  dans  les  ruines  de  ce  monastère?  Mais 
cela  ne  s'est  pas  fait  sans  témoins  ;  précisément  parce  que 
c'étaient  au  milieu  des  ruines  que  l'on  déposait  un  tel  trésor, 
il  y  a  eu  cinq,  six,  dix  moines  présents  à  cette  opération. 
L  orage  passé,  il  en  restera  bien   un  qui  pourra  indiquer  le 

(1)  Peut-être  est  ce  bien  là  l'occasion  de  cette  translation  de  saint 
Victor  dont  la  fête  se  célèbre,  à  Marseille,  le  24  janvier.  (Les  Saints  de 
l'Eglise  de  Marseille,  p.  9.) 

Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  40  du  XI*  siècle:  «...  Ab  occi- 
dente  habens  Geirennum  fluvium,  ibidem  una  semodiata  de  vinea  quœ  est 
deecclesia  Sancti  And  ne  se.  »  —  Charte  843,  de  1079  :  Cura  capellis  cir- 
cum  jacentibus,  viceltcet.  .  Sancti  Andraeae.  »  —Charte  841,  de  1081  : 
«  Cum  capellis  circum  jacentibus,  videlicet...  Sancti  Andrsese.  »  — 
Charte839.de  1089  :«  Ei  monasterio  circum  cellas  subditas,  id  est... 
Sancti  Andraeae.  »  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  197. 

(2)  Annales  de  Saint-Berlin,  citées  par  de  Rey,  Invasions  des  Sarra- 
sins en  Provence, p.  263. 

20 


—  302  — 

lieu  du  recel,  et  vers  950,  alors  que  les  Sarrasins  commencent 
à  être  refoulés;  dès  965,  alors  que  l'abbaye  se  relève,  on  exhu- 
mera la  relique,  et  on  l'oflrira  à  la  vénération  des  fidèles.  Et 
cependant,  nous  l'avons  dit  tantôt,  le  silence  se  fait  sur  elle. 
Donc,  au  IXr  siècle,  elle  n'a  pas  été  cachée  hors  de  Saint- 
Victor. 

D'autre  part,  elle  ne  Ta  pas  été,  de  830  à  904,  à  Saint- Victor. 
Donc  il  faut  faire  remonter  à  une  époque  antérieure  au  IX* 
siècle  le  recel  de  la  croix  de  l'Apôtre  hors  de  l'abbaye. 

Ce  recel  s'est  fait  au  VIII*  siècle,  lors  des  premières  inva- 
sions, vers  716-737. 

Et  à  cette  époque  ce  ne  fut  pas  dans  les  cryptes  qu'elle  fat 
déposée.  Nous  l'avons  dit,  au  départ  des  Sarrasins,  en  740,  on 
l'eût  retrouvée.  Ce*ne  fut  pas  dans  l'intérieur  de  Marseille 
qu'on  la  porta.  On  avait  peur  de  Mauronte.  Mais,  comme  il 
n'y  avait  pas  mains  plus  sûres,  à  qui  on  pût  confier  ce  tré- 
sor, que  les  religieuses  cassianites,  c'est  à  leur  monastère 
qu'on  la  plaça. 

Or,  où  était  ce  monastère  de  filles  ? 

Pas  auprès  de  Saint-Victor;  car  dans  ce  cas  le  recel  aurait 
été  fait  par-devant  des  témoins  assez  nombreux,  puisqu'il 
était  facile  de  les  réunir,  l'abbaye  de  Saint-Victor  étant  à 
proximité.  Mais,  dès  le  départ  des  Sarrasins,  vers  739,  le  mo- 
nastère cassianite  de  filles  étant  détruit,  les  religieuses  mas- 
sacrées, puisque  l'abbaye  de  Saint- Victor  avait  échappé  à  la 
destruction,  il  y  aurait  eu  quelqu'un  des  moines  témoins  du 
recel  pour  indiquer  la  cachette,  exhumer  la  relique  et  la  rap- 
porter à  Saint- Victor.  Cette  relique  ainsi  retrouvée  et  revenue 
à  Saint- Victor,  au  retour  des  Sarrasins  vers  840  on  aurait  pu 
la  cacher  de  nouveau.  Si  on  l'avait  déposée  dans  Marseille,  on 
Ta  dit  tantôt,  il  y  aurait  eu  quelque  témoin,  échappé  à  la 
tourmente,  qui  plus  tard  aurait  fait  connaître  où  elle  se  trou- 
vait. Si  on  l'avait  placée  dans  les  cryptes,  lorsque  la  tran- 
quillité serait  revenue,  que  le  monastère  de  Saint-Victor  se 
serait  relevé  de  ses  ruines,  on  l'aurait  retrouvée  et,  en  même 
temps  que  l'on  bâtissait  des  celles,  des  oratoires  en  l'honneur 
de  saint  André,  on  aurait  parlé  de  sa  croix.  Si  on  l'avait  en- 
fouie dans  les  ruines  du  monastère  de  Saint-Cyr,  cela  n  au- 


—  303  - 

rait  pas  été  fait  sans  témoins.  En  950,  965'  on  l'aurait  re- 
trouvée. Or,  aux  IX#  et  X-  siècles,  on  a  perdu  la  trace  de  cette 
religue.  Donc  le  monastère  cassianite  auquel  fut  confiée  la 
croix  de  saint  André,  au  VIII*  siècle,  ne  se  trouvait  pas  auprès 
de  Saint -Victor. 

Où  était-il  ?  Pas  au  bassin  du  Carénage,  pas  aux  Catalans,  pas 
auprès  du  port,  pas  à  la  place  de  Lenche,  pas  aux  Accoules, 
pas  à  Sainte- Catherine,  pas  au  Revest,  pas  à  Saint-Loup,  pas 
à  Saint-Cyr  (Var)  ;  on  l'a  prouvé. 

Reste  un  endroit  que  la  tradition  désigne,  que  plusieurs 
preuves  déjà  nous  insinuent,  que  le  récit  de  Chifflet  nous  in- 
dique :  les  bords  de  l'Huveaune  ! 

S'il  se  trouve  en  cet  endroit,  tout  s'explique,  toute  difficulté 
s'évanouit.  C'est  au  début  des  invasions  sarrasines;  le  monas- 
tère des  filles  étant  loin  de  Saint- Victor,  l'opération  de  l'en- 
fouissement de  cette  relique  se  fait  en  présence  de  quelques 
témoins  seulement  :  les  moines  qui  ont  porté  ce  précieux  far- 
deau, et  quelques  religieuses  du  monastère  de  THuveaune. 
Puis  la  tourmente  s'abat  sur  le  monastère,  les  vierges  cassia-x 
nites  sont  massacrées  jusqu'à  la  dernière,  Eusébie  à  leur  tête. 
Les  quelques  moines  témoins  du  recel  meurent,  dans  l'inter- 
valle, sans  avoir  pu  donner  des  indications  précises  à  leurs 
frères.  Ainsi  on  perd  la  trace,  on  ignore  l'endroit  exact  de  la 
cachette.  La  croix  n'est  plus  retrouvée. 

Allons  plus  loin  encore.  Peut-être  que,  pour  ne  pas  donner 
Téveil,  ce  sont  quelques  religieuses,  qui  viennent  prendre  à 
Saint-Victor  la  relique,  qui  la  cachent  elles-mêmes.  Qui  aurait 
prévu  ce  qui  arriva  plus  tard  :  que  toutes  seraient  massacrées! 
Aussi,  au  lendemain  du  massacre,  c'est  en  vain  que  Ton  cher- 
che, on  ne  retrouve  rien . 

Allons  plus  loin  encore  ;  pourquoi  Chifflet  ne  livrerait-il  pas 
le  secret  de  l'énigme  ?  La  croix  de  saint  André  n'a  jamais  peut- 
être  été  à  Saint-Victor.  C'est  au  monastère  de  l'Huveaune 
qu'elle  aura  été  déposée,  lorsque  ce  roi  bourguignon  l'eût 
portée  à  Marseille,  soit  que  les  religieux  de  Saiht-Victor  l'eus- 
sent volontairement  confiée  à  leurs  sœurs  cassianites,  soit 
que  celles-ci  l'eussent  achetée  de  leurs  propres  deniers  pour 
l'arracher  aux  mains  de  ces  Ariens.  Aux  jours  de  l'invasion 


—  304  — 

sarrasine,  alors  que  les  religieux  de  Saint-Victor  cachaient 
dans  les  cryptes  les  reliques  dont  ils  avaient  la  garde,  les 
vierges  de  l'Huveaune,  pour  dérober  à  l'incendie  ou  à  la  pro  - 
fanation  la  croix  de  l'Apôtre,  la  cachent  dans  leur  monastère 
ou  aux  alentours.  Mais  les  mauvais  jours  arrivent,  tout  est 
massacré,  pillé,  saccagé,  brûlé  au  monastère.  Les  témoins  du 
recel  sont  morts,  puisque  les  vierges  de  l'Huveaune  sont  mas- 
sacrées jusqu'à  la  dernière.  Nul  moyen  de  recouvrer  ce  trésor 
précieux.  Les  moines  de  Saint-Victor  opèrent  des  fouilles,  font 
des  recherches,  vains  efforts.  La  croix  de  saint  André  est  per- 
due. Dans  la  pensée  de  tous,  elle  a  été  enlevée  par  les  Sarra- 
sins ou  elle  a  été  jetée  au  feu  par  ces  mécréants  (1).  On  a  de 
la  peine  à  recueillir  les  membres  éparsdes  quarante  victi- 
mes. Quand  on  réédifie  le  cœnobium  des  vierges,  on  le  rap- 
proche de  Saint-Victor.  L'oubli  se  fait  alors  sur  ce  point  du 
terrain,  et  six  cents  ans  se  passe  avant  que  Dieu,  pour  la  croix 
de  son  Apôtre,  comme  pour  les  reliques  de  Marie -Madeleine, 
fasse  connaître  par  quelque  prodige  là  où  se  trouve  caché  ce 
trésor. 

Ainsi  la  vision  de  Hugues  de  Glasinis  se  comprend  et  s'ex- 
plique. Paradin  et  Chifflet  ont  dit  vrai.  La  croix  de  saint  André 
a  été  apportée  vers  484  par  un  roi  de  Bourgogne.  Peut-être 
elle  a  été  donnée  à  Saint-Victor  à  ce  moment  ;  peut-être  c'est 
au  cœnobium  de  l'Huveaune  qu'on  l'a  confiée.  C'est  dans  ce 
monastère,  dans  tous  les  cas,  que  plus  tard  elle  est  cachée.C'est 
là  qu'au  XIIIe  siècle  Hugues  de  Glasinis  la  retrouve.  Donc,  et 
c'est  pour  cette  conclusion  qui  lient  en  une  ligne,  que  sont 
écrites  les  longues  pages  qui  précèdent,  donc  au  VHP  siècle,  il 
y  avait  un  monastère  de  filles  aux  bords  de  l'Huveaune  II! 

Reste  une  difficulté  à  résoudre.  La  voici.  S'il  est  vrai  que  la 
croix  de  saint  André  ait  été  cachée  au  monastère  des  vierges 


(1)  c  Nos  ex  certioribus  monumentis  collocatam  censemus  in  agri 
Massiliensis  monasterio  sanctimonialium  de  Uveaune. . .  Moniales  dicti 
monasterii. . .  B.  Andraeee  cru  ci  quam  rcligiose  asservabaot  e  flam- 
mis  aliâve  injuria  cautum  esse  voluerunt.  Jgitur  excavata  humo  crucem 
sepeliunt. . .  Disquisita  est  a  monachis  Sancti  Victoris  crux  Andreaua. 
cumque  nusquam  occurreret,  crédita  est  aut  sublata  a  Sarracenis  aut 
concremata.  »  Chifflet,  Vesuntio  civitas,  p.  199. 


-  305  — 

de  rHuveaune,  et  que  Hugues  de  Glasinis  l'y  ait  retrouvée, 
comment  se  fait-il  que  les  Prémontrés,  établis  à  ce  même 
monastère  de  l'Huveaune  dès  1204,  aient  laissé  reprendre  cette 
relique  sans  protester?  Comment  se  fait-il,  en  outre,  qu'il  n'y 
ait  aucune  trace  de  cette  invention  de  la  relique,  qu'il  n'y  ait 
pas  de  procès -verbal,  qu'il  ne  reste  qu'un  bas-relief  interprété 
par  les  auteurs  dans  le  sens  d'une  découverte  de  la  relique, 
mais  qui  ne  vaut  pas  un  bon  procès-verbal  ?  Voici  notre 
réponse  : 

Les  Prémontrés,  établis  à  l'Huveaune  en  1204,  n'ont  pas  ré- 
clamé le  droit  de  garder  cette  relique  !  Mais  de  droit  ils  n'en 
avait  aucun.  La  croix  de  saint  André  était  venue  de  Saint- 
Victor,  elle  y  retournait,  les  nouveaux  habitants  du  cœno- 
bium  de  l'Huveaune  n'avaient  aucune  prétention  à  élever  (1). 
De  plus,  en  quelle  année  Hugues  de  Glazinis  a-t  il  découvert 
la  sainte  relique  ?  On  ne  peut  rien  préciser  à  ce  sujet.  Il  est 
désigné,  dans  les  chartes,  par  le  titre  de  Sacristain  de  Saint- 
Victor  dès  l'année  1212.  Maisa-t-il  fait  cette  découverte  seule- 
ment lorsqu'il  remplissait  cette  fonction  ?  Qui  empêcherait  de 
croire  que  ce  fut  bien  avant  ?  Par  conséquent,  les  Prémontrés 
n'auraient  pu  rien  dire,  ils  n'étaient  pas  encore  arrivés  aux 
bords  de  l'Huveaune. 

D'ailleurs,  la  croix  avait-elle  été  cachée  au  sein  du  monas- 
tère cassianite  ?  Peut-être  que  non,  mais  dans  un  coin  retiré, 
dans  les  champs,  dans  quelque  dépendance  du  cœnobium  à 
l'époque.  Que  pouvaient  réclamer  les  Prémontrés,  si  la  décou- 
verte n'était  pas  faite  dans  leur  propriété  ? 

Il  n'y  a  pas  de  trace  écrite  de  cette  trouvaille,  pas  de  procès- 
verbal  de  l'invention  !  Et  si  on  n'en  a  pas  fait  ?  On  a  découvert 
en  1187,  à  Tarascon,  le  corps  de  sainte  Marthe  :  où  est  le  pro- 
cès-verbal d'invention  de  la  relique  ?  Les  auteurs  disent  que 

(1)  SI  nous  supposons  que  les  religieuses  de  l'Huveaune  aient  toujours 
eu  la  garde  de  la  croix  de  saint  André,  les  Prémontrés,  en  1204,  n'au- 
raient pas  eu  plus  de  droit  à  réclamer  pour  eux  cette  relique.  Il  suffisait 
que  l'évéque  du  diocèse  autorisât  les  moines  de  Saint- Victor  à  la  pren- 
dre. D'ailleurs,  si  elle  revenait  à  quelqu'un,  c'était  au  moines  de  Saint- 
Victor  dont  Gassien  avait  été  le  fondateur,  comme  il  l'était  de  l'abbaye 
de  l'Huveaume. 


—  306  — 

l'on  ignore  les  détails  de  cette  opération  (1).  Et  si  celui  qu'on  a 
rédigé  de  notre  relique  a  été  détruit,  perdu  ?  Si  on  le  retrou- 
vait un  jour  ?  Le  meilleur  procès-verbal  est  la  tradition,  que 
Chifflet  et  les  autres  nous  rapportent.  Où  ces  auteurs  ont-ils 
puisé  ce  qu'ils  énoncent  dans  leurs  livres?  L'ont-ils  inventé  ! 
Et  d'où  vient  que  tout,  dans  les  faits,  les  dates,  les  événements 
concorde  à  peu  près  exactement  avec  leur  dire?  Ils  ont  lu 
cette  tradition  chez  d'autres  auteurs  plus  anciens.  Et  ceux-là 
où  l'ont-ils  puisée  ?  Quel  intérêt  avaient-ils  à  doter  notre 
ville,  l'abbaye  de  Saint-Victor,  l'abbaye  de  l'Huveaune  de  ce 
trésor  ?  Ils  n'étaient  pas  de  Marseille,  ce  n'est  donc  pas  un  vain 
amour-propre  de  clocher  qui  les  a  fait  parler.  Et  s'ils  étaient 
de  Marseille,  ces  auteurs  primitifs  que  Chifflet  et  Paradin  ont 
copiés  et  suivis,  serions-nous  bienvenus  de  leur  reprocher 
d'avoir  écrit  ce  que  nous  appelons  une  pure  légende  !  Maïs 
sommes-nous  sûrs  qu'ils  ne  possédaient  pas  de  titres,  perdus 
depuis  ?  D'où  vient,  enfin,  qu'à  six  cent  ans  de  distance  nous 
trouvons  qu'il  soit  fort  probable  qu'ils  aient  dit  la  vérité. 

Non,  ces  difficultés  ne  valent  rien. La  croix  de  saint  André  a 
été  cachée  et  découverte  au  monastère  des  filles,  à  l'Hu- 
veaune. Donc,  au  VIII*  siècle, il  y  avait  un  monastère  aux  bords 
de  l'Huveaune. 


(1)  Paillon,  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Madeleine, 
t.  I,  col.  1219. 


CHAPITRE  VI 

L'église  et  la  maison  en  ruines  sur  les  bords 

de  l'Huveaune  ou  l'abbaye  des  Prémontrés 

établie  à  l'Huveaune  en  1204 


CHARTE  DE  1204.  —  ARGUMENT.  —  LES  PRÉMONTRÉS  NE  SONT  VENUS 
A  L'HUVEAUNE  QU'EN  1204.—  AUTEURS  POUR  ET  CONTRE.—  RAISONS 
TIREES  DU  TEXTE  DE  LA  CHARTE.—  CHARTE  DE  1218.—  SAINTE-MA- 
RIE D'HUVBAUNB. 


Une  autre  preuve  qui  s'offre  à  nous  !  Au  commencement  du 
XIII*  siècle,  dit  M.  l'abbé  Daspres,  deux  religieux  prémontrés  de 
l'abbaye  de  Font-Caude,  dans  le  diocèse  de  Béziers,  demandè- 
rent à  l'évoque  de  Marseille  de  pouvoir  relever  de  leurs  ruines 
une  église  et  une  maison  situées  sur  le  bord  de  la  mer,- à  l'em- 
bouchure de  PHuveaune.  Ces  deux  religieux  avaient  nom  Guil- 
laume et  Amansus  ;  l'èvéque  de  Marseille  s'appelait  Rainier. 
Celui-ci  ne  crut  pas  devoir  rejeter  la  demande  qu'on  lui 
adressait,  persuadé  que  ces  religieux  contribueraient  à  l'édifi- 
cation de  son  peuple.  Mais,  pour  prévenir  les  contestations  qui 
pourraient  s'élever  plus  tari  entre  son  chapitre  et  le  nouveau 
monastère,  et  empêcher  que  cet  établissement  ne  portât  quel- 
que préjudice  à  son  église,  dont  les. revenus  avaient  considéra- 
blement diminué  par  des  donations  de  dîmes  et  par  d'autres 
concessions,  il  régla  que  les   Prémontrés  donneraient  à  la 
cathédrale  «  le  tiers  des  rétributions  pour  les  enterrements  et 
de  ce  qui  lui  reviendra  des  morts  soit  en  meubles,  soit  en  im- 
meubles qui  seront  hors  du  diocèse,  et  dans  ce  tiers  sera  com- 
prise la* part  due  à  l'èvéque. . .  Ils  payeront  la  dlme  de  toutes 
les  vignes  qu'ils  posséderont  dans  le  territoire  de  Marseille,  à 
l'èvéque  et  aux  chanoines  séparément. . .  Ils  payeront  la  dlme 
du  blé,  des  légumes  qu'ils  retireront  de  toutes  les  terres  cul- 
tivées, et  de  toutes  celles  dont  une  partie  aurait  été  cultivée 


—  308  — 

autrefois. . .  (1) .»  Cet  acte  fut  signé  en  1204,  au  mois  d'avril . 

Or,  nous  disons  :  le  fait  seul  de  l'existence  en  cet  endroit 
d'une  église  et  d'une  maison  en  ruines  est  une  preuve  que  là 
s'élevaient  jadis  la  chapelle  et  le  monastère  qu'Eusébie  et  ses 
compagnes  embaumèrent  du  parfum  de  leurs  vertus  et  em- 
poufprèrent  de  leur  sang. 

Il  va  nous  suffire,  pour  le  prouver,  d'établir  solidement  les 
deux  points  suivants  :  1°  que  cette  église  et  cette  maison,  res- 
taurées par  les  Prémontrés,  ne  leur  a  point  appartenu  antérieu- 
rement à  l'an  1204  ;  2°  que  cette  église,  en  ruines  en  1204, 
remonte  à  l'époque  des  premières  invasions  des  Sarrasins.  La 
conclusion  toute  naturelle  sera  que,  si  à  l'époque  des  invasions 
sarrasines,  vers  716,  738,  il  y  avait  là  une  chapelle  ;  si,  d'autre 
part,  une  tradition  sérieuse  affirme  qu'en  cet  endroit  vécut  et 
fut  martyrisée  sainte  Eusébie;  si,  enfin,  nous  prouvons  que 
le  monastère  ou  vécut  notre  sainte  ne  pouvait  s'élever  qu'à 
ce  point  du  terroir,  il  sera  hien  vrai  de  dire  que  le  fait  de 
l'existence  de  cette  église  et  de  cette  maison  en  ruines  en 
1204,  en  cet  endroit,  est  une  preuve  en  faveur  de  notre  asser- 
tion. 

D'abord,  les  Prémontrés  ne  sont  venus  aux  bords  de  l'Hu- 
veaune  qu'en  1204. 

Quelques  auteurs,  entre  autres  Ruffi  et  M*r  deBelsunce,  ont 
soutenu  le  contraire,  a  Dans  l'acte  de  fondation  cité  plus  haut, 

(I)  Daspres,  Notice  sur  Saint-Ginies,  p.  21,  etc.—  Ruffi,  Histoire  de 
Marseille,  t.  II,  p.  100.  —L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  par  M«r 
de  Belsunce,  t.  II,  pp.  17et  suiv.:  «  Innomme  Domini...  an  no  Incarnatio- 
ns ejusdem  MCCIIII,  m  ense  aprili,  ad  evitaodum  malum  dissentioais, 
quœ  de  superscripto  negotio  inter  ecclesiam  B.  Mariae  sedis  et  fratres 
ordinis  Prsemonstrati  evenire  possent  in  posterum,  concedimus  votis. . . 
ut  ad  ho  no  rem  Oeiet  relîgionis  augmentum  et  omnium  in  Christo  cro- 
dentium  salutem,  possitis  in  territorio  Massiliae,  citra  amnem  Huveau- 
nse,  juxta  littus  maris,  secundum  arbitrium  et  voluntatem  vestrara,  de 
novoœdificare  ecclesiam  et  domum  ordinis  vestri,  et  eam,  prout  vobis 
dominus  donaverit,  episcopali  et  ecclesiastico  jure  per  omnia  salvo,  juste 
acquisitis  ampliare.  His  tamen  conditionibus  et  pactis...  Et  nos... 
fratres  ordinis.  Prsemonstrati  et  dictidomûs  fundatoresyvo  nobis  et  suc- 
cessoribus  nobis  omni  privilegio  vel  indulgentiae  quod  modo  habemus 
vel  in  posterum  habebimus  contra  praedicta,  omni  no  renuntiantes.. .  » 
(Archives  de  Saint-Sauveur,  H.  56,  aux  archives  départementales.) 


-  309  — 

dit  Ruffi,  on  peut  remarquer  que,  comme  ils  avaient  eu  quel- 
ques différends  ensemble,  on  les  obligea  de  transiger,  et  qu'on 
leur  permit  de  construire  de  nouveau  une  église  et  une  maison 
de  leur  ordre  ;  que  ces  religieux  étaient  logés  en  cet  endroit 
depuis  quelque  temps  auparavant  et  y  avaient  une  maison  qu'il 
était  nécessaire  de  rebâtir,  laquelle  n'était  pas  néanmoins  pour 
lors  fort  ancienne,  d'autant  que  leur  ordre  ne  fut  institué  qu'en 
Tan  1120(1).» 

M"  de  Belsunce  dit  également  :  a  II  parait  par  la  charte  que 
nous  suivons  ici  que  l'église  et  la  maison  leur  auraient  apparte- 
nu avant  que  d'être  ruinées (2).» 

Papon  cependant  et  l'abbé  Daspres  ont  pensé  comme  nous. 
«  Ces  mots,  dit  l'ancien  curé  de  Saint-Giniez,  «  de  novo  aedifi- 
care  »,  ont  fait  croire  à  plusieurs  auteurs  que  les  religieux 
étaient  déjà  propriétaires.  Cette  conclusion  n'est  pas  très 
rigoureuse  (3) .»  Papon  est  plus  précis  encore  :  «  On  lit  dans 
une  charte  de  1204,  dit-il,  que  l'évoque  de  Marseille  permit 
aux  Prémontrés  de  bâtir  une  église  sur  les  ruines  d'une  autre 
qui  ne  subsistait  plus,  et  à  côté  desquelles  on  voyait  encore, 
suivant  l'historien  des  évoques  de  Marseille,  les  masures  d'une 
maison  détruite.  Ce  monastère  n'avait  point  appartenu  aux  Pré- 
montrés; leur  ordre  était  trop  récent  dans  les  Gaules  pour 
avoir  eu  sur  les  bords  de  l'Huveaune  un  établissement  que  le 
temps  eût  déjà  détruit.  Ils  ne  s'y  étaient  établis  pour  la  pre- 
mière fois  qu'en  vertu  d'une  charte,  qui  aurait  été  rappelée 
dans  celle  de  1204,  et  il  n'en  est  pas  fait  mention.  Je  remarque, 
enfin,  que  les  conditions  stipulées  dans  celle-ci  annoncent 
que  ces  religieux  n'avaient  encore  passé  aucune  convention 
avec  l'évêque,  ni  avec  aucun  de  ses  prédécesseurs  (4) .» 

M.  de  Rey  parait  être  de  cet  avis;  car,  après  avoir  dit  : 
«  qu'il  y  a  eu  ,  à  ce  bord  de  mer,  à  une  époque  antique,  une 
église  et  une  maison  dont  l'histoire  nous  est  complètement 
inconnue  :  était-ce  une  paroisse  rurale,  était-ce  un  prieuré  de 
Saint- Victor  ?  nous  n'en  savons  rien  »,   cet  auteur  ajoute: 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  100. 

(2)  M«'de  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  II,  p.  18. 
i"3)  Daspres,  Notice  sur  Saint-Ginie*,p.2i. 

(4)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  361. 


-  310   - 

a  En  1204,  les  Prémontrés  la  reconstruisirent  et  en  tirent  une 
abbaye  sous  le  titre  de  Notre-Dame  d'Huveaune(l) .»  Nous 
acceptons  ce  témoignage,  et  surtout  nous  trouvons  concluantes 
les  raisons  de  Papon. 

Les  Prémontrés  ne  vinrent  qu'en  1204  sur  les  bords  de 
l'Huveaune. 

Nulle  trace  d'abord,  dans  cette  charte  de  1204,  qu'il  y  ait  eu 
déjà  des  dissentiments  entre  l'évoque,  le  chapitre  d'une  part  et 
les  Prémontrés  de  l'autre.  Au  contraire,  on  veut  prévenir  jus- 
qu'à l'ombre  d'un  dissentiment:  «  ad  evitandum  malumdis- 
cussionis,  quod  de  subscripto  negocio. . .  eveuire  posset  in 
posterum  ».  D'autre  part,  l'assentiment  est  complet  entre  les 
parties  contractantes:  aassensuet  voluntate  ambarum  par- 
tium  ».  Ensuite,  nulle  allusion  à  un  établissement  antérieur, 
aucun  indice  que  les  conditions  imposées  à  cette  heure  sont 
plus  rigoureuses  que  d'autres  concédées  jadis.  Au  contraire, 
ce  sont  des  détails  précis,  des  stipulations  arrêtées,  que  les 
deux  religieux  acceptent  et  jurent  de  garder  inviolablement. 
De  plus  quel  est  le  titre  que  se  donnent  ces  deux  religieux  : 
Ils  se  disent  :  Dicti  fundatorea  domûs. 

D'ailleurs,  puisque  Rufli  parait  avoir  tant  à  cœur  d'affirmer 
que  ces  ruine3  avaieut  appartenu  autrefois  aux  Prémontrés, 
pourquoi  ne  se  donne-t-il  pas  la  peine  d'indiquer  la  date  de 
l'arrivée  dé  ces  religieux  à  Marseille  et  de  leur  établissement 
aux  bords  de  l'Huveaune,  de  faire  connaître  la  cause  probable 
de  la  destruction  de  cet  établissement  primitif  ?  Comprend-on 
encore  que  cette  charte  de  1204,  si  elle  n'est  que  l'autorisation 
de  rebâtir  une  église  et  un  monastère  en  la  possession  déjà  des 
Prémontrés,  comprend-on,  dis-je,  que  ni  l'évoque,  ni  les  reli- 
gieux prémontrés  n'insèrent  dans  cet  acte  le  titre,  le  vocable 
de  cette  église? Quatorze  ans  plus  tard,  Honorius  III  le  donne  ; 
il  écrit  :  a  Priori  et  fralribus  ecclesiae  Sanctae  Mariœ  de  Ibelnâ  », 
«  Aux  prieur  et  frères  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  l'Huveau- 
ne (2)  ».  Mais  en  1204,  pas  un  mot  de  ce  sujet.  Et  cependant, 
si  les  Prémontrés  l'ont  possédée  avant  1204,  la  ruine  de  cette 


(1)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  231. 

(2)  DeBelsimce,  op.  cit.,  t.  Il,  pp.  63,64. 


—  311  — 

église  ne  peut  remonter  tellement  loin  dans  l'histoire,  qu'ils 
aient  perdu  le  souvenir  du  vocable  de  ce  monastère. 

C'est  en  1120  que  saint  Norbert  fonde  cet  ordre  des  Prémon- 
trés, au  fond  d'un  vallon  étroit,  boisé,  obscur,  marécageux  de 
la  forêt  de  Ooucy.  11  est  vrai  que  cet  ordre  s'accrut  d'une  ma- 
nière merveilleuse.  A  peine  vingt  ans  s'étaient  écoulés,  dit 
un  contemporain,  que  déjà  l'ordre  comptait  cent  monastères. 
Trente  ans  après,,  le  chapitre  général  comptait  cent  abbés  (1). 
Supposons  que  le  monastère  de  l'Huveaune  ait  été  fondé 
dès  1130,  en  1140,  il  faudra  soutenir  que  dans  l'espace  de 
soixante  ou  soixante-cinq  ans  l'ordre  a  fondé,  bâti,  fait  vivre 
et  prospérer  un  monastère  aux  bords  de  l'Huveaune,  puis,  que 
ce  monastère  a  été  détruit,  abandonné  au  point  que  ni  l'évoque 
du  diocèse,  ni  les  frères  Prémontrés  ne  peuvent  en  rappeler  le 
le  vocable.  C'est  possible,  mais  peu  vraisemblable  et  très 
difficile  à  admettre  1 

Non,  les  Prémontrés  ne  sont  venus  aux  bords  de  l'Huveaune 
qu'en  1204,  et  pas  avant. 

Deux  expressions  pourraient  cependant  prêter  matière  à 
contestation.  D'abord,  «  omni  privilegio  vel  indulgentise  quod 
modo  habemus. . .  renun  liant  es».  Les  religieux  renoncent  à 
tout  privilège,  à  toute  indulgence  qu'ils  auraient  déjà.  Ne 
croyons  pas  que  ce  soit  là  une  allusion  à  d'anciens  droits. 
L'évêque  leur  imposant  d'être  placés  sous  sa  juridiction  et  celle 
de  ses  successeurs,  de  donner  à  son  église  cathédrale  le  tiers, 
de  payer  la  dîme  au  chapitre,  ils  renoncent  à  tout  privilège 
toute  exemption,  facilité,  accommodement  que  par  les  coutu- 
mes de  leur  ordre,  par  la  concession  des  papes,  ils  auraient  ou 
ils  avaient  dans  d  autres  endroits. 

L'autre  expression  est  celle-ci  :  de  novo  aedificare  ecclesiam 
etdomum  ordinis  vestri».  Il  ne  faudrait  pas  traduire  cette 
phrase  latine,  simplement  par  ces  mots  :  «  rebâtir  l'église  et  la 
maison  de  votre  ordre  ».  Ce  sens  ne  cadrerait  pas  avec  la  suite 
de  la  charte,  qui  ne  suppose  pas,  nous  l'avons  dit,  un  établis- 
sement antérieur  aux  bords  de  l'Huveaune.  Mais  il  faut  tra- 
duire, avec  M.  l'abbé  Daspres  :  «  l'autorisation  de  relever  les 

(1)  Darras,  Histoire  de  l Eglise,  t.  XXVI,  pp.  191,256. 


—  312  - 

raines  d'une  église  et  d'une  maison  sur  le  bord  de  la  mer,  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune,  et  de  l'affecter  à  votre  ordre  *. 

Ainsi  donc,  cette  église  et  cette  maison  en  ruines,  en  1201, 
que  les  Prémontrés  reconstruisirent,  avaient  une  origine  plus 
ancienne.  Ce  point  reste  acquis. 


CHAPITRE  VII 

L'église  et  la  maison  en  ruines 
des  bords  de  l'Huveaune 

(Suite) 

LA  «CHAPELLE  DE  L'HUVEAUNE,  EN  RUINES  DÈS  1204,  n'a  PAS  ÉTÉ  BA- 
TIE ENTRE  1044  ET  1204.  —  NI  UN  SIMPLE  PARTICULIER,  NI  SAINT- 
SAUVEUR,  NI  L'ÉVRQUE,  NI  SAINT-VICTOR,  N'ONT  PU  LE  PAIRE.  — 
DONC  ELLE  EXISTAIT  DEJA  EN  1044.  —  ELLE  ÉTAIT  DÉJÀ  EN  RUINES, 
SINON  ON  L'AURAIT  FAIT  SERVIR  AU  CULTE  DANS  CETTE  PARTIE  DU 
TERROIR.  —  CETTE  CHAPELLE  DE  L'HUVEAUNE  APPARTENAIT,  EN 
1044,   A  L'ÉVÊQUE,    COMME  PROPRIÉTÉ  DE  SA  CATHÉDRALE. 

Or,  si  cette  chapelle  est  en  ruines  dès  1204,  et  si  elle  n'a 
pas  appartenu  antérieurement  aux  Prémontrés,  forcément  son 
origine  remonte  aux  invasions  sarrasines. 

Ce  point  sera  un  peu  long  et  difficile  à  établir.  Nous  espé- 
rons cependant  y  arriver. 

Voici,  d'ailleurs,  la  série  de  nos  affirmations  que  nous 
éîayerons  de  preuves  suffisantes,  croyons-nous. 

1*  Cette  chapelle  de  l'Huveaune,  en  ruines  vers  1204,  exis- 
tait déjà  en  1044,  et  déjà  aussi  elle  était  en  ruines. 

2*  Cette  chapelle,  en  ruines  vers  1044,  appartenait  à  cette 
époque  à  l'évéque. 

3*  Cette  chapelle  de  l'Huveaune,  possession  de  l'évéque, 
n'est  pas  postérieure  à  l'église  de  Saint-Giniez. 

4*  D'autre  part,  l'église  de  Saint-Giniez  n  est  pas  postérieure 
à  la  chapelle  de  l'Huveaune.  . 

5*  Cette  chapelle  de  l'Huveaune  est  antérieure  à  923  ;  déjà 
à  cette  date,  elle  était  en  ruines. 

6°  La  chapelle  de  l'Huveaune  n'a  pas  été  bâtie  vers  850,  ni 
vers  814,  ni  vers  771,  ni  vers  730.  Elle  existait  déjà. 


—  314  — 

7'  Cette  chapelle  était  le  cœnobium  des  vierges  cassianites, 
dans  lequel  vécut  et  mourut  notre  chère  sainte  Eusébie. 

D'abord,  cette  chapelle  des  bords  de  rHuveaune,  en  ruines 
vers  1204,  et  que  les  Prémontrés  réédifient  au  XIIIe  siècle, 
existait  déjà  en  1044,  et  déjà  aussi  elle  était  en  ruines. 

En  effet,  en  1044,  Tévéque  de  Marseille  Pons  II,  désirant 
restaurer  les  lieux  destinés  au  culte  du  Seigneur,  donna  au 
monastère  fondé  en  l'honneur  de  Saint- Victor  l'église  de  Saint- 
Giniez,  située  non  loin  de  la  montagne  de  la  Garde  :  «  Cette 
église  est  détruite  maintenant.  De  concert  avec  les  chanoines 
de  notre  église,  nous  la  donnons,  afin  que,  la  rebâtissant,  les 
moines  de  Saint-Victor  la  possèdent  à  perpétuité  (1).  » 

Or,  la  chapelle  de  THuveaune,  en  ruines  dès  1204,  existait 
en  1044.  Elle  n'a  pu,  en  effet,  être  bâtie  durant  cet  espace  de 
cent  cinquante  ans.  Qui  aurait  pu  la  bâtir,  à  cette  époque  ? 

Il  n'y  avait  que  quatre  sortes  de  personnes  :  ou  bien  l'évo- 
que de  Marseille,  ou  le  monastère  de  Saint  Victor,,  ou  celui 
de  Saint-Sauveur,  ou  un  simple  particulier. 

Ce  ne  pouvait  être  un  simple  particulier  ;  car  l'évoque  et 
son  chapitre,  la  cédant  en  1204  à  Tordre  des  Prémontrés,  en 
étaient  propriétaires  ;  et  cependant  pas  un  mot,  dans  cette 
charte  de  cession,  n'indique  que  cette  chapelle  soit  revenue  à 
l'évoque  par  le  fait  d'une  vente  ou  d'une  donation.  Pas  un 
mot  sur  le  môme  sujet  dans  les  chartes  de  l'époque,  si  fertiles 
cependant  en  détails.  Et  ce  serait  merveille  que  ce  fait  eût 
échappé  à  la  connaissance  de  tous. 

Ce  ne  pouvait  être  Saint-Sauveur,  car,  dès  l'an  1077,  celte 
abbaye  vend  des  biens  qu'elle  possède  au  quartier  de  Saint- 
Giniez,  aux  bords  de  rHuveaune  (2).   En  1097  elle  fait  une 

(1)  a  Ego  Pontius,  gratià  Dei,  sancte  sedis  Mas3iliensis  episcopus, 
cupiens  restaurari  loca  servicio  Dei  apta,  ecclesiara  sancti  Uenesii  quse 
est  sita  in  comitatu  Massiliensi,  juxta  montem  quse  dicitur  Guardia,  quse 
nunc  est  destructa,  cum  consensu  canonicorum  ecclesise  nostrae,  dono 
omnipotenti  Deo,  i  psi  us  que  monasterio  in  honore  Sancti  Victoris,  apud 
Massiliam  fundato,  et  abbati  Isarno,  ut  œdificantes  praedictam  ecciesiam 
scilicet  Sancti  Genesii,  perpetuô  teneant  et  possideant....  »  Carlulaire 
de  Saint- Victor,  1. 1,  charte  73,  de  1044.  —  M«r  de  Belsunce,  Antiquité 
de  l'Eglise  de  Marseille,  t. 1,  p.  395. 

(2)  Carlulaire  de  Saint-Victor,  1. 1,  charte  88. 


—  315  — 

convention  avec  Saint- Victor  au  sujet  d'une  terre  située  sous 
l'église  de  Saint-Saturnin  (1).  Ces  ventes  de  domaines  indi- 
quent un  état  de  gène.  Et  de  fait,  à  partir  de  cette  époque 
jusque  vers  1163,  ou  a  peu  de  détails  sur  la  vie  de  ce  monas- 
tère ;  les  abbesses  qui  succédèrent  à  Garcende,  sœur  de  Pons  II, 
sont  inconnues,  et  ni  les  actes  des  évoques,  ni  les  chartes  de 
Saint-Victor  font  mention  de  Saint-Sauveur  (2).  De  1163  à  l'an 
1200,  la  situation  est  un  peu  plus  prospère. 

Mais  il  serait  assez  curieux  qu'une  chapelle,  un  monastère 
aient  été  bâtis  par  l'abbaye,  aux  bords  de  l'Huvéaune,  vers 
1160,  qu'ils  soient  en  ruines  dès  1204 ,  sans  qu'elle  n'en 
connaisse  ni  le  titre,  ni  le  vocable.  De  plus,  il  faudrait  expli- 
quer comment  cette  église  a  pu  être  cédée  par  Tévôque  en 
1204,  aux  Prémontrés,  sans  qu'il  soit  resté  une  trace  quelcon- 
que indiquant  de  quelle  manière  ce  bien  était  venu  en  sa 
possession. 

Inutile  d'ajouter  que  c'était  un  des  biens  placés  sous  la 
dépendance  de  l'évêque,  pareillement  à  ceux  que  mentionne 
la  bulle  d'Anastase  IV,  dans  laquelle,  parmi  les  biens  de  l'église 
de  Marseille  sont  énumérées  «  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  et 
l'église  (3).  »  Car  il  ne  s'agit  là  que  d'une  dépendance  spiri- 
tuelle. D'une  part,  en  effet,  une  bulle  d'Alexandre  III 
(1159-1181)  permet  aux  religieuses  de  Saint-Sauveur  d'avoir 
des  prêtres  qui,  autorisés  par  l'évêque,  devront  rendre  compte 
du  spirituel  à  lui  évoque  et  du  temporel  à  labbesse  (4j.  D au- 
tre part,  elles  vendent,  contractent,  cèdent,  plaident  sans  que 
l'évoque  intervienne  (5). 

(1)  Charte  de  1097,  citée  par  M.  Daspres,  Notice  sur  Saint-Ginies , 
pp.  136,  140. 

(2)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Vabbaye  de  Saint-Sauveur  t 
p.  24. 

(3)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Vabbaye  de  Saint-Sauveur , 
p.  24. 

(4)  «  ...  In  parochialibus  au  te  m  ecclesiis  quas  tenetis,  licitum  sit  vo- 
bis  presbyteros  vel  clericos  eligere,  et  electosepiscopo  prœsenlare,  qui- 
bus,  si  idonei  fuerint,  episcopus  animarum  curam  committat.  »  André, 
op.  cit.,  documents  en  appendice,  D,  p.  210. 

(5)  La  charte  88  du  cartulaire  de  Saint-Victor,  1. 1,  et  celle  de  1097, 
citées  plus  haut,  ne  font  aucune  mention  spéciale  à  ce  sujet. 


—  316  - 

Ce  ne  pouvait  être  davantage  l'abbaye  de  Saint-Victor.  A 
cette  époque  (1044)  l'abbaye  est  florissante,  c'est  vrai.  Elle 
fait  chaque  jour  de  nouvelles  acquisitions  dans  le  terroir  de 
Saint-Giniez.  Aussi,  lorsque  Pons  H,  en  1044,  lui  cède  l'église 
de  ce  quartier,  pour  la  reconstruire,  l'abbaye  accepte.  Ainsi 
le  culte  divin  est  assuré  en  ces  lieux.  Mais,  après  1044,  pour- 
quoi l'abbaye  bâtirait-elle  une  nouvelle  église  aux  bords  de 
l'Huveaune  ?  De  l'emplacement  que  la  tradition  assigne  à 
cette  chapelle  à  Saint-Giniez,  il  n'y  a  pas  loin.  L'abbaye 
voudrait-elle  établir  un  pèlerinage,  perpétuer  quelque  sou  - 
venir  que  la  tradition  lui  rappelle  ?  Et  quel  est  ce  souvenir  ? 
Quel  est  l'objet  de  cette  tradition  ?. . .  En  outre,  jamais  aucune 
des  nombreuses  bulles  de  •  confirmation  que  les  papes 
octroyaient  à  l'abbaye  ne  fait  la  moindre  mention  de  cette 
église,  ni  qu'elle  fût  un  lieu  de  pèlerinage  ou  une  simple  cha- 
pelle, ouverte  aux  colons  du  terroir.  D'ailleurs  toujours  la 
même  question  à  résoudre.  Comment  a-ton  oublié  le  nom  de 
cette  chapelle  ?  Comment,  si  l'abbaye  de  Saint-Victor  l'a 
bâtie,  l'évêque  a-t-il  pu  la  céder  comme  bien  lui  apparte- 
nant, sans  que  l'on  ait  conservé  le  moindre  souvenir  de  sa 
mise  en  possession  ? 

Ce  n'a  pas  été  l'évêque  de  Marseille  non  plus.  Quelle  était 
la  nécessité  d'une  église  en  ce  point  du  terroir  ?  A  deux  pas 
s'élevait  celle  de  Saint-Giniez  reconstruite  et  embellie.  Pres- 
que tout  le  terroir  appartient  à  Saint-Victor.  Comment  l'évê- 
que fera-t-il  bâtir  une  église,  aux  frais  de  sa  cathédrale,  pour 
la  satisfaction  des  habitants,  tous  vassaux  presque  de  Saint- 
Victor  ?  Cela  n'était  guère  possible. 

Or,  si,  d'une  part,  ni  l'évêque,  ni  l'abbaye  de  Saint-Victor, 
ni  celle  de  Saint-Sauveur,  ni  un  simple  particulier  n'ont  pu 
construire  cette  église  de  1044  à  1204  ;  s'il  a  été  impossible, 
dans  l'espace  de  cent  cinquante  ans  (de  1044  à  1204),  de  voir 
une  église  se  bâtir  et  tomber  en  ruines,  sans  que  l'on  en  sache 
le  titre  et  l'origine  ;  si,  d'autre  part,  elle  est  en  ruines  en 
1204,  une  conclusion  toute  naturelle  s'en  dégage  :  elle  exis- 
tait déjà  en  1044. 

Mais  en  quel  état  se  trouvait  cette  église  en  1044  ?  Elle  était 


—  317  - 

en  ruines  déjà,  comme  en  1604,  et  ne  servait  plus  aux  céré- 
monies du  culte. 

Si  elle  eût  été  en  état,  quel  qu'en  fût  le  possesseur  en  1044 
on  en  aurait  tiré  parti.  L'évéque,  en  effet,  afin  de  donner  une 
église  aux  habitants  des  bords  de  l'Huveaune,  l'aurait  cédée 
à  Saint-Victor,  lui  évitant  ainsi  d'avoir  à  reconstruire  celle 
de  Saint-Giniez.  La  question  du  plus  du  moins  d'éloignement 
de  cette  église  du  centre  habité  ne  pouvait  tirer  à  conséquence. 
L'important  était  d'assurer  le  service  du  culte.  De  nos  jours, 
d'ailleurs,  les  habitants  de  la  plage  vont  à  l'église  de  Saint- 
Giniez.  L'évoque  cependant  agit  autrement  :  il  cède  Saint- 
Giniez  à  l'abbaye  de  Saint-Victor.  Pas  un  mot  de  la  chapelle 
de  l'Huveaune. 

L'abbaye  de  Saint-Victor,  si  elle  en  eût  été  possesseur, 
aurait  de  beaucoup  préféré  l'adapter  au  service  du  culte  que 
d'avoir  à  rebâtir  l'église  de  Saint  Giniez.  C'est  cependant  cette 
église  que  l'abbaye  réédifie  ! 

L'abbaye,  enfin,  de  Saint-Sauveur,  si  elle  l'avait  eue  en 
sa  possession,  ou  bien  l'aurait  fait  desservir  par  ses  prêtres, 
ou  l'aurait  cédée  à  l'évéque  ou  à  Saint  Victor  pour  le  même 
but.  Et  cependant  c'est  Saint-Giniez  que  l'on  réédifie  en 
entier  !  Incontestablement,  en  1044,  la  chapelle  des  bords  de 
THiiveaune  existe,  mais  déjà  elle  est  en  ruines  î 

On  le  voit,  nous  avançons  à  petits  pas,  mais  nous  avançons  ! 
Allons  de  l'avant  encore. 

Cette  chapelle  de  l'Huveaune,  en  ruines  en  1044,  appar- 
tenait à  cette  époque  à  l'évéque. 

Certainement  elle  n'appartenait  pas  à  Saint-Victor,  car  l'ab- 
baye, qui  sort  de  ses  ruines  elle  aussi,  s'empresse  de  relever 
les  chapelles,  les  oratoires  détruits,  d'en  bâtir  d'autres  à  l'aide 
de  ses  propres  ressources,  et  à  l'aide  des  libéralités  des  vicom- 
tes de  Marseille.  C'est  le  cas  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  de 
Sainte-Croix  près  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  de  Saint-André, 
probablement  de  Saint-Ferréol,  de  Saint-Saturnin,  de  Saint- 
Benoit  (1).  Or,  peut-on  croire  qu'elle  n'aurait  pas  relevé  cette 


(1)  Saint-Pierre  de  Paradis  est  réédifiée  en  1044  (charte  32).  —  Sainte- 
Croix  est  bâtie  en  1045  (charte  23).  —  Saint- André,  Saint-Ferréol  existent 

21 


-  318  — 

chapelle  de  l'Huveaune,  puisque  Saint-Giniez  ne  lui  appar- 
tenait pas,  et  que  celle-ci,  d'ailleurs,  était  hors  d'usage?  Mise 
en  demeure  par  l'évoque  de  Marseille,  Pons  II,  de  fournir  une 
église  aux  habitants  de  ce  quartier  qui  lui  était  soumis,  est- 
ce  que  l'abbaye  n'aurait  pas  préféré  relever  une  chapelle  lui 
appartenant  que  celle  de  Saint-Giniez  qui  ne  lui  appartenait 
pas,  et  qu'on  ne  lui  donne  qu:en  1044  ?  C'était,  dira-t  on, 
une  nouvelle  acquisition  d'une  plus  grande  valeur  que  l'église 
des  bords  de  l'Huveaune  et  qu'elle  a  pféféré  reconstruire  ! 

Alors,  pourquoi  en  1204  l'évoque  cède-t-il  la  chapelle  de 
l'Huveaune,  en  qualité  de  possesseur  ?  Qui  la  lui  adonnée? 
Quelle  trace  reste-t-il  d'un  achat,  d'un  échange,  d'une  ces- 
sion quelconque  ?  Non,  ces  ruines,  en  1044,  n'appartiennent 
pas  à  Saint- Victor. 

Non  plus  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur.  Celle-ci  vit  pénible- 
ment à  cette  époque.  Depuis  quarante  ans,  ses  a  moniales  » 
vont  de  maison  en  maison  sans  s'y  fixer  définitivement,  de  la 
place  de  Lenche  aux  Accoules,  des  Accoules  à  la  place  de 
Lenche  (1).  En  ce  moment  dé  1041,  elles  viennent  de  s'établir 
au  monastère  de  la  place  de  Lenche,  que  les  vicomtes  ont 
restauré  (2).  Or,  si  cette  chapelle  de  l'Huveaune  leur  eût 
appartenu,  elle  l'eussent  cédée  à  l'évoque  ou  à  Saint- Victor 
et  l'indice  de  cette  vente  apparaîtrait  quelque  part.  Si 
elles  l'avaient  conservée  comme  le  souvenir  d'un  passé  qui  ne 
fut  pas  sans  gloire,  comment  en  1204  l'évoque  a-t-il  pu  la 
céder  comme  bien  lui  appartenant  ?  Elle  n'était  donc  pas  la 
propriété  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur. 

Ces  ruines  appartiennent  en  réalité  à  l'évéque  de  Marseille. 
Non  pas  qu'elles  fissent  partie  de  ces  biens  qu[,  jadis  la  pos- 
session de  saint  Victor,  avaient,  à  la  suile  des  invasions,  été 
unis  à  la  mense  épiscopale.  Car  Pons  II,  qui  fait  rendre  à  celte 
abbaye  des  biens  que  l'on  retenait  injustement,  et  qui  lui- 
môme  en  restitue  quelques-uns,  môles  à,  ses  biens  propres  et 

m 

en  1048  (charte  40),  en  1079  (charte 841,  etc  ).  —Saint-Saturnin  existe  en 
1038-1048  (charte  33).  —  Saint-Benoit  existe  au  XI»  siècle  (charte  42). 

(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  V abbaye  de  Saint-Sauveur, 
chapitre  3,  p.  16.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  59. 

(2)  André,  op.  cit.,  p.  19. 


—  319  — 

« 

personnels,  aurait  fait  rendre  à  l'abbaye  cette  chapelle  (l). 
Avant  d'accepter  Saint-Giniez  avec  la  charge  de  la  reconstruire, 
l'abbaye  de  Saint-Victor  aurait  prié  l'évoque  de  lui  rendre  ce* 
qui  lui  appartenait.  Non  pas  encore  que  cette  chapelle  de 
l'Huveaune  fit  partie  des  biens  jadis  la  possession  de  l'abbaye 
de  Saint-Sauveur,  unis  à  la  mense  épiscopale  à  la  suite  de  la 
destruction  du  monastère  et  des  invasions.  Saint-Sauveur  se 
relève  difficilement,  depuis  1004,  du  coup  que  les  invasions 
lui  ont  porté.  En  1044,  tout  y  est  en  souffrance  et  il  aurait 
fallu  être  bien  dur  et  injuste  pour  ne  pas  restituer  à  ce  pauvre 
monastère  ce  qui  lui  appartenait,  alors  que  l'on  rendait  à 
Saint-Victor  qui  avait  bien  d'autres  ressources. 

D ailleurs,  l'abbaye  cassianite,  qui  souvent  fut  en  lutte 
d'intérêts  avec  le  chapitre  et  l'évoque  lui-même,  aurait,  à  un 
moment  où  à  un  autre,  revendiqué  ces  ruines  comme  lui 
appartenant.  Nul  vestige  cependant  d'une  semblable  reven- 
dication. I/évêque  détient  donc  cette  église  comme  propriété 
de  sa  cathédrale,  au  même  titre  qu'il  détient  Saint-Giniez, 
dont  il  fit  cession  à  Saint-Victor  en  1044,  avec  le  consentement 
de  son  chapitre.  Aussi,  en  1204  il  la  cède  aux  Pr^  mon  très, 
et  du  consentement  de  son  chapitre. 

En  1044  donc  cette  chapelle  des  bords  de  l'Huveaune 
appartient  à  révoque.  De  plus,  en  1044  il  y  a  deux  églises 
en  ruines  dans  la  même  partie  du  terroir  :  celle  de  l'Huveaune 
et  celle  de  Saint-Giniez,  toutes  les  deux  appartenant  à  l'évêque, 
à  quelque  cinq  cents  mètres  l'une  de  l'autre. 

(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t.  I,  chartes  18,  20,  30,  etc.—  Mgr  de 
BeUunce,  Antiquité  de  VE alise  de  Marseille,  t.  I,  pp.  398,  399,  402, 
406,  408. 


CHAPITRE  VIII 

L'église  et  la  maison  en  ruines 
des  bords  de  l'Huveaune 

(Suite) 


LA  CHAPELLE  DK  L'HUVEAUNE  A  EXISTÉ  EN  MÊME  TEMPS  QUE  CELLE 
DE  SAINT-GINIEZ",  ELLE  N*A  PAS  ÉTÉ  BATIE  APRES.  —  L'ÉGLISE 
DR  SAINT-GINIEZ,  D'AUTRE  PART,  N'A  PAS  ÉTÉ  BATIE  APRÈS  CELLE 
DE  L'HUVEAUNE  —  TOUTES  LES  DEUX  80NT  ANTÉRIEURES  A  923.— 
DEJA,  EN  923,  ELLES  ÉTAIENT  EN  RUINES.  —  LA  CHAPELLE  DE 
L'HUVEAUNE  N*A  PU  ETRE  BATIE  VER8  850,  NI  DURANT  LE  RÈGNE 
DK  CHARLEMAONB  (771-814).  —  ELLE  EXISTAIT  EN  720-740,  ET 
C'ÉTAIT  L'ABBAYE  DE  SAINT  CYR  QUI  L'AVAIT  FAIT  BATIR.  —  CE 
N'ÉTAIT  PAS  UN  ORATOIRE  DE  CAMPAGNE,  MAIS  LA  CHAPELLE  DU 
CŒNOBIUM  DE  SAINt'-CYR. 


Or,  pourquoi  ces  deux  églises  en  cet  endroit  du  lerroir  ? 
Ont-elles  existé  simultanément,  ou  bien  Tune  a-t-elle  été 
bâtie  alors  que  l'autre  tombait  en  ruines?  Laquelle  des  deux 
est  antérieure  à  l'autre?  Questions  importantes  dont  la  solu- 
tion va  faire  faire  un  pas  à  notre  thèse. 

La  chapelle  de  l'Huveaune  n'est  pas  postérieure  à  l'église 
de  Saint-Giniez. 

D'abord,  elle  n'a  pas  élé  édifiée  alors  que  celle  de  Saint- 
Giniez  servait  aux  fidèles.  Pourquoi  bâtir  une  église  à  une  si 
petite  distance  de  la  première?  Ce  point  du  terroir,,  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune,  n'était  pas  plus  habité  qu'il  ne  l'est 
aujourd'hui.  Etait-ce  pour  favoriser  les  habitants  de  Ligus 
Pinis?  Mais  ils  pouvaient  venir  à  Saint-Giniez,  comme  ceux 
qui  les  ont  remplacés  y  viennent  actuellement.  Pour  favori- 
ser ceux  de  Romagnac?  Mais  il  y  a  un  marais  à  l'embou- 
chure de  l'Huveaune,  mieux  aurait  valu  la  bâtir  au-delà  de 
cette  rivière,  sur  le  terroir  même  de  Romagnac. 

Elle  n'a  pas  été   construite  lors  de  la  ruine  de  l'église  de 


—  321  — 

Saint-Giniez.  Celle-ci  est  démolie  dès  104i.  Or,  si  Ton  en 
reporte  la  destruction  vers  Tan  1000,  et  que  Ton  place  à  ce 
moment  la  construction  de  celle  de  l'Huveaune,  cette  dernière, 
qui  est  elle  hors  d'usage  aussi  dès  1044,  on  Ta  dit,  aura  vu, 
dans  l'espace  de  quarante  *ou  cinquante  ans,  se  perdre  et 
s'oublier  jusqu'à  son  vocable,  tandis  que  l'on  a  conservé  le 
souvenir  du  vocable  de  l'église  de  Saint-Giniez  dont  la  destruc- 
tion est  dp  cinquante  ans  plus  ancienne.  D'ailleurs,  pourquoi,  si 
l'église  de  Saint-Giniez  est  en  ruines,  vers  l'an  1000,  ne  pas 
la  reconstruire,  au  lieu  d'aller  en  bâtir  une  autre  à  l'extrémité 
du  terroir,  au  milieu  des  marais?  Et  c'est  l'évêque  qui  les 
aurait  fait  élever  toutes  les  deux,  puisqu'elles  lui  appartien- 
nent! 

Si  l'on  fait  remonter  la  destruction  de  l'église  de  Saint- 
Giniez  aux  dernières  invasions  de  923  et  que  l'église  de  l'Hu- 
veaune  ait  été  bâtie  pour  la  remplacer,  les  mêmes  difficultés 
se  présentent.  Comment  a-t  on  perdu  le  souvenir  du  vocable 
de  cette  chapelle,  de  923  à  1044,  et  conservé  celui  de  Saint- 
Giniez?  Pourquoi  ne  pas  rebâtir  une  seconde  église  au  même 
endroit,  sur  les  ruines  de  celle  qui  a  été  renversée,  au  lieu  de 
la  construire  au  bord  de  la  mer? 

Si  cette  église  de  Saint-Giniez  a  souffert  des  pirates,  la  nou- 
velle église  sera-t-elle  plus  abritée? 

De  plus,  qui  l'eût  bâtie,  en  ce  moment,  vers  923  ? 

L'abbaye  de  Saint- Victor  était  «  penitus  ad  nihilum  redacla  » , 
dit  la  charte.  Le  monastère  des  religieuses  cassianites  avait 
disparu  dans  la  tourmente.  L'évêque  de  Marseille  était  obligé 
de  demander  du  secours  à  son  métropolitain  d'Arles.  Ce  n'était 
guère  le  temps  de  reconstruire  des  églises  rurales.  Ce  ne  fut 
qu'en  1044  que  Pons  II  put  y  penser.  Donc  l'église  de  l'Hu- 
veaune  n'a  pas  été  bâtie  postérieurement  à  celle  de  Saint- 
Giniez. 

D'autre  part,  l'église  de  Saint-Giniez  n'est  pas  postérieure  à 
celle  de  l'Huveaune. 

D'abord,  elle  n'a  pas  été  bâtie  alors  que  celle  de  l'Huveaune 
servait  aux  fidèles.  L'église  de  Saint-Giniez  en  ruines, 
dès  1044,  sa  destruction  datant  au  moins  de  Tan  1000,  c'est 
dans  la  première  moitié  du  X*  siècle  qu'on  l'aurait  édifiée. 


—  322  — 

Or,  pourquoi  bâtir  une  église  à  Saint-Giniez,  à  cette  époque  ? 
•Celle  des  bords  de  l'Huveaune  suffisait.  Avec  quelles  ressour- 
ces, d'ailleurs,  l'évêque  l'aurait-il  fait  construire,  puisqu'il 
manquait  de  tout  pour  ses  clercs? 

L'aurait- on  bâtie  lors  de  la  destruction,  pour  une  cause 
quelconque,  de  la  chapelle  de  l'Huveaune?  Puisque  la  ruine 
de  l'église  de  Saint-Giuiez  date  au  moins  de  Tan  1000,  c'est 
encore  dans  le  cours  du  X"  siècle  qu'il  faudrait  en  placer  la 
construction,  vers  960  par  exemple.  La  nécessité  de  donner 
aux  colons  du  terroir  un  édifice  religieux  aurait  amené  révo- 
que à  cette  dépense.  Soit.  Mais,  alors,  notre  chapelle  de 
l'embouchure  de  l'Huveaune  est  antérieure  à  923.  On  n'a  pu, 
en  effet,  l'édifier  vers  960,  puisque  celle  de  Saint-Giniez,  nous 
venons  de  le  supposer,  est  bâtie  à  cette  époque  ;  ni  vers  923, 
le  moment  est  trop  critique  et  l'évêque  de  Marseille  est  privé 
de  tous  moyens.  Elle  existait  donc  en  923. 

D'autre  part,  on  ne  peut  lui  faire  traverser  la  crise  de  923 

sans  encombre.  La  charte  de  1005  dit   que  :   «    gens  pagana 

•  cuncta  vastavit,  ecclesias  et  monasteria  plurima  destruxit.  * 

Il  est  plus  que  probable,  donc,  qu'elle  ait  été  renversée  vers 

923.  Donc  elle  est  antérieure  à  923. 

En  ruines  dès  923,  la  chapelle  de  l'Huveaune  n'a  pas  été 
bâtie  vers  850  par  exemple.  Qui  l'eût  construite,  en  effet? 

L'abbaye  de  Saint-Victor  ?  Elle  lui  aurait  appartenu  en  923 
et,  aussitôt  l'invasion  passée,  elle  l'aurait  réédifiée,  comme 
elle  le  fit  pour  d'autres  chapelles  du  terroir.  Et  si,  après  923, 
cette  chapelle  fût  passée  dans  le  domaine  de  l'évoque  par 
suite  de  la  destruction  du  monastère  de  Saint-Victor,  l'évêque 
l'aurait  rendue  en  1044,  et  Saint-Victor,  au  Heu  de  relever 
l'église  de  Saint-Giniez,  aurait  préféré  s'occuper  de  ce  qui  lui 
appartenait  déjà.  Si  c'eût  été  une  acquisition  nouvelle  de 
Saint-Victor,  cette  abbaye  aurait  réclamé  quand  même  sa 
propriété.  Si  c'eût  été  un  échange,  on  en  parlerait  bien  quelque 
part  dans  les  innombrables  chartes  de  ventes  et  de  cessions. 

Sera-ce  Saint-Sauveur?  Encore  moins;  car,  de  850  à  923, 
l'état  de  cette  abbaye  est  très  précaire.  En  838,  toutes  les  reli- 
gieuses ont  été  enlevées  par  les  pirates  normands.  Si  elle  a  pu 


—  323  - 

se  relever  de  cette  catastrophe,  elle  ne  doit  pas  penser  à  bâtir 
une  chapelle  si  loin. 

Sera-ce  l'évêque?  Peut-être.  Mais,  ou  bien  l'église  de  Saint- 
Giniez  existe  déjà,  inutile  alors,  semble- t-il,  de  bâtir  une  autre 
église  aux  bords  de  la  mer.  Et  si  on  en  construit  une,  c'est  qu'il 
y  a  une  raison  spéciale!!!  Ou  bien  cette  église  de  Saint- 
Giniez  n'existe  pas,  il  serait  alors  prouvé  que  vers  850  notre 
chapelle  de  l'Huveaune  existe.  Mais  pour  quel  motif  bâtir 
une  église,  à  cette  époque,  en  un  endroit  d'un  acc&s  si  difficile 
à  cause  des  bois,  des  marais,  du  cours  de  l'Huveaune?  Le 
centre  habité,  c'est  le  Saint-Giniez  adtuel.  C'est  là  qu'il  faut 
une  église  et  non  pa3,  au  bout  du  terroir!  Ajoutons  que  le 
moment  est  critique.  Les  Sarrasins,  en  842,  849,  850,  869; 
les  Normands  en  859,860  désolent  la  Provence;  comment 
hâtir  des  églises  au  milieu  des  invasions?  Non,  l'église  de 
l'Huveaune   ne    date  pas   de  850.  Elle   existait  déjà. 

On  ne  l'a  pas  élevée,  non  plus,  dans  les  années  qui  suivirent 
la  mort  de  Charlemagne,de  814  à  850.  Toujours  il  faudra  indi- 
quer qui  aurait  pu  la  bâtir,  et  pour  quelle  raison. 

Ce  n'est  pas  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  ou  plutôt  de  Saint- 
Cyr,  qui  est  auprès  de  Saint- Victor,  à  ce  moment,  et  dont 
en  838  les  religieuses  furent  enlevées  par  les  barbares.  Si 
elle  bâtissait  à  lette  époque  une  chapelle  sur  les  bords  de 
l'Huveaune,  on  pourrait  bien  supposer  qu'il  y  a  autre  chpse 
que  le  désir  d'avoir  une  ma;son  de  plus!... 

Ce  n'est  pas  l'abbaye  de  Saint-Victor.  On  lui  vole  ses  biens, 
et  à  ce  moment  elle  passe  sous  la  juridiction  des  évoques  de 
Marseille. 

Ce  n'est  pas  l'évoque  lui-même;  il  avait  assez  de  peine  à 
sauvegarder  les  biens  de  l'évêché  et  de  l'abbaye,  il  aurait  pu 
bâtir  régi i se  de  Sajnt-Giniez,  si  elle  n'existait  pas  encore, 
car  ce  point  du  terroir  est  habité.  Mais  aux  bords  de  la  mer, 
impossible  d'y  penser.  Ce  n'est  donc  pas  à  cette  époque,  de 
•  814  à  850,  que  remonte  notre  église  de  l'Huveaune.  Elle  est 
dédale  plift  ancienne. 

L'a-t-on  construite  durant  le  règne  de  Charlemagne,  de 
771  à  814?  C'est  une  époque  de  relèvement,  le  calme  se  fait, 


—  324  - 

les  Sarrasins  sont  tranquilles.  C'est  vrai.  Mais  qui  a  pu  bâtir 
cette  église  ? 

Ce  n'est  pas  le  monastère  de  Saint-Cyr.  Il  sort  de  la  crise 
des  invasions  ;  ou»  s'il  fait  bâtir,  c'est  qu'il  veut  perpétuer  le 
souvenir  de  quelque  fait  important. 

Ce  n'est  pas  non  plus  l'abbaye  de  Saint- Victor,  puisque 
jamais  il  n'a  été  dit  que  cette  chapelle  lui  eût  appartenu  ; 
jamais  d'ailleurs  l'évéque  ne  la  lui  a  rendue,  ni  en  1044,  ni 
plus  tôt . 

Ce  n'est  pas  l'évéque  de  Marseille.  A  bâtir  une  église,  c'est 
au  quartier  actuel  de  Saint-Giniez  qu'il  l'aurait  placée.  Et  si 
déjà  il  y  en  a  une,  pourquoi  en  édifier  une  autre  à  l'embou- 
chure de  THuveaune,  à  moins  de  vouloir  garder  le  souvenir 
d'un  fait  important!  !  Ce  n'est  donc  pas  de  771  à  814  que  date 
cette  chapelle  de  l'Huveaune.  Il  faut  monter  plus  haut  encore. 

Mais  nous  sommes  alors  en  pleine  invasion  sarrasine,  et 
certes  ce  n'est  pas  à  ce  moment  que  l'on  pense  à  construire 
des  églises.  Donc  notre  chapelle  de  l'Huveaune  existait 
à  l'époque  des  invasions.  Et,  comme  tout  a  été  bouleversé  à 
cette  heure  terrible  (737-740),  sûrement  noire  chapelle  a 
succombé  à  ce  moment.  Donc  aussi  elle  est  antérieure  à  737. 
Donc  elle  existait  au  début  du  VIII"  siècle  !  1 

Ici  précisons  davantage.  Qui  a  pu  faire  bâtir,  au  début  du 
VIII*  siècle,  une  église  à  l'embouchure  de  l'Huveaune?  Seul 
le  monastère  de  Saint-Cyr. 

Impossible  de  dire  que  c'a  été  l'abbaye  de  Saint-Victor.  Si 
c'eût  été  l'abbaye,  elle  l'eût  élevée  pour  la  commodité  des  colons 
et  des  gens  établis  en  ces  lieux.  Et  si  cette  chapelle  eût 
été  détruite  sous  la  première  invasion,  celle-ci  passée,  Saint- 
Victor  l'eût  relevée  et  l'eût  gardée  en  sa  possession.  Si  elle.fùt 
demeurée  debout,  malgré  la  tourmente,  jamais  elle  n'aurait 
pu  devenir  la  possession  de  l'évéque.  En  admettant  que  lors 
de  la  destruction  de  Saint-Victor  elle  eût  fait  partie  de  la 
mense  épiscopale,  tôt  ou  tard  l'évoque  l'aurait  rendue.  Or, 
l'évéque  la  cède  en  1204  comme  propriété  de  son  Eglise,  et  il 
n'y  a  pas  la  moindre  trace  qu'elle  ait  été  cédée  ou  vendue  ! 

Impossible  de  dire  que  c'est  l'évéque.  Jamais  celui-ci  n'ira 
bâtir  un  oratoire  sur  le  rivage  de  la  mer,  au  milieu  des  marais 


—  325  — 

et  des  bois,  alors  que  le  centre  habité,  les  fouilles  l'ont 
prouvé,  se  trouvait  à  remplacement  actuel  de  Saint-Giniez  ! 

C'est  donc  Saint-Sauveur,  ou  plutôt  le  monastère  de  Saint- 
Cyr,  qui  a  élevé  cette  chapelle?  Oui,  quoique  ne  comptantque 
trois  siècles  d'existence,  le  monastère  cassianite,  à  l'époque 
qui  précède  les  invasions,  est  dans  un  état  florissant.  Au  temps 
de  saint  Césaire  d'Arles,  Césarie,  sa  sœur,  y  vient  apprendre  à 
pratiquer  les  vertus  que  plus  tard  elle  devra  enseigner  aux 
autres.  En  597,  le  monastère  était  agrandi  par  les  soins  de 
Dynamius  et  d'Aurelius.  La  tradition  nous  dit  qu'Eusébie  y 
avait  quarante  compagnes.  A  ce  moment  donc  le  monastère 
de  Saint-Cyr  pouvait  faire  bâtir  cette  chapelle  de  l'Huveaune, 
et  cela  à  quelque  époque  que  ce  fût,  de  420  à  720. 

Mais  pour  quel  motif  le  monastère  de  Saint-Cyr  a-t-il  fait 
construire  cette  église  aux  bords  de  l'Huveaune?  Etait-ceparce 
qu'il  n'y  avait  pas  encore  d'église  dans  le  quartier  de  Saint- 
Giniez,  au  début  du  VHP  siècle  ?  Non,  car  l'église  de  Saint- 
Giniez  existait  déjà.  Dans  un  paragraphe  précédent,  nos  dé- 
ductions nous  amenaient  à  dire  que  Ton  pouvait  signaler 
l'existence  de  cette  église  à  ce  point  du  terroir  vers  960,  alin 
de  remplacer  celle  de  l'Huveaune,  en  ruines  dès  923.  Mais  il 
est  évident  qu'il  faut  remonter  plus  haut.  De  tout  temps,  le 
quartier  de  Saint-Giniez  a  été  habité,  de  tout  temps  une 
église  a  été  nécessaire  à  cet  endroit.  Or,  la  chapelle  de  l'Hu- 
veaune était  démolie  dès  850,  dès  737.  Donc,  au  début  du 
VIII*  siècle,  il  y  avait  une  église  à  Saint-Giniez. 

Dès  les  temps  primitifs,  il  y  a  eu  en  cet  endroit  un  oratoire 
de  campagne  dédié  à  je  ne  sais  quel  saint  ou  quel  martyr. 
Vers  420,  les  Câssianites  arrivent  sur  les  bords  de  l'Huveaune. 
Leur  premier  lieu  de  prières,  le  dimanche,  dut  être  cet  ora- 
toire de  campagne,  modeste  et  restreint.  Peut-être  tombait-il 
en  ruines  déjà  à  cette  époque.  Alors,  le  monastère  nouveau 
aidant,  on  l'agrandit,  et,  étant  donné  que  saint  Genès  est  un 
martyr  d'Arles,  que  c'est  un  concile  d'Arles  qui  a  autorisé  les 
premières  chapelles  de  campagne,  que  saint  Césaire  d'Arles  a 
eu  de  grands  rapports  avec  le  monastère  cassianite  de  l'Hu- 
veaune, à  cause  de  sa  sœur  Césarie  qui  y  était  élevée,  et 
peut-être  que  saint  Césaire  avait  enrichi  de  quelque  relique 


—  326  — 

de  saint  Genès  cet  oratoire,  on  l'a  dédié  ce  martyr! 
Telle  est  l'origine  probable  de  l'église  de  Saint-Giniez  et  de 
son  vocable.  Dans  tous  les  cas,  la  chapelle  de  l'Huveaune  n'a 
pas  été  bâtie  au  début  du  VIII"  siècle,  parce  qu'il  n'y  aurait 
pas  eu  d'église  au  quartier  de  Saint-Giniez. 

Etait-elle  un  oratoire  adossé  à  la  maison  des  champs  de 
l'abbaye  de  Saint-Cyr  ?  Point  du  tout.  Une  tradition  sérieuse, 
difficile  à  contester,  raconte  qu'Eusébie  et  ses  compagnes, 
a  leïs  Desnarrados»,  ont  été  martyrisées  en  cet  endroit.  Si 
cette  chapelle  n'eût  été  qu'un  oratoire,  joint  à  une  maison  de 
ce  genre,  les  religieuses  n'y  seraient  pas  mortes.  Impossible 
d'admettre  qu'à  cette  époque  troublée  elles  aient  quitté  leur 
monastère  pour  se  réfugier  à  la  campagne.  Leur  départ  aurait 
été  connu.  D'ailleurs,  elles  étaient  plus  exposées  hors  de  la 
ville  qu'aux  abords  de  celle-ci. 

Et  encore,  où  s'élevait  le  cœnobium  à  ce  moment?  Il 
n'était  pas,  nous  l'avons  prouvé  plus  haut,  au  Carénage,  aux 
Catalans,  au  Revest,  à  Sainte-Catherine,  à  Saint-Loup,  ni 
ailleurs.  Restent  les  bords  de  l'Huveaune  ! 

Cette  chapelle  de  l'Huveaune  n'était  donc  pas  simplement  une 
maison  de  campagne  pour  l'abbaye  cassianite.  C'était,  disons- 
le,  le  monastère  lui-même.  Oui,  c'est  aux  abords  de  notre 
plage  du  Prado  que  la  jeune  Césarie  se  formait  à  la  piété,  qiie 
Respecta,  l'abbesse  du  temps  de  saint  Grégoire,  groupait  son 
essaim  de  servantes  de  Dieu,  et  qu'un  peu  plus  tard  Tillisiola 
édifiait  par  ses  vertus  les  vierges  consacrées.  C'est  là  que  vécut 
l'illustre  religieuse,  la  grande  servante  de  Dieu,  la  chaste 
Eusébie  !  !  Les  échos  de  nos  rivages  ont  entendu  sa  voix.  Les 
berges  fleuries  de  l'Huveaune  l'ont  vue  parcourir  leurs  prai- 
ries verdoyantes.  0  sainte  Patronne  de  ce  coin  béni  de  notre 
terroir,  laissez-moi  vous  saluer,  baiser  la  trace  de  vos  pas.  Que 
ne  puis-je  en  retrouver  les  vestiges  sur  le  sable  doré  de  la 
grève  1  C'est  là  aussi  que  vous  avez  souffert  !  Le  sol  que  nous 
foulons,  vous  et  vos  généreuses  compagnes  l'avez  rougi  de 
votre  sang  1  Que  vous  devez  aimer  à  venir  encore,  avec  vos 
vaillantes  sœurs,  visiter  ces  lieux  témoins  de  votre  héroïque 
courage!  Nous  aussi  nous  les  aimons,  ces  lieux,  ces  prairies. 


—  327  — 

• 

ces  rivages,  tout  y  est  plein  de  votre  souvenir,  'ô  sainte  Eusé- 
hie.  Honneur  et  gloire  vous  soient  rendus  ! 

C'est  donc  l'abbaye  cassianite  qui  était  là  sur  ces  bords. 

Tout  s'explique  maintenant.  Les  Sarrasins  ont  attaqué  le 
monastère,  l'ont  saccagé,  en  ont  massacré  les  humbles  reli- 
gieuses. On  peut  à  peine,  quelques  jours  après,  recueillir  et 
emporter  dans  les  souterrains  de  Saint-Victor  les  restes  de  ces 
héroïnes.  Plus  tard,  peut-être,  après  les  invasions,  on  com- 
pose l'inscription.  Entre  deux  invasions,  on  essaie  bien  de 
cultiver  le  petit  domaine  qui  entourait  le  monastère  incendié. 
Mais  une  nouvelle  invasion  survient,  il  faut  tout  abandonner. 
C'est  l'heure  de  l'oubli  qui  commence  1  On  perd  peu  à  peu  les 
titres  de  possession.  Ceux  qui  habitent  en  ces  lieux  ou  sont 
massacrés  ou  s'en  éloignent.  La  chapelle  est  délaissée.  Il  n'y 
a  bientôt  plus  que  des  ruines.  Avec  les  invasions,  les  biens  de 
.ce  monastère  comme  les  biens  de  celui  de  Saint -Victor  passent 
à  la  mense  épiscopale  et,  en  1204,  l'évéque,  de  concert  avec  le 
chapitre,  cède,  en  qualité  de  propriétaire,  cette  chapelle  en 
ruines  aux  Prémontrés. 

D'où  venait  à  l'évéque  le  droit  de  possession  sur  celte  cha- 
pelle ?  Y  a-t-il  eu,  à  cette  époque  lointaine,  un  acte  de  vente 
ou  de  cession  de  la  part  des  religieuses  qui  relevèrent  le  mo- 
nastère abandonné?  Cela  pourrait  être.  Car  il  n'est  pas  croya- 
ble que  Tévôque  eût  refusé  de  rendre  plus  tard  cette  propriété 
au  monastère  qui  se  reformait.  Peut-être  aussi,  et  nous  croyons 
cette  opinion  préférable,  que  la  terre  sur  laquelle  le  monas- 
tère primitif  était  construit  appartenait  à  l'évéque. 

En  420,  saint  Cassien,  voulant  fonder  un  monastère  de  fem- 
mes; avait  obtenu  de  l'évéque  quelques  terres  voisines  de 
Saint-Giniez,  comme  il  avait  obtenu  pour  son  monastère 
d'hommes  les  souterrains  de  Saint-Victor.  Les  invasions  fai- 
sant tout  disparaître,  l'évéque  rentrait  dans  sa  propriété. 

Un  fait  semblerait  venir  à  l'appui  de  cette  opinion.  En  597, 
le  pape  Grégoire  le  Grand  exempte  l'abbesse  Respecta  et  son 
monastère  de  la  juridiction  temporelle  de  l'évéque,  laissant  à 
celui-ci  la  juridiction  spirituelle.  Or,  cette  juridiction  tempo- 
relle que  Ton  enlève  à  l'évôquepouvait  lui  venir  d'un  double 
titre  :  soit  du  concile  d'Arles  en  554,  qui  avait   ordonné  aux 


_  ass  — 

évoques  de  prendre  soin  des  monastères  de  filles  (I  ),  soit  de  ce 
que,  comme  nous  l'avons  dit,  révoque  avait  donné  à  saigt 
Cassien  quelques  terres  pour  y  bâtir  le  monastère  des  filles. 
Respecta  voulut  secouer  ce  joug,  alors  que  Dynamius  et  Au- 
relius  agrandissaient  le  monastère.  lie  pape  acquiesça  en 
537  (2).  Mais,  exécutée  ou  non,  cette  sentence  fut  annihilée  par 
les  événements.  Les  invasions  arrivèrent.  Par  la  force  des 
choses,  l'évéque  rentra  en  possession  des  biens  du  monastère 
de  Saint-Cyr.  Mais  ce  ne  furent  que  des  débris.  La  chapelle  de 
PHuveaune  était  du  nombre.  C'est  ce  qui  permit  à  l'évéque  de 
la  céder  en  1204,  sans  qu'il  ait  été  obligé  de  la  rétrocéder 
jamais  à  Saint-Sauveur. 

Nous  avions  raison  de  le  dire  au  début  de  ce  chapitre.  Il  y 
avait,  en  1204,  aux  bords  de  l'Huveaune,  une  église  et  une 
maison  en  ruines,  c'est  là  que  vécurent,  prièrent  et  furent 
martyrisées  notre  chère  sainte  Eusébie  et  ses  illustres  com- 
pagnes. 


(1)  De  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  Iw,  p.  222. 

(2)  Voir  la  lettre  de   Grégoire  le  Grand  a  l'abbesse  Respecta,  dans 
André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  appendice  a,  p.  205. 


CHAPITRE  IX 

Eglise  de  Sainte-Marie  de  Sait, 
aux  bords  de  l'Huveaune 


UNE  ÉGLISE  ANTIQUE  A  L'EMBOUCHURE  OB  L'HUVEAUNE.  —  SAINTE- 
MARIE  DB  8ALT. —  DIFFÉRENTS  DE  CELLE  DU  TER  HOIR  DE  POURRI  È- 
RBS.—  GBTTB  ÉGLISE  DE  SAINTE-MARIE  DE  SALT  ÉTAIT  BN  RUINES 
EN  1097.—  ELLE  APPARTENAIT  A  L'ÉVEQUB  AU  XI*  8IÈCLE.  —  ELLE 
N'A   ÉTÉ  BATIE  NI  AU  XI*,  NI  AU  X%  NI  AU  IX*  SIÈCLE,  MAIS,  AU  DÉBUT 

DU   VIII'  SIECLE. COÏNCIDENCE  AVEC    LA  TBADITION  QU'IL  Y  AVAIT 

UN   MONASTÈRE  CASSIANITB  AUX  BORDS  DB  L'HUVEAUNE. 


«  Il  y  a  eu  à  ce  bord  de  mer  (à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune), à  une  époque  antique,  une  église  et  une  maison 
dont  l'histoire  nous  est  inconnue.  Etait-ce  une  paroisse  ru- 
rale, était-ce  un  prieuré  de  Saint-Victor  ?  Nous  n'en  savons 
rien.  En  1204,  les  Prémontrés  les  reconstruisirent  et  en  firent 
une  église  sous  le  titre  de  Notre-Dame  de  l'Huveaune  (1).» 
Ainsi  parle  M.  de  Rey. 

Bien  avant  M.  de  Rey,  le  Père  Guesnay  avait  écrit,  dans  le 
Cassianus  illustratus,  a  que  le  monastère  cassianite  était  aux 
bords  de  l'Huveaune  depuis  une  époque  fort  reculée,  comme 
on  peut  le  voir  dans  des  documents  publiés,  existant  à  Mar- 
seille et  datant  de  710  (2)  ».  Il  est  fort  regrettable  que  Gues- 
nay n'ait  pas  cité  in  extenso  ces  documents  dont  il  parle.  Il  y 
a  cependant  un  fond  de  vérité  dans  ce  qu'il  a  écrit.  Noua, 
allons  le  prouver  en  donnant  le  nom  de  cette  église  antique, 
située  aux  bords  de  l'Huveaune. 

Quel  est  le  nom  de  cette  église,  en  effet  ?  Dans  une  charte  du 

(t)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  231 . 

(2)  c  Hoc  perscriptura  in  monumentis  publicis  et  tabulis  veteribii9 
Massiliae  reperies  editis  instrument!  anno  710  ».  Guesnay,  Cassianus 
illustrât  us,  p.  400. 


—  330  — 

XI'  siècle,  que  M.  baspres  a  publiée,  en  la  traduisant,  à  la  tin 
de  sa  Notice  sur  Saint-Giniez,  nous  lisons  :  a  Les  mêmes, 
Damalcus  d'AIbania  et  son  épouse  Dulciana,  donnent  (à  Saint- 
Victor)  le  décime  qu'ils  avaient  sur  les  vignes  qui  sont  de- 
vant l'église  de  Sainte-Marie  de  Sait  (1).  » 

Or,  qu'était-ce  que  cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait?  Où 
était-elle  située?  A  l'embouchure  de  THuveaune,  là  môme 
où  les  Prémontrés,  au  XIII*  siècle,  trouvèrent  des  ruines  sur 
lesquelles  ils  bâtirent  leur  monastère  de  Notre-Dame  d'tfu- 
veaune. 

Ce  qui  le  prouve,  c'est  d'abord  la  dénomination  de  cette 
église  :  Sainte-Marie  de  Sait.  Ce  mot  sait,  écrit  en  abrégé, 
signifie  saltus,  que  Ton  tradttit  par  forêt,  bois. 

De  fait,  le  quartier  des  bouches  de  l'Huveaune  était  fort 
boisé  à  cette  époque  antique.  C'est  là  que  se  trouvait  le  Ligus 
Pinis,  bois  ou  forêt  de  pins  qui  des  bords  de  ce  cours  d'eau 
montait  vers  les  collines  de  la  Garde.  Aujourd'hui  encore,  les 
bois  épais  dès  propriétés  Talabot,  Schuitz  descendent  pres- 
que jusqu'aux  environs  de  l'emplacement  qu'occupait  le  mo- 
nastère des  Prémonlrés.  De  l'autre  côté  de  l'Huveaune,  le  bois 
ne  devait  pas  être  moins  fourni.  Il  se  continuait,  par  le  collet 
de  Montredon  jusqu'aux  montagnes,  interrompu  çà  et  ta  par 
quelques  clairières  où  poussaient  les  vignes,  les  arbres  frui- 
tiers et  le  blé. 

Si  l'on  avait  voulu  donner  à  une  église,  située  à  cet  endroit, 
un  nom  en  rapport  avec  l'état  topographique  de  la  localité,  on 
ne  pouvait  mieux  faire  que  de  l'appeler  église  de  Notre-Dame 
du  Dois,  de  la  Forêt.  Or,  c'est  précisément  ce  nom  que  porte 
cette  église  :  Notre-Dame  de  Sait. 

Il  y  a  une  autre  explication  que  légitime  fort  bien  l'état  des 
lieux.  Saltu8  veut  dire  aussi  défilé,  ravin  ;  par  extension,  on 
pourrait  lui  faire  signifier  gué,  passage  difficile.  Or,  presque  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune,  à  l'entrée  actuelle  du  château 

(l)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  SainUGiniez,  appendice,  p.  139.—  «  Ego 
Damalcus  de  Albania  et  uxor  me  a  Dulciana  donamus. ..  illam  decimam 
quœ  habebamus  in  vineis  quae  suût  ante  ecclesiam  Sanctse  Marine  de 
Sait,  ».  —  Charte  de  1097,  archives  départementales,  fonds  de  Saint- 
Victor,  n»  709,  317. 


—  331  — 

Borrély,  se  trouvait  légué  de  Romagnac,  legasd'Arculens*.  Et, 
depuis  la  hauteur  du  chemin  actuel  de  Mazargues  jusqu'à 
l'embouchure  de  THiiveaune,  s'étendait  le  palud  d'Àrchulens.  ' 
Si  Ton  voulait  donner  un  nom  à  une  église  placée  à  deux  pas 
de  ces  marais  et  de  ce  gué,  celui  de  "Sainte-Marie  du  Gué,  du 
passage  difficile,  de  Sait  aurait  bien  la  couleur  locale.  C'est 
celui  que  fournit  la  charte  de  1097. 

Bien^>lus,  cette  même  charte  parle  des  vignes  qui  se  trou- 
vaient devant  l'église  de  Sainte- Marie  de  Sait.  Or,  l'état  des 
lieux  tels  que  les  documents  postérieur*  nous  le  dépeignent 
permet  de  croire  que  devant  l'ancienne  église  des  Prémontrés, 
à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  s'étendaient  des  vignes.  Un  acte 
du  27  octobre  15794  mentionné  par  M.  Daspres(l),  établit 
«  que  l'église,  alors  la  propriété  des  dames  de  Saint-Sauveur, 
était  environnée  de  vignes,  excepté  au  couchant,  où  elle 
était  bornée  par  la  mer  ».  Et  par  un  acte  du  5  décembre  1781, 
a  que  la  propriété  des  dames  de  Saint- Sauveur  consistait  en 
terres  cultes  et  incultes,  vignes,  arbres,  bâtiments  et  puits, 
située  au  dit  lieu  de  Notre-Dame  d'Huveaune  (2)  ».  L'église 
de  Notre-Dame  de  Satt  était  donc  à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune. 

Nous  en  trouvons  une  autre  preuve  dans  le  contexte  de  la 
«charte  de  1097.  Damalcus  d'Albania  rend  à  Saint-Victor  une 
terre  située  à  la  fos  d'Uvelne  ;  puis,  au  paragraphe  suivant,  il 
cède  la  dime  des  vignes  placées  devant  l'église  de  Sainte-Marie 
de  Sait.  Immédiatement  après,  Iteiius  deBorriana  cède  à  Saint- 
Victor  une  terre  au  gué  de  Romagnac  (3).  Peut-on  croire  que 
dans  l'espace  de  deux  ou  trois  lignes  on  indique  deux  propriétés 
presque  contiguës  et  une  troisième  placée  en  tout  autre  en- 
droit et  bien  éloignée  des  deux  premières? 

On  pourrait  objecter  que  sur  le  terroir  de  Pourrières  il  exis- 
tait, à  cette  môme  époque,  une  église   dédiée  à  la  Sainte 

(1)  Notice  sur  Saint-Giniez,  par  M.  l'abbé  Daspres,  p .  30.  —  Par  un 
acte  passé  en  1320,  une  Béat  ri  x  Gasqui  vend  une  vigne  sise  proche  le 
monastère  de  N.-D.  de  l'Huveaune.  (Fonds  de  Saint-Sauveur,  H,  50; 
archives  départementales.  ) 

(2)  M.  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,ip.  31. 

(3)  Voir  celte  charte.  M.  Daspresr  op.  cit.,  p.  139. 


—  332  — 

Vierge  sous  le  titre  de  Sainte-Marie  de  Sait,  de  Saltu,  ad 
Saltumy  de  Sauto  (1);  que,  partant,  il  s'agit,  dans  la  charte 
de  1097,  d'une  chapelle  située  à  Pourrières  et  non  pas  aux 
bords  de  l'Huveaune. 

Cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait,  à  Pourrières,  en  effet, 
fut  donnée  h  Saint- Victor  en  1065  par  Iterius,  fils  d'Aice- 
lene,  épouse  d'un  vicomte  de  Marseille  (2)  ;  en  1079,  une 
bulle  du  pape  Grégoire  MI  en  confirmait  la  possession  à 
Saint- Victor.  En  1135,  une  autre  bulle  pontificale  en  parlait 
dans  le  même  ordre  d'idées;  en  1113,  dans  un  autre  docu- 
ment, il  s'agissait  de  la  même  église  (3).  Or,  les  donateurs 
de  cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait,  à  Pourrières,  sont 
les  mêmes  que  ceux  dont  il  est  parlé  à  plusieurs  reprises  dans, 
la  charte  de  1097,  qui  donnent  à  Saint-Victor  certains  biens 
situés  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Cette  donation  se  fait  à 
l'époque  où  l'on  parle  de  Sainte-Marie  de  Sait  dans  la  charte 
de  1097.  De  plus  on  n'indique  pas  dans  ces  documents  qu'il 
s'agit  d'une  église  de  SainteMariedeSalt  différente  de  celle 
de  Pourrières.  Il  semble  donc  qu'il  n'y  ait  jamais  eu  qu'une 
seule  église  de  ce  nom  :  celle  de  Pourrières. 

Et  cependant,  nous  soutenons  qu'il  s'agit  bien  d'une  église 
située  sur  le  terroir  de  Saint-Giniez,  à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune. Remarquons,  en  effet,  que  la  charte  121,  de  l'an 
1065,  dit,  de  cette  église  de  Pourrières,  qu'elle  est  «  in  terri - 
torio  de  Porrerias  »,  la  charte  843,  de  1079,  dit  qu'elle  est  «  in 
episcopatu  Aquensi»;  la  charte  848  de  1113,  la  charte  844  de 
1135  emploient  la  même  formule.  Et  notre  charte  de  1097  ne 
dit  rien  !  Afin  de  n'amener  aucune  confusion,  lorsque  le  bien 

(1)  Notre-Dame  de  Miséricorde,  notice  historique  sur  la  statue 
vénérée  sous  ce  titre  dans  la  paroisse  de  Pourrièrest  par  Ferdinand 
André,  p.  7. 

(2)  «  Ego  Joffredus  Aicelene  quondam  fil i us. . .  et  ego  Iterius. .  .«Charte 
21,  de  1065,  cartulairede  Saint-Victor. 

(3)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  t.  II,  charte  843  de  1079,  charte  814  de 
1135,  charte  848  de  1113.  Cependant  une  charte  de  1098,  charte  224,  qui 
renferme  la  confirmation  au  monastère  de  Saint-Victor  des  chapelle  que 
cette  abbaye  possédait  dans  le  diocèse  d'Aix,  ne  parle  pas  de  cotte  église, 
quoiqu'elle  nomme  l'église  de  Saint-Trophime  a  Pourrières,  celles  de 
Saint-Pierre,  de  Saint-Jacques  et  de  Saint-Etienne. 


-  333  — 

cédé,  vendu,  se  trouve  dans  un  terroir  autre  que  celui  où  Ton 
est,  on  indique  l'endroit  précis  de  ce  bien,  de  cette  terre.  Or, 
on  rédige  la  charte  de  1097  à  Marseille  ;  il  s'agirait  d'une 
terre  à  Pourrières,  hors  du  terroir,  hors  du  diocèse  et  l'on 
n'indiquerait  pas  où  se  trouve  cette  terre,  cette  église  de 
Sainte-Marie  de  Sait?  Cela  semble  difficile  à  croire. 

Pourquoi,  dira-t-on,  ne  pas  mentionner  que  cette  église 
était  dans  le  terroir  de  Marseille  et  différente  de  celle  de  Pour- 
rières ?  C'est  que  toutes  les  deux  n'ont  pas  appartenu  à  Saint- 
Victor.  Si  celle  de  Pourrières  lui  appartient,  la  charte  de  1097 
ne  dit  pas  que  celle  de  Marseille  soit  sa  propriété.  Il  n'y  a  que 
la  dlme  sur  les  vignes  qui  revienne  à  Pabbaye.  L'église  elle- 
même  à  qui  est-elle?  Il  n'en  est  pas  question.  Elle  n'appar- 
tient pas  à  Saint- Victor,  en  effet,  nous  le  verrons  bientôt.  Le 
moine-rédacteur  de  cette  charte  ne  s'occupait  que  des  biens 
appartenant  aux  religieux  de  Saint- Victor.  Il  n'avait  donc 
pas  à  faire  cette  mention . 

D'ailleurs,  qu'est-ce  que  cette  charte  de  1097?  Deux  lignes 
qu'elle  renferme  nous  donnent  la  clef  de  l'énigme  :  «  Toutes 
ces  donations  ou  ventes  ont  été  faites  ou  inscrites  en  l'année 
1097,  dans  l'église  de  Saint-Giniez.  »  (1)  A  notre  avis,  cette 
charte  désigne  tou3  les  biens  cédés  ou  donnés  à  Saint-Gi- 
niez, en  l'année  1097,  afin  de  constituer  la  même  de  cette 
église.  Nous  sommes,  en  effet,  en  1097;  l'église  en  ruines  de 
Saint-Giniez,  donnée  à  Saint- Victor  par  Pons  II,  évoque  de 
Marseille  en  1044,  a  été  rebâtie.  Il  faut  maintenant  y  établir 
un  prêtre  à  demeure  et  fonder  le  service  du  culte  divin.  Cette 
détermination  est  prise  en  1097,  et  mise  en  exécution.  Chaque 
semaine  de  cette  année,  pendant  plusieurs  jours,  le  registre 
est  ouvert  ;  à  chacun  de  s'inscrire  pour  la  somme  ou  le  bien 
qu'il  donne  ou  cède  à  Saint-Victor  en  faveur  de  cette  œuvre. 
A  la  fin  de  Tannée,  le  fonds  était  suffisant,  la  souscription 
fut  close. 

Que  telle  soit  la  raison  de  la  charte  de  1097,  un  simple  coup 

(1)  «  Factse  sunt  autem  hse  carte  harum  donationum  vel  venditionum 
an  no  aJb  incarnatione  Domini  MXGVII,  indictione  V,  in  ipsâ  ecclesià 
Sancti  Genesii  feria  V  aut  VI  sive  etiam  sabbato.  »  Charte  de  1097,  fonds 
de  Saint- Victor,  n«  789  ou  n*  317,  archives  départementales. 

22 


—  334  — 

d'œil  le  fait  apercevoir.  Si  un  religieux  de  Saint-Victor  avait 
voulu  simplement  dresser  le  sommier  des  possessions  de  l'ab- 
baye dans  le  terroir  de  Saint-Giniez,  il  aurait  d'abord  daté  le 
document  par  une  formule  plus  précise  :  le  jour,  le  mois, 
l'année.  Ici  Tannée  seulement  est  indiquée.  De  plus,  il  aurait 
suivi  un  certain  ordre.  Puisqu'il  y  avait  des  biens  disséminés 
dans  les  divers  quartiers  du  terroir  de  Saint-Giniez,  il  fallait 
mentionner  les  uns  à  la  suite  des  autres  tous  les  lots  de  terre 
situés  sur  un  même  point  du  terroir  et  non  pas  joindre,  à  un 
bien  sis  à  Framau,  près  du  Rouet,  une  terre  voisine  de  l'embou- 
chure de  l'Huveaune,  ni  un  champ  placé  sur  la  rive  droite  de  ce 
fleuve  à  un  autre  placé  sur  la  rive  gauche.  Or,  ce  décousu  dans 
la  rédaction  est  celui  que  nous  offre  la  charte  de  1097.  On 
parle  d'abord  des  terres  situées  près  de  l'église;  les  biens  si- 
tués à  Mazargues  et  à  Montredon  leur  succèdent.  Puis,  du  palus 
de  Framau  on  va  à  Consuas,  de  Consuas  à  l'Antignane,  de 
l'Antignane  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  I  Autre  remarque. 
C'est  qu'il  y  a  ordinairement  deux,  trois,  quatre  propriétaires 
du  même  quartier  qui  consignent  à  la  suite  les  uns  des  autres 
les  biens  qu'ils  donnent,  dans  ces  quartiers.  Notre  conclusion 
est  donc  que  cette  charte  est  le  livre  dans  lequel  les  proprié- 
taires de  bonne  volonté  se  sont  inscrits  pour  doter  la  nouvelle 
église. 

Mais,  et  c'est  ici  que  se  trouve  la  preuve  de  notre  affirma- 
tion :  qu'il  s'agit  bien  d'une  église-  de  Sainte-Marte  de  Sait, 
à  Saint-Giniez,  toutes  ces  terres,  tous  ces  biens  se  trou- 
vent dans  le  terroir  de  Saint-Giniez,  ou  aux  environs.  Donc, 
les  vignes,  que  la  charte  dit  être  placées  devant  l'église  de 
Sainte-Marie  de  Sait  et  dont  Damalcus,  d'Aubagne,  donne  la 
dlmc  à  Saint- Victor,  se  trouvent  dans  le  terroir  de  Saint- 
■0  Giniez.  Donc,  l'église  de  Sainte- Marie  de  Sait  s  élève  dans  le 

terroir  de  Saint-Giniez.  Donc,  il  .ne  s'agit  pas  de  celle  de  Pour- 
rières.  Sinon  il  faudrait  dire  que,  pour  doter  l'église  de  Saint- 
Giniez,  on  donne  des  rentes  et  des  biens  situés  en  dehors  du 
territoire.  Ce  qui  n'est  guère  probable.  Dans  ces  deux  lignes 
donc  de  la  charte  de  1097,  il  s'agit  d'une  église  de  Sainte-Marie 
de  Sait,  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  (1). 

(1)  On  pourrait  alléguer  encore,  comme  preuve  qu'il  s'agit,  dans  ce 


—  335  — 

Ce  point  bien  établi,  poursuivons  notre  étude. 

En  quel  état  se  trouvait  cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait, 
en  109/  ?  La  charte  ne  le  dit  pas.  Mais  on  peut  affirmer  qu'elle 
était  en  ruines.  Il  a  été  prouvé,  au  chapitre  précédent,  que 
forcément  elle  Tétait  en  1044;  sinon,  au  lieu  de  faire 
rebâtir  Saint-Giniez,  on  se  serait  servi  de  cette  église.  De 
plus,  qu'en  1204  on  ne  puisse  en  dire  ni  le  vocable,  ni  l'ori- 
gine, c'est  une  preuve  que  depuis  fort  longtemps  déjà  elle 
était  hors  d'usage  1 

Or,  à  qui  appartenaient  ces  ruines  dès  1097  ?  Pas  à  Saint- 
Victor,  car  aucune  des  bulles  pontificales  confirmant  à  l'ab- 
baye la  possession  de  certaines  églises  ne  fait  mention  de 
Sainte-Marie  de  Sait  (de  Marseille)  au  nombre  de  celles  qui 
lui  appartiennent.  Appartenaient- elles  à  Saint-Sauveur  ? 
Nous  ne  saurions  le  dire.  A  l'évoque  de  Marseille?  Oui,  c'est 
plus  probable.  Car,  en  1204,  celui-ci  fait  acte  de  propriétaire 
en  cédant  cette  église  aux  Prémontrés. 

Mais  qui  donc  avait  bâti  cette  église,  déjà  en  ruines,  en  1097? 
Ni  Saint-Victor,  ni  Saint-Sauveur,  ni  l'évoque  de  Marseille, 
aux  X*  et  XP  siècles  (de  900  à  1097).  Car  les  invasions  des 
Sarrasins,  la  destruction  des  monastères,  la  restauration  de 
Saint- Victor,  le  relèvement  de  Saint-Sauveur,  les  difficultés 
que  rencontrait  l'évoque  pour  réparer  tant  de  désastres  dans  sa 
ville  épiscopale,  ne  durent  pas  permettre  de  construire  une 
église  en  ce  point  du  terroir.  La  preuve  en  est  que  l'évoque 
cède  l'église  de  Saint-Giniez  à  l'abbaye  de  Saint -Victor,  en 

passage  de  la  charte  de  1097,  d'une  église  située  non  pas  à  Pourrières, 
mais  sur  les  bords  de  l'Huveaune,  le  terme  dont  on  appela  une  tour, 
bâtie  prés  de  la  mer,  aux  environs  de  l'embouchure  de  l'Huveaune,  et 
qui  existait  au  XIV*  siècle  :  la  tour  de  Palbs,  «  ad  turrem  quse  dicitur 
Palbs  ».  D'une  part,  certains  auteurs  placent  cet  édifice  non  loin  de  la 
plage  actuelle  du  Prado.  D'autre  part,  il  y  a  une  très  grande  similitude 
entre  Sait  et  Palbs  ;  ajoutez  que  l'on  ne  peut  donner  la  signification  de 
ces  deux  noms.  —  Le  Cassianus  illustratus  de  Guesnay  donne  la  bulle 
d'Urbain  V,  où  on  lit  ces  mots  :  «  Eundo  per  montem  qui  dicitur  Mons 
Rotundus  parvus*  veniendo  directe  usque  ad  turrem  quse  dicitur  Palbs, 
et  veniendo  directe  a  dicta  turri  per  littus  maris  usque  ad  ecclesiam 
sancti  Nicolai.  »  Page  292.  —  De  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II, 
p.  169.  —  Mortreuil,  Dictionnaire  iopo graphique,  verbo  :  Palbas, 
p.  257. 


-  336  — 

1044,  pour  que  celle-ci  puisse  la  rebâtir.  Avant  le  X*  ou  XI* 
siècle  donc,  l'église  de  Sainte-Marie  de  Sait  existait. 

Est-ce  au  IX*  siècle  qu'il  faut  placer  sa  construction  ?  Non 
pas.  Dès  814  ou  820,  les  Sarrasins,  les  Normands,  un  instant 
contenus,  ont  recommencé  leurs  invasions.  Ce  n'est  pas  le 
moment  favorable  pour  bâtir  des  églises.  Il  faut  remonter  jus- 
qu'au début  du  IX*  siècle,  à  la  fin  du  VIII*,  pour  rencontrer  une 
époque  de  tranquillité,  le  règne  de  Charlemagne  par  exemple. 
C'est  alors,  croyons -nous,  que  l'on  a  construit  l'humble  ora- 
toire de  Sainte-Marie  de  Sait  à  l'embouchure  de  l'Huveaune. 

Mais  à  la  fin  du  V III*  siècle,  au  début  du  IX*,  pour  quel 
motif  élever  une  église  en  cet  endroit  écarté  ?  Pourquoi  la 
dédier  à  la  Sainte  Vierge  ?  Qui  le  dira?  Dans  l'Atlas  Maria- 
nu8y  cité  plus  haut,  il  est  écrit,  en  parlant  de  limage  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune,  qu'il  y  avait  là,  dans  le  cœnobium  situé 
sur  les  bords  de  ce  petit  fleuve,  une  statue  miraculeuse  de 
Marie.  C'est  aux  pieds  de  cette  image  qu'Eusébie  et  ses  com- 
pagnes se  mutilèrent  le  visage  afin  de  garder  leurs  cœurs  à 
Dieu.  Or,  un  tel  acte  d'héroïsme,  ajoute-t-on  dans  cet  ouvrage, 
n'a  pu  s'accomplir  sans  un  miracle  de  la  Sainte  Vierge,  sans 
une  force,  une  énergie  que  la  protection  de  Marie  valut  à  ces 
saintes  âmes  (1).  Est-ce  là  une  simple  exagération  ?  Non. 
Aussi  nous  dirons  :  il  y  a  eu,  à  la  fin  du  VIII*  siècle,  un 
oratoire  dédié  à  Marie  sur  les  bords  de  l'Huveaune  ;  donc, 
c'est  sur  ces  bords  aussi  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée! 

Jugez,  en  effet,  si  notre  conclusion  est  en  l'air  1 

Une  tradition  dont  nous  avons  donné  des  preuves,  Gxe  à  cet 
endroit  le  martyre  d'Eusébie.  Et  il  y  a  là  une  église  :  ecclesia  ! 
La  tradition  assigne  la  fin  du  VIII'  siècle  comme  époque  de  ce 
martyre.  Et  cette  église  existe  en  cet  endroit,  à  la  fin  du  VIII* 
Siècle,  au  début  du  IX*  I  Les  auteurs  s'accordent  à  dire  que  le 
vocable  primitif  du  cœnobium  des  Cassianites  était  la  Sainte 
Vierge.  Et  cette  église  des  bords  de  l'Huveaune  est  dédiée  à 
sainte  Marie  !  Un  sait  que  les  religieuses  cassianites,  martyri- 
sées aux  bords  de  l'Huveaune  ne  furent  pas  ensevelies  dans  le 


(1)  c  I  nunc,  et  hoc  sine  Deiparœ  miraculo  fieri  posse  puta.  »  Atlas 
Marianne,  t.  II,  p.  3017. 


—  337  — 

cœnobium,  mais  dans  les  cryptes  de  Saint- Victor  ;  quelles  ne 
furent  pas  considérées  comme  de  véritables  martyres  ;  que  dès 
lors  le  peuple  ne  les  invoqua  point  en  cet  endroit  du  terroir  où 
elles  avaient  subi  la  mort.  Mais  on  comprend  qu'il  dut  véné- 
rer la  maison,  l'oratoire  de  ces  héroïques  vierges.  Et  le  peuple 
appelle  cette  maison,  cette  église,  l'église  «  deis  Desnarrados  I  » 
Le  peuple  dut  encore  vénérer  l'image  de  la  Vierge  Marie, 
devant  laquelle  a  leis  Desnarrados  »  avaient  souffert.  Et  le 
titulaire  de  cette  église  n'est  pas  sainte  Eusébie,  mais  la  Sainte 
Vierge,  sainte  Marie  de  Sait,  la  Sainte  Vierge  de  la  Forêt,  la 
Sainte  Vierge  des  Bois,  la  Sainte  Vierge  du  monastère  du  Gué, 
Sainte  Vierge  de  l'Huveaune.  On  sait,  enfin,  que  Saint-Cyr  fut 
le  vocable  du  cœnobium  dont  Eusébie  était  abbesse.  Et  dans 
le  monastère  rebâti  plus  tard  sur  les  ruines  de  cette  église  de 
Sainte-Marie  de  Sait  on  professait  une  grande  dévotion  à  saint 
Cyr!!l 

Que  de  coïncidences,  en  vérité,  si  le  cœnobium  d'Eusébie 
ne  s'éleva  pas  où  fut  plus  tard  cette  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Sait!  !I 


CHAPITRE  X 

Notre-Dame  d'Huveaune,  vocable  de  l'abbaye 

des  Prémontrés 

VOCABLE  DONNÉ  PAR  LBS  PRÉMONTRÉS  A  UNIS  ÉGLISE  BATIE  SUR  LES 
RUINES  QU'ILS  TROUVENT  EN  1201,  A  L'EMBOUCHURE  DE  L*HUVEAJJNE. 
—  D'OU  VIENT  CE  VOCABLE?  —  SAINTE  MARIE  DE  6ALT  EN  1097.  — 
DÉVOTION  ANTIQUE  DES  HABITANTS  DBS  BORDS  DE  L'HUVBAUNE.  — 
LES  PRÉMONTRÉS  CHANGENT  CE  VOCABLE  EN  CELUI  DE  NOTRE-DAME 
D'HUVEAUNE.  —  ILS  NE  POUVAIENT  PAS  PRENDRE  LE  VOCABLE  DE 
SAINT-CYR. 

Le  vocable  sous  lequel  les  Prémontrés  placèrent  leur  monas- 
tère, bâti  en  1204,  aux  bords  de  l'Huveaune,  est  une  preuve 
nouvelle  à  l'appui  de  notre  assertion,  que  là  se  trouvait  le 
cœnobium  où  vécut  sainte  Eusébie. 

Quel  fut  ce  vocable  ?  La  charte  de  fondation  de  r abbaye 
d'Huveaune  ne  l'indique  pas.  Ce  n'est  que  dans  la  bulle  du 
pape.  Honorius  111,  envoyée  aux  Prémontrés,  en  1218,  quatorze 
ans  après  rétablissement  de  cette  abbaye,  que  Ton  trouve  ce 
monastère  désigné  sous  le  vocable  de  a  Sanctae  Mariae  de 
lbelnà  ». 

Il  est  fort  remarquable  que  les  Prémontrés  de  Font-Caude, 
qui  viennent  fonder  un  monastère  ayx  bords  de  l'Huveaune, 
n'aient  pas  au  préalable  choisi  un  titulaire.  On  ne  se  décide 
pas  du  jour  au  lendemain  à  fonder  une  abbaye,  on  a  donc 
tout  le  temps  d'en  choisir  le  vocable  ! 

Mais  il  est  plus  remarquable  encore  que  l'évêq ne  de  Mar- 
seille ne  désigne  pas  à  ces  religieux  le  vocable  qu'ils  pourraient 
donner  à  leur  fondation.  Il  est  parlé,  dans  la  charte  de  1204, 
d'une  église  et  d'une  maison,  que  l'évoque  permet  aux  Pré- 
montrés de  rebâtir  pour  en  faire  une  maison  de  leur  ordre  et 
l'évéque  ne  sait  pas  indiquer  quel  était  le  titulaire  de  cette 
église.  Il  y  a  là  quelque  chose  d'assez  extraordinaire. 

Au  bout  de  quatorze  ans  cependant,  le  nom  de  Sainte-Marie 


STATUE    DE   NOTHti- 


—  339  — 

d'Huveaune  apparaît.  D'où  vient  ce  vocable  ?  Est-ce  une  simple 
dénomination  que  les  Prémontrés  ont  imaginée  et  qu'ils  ont 
attribuée  à  leur  monastère?  Non,  le  choix  du  patron  d'un  lieu, 
d'une  église  se  fait  d'une  manière  plus  sérieuse.  Sont-ce  les 
Prémontrés  qui  d'eux-mêmes  ont  donné  ce  vocable  à  leur 
abbaye?  Sûrement  ils  l'auraient  indiqué  dans  la  charte  de 
fondation.  L'ont-ils  trouvé  déjà  attaché  à  celte  église  et  à  cette 
maison  en  ruines?  L'évoque,  l'ordinaire  du  lieu,  l'aurait 
su,  et  lui  aussi  l'aurait  fait  connaître  dans  la  charte  de  1204. 
Comment  sortir  de  celte  difficulté?  Il  y  a  un  moyen  ! 

Rappelons-nous  qu'il  y  avait  là,  antérieurement  à  1204, 
une  petite  église,  et  que  cette  église  portait  le  nom  de 
Sainte-Maïie  de  Sait.  La  charte  de  1097  en  fait  foi.  Or,  cette 
église,  déjà  au  XI*  siècle,  était  en  ruines,  et  elle  l'était  depuis 
fort  longtemps.  Voilà  pourquoi  Tévêque  n'en  rappelle  pas  le 
nom  dans  la  charte  de  1204  Aucun  titre  peut-être  ne  le  lui 
apprenait  sûrement  et  il  ne  voulait  pas  l'indiquer  en  propres 
termes  dans  un  document  officiel,  afin  de  ne  pas  paraître 
l'imposer  aux  Prémontrés. 

Or,  ce  titre  de  Sainte-Marie  de  Sait  donné  à  cette  église  pri- 
mitive, d'où  venait-il?  Nous  le  savons,  c'était  la  dévotion 
populaire  qui  l'avait  imposé  à  cette  chapelle,  en  souvenir 
d'un  fait  merveilleux  :  l'héroïsme  avec  lequel  les  vierges 
cassianites  avaient  souffert  le  martyre  pour  conserver  leur 
vertu.  C'est  aux  pieds  de  la  statue  de  Marie,  dit  le  Père  Poirey, 
que  cet  événement  s'était  déroulé,  c'est  la  Sainte  Vierge  qui 
avait  donné  aux  Cassianites  le  courage  pour  accepter  la  mort 
plutôt  que  l'ignominie.  De  là  vint  la  dévotion  que  le  peuple 
professa  pour  la  Sainte  Vierge  en  ce  point  du  terroir. 

Les  Prémontrés  trouvent  donc  celte  dévotion  implantée  sur 
ces  ruines.  On  leur  en  parle  dès  leur  arrivée  aux  bords  de 
l'Huveaune.  Ils  ne  se  pressent  pas  d'acquiescer  au  dire  popu- 
laire. Ils  se  donnent  le  temps  de  réfléchir  et  de  mieux  se  ren- 
seigner. Finalement  ils  l'acceptent.  Seulement,  comme  c'est 
une  réédification,  une  fondation  nouvelle,  tout  en  conservant 
la  dévotion  attachée  à  ces  ruines,  ils  lui  donnent  un 
nom  nouveau,  mais  tout  local.  Impossible  de  garder  celui 
de  Sainte- Marie  de  Sait.  Il  y  a  à  Pourrières,  dans  le  diocèse 


—  340  — 

d'ALx,  une  chapelle*portant  ce  nom.  On  ne  peut  le  conserver 
à  l'église  qu'ils  restaurent.  Cela  donnerait  lieu  plus  tard  à  des 
difficultés. 

Impossible  encore  de  garder  le  vocable  de  Saint-Cyr,  que 
portait  lecœnobium  d'Eusébie  quand  elle  fut  martyrisée.  Nous 
sommes  en  1204.  Or,  dans  le  courant  du  XI'  ou  du  XII*  siècle 
on  a  vendu  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  des  terres  qu'elle 
possédait  jadis,  elle  les  a  consignées  dans  ses  archives,  sous  la 
rubrique  de  l'ancien  vocable,  la  confusion  va  se  produire  dans 
les  biens  des  deux  monastères. 

Ces  ruiues  se  trouvent  aux  bords  de  la  mer.  Mais  l'église  de 
Saint-Giniez  est  déjà  appelée  :  «  ecclesia  Sancti  Genesii  in  ripa 
maris  ».  Même  difficulté  que  plus  haut  à  prendre  le  nom  de 
Sainte-Marie  a  in  ripa  maris  ».  Elles  se  trouvent  sur  les  rives 
de  l'Huveaune.  Le  vocable  est  tout  trouvé  :  Sainte  Marie  d'Hu- 
veaune.  Ce  sera  celui  du  nouveau  cœnobium.  Ainsi  se  perpé- 
tuera la  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  établie  en  cet  endroit  (1). 


(1)  Elle  serait  délicieuse  à  lire  l'histoire  de  la  dévotion  des  habitants 
de  Saint-Giniez  envers  Notre  Dame  d'Huveaune  !  Mais  qui  pourra  jamais 
la  composer  ?  Les  documents  sur  ce  sujet  sont  si  rares  ! 

Quoiqu'il  en  soit,  durant  des  siècles  cette  dévotion  a  fait  le  bonheur 
de  nos  aïeux.  Avant  la  Révolution,  ils  entouraient  de  leurs  hommages  la 
slatue  vénérée  de  Notre-Dame  d'Huveaune,  dans  la  chapelle  de  ce  nom. 
Après  la  Révolution,  le  souvenir  qu'ils  gardaient  de  la  protection  bien- 
faisante dont  Notre-Dame  avait  récompensé  leur  piété,  était  si  durable, 
qu'ils  venaient  encore  visiter,  à  certaines  fêtes  de  l'année,  son  antique 
sanctuaire.  Mais  hélas!  celui-ci  était  dépouillé  maintenant  de  son  plus 
bel  ornement  :  l'image  bénie  de  la  Sainte  Vierge. 

Qu'était  devenu,  se  demandait-on  souvent  avec  anxiété,  ce  précieux 
trésor  de  la  foi  de  nos  pères  ?  On  apprit  enfin  qu'aux  plus  mauvais  jours 
de  la  Révolution  une  main  pieuse  l'avait  dérobé  aux  profanations 
sacrilèges  des  Vandales  de  l'époque,  et  l'avait  abrité  dans  un  oratoire 
domestique.  Bien  des  sollicitations  arrivèrent  aux  heureux  Obédédoms 
de  la  nouvelle  arche  d'alliance  :  elles  ne  furent  pas  écoutées.  L'heure 
marquée  par  Dieu  n'était  point  encore  venue  de  rendre  à  Marie  son 
église,  son  autel  et  son  trône  ! 

De  fait,  les  curés  de  Saint-Giniez  n'espéraient  plus  rentrer  en  possession 
de  la  vénérable  image.  Après  avoir,  les  uns  reconstruit,  l'église  de  ce 
quartier,  les  autres  l'avoir  ornée,  disposée  et  embellie,  le  curé  actuel, 
l'abbé  Coudray,  mettant  la  dernière  main  à  l'œuvre,  la  fit  daller  en  marbre, 
et  en  annonça  la  consécration  prochaine.  Quinze  jours  à  peine  devaient 


-  341  — 

Or,  cette  dévotion,  ne  l'oublions  pas,  est  l'écho  d'un  événe- 
ment qui  s'est  passé  sur  ces  bords:  le  martyre  de  sainte 
Eusébie.  Donc,  le  vocable  de  Notre-Dame  d'Huveaune  donné  à 
ces  ruines  que  l'on  restaure  est  une  confirmation  de  la 
croyance  que  là  s'élevait  le  coenobium  de  sainte  Eusébie. 

s'écouler  avant  cette  cérémonie  .  Quelque  sainte  âme  plaida-t-elle  auprès 
de  Dieu  la  cause  de  Marie  ?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Un  jour  on  annonce 
à  l'abbé  Coudray  l'arrivée  d'un  colis  et  d'une  lettre  à  son  adresse.  On 
ouvre  la  caisse,  on  décacheté  le  pli  !  O  merveille  1  !  C'était  la  statue 
antique  de  Notre-Dame  d'Huveaune  qui  revenait  de  bien  loin,  à  Saint- 
Giniez,  afin  d'y  présider,  pour  ainsi  dire,  les  solennités  que  Ton  préparait 
en  l'honneur  de  son  Fils  !  1  Vite,  avec  joie  et  amour  on  lui  dressa  un 
trône  magnifique  l  Avec  une  douce  émotion  on  la  recouvrit  de  vêtements 
somptueux.  Et,  au  jour  mémorable  de  la  consécration  de  l'église,  Notre. 
Dame  d'Huveaune  était  là  sur  son  autel,  gardant  à  ses  pieds  les  saintes 
reliques  dont  le  nouveau  temple  allait  être  enrichi  ;  assistant  aux  longues 
mais  sublimes  prières  de  la  liturgie  en  cette  cérémonie;  voyant  se 
dérouler  devant  elle  les  rangs  pressés  dés  fidèles,  avides  de  la  prier,  de 
la  remercier  d'être  retournée  au  milieu  d'eux  ;  entendant  les  exclamations 
naïves  de  tous,  tant  on  était  fier  et  heureux  d'avoir  encore  l'ancienne 
Bonne-Mère  du  quartier  l  !  1 

La  cérémonie  achevée,  Notre  Seigneur  reçut,  parle  fait  de  la  consécration 
de  l'édifice,  une  demeure  définitive  à  Saint-Giniez.  Mais  sa  volonté  était 
manifeste.  A  la  veille  de  ces  jours  de  fête,  il  avait  mandé  sa  Mère.  Son 
désir  était  donc  que  sa  Mère  demeurât  avec  lui. 

A  son  tour,  Notre-Dame  d'Huveaune  rentrait  en  triomphe  dans  la 
nouvelle  église.  En  qualité  d'antique  Heine  de  ces  lieux,  elle  s'assit  à  la 
droite  de  son  Fils.  A  cette  heure,  du  haut  de  son  autel,  que  dans  je  ne 
sais  quel  pressentiment  secret  on  avait  élevé  riche  et  précieux,  Notre- 
Dame  d'Huveaune  sourit  à  nos  chants,  préside  à  nos  fêtes,  entend, 
écoute,  exauce  nos  prières,  et,  comme  jadis  elle  avait  béni  et  protégé  nos 
pères,  elle  bénit  et  protège  leurs  enfants!  ! 


CHAPITRE    XI 

Coite  de  saint  Oyr  établi  dans  l'abbaye  des 
Prémontrés  de  rHuveaune 


AFFIRMATION  DE  M.ANDRÉ.—  INVENTAIRE  DE  1388.— D'OU  VENAIT  AUX 
PRÉMONTRÉS  LA  DÉVOTION  A  SAINT  CYR?—  D'CNE  FÊTE  LOCALE?  D*ONE 
RELIQUE  ?  —  L'ABBAYB  DE  SAINT-SAUVEUR  A  DU  EN  CÉDER  QUELQUE 
FRAGMENT. 


C'est  une  preuve  que  nous  suggère  M.  André  dans  son  His- 
toire de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  (1). 

«  Les  religieux  Prémontrés  établis  à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune,  dit-il,  honoraient  le  jeune  martyr  saint  Gyr  d'une  ma- 
nière toute  spéciale.  »  Nous  tirons  de  cette  assertion  une 
conclusion  naturelle  et  logique.  Si  les  Prémontrés  qui, 
avant  de  venir  aux  bords  de  rHuveaune,  n'avaient  pas  une 
dévotion  spéciale  à  saint  Gyr,  en  professent  une  fbien  grande 
en  y  arrivant,  sûrement  l'ancien  monastère  de  Saint-Cyr,  où 
mourut  sainte  Eusébie,  se  trouvait  aux  bords  de  rHuveaune. 

D'abord,  il  est  vrai  que  les  Prémontrés  de  l'Huveaune  pro- 
fessaient une  certaine  dévotion  à  l'endroit  du  jeune  martyr 
d'Antioche.  Dans  un  inventaire  desornements  de  la  chapelle  de 
Notre-Dame  d'Huveaune,  abbaye  des  Prémontrés,  inventaire 
rédigé  en  1388,  il  y  a  cette  note  :  «  Indumentum  sacerdotale 
pulchrum  pro  festo  Sancti  Cyrici  (2)  .»  La  mention  d'un 
ornement  affecté  à  un  jour  de  l'année  indique  clairement  que 
l'on  célèbre  ce  jour-là  une  fête  solennelle.  Or;  comme  l'on  a, 
dans  une  paroisse,  l'ornement  patronal,  ainsi  l'abbaye  possède 
l'ornement  propre  à  la  fête  de  saint  Cyr.  M.  André  a  dit  la  vérité. 

Mais,  d'où  venait  aux  Prémontrés  cette  dévotion  à  saint  Cyr? 


(î)  André,  op.  cit.,  p.  15. 

(2)  Archives  départementales   des  Bouches-du -Rhône,  fonds    Saint- 
Sauveur,  H,  Prémontrés,  inventaire  fait  en  1388. 


—  343  — 

D'abord,  elle  n'était  pas  spéciale  à  l'Ordre.  Nous  n'avons  pu 
voir  les  Annales  des  Prémontrés,  ouvrage  qui  ne  se  trouve 
pas  à  la  bibliothèque  de  Marseille.  Mais  les  Bollandistes,  soit  à 
la  vie  de  saint  Gyr,  soit  à  celle  de  saint  Norbert,  ne  font  aucune 
allusion  à  une  semblable  dévotion,  Il  n'est  guère  croyable  non 
plus  qu'elle  ait  été  apportée  de  Font-Caude,  d'où  sortaient 
les  religieux  fondateurs  de  notre  abbaye  de  l'Huveaune.  Car 
il  resterait  quelque  trace  de  cet  emprunt.  On  aurait,  dans  un 
acte  ou  dans  un  autre,  insinué  combien  cette  dévotion  primitive 
était  chère  à  tous,  puisqu'elle  venait  de  l'abbaye  mère.  Très 
probablement  même  le  monastère  de  l'Huveaune,  en  dépit  des 
réclamations  de  Saint-Sauveur,  eût  été  placé  sous  le  vocable 
de  Saint-  Cyr.  Rien  de  tout  cela  cependant. 

Donc  cette  dévotion  leur  provenait  ou  d'une  tradition  qu'ils 
ont  trouvée  en  cet  endroit  du  terroir,  tradition  qu'ils  ont  gar- 
dée ;  ou  d'une  fête  que  l'on  y  célébrait  avant  eux,  et  qu'ils 
ont  continué  de  solenni-er  comme  l'on  célèbre  dans  une  pa- 
roisse une  fête  antique;  ou  bien  de  quelque  relique  de  saint 
Cyr  que  l'on  aura  pu  donner  au  monastère  lors  de  sa  fonda- 
tion. 

Si  elle  provient  d'une  tradition  que  les  Prémontrés  trouvent 
implantée  en  ce  point  du  terroir,  notre  cause  est  gagnée.  Une 
tradition  place  aux  bords  de  l'Huveaune  le  monastère  de  Saint- 
Cyr;  une  autre  tradition,  locale  celle-là,  nous  montre,  la 
dévotion  à  saint  Cyr  vivante  en  ces  lieux.  La  coïncidence 
serait  trop  frappante  pour  qu'elle  ne  fût  pas  lavéflté. 

Si  c'est  une  fête  antique  qu'ils  célèbrent  chaque  année,  fête 
propre  à  ce  point  du  terroir,  d'où  peut  provenir  cette  fête  de 
saint  Cyr,  à  Saint-Giniez  ?  L'explique  qui  pourra.  Bien  hum- 
blement nous  disons  :  Une  tradition  rapporte  qu'il  y  avait 
jadis  aux  environs  de  Marseille  un  monastère  cassianite  sous 
le  vocable  de  Saint-Cyr,  monastère  dont  une  des  abbesses,  du 
nom  d'Eusébie  fut  martyrisée  avec  quarante  de  ses  compagnes' 
par  les  Sarrasins,  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  à  un  endroit 
appelé  la  chapelle  «  deïs  Desnarrados  » .  Ne  serait-ce  pas  la 
raison  de  cette  fête  ? 

Une  telle  explication,  sans  être  une  preuve  péremptoire,  est 
cependant  assez  difficile  à  révoquer  en  doute. 


-  344  — 

Si  cette  dévotion  à  saint  Gyr  provient  d'une  relique  que  le 
monastère  possède,  d'où  lui  vient  cette  relique?  Les  deux  reli- 
gieux fondateurs  de  l'abbaye  de  l'Huveaune  ne  l'ont  pas 
apportée  de  Font-Caude,  on  l'a  vu  plus  haut.  Serait-ce  le  don 
d'une  église,  d'une  abbaye?  C'est  possible.  Mais  de  quelle 
abbaye?  On  ne  sait.  Nous  rappelons  encore  qu'il  y  avait 
à  Marseille,  à  cette  époque,  aux  XII*,  XIII*,  XIV*  siècles, 
une  abbaye  de  religieuses,  celle  de  Saint -Sauveur,  qui  avait 
remplacé  l'antique  cœnobium  cassianite  sous  le  vocable  de 
Saint-Cyr  ;  que  cette  abbaye  de  Saint-Sauveur  possédait  des 
reliques  de  saint  Cyr  en  1204,  puisqu'elle  en  avait  en  1519  (1); 
que  probablement  cette  abbaye  en  a  cédé  une  portion,  si  mini- 
me soit-elle,  à  l'abbaye  de  l'Huveaune;  qu'à  cette  occasion  les 
Prémontrés  ont  institué  et  célébré  chaque  année  la  fête  de  ce 
saint.  N'est-ce  pas  encore  une  explication  plausible  de  l'exis- 
tence et  de  la  célébration  de  cette  fête  de  saint  Cyr  à  l'abbaye 
de  l'Huveaune? 

Et  voyez  la  force  de  cette  explication  !  saint  Cyr  et  ses  reli- 
ques sont  le  palladium  de  Saint-Sauveur,  son  plu3  riche  tré- 
sor, ce  qu'elle  a  sauvé  de  toutes  les  destructions.  Or,  l'abbaye 
de  l'Huveaune  est  construite  tout  récemment.  Elle  demande  à 
Saint- Sauveur  des  reliques  de  saint  Cyr.  Est-ce  que  Saint- 
Sauveur  acquiescera  à  ce  désir?  Â  ce  monastère  qu'elle 
ne  connaît  pas,  elle  donnera  d'autres  reliques.  Celles  de  saint 
Cyr?  Jamais  !  Si  elle  en  donne,  c'est  qu'il  y  a  eu  entre  ces  deux 
monastères  une  relation  toute  particulière.  Laquelle?  Précisé- 
ment celle  que  notre  tradition  rapporte.  Les  religieuses  de 
Saint-Sauveur  apprennent  que  les  Prémontrés  vont  habiter  là 
où  leurs  sœurs  cassianites  habitèrent  jadis,  ce  coin  de  terre 
qu'elles  ont  rougie  de  leur  sang.  Or,  le  monastère  antique, 
témoin  de  tant  d'héroïsme,  était  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr. 
Aussitôt  elles  divisent  les  reliques  du  saint  martyr,  et  en 
cèdent  une  partie  à  l'abbaye  de  l'Huveaune.  Celle-ci,  chaque 
année,  rappelle  cette  circonstance  en  célébrant  la  solennité  de 
ce  saint.  On  ne  donnera  pas  des  reliques  de  sainte  Eusébie,  on 
ne  célébrera  pas  la  fête  de  cette  vierge  et  de  ses  compagnes . 

(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  y.  114. 


—  345  — 

Ce  n'est  que  vers  1400  que  l'abbaye  de  Saint- Victor  vénérera 
leurs  restes  et  ce  ne  sera  que  sous  de  Belsunce  qu'on  rédigera 
un  office  en  leur  honneur.  Mais  saint  Cyr,  dès  le  début  du 
monastère  de  THuveaune,  sera  honoré  et  fêté. 

Voilà  une  preuve,  convaincante  selon  nous,  que  nous  em- 
pruntons à  M.  André. 


« 


CHAPITRE  XII 


"  Lois  Desnarrados  " 


«  LB1S  DESNARRADOS  ».  —     AUTEURS    APPELANT   DE    CE    NOM  SAINTE 
EUSÉBIB  RT  SES  COMPAGNES.  —   EXPRESSION  TRÈS  ANCIENNE. 


(Test  le  nom  donné  par  les  habitants  du  terroir  de  Saint- 
Giniez  à  la  chapelle  qui  fut,  d'après  la  tradition  de  leurs  aïeux, 
le  théâtre  du  massacre  de  sainte  Eusébie. 

Or,  pour  que  cette  expression  provençale  soit  vraiment 
une  preuve  de  notre  assertion:  que  sainte  Eusébie  a  souffert  le 
martyre  aux  bords  de  l'Huveaune,  il  nous  faut  bien  préciser 
le  sens  de  cette  expression.  Que  signifie  :  chapelle  «  deïs 
Desnarrados  »  ? 

A-t-on  donné  ce  nom  à  l'oratoire,  à  l'église  qui  se  voyait 
encore  au  début  de  notre  siècle,  parce  que  les  religieuses  de 
Saint-Sauveur  en  ont  été  les  possesseurs  en  1528  ?  Non,  nous 
l'avons  prouvé.  Cette  expression  ne  les  a  pas  suivies  partout 
où  elles  se  sont  établies: à  Saint-Loup,à  Saint-Marcel,  à  Sainl- 
Victor,  à  Saint-Sauveur. 

Par  ce  nom  on  appelle  l'église,  l'oratoire,  l'endroit  à  Saint- 
Giniez  où  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes  ont  mutilé  leurs 
visages  en  se  coupant  le  nez.  Lisez,  en  effet,  les  auteurs.  Qui 
appellent-ils  a  leïs  Desnarrados  »  ?  Eusébie  et  ses  compagnes. 

De  Rey  :  a  Les  corps  des  quarante  victimes  des  Sarrasins, 
que  le  peuple  appelle  du  nom  expressif  de  Desnar- 
rados (1).  »  —  De  Rey  :  a  Le  fait  de  sainte  Eusébie  et  des 
quarante  Desnarrados  n'est  donc  pas  de  celle  époque  (2).  »— 
L'abbé  Verlaque  :  a  En  disant  ces  paroles,  elle  se  coupa  le 
nez...  toutes  les  religieuses  suivirent  cet  exemples...  C'est 

(1)  Les  Saints  de  VEglise  de  Marseille,  p.  235. 

(2)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  145. 


—  347  — 

pour  cette  raison  qu'elles  reçurent  le  nom  de  senso  nas,  sans 
nez  (1).  »  —  L'abbé  Cayol  :  a  C'est  peut-être  là  (à  Saint- 
Tronc),  qu'habitaient  les  Desnarrados,  c'est-à-dire  des  reli- 
gieuses qui  se  coupèrent  le  nez  pour  échapper  à  la  brutalité 
des  barbares  qui  avaient  envahi  leur  asile  (2).  j>  —  Kothen  : 
«  Les  compagnes  d'Eusébie  imitèrent  son  exemple  héroïque... 
De  là  vient  le  nom  de  Desnarrados  qu'on  leur  donne  dans  la 
langue  vulgaire  (3).  9  —  André  :  «  Les  restes  des  quarante 
martyres  étaient  devant  l'autel  de  Notre-Dame  de  Confes- 
sion... L'action  des  religieuses  Desnarrados  vivra  long- 
temps dans  le  souvenir  des  Marseillais  (4).  »  —  C.  Bousquet  : 
«  On  connaît  le  dévouement  des  religieuses  de  Saint-Sauveur 
qui,  pour  échapper  aux  outrages  des  Sarrasins. . .  L'asile  de 
ces  saintes  filles  était  situé  alors  près  de  l'embouchure  de 
l'Huveaune. . .  De  la  vint  cette  tradition  populaire  qui  fit  long- 
temps appeler  les  ruines  du  couvent  et  de  l'église  :  tels  Des- 
narrados  (5).  »  —  Guindon  et  Méry  :  «  Ce  lieu  (du  martyre 
d'Eusébie  et  des  trente-neuf  religieuses  dont  elle  était  la 
supérieure)  où  était  situé  le  couvent  des  Cassianites,  à  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune,  est  encore  désigné  sous  le  nom  deis 
Desnarrados  (6).  »  —  Reinaud  :  «  Eusébie  et  ses  quarante 
religieuses  se  mutilèrent  le  nez. . .  d'où  elles  furent  appelées, 
dans  le  pays,  les  Desnazzados  (7).  »  —  La  Statistique  des 
Bouches-du-Rhône  :  «  L'exemple  d'Eusébie  fut  aussi  suivi  par 
les  Cassianites  de  l'autre  abbaye  (celle  de  l'Huveaune).  C'est  à 
cause  de  cet  événement  que  les  ruines  de  cette  dernière 
abbaye  de  l'embouchure  de  l'Huveaune  furent  appelées  leïs 
Desnarrado89  c'est-à-dire  le  monastère  des  religieuses  qui  se 

(1)  M.  l'abbé  Verlaque,  Notice  sur  sainte  Eusébie,  p.  16. 

(2)  Cayol,  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  p.  26* 

(3)  Notice  sur  les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille, 
par  Kothen,  p.  55. 

(4)  André,  Histoire  de  l'abbaye   des  religieuses  de  Saint-Sauveur 
p.  13. 

(5)  Casimir  Bousquet,  La  Major,  p.  67. 

(6)  Guindon  et  Méry,  Histoire  des  actes  et  délibérations  du  corps 
municipal  de  Marseille,  p.  202. 

(7)  Reinaud,  Invasions  des  Sarraains  en  Provence,  p.  137. 


-  348  — 

coupèrent  le  nez  (1) .  »  —  Papon  :  «  Ce  monastère  (de  l'Hu  - 
veaune)  fut  détruit  par  les  Sarrasins  ou  les  Visigoths.  Les  re- 
ligieuses qui  échappèrent  à  leur  fureur  ou  qui  la  prévinrent 
par  la  fuite,  s'étant  retirées  dans  le  couvent  qui  était  près  de 
Saint-Victor,  eurent  le  sort  de  sainle  Eusébie.  De  là  cette  tra- 
dition populaire  qui  fait  appeler  ces  vieilles  masures  leïs 
Desnarrados  ,  c'est-à-dire  le  monastère  des  religieuses  sans 
nez  (2).  » 

On  le  voit,  «  leïs  Desnarrados  »  ce  sont,  à  proprement  par- 
ler, sainte  Eusébie  et  ses  quarante  compagnes.  Donc  la  chapelle 
a  deïs  Desnarrados  »  c'est  le  monastère,  l'église  même  des  reli- 
gieuses qui  se  sont  coupé  le  nez.  Il  y  a  donc,  dans  le  terroir  de 
Saint -Giniez,  un  point,  un  endroit  dans  lequel  on  place  le 
martyre  de  sainte  Eusébie  :  la  chapelle  a  deïs  Desnarrados  ». 

Mais  depuis  combien  de  temps  emploie  -t-on,  à  Saint-Giniez, 
cette  expression  ?  M.  Daspres  écrivait  que  c'était  a  la  tradition 
constante  et  universelle  de  ceux  qui  se  souviennent  d'avoir  vu 
la  chapelle  de  Notre-Dame  de  l'Huveaune  ;  ils  ne  la  dénom- 
ment jamais  que  sous  le  titre  c  deïs  Desnarrados  ».  Nous  ajou- 
tons que  les  vieillards  de  Saint-Giniez,  interrogés  par  nous  sur 
ce  point,  nous  répondaient  :  Nous  avons  toujours  entendu  ap- 
peler cette  chapelle,  par  nos  anciens,  du  môme  nom  :  «  lels 
Desnarrados  ».  A  Saint-Giniez  donc,  de  tout  temps,  cette  ex  - 
pression  a  été  en  usage.  Hors  de  Saint-Giniez,  à  Marseille, 
cette  expression  est  regardée  comme  très  ancienne.  D'après  les 
auteurs  cités  plus  haut,  c'est  le  peuple,  la  langue  vulgaire,  la 
tradition  populaire  qui  emploient  ce  mot  expressif.  De  fait, 
c'est  une  formule  provençale  très  archaïque,  du  vrai,  du  pur 
provençal.  Papon  en  1776,  au  XVIII*  siècle,  la  connaissait  et 
la  citait  comme  transmise  par  la  tradition  populaire.  De  très 


(1)  Statistique  des  Bouches-du-Rhône,  t.  II,  p.    324. 

(2)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  362.  —  On  voit  l'étrange 
contradiction  dans  laquelle  sont  tombés  Papon  et  la  Statistique  pour  vou- 
loir admettre  l'existence  simultanée  de  deux  monastères  de  filles,  l'un  à 
Saint- Victor,  l'autre  à  l'Huveaune.  Et  cependant,  entraînés  par  la  tradi- 
tion populaire,  ils  appellent  «  lels  Desnarrados  »  les  religieuses  qui  se 
coupèrent  le  nez,  et  l'église  «  deïs  Desnarrados  »  le  monastère  ou  l'ora- 
toire de  ces  religieuses. 


—  ;U9  — 

longue  date  donc  on  a  employé  cette  expression,  à  Marseille,  et 
partant  on  y  a  cru,  ce  que  Ton  croyait  à  Saint-Giniez,  que  la 
chapelle  a  deïs  Desnarrados  »,  située  à  l'extrémité  du  Prado 
actuel,  était  bien  le  monastère,  l'église  oti  sainte  Eusébie  et 
ses  compagnes  avaient  souffert  le  martyre. 

Or,  est-il  possible  «que  des  générations  et  des  générations 
soient  dans  Terreur,  que  des  auteurs  de  Marseille  qui  ont  étu- 
dié nos  traditions  historiques  n'aient  pas  relevé  cette  erreur  ? 
Pas  un  n'aurait  rectifié  l'écart  de  la  tradition  populaire,  et 
donné  à  la  formule  «  lois  Desnarrados  »  son  sens  vrai,  un  sens 
autre  que  celui  dont  elle  jouit  et  dont  nous  appuyons  noire 
opinion  !  Nul  ne  Ta  fait,  que  nous  sachions,  d'une  manière 
solide  et  convaincante  La  chapelle  «  deïs  Desnarrados  »  est 
donc  bien,  dans  le  langage  du  peuple  et  des  historiens,  le  mo- 
nastère des  religieuses  qui  se  coupèrent  le  nez.  Or,  cette  cha- 
pelle a  deïs  Desnarrados»  se  trouve  toujours,  d'après  le 
langage  populaire,  à  Saint-Giniez  ;  à  l'embouchure  de 
THuveaune.  Donc  c'est  là  qu'a  été  martyrisée  notre  sainte 
Eusébie. 


23 


CHAPITRE  XIII 


«  A  casales  »  et  la  terre  «  ad  Arabenz  » 


C  A  CA8ALB8  »,  t  AD  ARABENZ  »  DE  LA  CHARTE  DE  1097.  —  EMPLA- 
CEMENT PRÉCIS  DE  t  A  CASALES  »  A  L'EMBOUCHURE  DE  L'HTJ- 
VEAUNE.  —  RUINES  ANTIQUES  DU  CŒNOBIUM.  —  EMPLACEMENT 
PRÉCIb  DE  <l  TERRA  AD  ARABENZ  »,  AUPRES  DE  L'EMBOUCHURE  DE 
I/HUVBAUNE.  —  CE  QUE  PEUT  felGNIFIER  CE  MOT  f   AD  ARABENZ  ». 

II  y  a  dans  la  charte  de  1097,  que  M.  l'abbé  Daspres  a  placée 
en  appendice  à  sa  Notice  sur  Saint-Giniez,  deux  expressions 
qui  nous  prouvent  que  le  monastère  de  sainte  Eusébie  se 
trouvait  bien  à  l'embouchure  de  l'Huteaune.  Voici  ces 
termes  : 

«  Moi  Villelme  Artaldus,  je  donne  une  pièce  de  terre,  située 
à  l'endroit  appelé  Saint-Félix,  qui  est  terminée  par  les 
casales  jusqu'au  fossé  d'eau,  de  l'autre  côté  par  la  mer,  de 
l'autre  par  l'Huveaune.  De  même  je  donne  une  pièce  de 
terre  ad  Arabenz,  limitée  à  l'orient  par  la  condamine  de 
Tévéque,  au  midi  par  la  terre  de  Pierre  Isnard,  à  l'occident 
par  la  terre  de  Gantelme  de  Marseille. 

«  Moi,  Autrannus,  fils  de  Richau,  je  donne  à  Saint- Victor 
six  dexlairades  de  terre  dans  un  autre  lieu  appelé  A  rabenz  (1).» 

(1)  c  Dono  ego  Villelmus  Artaldus  pro  supradicto  fllio  meo,  in  unâ 
pecia  de  terra  medietatem  in  loco  quidicitur  ad  Arabenz. . .  Et  termina- 
tur  ab  oriente  condamina  episcopi  et  a  meridie  terra  Pétri  Isnardi  et 
ab  occidente  terra  Gantelmi  de  Massilia.  —  Similiter  dono  de  pecia 
medietale  in  loco  qui  dicitur  ad  Sanctum  Felicem  et  terminatur  a 
casales  usque  in  iossatum  aquae,  ex  alia  parte  mare  et  ex  alià  aqua 
Uvelnae. 

«  Ego  Bertrannus,  filins  Richau,  dono  Sancto  Viclori  pro  anima  mea 
una  quarlairada  de  vineâ  in  loco  qui  dicitur  de  Calcadis  et  in  alio  loco 
ubi  dicitur  ad  Arabenz  in  VI  sextairadas  de  ipsa  duas  partes  quae  tertia 
pars  est  fratris  mei  Aicardi,  et  terminatur  ab  oriente  terra  Ismidonis 
quam  dédit  Villelmo  fllio  suo  monacho,  a  meridie  terra  Sancti  Victoris 


—  351  — 

Pour  déduire  une  preuve  en  faveur  de  notre  thèse,  faisons 
connaître  remplacement  exact  des  terres  désignées  par  ces 
expressions.. 

Et  d'abord  à  quel  endroit  des  bords  de  THuveaune  se  trou- 
vait le  monastère  de  saiute  Eusébie,  la  chapelle  «  dexs  Des- 
narrados  »,  d'après  les  auteurs  qui  nient  ou  affirment  l'exis- 
tence de  ce  monastère? 

Nul  n'est  aussi  exact  et  précis  que  M.  l'abbé  Daspres.  Il  fait 
autorité  à  ce  sujet,  puisqu'il  s'agit  de  l'histoire  de  sa  paroisse. 

Cet  écrivain,  qui,  rappelons-nous,  n'accepte  pas  noire 
opinion,  place  cette  chapelle  «  deïs  Desnarrados  »  là  où 
s'éleva  plus  tard  le  monastère  des  Prémontrés,  près  de  l'an- 
cienne batterie  d'Orléans,  sur  le  bord  de  la  mer,  à  l'embou- 
chure de  l'Huveaune.  «  L'ancienne  chapelle  des  Prémontrés 
d'abord,  de  Saint-Sauveur  ensuite  en  1529,  se  trouve  dans  le 
local  des  restaurants  Logos  et  Gontard  et  sert  de  cellier  (1).  » 

Or,  que  lisons-nous  dans  la  charte  de  1097?  «  Moi,  Villel- 
mud  Ârtaldus,  je  donne  une  pièce  de  terre  située  sur  le  lieu 
appelé  Saint-Félix,  qui  est  terminée  par  les  casâtes,  jusqu'au 
fossé  d'eau,  de  l'autre  côté  par  la  mer  et  de  l'autre,  enfin, 
par  les  eaux  d'Uvuelne.  » 

Quel  est  le  point  précis  du  terroir  où  se  trouve  cette  terre  ? 
Les  termes  de  la  charte  précitée  fournissent  quatre  points  de 
repère  qui  vont  le  déterminer.  Cette  terre  est  limitée  par  les 
eaux  de  rHuveaune,  puis  par  la  mer,  donc  elle  est  située  sur 

quae  fuit  Pétri  Isnardi,  etab  occidente  terra  Gantelmi.  »  (Charte  de  1097, 
aux  archives  départementales,  cotée  789-317,  fonds  de  Saint- Victor.) 

(1)  «  Il  y  a  au  sujet  de  ce  monastère  de  Notre-Dame  d'Huveaune  deux 
erreurs  historiques,  assez  communément  répandues.  La  première  est 
celle  qui  place  en  ce  lieu  le  fait  glorieux  du  martyre  de  sainte  Eusébie 
et  de  ses  compagnes...  .  »  (Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé 
Daspres,  p.  20,  p.  27.) 

On  se  rappelle  le  texte  de  la  lettre  d'un  ancien  curé  de  Saint-Giniez, 
qui  appelle  la  chapelle  de  Veaune  :  la  chapelle  dédiée  à  sainte  Eusébie. 
(En  1831). 

C'est  le  point  qu'indiquent  d'ailleurs  les  contemporains,  et  les  anciens 
de  Saint-Giniez,  que  nous  avons  notis-même  interrogés  souvent. 

Un  acte  du  21  mars  1791,  au  registre  176,  de  la  vente  des  biens  doma- 
niaux, donne  la  description  parfaite  de  cette  propriété.  ('Daspres, 
op.  cit.,  p.  31.) 


—  352  — 

le  rivage,  au  nord  de  l'Huveaune  ou  au  sud.  Un  fossé  d'eau 
lui  sert  aussi  de  limite.  Le  texte  latin  dit  «  fossatum  aquae  ». 
Que  faut-il  entendre  par  cette  expression  ?  Elle  peut  désigner 
ou  bien  les  deux  béais  qui,  empruntant  leurs  eaux  à  l'Hu- 
veaune, à  la  jonction  de  celle-ci  avec  le  Jarret,  reviennent  les 
y  déverser  :  l'un,  le  béai  de  Paradou,  à  quelque  cents  mètres 
du  point  de  jonction  du  chemin  de  Mazargues  et  du  Prado, 
vers  la  mer(l);  l'autre  le  petit  béai,  au  parc  Borély  (2).  Elle 
peut  désigner  encore  le  ruisseau  de  Gironde  qui,  partant  du 
palud,  du  marais  d'Ântignage  au  rond-point,  vient  se  jeter  à 
la  mer  en  dessous  des  Bains  du  Roucas-Blanc  (3). 

11  ne  peut  s'agir  ici  du  petit  béai,  qui  alimente  le  moulin  de 
Barrai,  puisque  ce  cours  d'eau  ne  date  que  de  1514  (4). 

Ces  mots  «  fossatum  aquae  »  ne  désignent  pas  non  plus  le 
grand  béai  de  Paradou  (5).  Il  y  a  loin  entre  la  mer  et  le  point 
de  jonction  de  ce  béai  avec  THuveaune.  Cette  terre  de  Vil- 
lelme  serait  une  terre  immense  si  le  «  fossatum  *  était  ce  béai. 
Or,  nous  verrons  tantôt  qu'entre  la  mer  et  ce  point  de  rencon- 
tre du  béai  avec  le  fleuve  il  y  a  d'autres  terres  ijue  celle  de 
Villelme.  Ainsi  cette  terre  de  Villelme  n'est  pas  située  au  midi 
de  l'Huveaune,  sur  sa  rive  gauche. 

Si  nous  voulons  trouver  un  a  fossatum  aquae  »  pouvant 
servir  de  limite  à  une  terre  déjà  bornée  par  le  rivage  et 
l'Huveaune,  nous  n'avons  que  le  ruisseau  de  Gironde.  Ainsi 
l'emplacement  exact  de  la  terre  de  Villelme  est  bien  désignée. 
Elle  se  trouvait  dans  l'espace  que  l'Huveaune,  la  rive  de  la 


(1)  Notice  sur  Saint-Giniez,  l'abbé  Daspres,  p.  80;  voir  sa  carte  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(2)  Notice  sur  Saint-Giniez ',  l'abbé  Daspres,  p.  79;  voir  sa  carte  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(3)  Notice  sur  Saint-Giniez,  l'abbé  Daspres,  p.  93;  voir  sa  carie  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(4)  Notice  sur  Saint-Giniez,  l'abbé  Daspres,  p.  79;  voir  sa  carte  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(5)  Dans  un  acte  de  131 1,  on  parle  d'une  vigne  située  proche  l'Huveaune 
et  vendue  au  monastère  de  Notre-Dame  d'Uuveaune.  On  lui  donne  pour 
confronts  :  la  terre  de  Pascal  Urbain,  d'une  part  ;  la  vigne  de  Solamos 
Albareista  ;  d'autre  part,  l'Huveaune  et  le  valat  de  ladite  église.  (Fonds 
de  Saint-Sauveur,  H.  56,  Prémontres.  Archives  départementales.) 


•  —  353  — 

mer  et  les  Bains  du  Roucas  Blanc  circonscrivent.  Or,  c'est  bien 
là  que  s'éleva  plus  tard  l'abbaye  des  Prémontrés.  L'abbé 
Daspres  le  disait  plus  haut. 

Cette  terre  de  Villelme  bornée  à  l'ouest  pair  la  mer,  au 
midi  par  l'Uveaune,  au  nord  parle  «  fossatum  aquae  »  est 
terminée,  dit  la  charte,  par  les  casales.  M.  Daspres  n'a  pu 
s'empêcher  de  se  demander  quelle  était  la  signification  de  ce 
mot.  A  notre  tour  nous  disons:  que  veut-il  dire?  Les  chartes 
de  Saint-Victor  vont  nous  fournir  l'explication. 

On  lit.dans  la  charte  259  :  «  Ego  Bonuspars  de  vineâ  cultâ 
ïmpono  mediam  quart airatam  ad  casales  Martini  Venelli.  »  Il 
s'agit  d'une  vigne  située  auprès  des  maisons  ou  de  l'habita- 
tion dé  Martin  Venel.  Plus  bas,  dans  le  même  document  : 
•  Uno  fron te  casales  Sancti  Pétri.  »  Ce  sont  ici  des  maisons 
qui  forment  la  dot  de  l'église  de  Saint-Pierre.  Dans  la  charte 
258,  on  lit  :  «  Unum  latus  casai  maximum  prseter  duos  casales 
quse  sunt  supra  ecclesiam.  »  Ici  encore  il. s'agit  d'une  maison, 
de  deux  habitations  situées  au-dessus,  dans  un  terrain  domi- 
nant une  église.  Dans  la  charte  149  :  «  Ut  in  borgo  suo  domos 
sive  casales  deberet  concedere  ubi  sibi  et  monachis  hospitium 
posset  honestum  habere,  dédit  casales  ad  aediflcandos  do- 
mos (1).«  Toujours  des  maisons,  des  habitations  que  l'on  ap- 
proprie à  d'autres  usages;  c'est-à-dire  les  demeures,  les  habi- 
tations que  les  colons  ou  cultivateurs  du  terroir  occupaient. 
Dans  ce  sens,  les  casales  dont  il  est  parlé  dans  la  charte  de 
1097  sont  des  maisons  ordinaires.  Puisque  ce  coin  de  terroir 
était  appelé  Saint-Félix,  il  pouvait  y  avoir  là  un  oratoire  sous 
ce  vocable,  et  tout  autour,  ces  quelques  huttes  se  dresser. 

Cependant,  comme  le  terme  casales  n'est  accompagné  d  au- 
cune autre  dénomination,  il  nous  paraîtrait  avoir,  dans  ce 
passage,  unsens  plus  général,  celui  de  vieilles  masures,  d'an- 
ciennes habitations,  de  vastes  dépendances,  ce  que  nous  a p pè- 
lerions les  communs  d'un  château.  Mais  en  ce  point  il  n'y  a 

(1)  Gartulaire  de  Saint- Victor.  — Glossarium  de  Ducange,  ad  verbum  : 
Casale  :  «  Accipitur  pro  prœdio  ruatico,  casa  videlicet  cum  porlione  agri. 
— -  Casa  tegurium  :  illic  humile  casale  sibi  erexit.  (Vita  sancli  Nicolai 
de  Rupe.)—  Certus  numerus  casarum.»  —  CamUs,  même  signification  : 
t  civitatem  et  casales  et  omnia  praedia  occupavit. ..  » 


—  354  — 

nulle  trace  de  villa,  de  maison  importante,  en  1097.  Ce  sont 
donc  les  dépendances  d'une  propriété  ancienne,  des  casais  en 
ruine,  et  Ton  se  sert  de  ce  nom  vulgaire  de  casais  pour  déter- 
miner remplacement  que  cet  ancien  domaine  occupait 
jadis. 

Cette  terre  deVillelme  qui  va  de  THuveaune  à  la  Gironde 
et  de  la  -  mer  aux  casales  étant  connue,  où  se  trouvaient  ces 
caèales?  Non  pas  peut-être  à  l'endroit  même  de  ces  ruines 
que  les  Prémontrés  relevèrent  en  1204  ;  mais  pas  trop  loin 
cependant,  car  la  terre  de  Villelme,  tout  en  ayant  une  cer- 
taine étendue,  était  limitée  cependant  par  d'autres  terres, 
situées  non  loin  de  là,  appartenant  à  d'autres  propriétaires 
que  Villelme,  et  portant  d'autres  noms. 

Or,  qu'étaient  ces  casales  sans  nom,  ces  ruines  en  1097,  a 
deux  pas  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  Sait;  à  deux  pas  de 
l'endroit  où  s'éleva  plus  tard  le  monastère  des  Prémontrés  ;  à 
deux  pas  de  la  chapelle  que  la  tradition  populaire  appelait 
«  leïs  Desnarrados  »,  c'est-à-dire  le  monastère  des  religieuses 
qui  se  coupèrent  le  nez  ;  à  deux  pas  enfin  de  l'endroit  que  la 
tradition  désigne  pour  être  le  lieu  du  martyre  de  sainte  Eusé- 
bie?  Si  l'on  disait  :  ce  sont  des  dépendances  de  l'antique  mo- 
nastère de  Saint-Cyr,  les  habitations  ruinées  et  abandonnées 
des  colons,  des  fermiers  de  ce  monastère,  serait-on  bien  éloi- 
gné de  la  vérité  ?  Qu'il  y  ait,  au  XI*  siècle,  à  ce  point  du  ter- 
roir,  des  ruines,  des  maisons  abandonnées,  et  que,  d'autre 
part,  la  tradition  dise  qu'il  s'est  passé  là  un  événement  tel 
que  celui  de  la  dévastation  d'un  monastère  et  le  massacre 
odieux  des  religieuses  qui  l'habitaient,  c'est,  on  l'avouera,  une 
coïncidence  bien  étonnante,  si  la  tradition  populaire  ne  dit  pas 
la  vérité. 

Une  expression  encore  que  nous  trouvons  dans  cette  charte 
de  1097  va  nous  fournir  une  autre  preuve  en  faveur  de  notre 
opinion. 

À  trois  endroits  du  contexte  de  cette  même  charte,  on 
trouve  cette  indication  :  «  Moi,  Villelme  Artaldus,  donne  une 
pièce  de  terre  ad  Arabenz,  qui  se  termine,  à  l'orient,  h  la 
condamine  de  l'évoque...  Moi  Autrannus,  fils  de  Richau, 
donne  un  pièce  de  terre  dans  un  autre  lieu  appelé  Arabenz... 


—  355  — 

Moi,  Iterius  de  Borriana  donne  en,  gage  à  Saint-Victor  une 
pièce  de  terre  ad  Arabenz.D  Quel  est  donc  l'emplacement  de 
ce  lieu  :  ad  Arabenz  ?  M.  Daspres  a  dit  qu'il  l'ignorait  (1)  ; 
cherchons  cependant,  il  est  peut-être  possible  d'en  déterminer 
approximativement  la  position. 

La  première  pièce  de  terre  ad  A rabenz,  celle  de  Villelme, 
est  bornée  à  l'orient  par  la  condamine  de  l'évêque.  Or,  cette 
terre  devenue  la  propriété  de  Saint- Victor,  quoiqu'elle  portât 
encore  le  nom  de  révéque,servaitde  limite  à  une  terre  appar- 
tenant à  Ponlius  Signoreti  (2).  Celle-ci,  en  effet,  était  limitée  à 
l'occident  par  la  condamine  de  Saint-Victor,  qui  avait 
appartenu  à  l'évoque,  au  midi  par  l'Huveaune,  à  l'orient  par 
la  terre  de  Gaufredus  le  vicomte.  Or,  celui-ci  possédait  plu- 
sieurs terres  dans  le  quartier  :  une  au-dessus  de  l'église,  l'au- 
tre dans  le  palud,  une  autre  encore  près  de  l'église  (3).  Toutes 
les  trois  pouvaient  servir  de  limite  à  la  terre  de  Signoreti,  à 
l'orient  par  rapport  à  celle  ci. 

La  seconde  terre  située  ad  Arabenz,  celle  de  Bertranus, 
fils  de  Richau,  était  bornée  à  l'orient  par  la  terre  qu'Ismido 
donna  à  son  fils  Villelme  le  moine,  au  midi  par  la  terre  de 
Saint-Victor  qui  appartint  à  Pierre  Isnard,  à  l'occident  par  la 
terre  deGantelme.  L'espace  de  terrain  qui  longe  la  rive  droite 
de  l'Huveaune  étant  déjà  occupé  par  la  terre  de  Pontius 
Signoreti,  la  condamine  de  l'évêque  et  la  terre  de  Villelme 
dont  il  s'agit  ci-dessus,  force  est  de  placer  la  terre  de  Ber- 
tranus, fils  de  Richau,  plus  au  nord,  vers  le  ruisseau  de. 
Gironde. 

De  sorte  que,  de  Saint-  Giniez  en  allant  vers  la  mer,  sur 
la  rive  droite  de  rHuveaune,  on  trouve  :  la  terre  de  Gaufredus, 

4 

(1)  «  Arabenz,  Saint-Félix...  et  quelques  autres  noms  qui  semblent 
jusqu'à  ce  jour  enveloppés  d'un  mystère  impénétrable.  «  Daspres.  op, 
cit.,  p.  111.  —  Mortreuil  (Dictionnaire  topographique),  au  mot  Ara- 
benz, dit  que  c'est  au  quartier  de  Saint-Giniez. 

(2)  «  Ego  Pontius  dono  et  vendo  Sancto  Victori  unam  peciam  de  terra 
in  terri torio  Sancti  Genesii  et  terminatur  ab  oriente  terra  Gaufredi  vi- 
cecomitis,  a  meridie  aqua  Uvelnœ  et  ab  occidente  condamina  Sancti 
Victoris,  quae  fuit  Episcopi.  »  Ghaite  de  1097,  ut  suprà. 

(3)  Charte  inédite  de  1097,  publiée  en  français  par  M.  l'abbé  Daspres 
(Notice  sur  Saint •Giniez),  appendice,  p.  136  etsuiv. 


—  356  — 

celle  de  Signoreti,  la  condamine  de  l'évêque  ou  de  Saint- 
Victor,  la  terre  de  Pierre  Isnard,  celle  de  Gantelme,  celle 
qui  appartenait  à  Rostand  d'Amalric,  et  dont  la  dlme  appar- 
tenait au  chanoine  Amelius  Candidia,  enfin  celle  de  Villelme 
au  bord  de  la  mer.  Au-dessus  de  ces  terres,  en  lon- 
geant la  rive  gauche  de  Gironde,  on  trouvait  d'autre  part  :  la 
terre  de  Gaufred,  celle  de  Signoreti  encore  (toutes  les  deux 
allaient  probablement  del'Huveauue  à  Gironde), la  terre  qu'Is- 
mido  donna  à  son  fils  le  moine  Villelme,  celle  de  Berlranus, 
fils  de  Richau,  celle  de  Gantelme  et,  peut-être  contiguë  à  cette 
dernière,  la  terre  de  Villelme  au  bord  de  la  mer  et  du  «  fos- 
satum». 

Or,  de  ce  plan  cadastral  dressé  en  petit,  il  résulte  ceci  :  que 
le  quartier  ad  Arabenz  était  situé  sur  le  Prado  même,  à  cin- 
quante, cent  ou  cent  cinquante  mètres  de  la  plage,  en  tirant 
vers  le  rond-point.  Le  Prado  séparait,  selon  nous,  ces  deux 
terres.  Celle  de  fiertranus  était  au  nord,  vers  Gironde,  celle 
de  Villelmus,  au  sud,  vers  l'Huveaune  II 

Le  quartier  ad  Arabenz  était  donc  non  loin  de  l'embou- 
chure de  l'Huveaune,  non  loin  de  l'emplacement  qu'occupa 
plus  tard  l'abbaye  des  Prémontrés. 

Or,  quelle  peut  être  la  signification  de  ces  mots  :  ad  Ara- 
benz ?  Ils  ressemblent  tellement  au  mot  Arabes,  que  Ton  peut , 
sans  crainte  de  se  tromper,  les  traduire  par  la  terre  des  Ara- 
bes, terre  située  près  des  Arabes.  Et  l'on  peut,  croyons-nous, 
défier  les  érudits  les  plus  perspicaces  de  donner  une  explica- 
tion sérieuse  de  cette  expression  (1).  Quels  Arabes,  avaut 
1097,  s'étaient  fixés  à  Saint-Giniez?  Quels  Arabes  y  avaient  été 
ensevelis?... 

Or,  en  regard  de  cette  expression  incompréhensible,  placez 
notre  tradition.  Est-ce  que  l'explication  qu'elle  fait  jaillir  n'est 

» 

(1)  M.  Mortreuil  (Dictionnaire  topographique  de  Marseille),  au  mot 
Arabenz ,  dit  qu'il  ne  peut  rien  apporter  de  précis  sur  l'endroit  appelé 
de  ce  nom. 

M.  Daspres  (Notice sur  Saint-Giniez)  pense  de  même,  p.  111.  —  Rap- 
pelions-nous, d'autre  part,  que  certains  chroniqueurs,  tels  que  Isidore 
de  Beja  et  Rodrigue  de  Tolède,  ont  employé  les  termes  :  «  sera  Arabum, 
anno  imperii  Arabum;  »  en  parlant  des  Sarrasins. 


—  357  — 

pas  surprenante?  Est-ce  que  Ton  ne  découvre  pas  dans  ce 
mot  le  souvenir  obscur  que  le  peuple  a  conservé  de  quelque 
fait,  de  quelque  particularité  concernant  les  lieux  qu'il  habite, 
et  qu'il  a  fixé  à  un  coin  de  terre  !  La  terre  des  Arabes,  est-ce 
que  de  soi-même,  instinctivement,  on  ne  refait  pas  dans  son 
esprit  les  scènes  de  désolation  et  de  Carnage  que  la  tradition  y 
a  placées  ?  Est-ce  que  Ton  n'ajoute  pas  à  cette  expression  terra 
ad  Arabenz:  C'est  là  que  sainte  Eusébie  fut  martyrisée  par  les 
Sarrasins  I 

Il  y  a  là  encore  une  coïncidence  fort  étonnante,  si  elle  n'est 
pas  la  vérité  I  ! 


CHAPITRE  XIV 
La  Tradition 

TRADITION  GÉNÉRALE  QUE  SAINTE  EUSEBIE  A  SUBI  LE  MARTYRE  AUX 
BORDS  DE  L'HUVEAUNE.  AUTEURS.  —  TRADITION  A  MARSEILLE  QUE 
SAINTE  EUSÉBIE  A  SOUFFERT  LE  MARTYRE  A  CET  ENDROIT.  AUTEURS. 
—  TRADITION  DE  L'ÉGLISE  DE  MARSEILLE  ENCORE  A  CE  SUJET.— 
TRADITION  DE  8AINT-GINIEZ  AUSSI  SUR  CE  POINT.— OR,  CETTE  TRA- 
DITION EST  ANCIENNE.  —  ELLE  S* APPUIE,  OU  PLUTOT  L'EXISTENCE 
EN  EST  DÉMONTRÉE  PAR  L'ARRIVÉE  A  L'HUVEAUNE  DES  PRÉMON- 
TRÉS, —  PAR  LEUR  DÉVOTION  A  SAINT  CYR,  —PAR  LE  VOCABLE  QU'ILS 
DONNENT  A  LEUR  MONASTÈRE,—  PAR  LE  NOM  «  TERRA  AD  ARABENZ  ».— 
SAINTE  EU8ÉBIB  INVOQUÉE  AUX  BORDS  DE  L'HUVEAUNE  AU  DÉBUT 
DU  XIX*  SIÈCLE. 

Nous  ne  nous  sommes  pas  trompés.  C'est  la  tradition  ! 

Il  est  de  tradition  générale,  en  effet,  que  sainte  Eusébie  a 
vécu,  a  été  martyrisée  aux  bords  de  l'Huveaune.  Nous  avons 
vu  tantôt  bon  nombre  d'auteurs  apporter  leur  témoignage. 
Mabillon,  qui  affirmait  que  le  monastère  dans  lequel  la  sœur 
de  saint  Césaire  d'Arles  avait  été  formée  à  la  vie  religieuse 
était  celui  que  Cassien  fit  élever  dans  le  terroir  de  Marseille, 
sur  les  bords  de  l'Huveaune. 

J.-J.  Chifflet,  qui,  en  racontant  la  venue  à  Marseille  de  la 
relique  de  la  croix  de  saint  André,  disait  quelle  avait  été  en- 
fouie dans  une  des  dépendances  du  monastère  de  l'Huveaune, 
et  il  faisait  à  la  suite  le  récit  du  martyre  de  sainte  Eusébie. 

André  du  Saussay,  qui,  mentionnant  le  fait  relatif  à  la  croix 
de  saint  André,  parlait  du  monastère  de  l'Huveaune. 

Le  Père  Lecointe,  qui  citait  aussi  le  monastère  de  l'Hu- 
veaune au  nombre  de  ceux  que  Marseille  possédait  à  une  cer- 
taine époque. 

L'Atlas  Marianus  et  le  père  Poirey,  dans  la  Triple  Cou- 
ronne de  Marie,  qui,  parlant  de  la  statue  vénérée  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune,  racontaient  le  martyre  de  notre  sainte 
héroïne. 


—  359  — 

Voilà  les  témoins  de  notre  tradition.  Et  comme  ces  auteurs 
ont  écrit  de  1618  à  1668,  il  s'ensuit  qu'au  début  du  XVII* 
siècle,  partant  à  la  fin  du  XV?,  il  était  accepté  et  dit  partout 
que  notre  sainte  Eusébie  avait  vécu,  avait  été  martyrisée  sur 
les  bords  de  l'Huveaune.  Sur  quels  faits,  sur  quels  documents 
ces  témoins  appuyaient  leur  témoignage,  nous  le  verrons  plus 
tard. 

Serrons  davantage  la  question  et  disons  :  Il  est  de  tradition, 
à  Marseille,  que  sainte*Eusébie  a  été  martyrisée  aux  bords  de 
l'Huveaune.  Nous  avens  entendu  les  historiens  de  Marseille  ; 
rappelons  leur  témoignage. 

Guesnay. —  Il  est  provençal,  natif  d'Aix,  au  courant  des  tra- 
ditions de  notre  Provence.  Or,  il  affirme  à  plusieurs  reprises 
qu'il  y  avait  au  bord  de  l'Huveaune  un  monastère  de  reli- 
gieuses cassianites  dont  Eusébie  était  l'abbesse,  et  il  raconte 
son  glorieux  martyre. 

H.  Bouche.  —  Il  est  provençal  encore,  natif  d'Aix,  au  fait 
des  coutumes  et  traditions  de  notre  contrée.  Et  son  Histoire 
de  Provence  parle  du  monastère  de  THuveaune,  habité  par 
les  Cassianites,  détruit  par  les  infidèles  et  de  leurs  reliques 
conservées  à  Saint- Victor. 
.  Guindon  et  Méry  ont  écrit  :  a  Le  lieu  où  était  situé  le  cou- 
vent des  Cassianites,  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  est  encore 
désigné  sons  le  nom  a  de'ta  Desnarrados  ».  Cette  appellation 
justifie  pleinement  le  séjour  des  Cassianites  dans  cette  localité. 
Ruffi  et  Grosson  se  trompent  quand  ils  avancent  que  les  dames 
de  Saint-Sauveur  n'ont  jamais  habité  le  quartier  de  Mont- 
redon.  » 

Bousquet  nous  rappelle  que  :  a  L'asile  de  ces  saintes  filles 
était  situé  près  de  l'embouchure  de  l'Huveaune,  à  une  petite 
lieue  de  Marseille.  »  Et  il  cite  le  martyre  de  sainte  Eusébie., 

M.  le  chanoine  Magnan  offrait  de  discuter  l'existence  d'un 
cœnobium  aux  bords  de  l'Huveaune,  et  affirmait  que  Cassien 
en  avait  établi  un  à  cet  endroit  du  terroir,  pour  les  filles. 

Les  deux  de  Iluffi,  Grosson,  André,  Giraud  Magloire,  Das- 
pres,  M.  de  Rey,  tout  en  combattant  notre  opinion,  attestent 
que  beaucoup  d'auteurs  plaçaient  le  monastère  des  Cassianites 
et  de  sainte  Eusébie  aux  bords  de  l'Huveaune. 


—  360  — 

Papon  et  la  Statistique,  tout  en  défigurant  celle  tradition, 
en  constatent  l'existence  d'une  certaine  manière. 

Le  premier  affirme  qu'il  y  avait  aux  bords  de  l'Huveaune 
un  monastère  de  filles,  fondé  par  Gassien,  détruit  par  les  Visi- 
gots  et  les  Sarrasins:  a  Les  religieuses  qui  échappèrent  à  leur 
fureur  ou  qui  la  prévinrent  par  la  fuite,  s'étant  retirées  dans 
le  couvent  qui  était  près  de  Saint-Victor,  eurent  le  sort  de 
sainte  Eusébie  :  elles  se  coupèrent  le  nez#».  En  dépit  de  l'idée 
bizarre  défaire  courir  les  Cassianites  des  bords  de  l'Huveaune 
à  Saint-Victor,  et  de  supposer  deux  monastères  de  filles,  Papon 
admet  bien  qu'il  y  ait  eu  un  couvent  de  filles  à  l'Huveaune  (1). 

La  Statistique  des  Bouches-du-Rhdne,  elle  aussi,  raconte 
qu'  «  à  l'abbaye  de  Saint-Cyr,  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes, 
après  s'être  coupé  le